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Comment relancer la recherche en santé ?

Comment relancer la recherche en santé ?

Le déclassement de la recherche française est particulièrement inquiétant en biologie santé. Comment regagner le terrain perdu et maintenir notre rang international ? Au-delà des diagnostics, qui convergent largement, quelles propositions pour relancer la recherche biomédicale en France ?

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Publié le 25 mai 2023

Relancer la recherche biomédicale en France

Un rapport d’Alain Fischer, président de l’Académie des sciences, publié par Terra Nova en janvier 2023 s’inquiétait de l’affaiblissement de la recherche médicale française et avançait des propositions pour inverser la tendance. De son côté France Universités, qui porte la voix des universités dans le débat public, a lancé sa propre réflexion sur ce sujet et en présente ici les principales conclusions.
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Retrouvez en ligne sur le site de France Universités le dossier de presse « Relancer la recherche biomédicale en France » : https://franceuniversites.fr/wp-content/uploads/2023/04/Dossier-de-presse-Jeudi-6-Avril-2023.pdf et le rapport complet de l’étude (en anglais) « Supporting France Universités’s reflections on the state of biomedical research in France » : https://franceuniversites.fr/wp-content/uploads/2023/04/Report-State-of-Biomedical-Research-in-FR_France-Universites.pdf

Affiner le diagnostic sur la recherche en biologie santé : une démarche fondée sur une étude bibliométrique

L’état de la recherche biomédicale en France est au cœur de nombreux débats depuis une dizaine d’années, qui ont mis au jour les problèmes et proposé des recommandations pour améliorer la situation, notamment, très récemment, dans le contexte de la préparation de la Loi de Programmation de la Recherche (LPR), en 2019. 

La pandémie de Covid19 ayant contribué à dévoiler les faiblesses du système, la performance et l’organisation de la recherche biomédicale française en ont d’autant plus été scrutées et discutées. En a résulté la publication, en 2021, d’un rapport en deux volumes des Académies de Médecine et de Pharmacie résumant l’état du débat selon deux grandes lignes : 

1. Il y a bel et bien un déclin de la recherche biomédicale française ; 

2. Ce déclin est surtout dû 

  • à la part plus faible des financements de la recherche dans ce secteur, de la part de la France, comparativement à ses homologues internationaux ; 
  • à la fragmentation des structures, financements et acteurs dans le champ de la recherche ; 
  • à un déficit d’harmonisation entre les universités et les CHU. 
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Ce rapport suggère que cette fragmentation et ce manque d’harmonisation ont un impact négatif sur la recherche translationnelle et sur la recherche pluri- et interdisciplinaire, avec des conséquences sur les soins avancés et l’innovation thérapeutique. Quoique largement partagée parmi les experts, cette perception de la réalité devait encore être étayée. Or, il était compliqué d’aborder quantitativement et rigoureusement des sujets comme l’interdisciplinarité, et de rassembler les contributions des différents acteurs. 

C’est la raison pour laquelle France Universités a commandé une étude indépendante visant à fournir des arguments et preuves supplémentaires, à partir d’une analyse bibliométrique de publications. 

Cette étude, conduite en 2022, visait à apporter un éclairage sur deux aspects majeurs : 

  1. Grâce à des analyses bibliométriques originales, affiner notre vision de la production, de l’impact scientifique, de la spécialisation thématique et de l’interdisciplinarité de la recherche biomédicale française, dans une comparaison internationale.
  2. Permettre de comprendre le poids respectif des différents acteurs institutionnels de l’écosystème français, en accordant une attention particulière aux universités et aux CHU. 

Il s’agit de nourrir les discussions des différentes parties sur l’état actuel de la recherche en biologie-santé dans notre pays, ainsi que les actions à engager, à l’avenir, au niveau national, en particulier concernant le rôle et la contribution possibles des universités et des CHU, sans oublier, plus largement, la mise en place d’une stratégie nationale de recherche en biologie-santé. 

La présente étude visait à permettre une évaluation des hypothèses et perceptions actuelles sur ces questions, et offrir de nouvelles perspectives fondées sur des données probantes, pour répondre à un certain nombre de questions.

Principales conclusions de l’étude

Le sujet de la performance et du positionnement globaux de la France en recherche biomédicale a déjà fait l’objet de multiples discussions et analyses, les plus récentes étant celles menées par Terra Nova et Alain Fischer, dont les conclusions rejoignent les rapports antérieurs. L’étude menée affine et complète ce débat, en apportant des données et des analyses précises pour valider et alimenter les hypothèses de base. 

Existe-t-il un déclin de la recherche biomédicale en France ? Où la recherche est-elle produite et quel est le poids des différents acteurs ? Le modèle actuel des CHU permet-il de mener des recherches de qualité supérieure, à savoir dans le domaine clinique et translationnel ? 

L’étude diligentée par France Universités permet de dresser trois grandes conclusions :

1. La recherche biomédicale ne décline pas, en soi, en France (bien qu’elle décline comparativement aux autres pays analysés ici), mais elle a atteint un plafond en-deçà de son potentiel, dans la dernière décennie, ce qui contraste avec les autres pays européens. C’est une préoccupation majeure, étant donnée la concurrence intense des grands pays émergents. De plus, et au-delà de la spécialisation dans des domaines importants comme le cancer et les maladies infectieuses, la France apparaît spécialisée dans des domaines classiques plutôt qu’émergents. Il serait intéressant de définir les priorités en matière de recherche biomédicale au niveau national et de savoir si, finalement, celle-ci constitue une priorité. Si tel n’est pas le cas, quelle en est la conséquence pour le pays ? 

Si la France ne fait pas de la recherche en biologie santé une priorité en faisant passer son investissement au même niveau que ses concurrents, il est alors crucial de repenser la politique de recherche biomédicale nationale en faisant mieux coïncider les décisions et les priorités avec celles prises au niveau européen par les autres États-membres.

2. Plus de 60 % des recherches en France sont produites par les universités et les CHU ensemble. Néanmoins, le modèle de recherche est différent, les universités portant presque toutes les spécialisations en sciences du vivant et les CHU, en sciences de la santé, et les deux se chevauchent peu. Les universités font également davantage appel à l’interdisciplinarité. 

La recherche française se concentre dans des domaines classiques plutôt que dans des secteurs émergents. Cela accroît le risque que la recherche française biomédicale se laisse distancer par ses concurrents, en particulier dans les domaines émergents à forte contribution des sciences sociales comme la santé publique, ou des sciences appliquées comme le génie biologique. En outre, la recherche apparaît comme plus inégale en France qu’ailleurs en termes d’impact scientifique.

3. La performance des CHU en matière d’impact scientifique des publications n’est pas bonne. Ils ont le plus faible taux de citations en comparaison des universités et de l’Inserm en recherche fondamentale et translationnelle mais aussi, et de manière importante, en santé publique, épidémiologie et recherche clinique. Si cela peut indiquer qu’il existe des types d’études avec des habitudes de citations différentes en CHU, d’un côté, à l’Inserm et dans les universités, de l’autre, c’est aussi cependant le signe d’un plus faible impact et/ou d’un plus faible intérêt de la part de la communauté mondiale. Cela suggère également qu’on ne cible peut-être pas la recherche translationnelle d’excellence au sein des CHU. 

Bien que cet impact soit plus faible qu’attendu ou qu’espéré, d’autres études comparant des institutions internationales dotées d’un modèle similaire aux CHU permettraient de mieux comprendre la manière dont les CHU, et leur modèle d’association avec des universités, s’en sortent réellement.

En outre, la complexité de l’organisation du système français en recherche biomédicale semble avoir un impact négatif sur la capacité de pilotage de la politique de recherche et de définition des grandes priorités nationales. Cela semble lié, au moins en partie, à la difficulté à aligner les priorités de recherche des CHU et celles des universités, au problème plus large d’affiliation des personnels communs des CHU et des universités, et à l’impact scientifique de la recherche faite en CHU.

Propositions de France Universités en réponse à ces différents constats 

Proposition 1 : Augmenter la part du PIB affectée à la Recherche & Développement dans notre pays à 3 % dont 1 % à la recherche publique d’ici 2027, et porter de façon pérenne à au moins 30 % la part consacrée à la santé. 

Le financement de la recherche en santé est insuffisant. On constate une diminution permanente en euros constants des budgets alloués à la recherche en biologie santé, que l’on peut estimer de 25 %, entre 2008 et 2020. De plus, la part du budget de la recherche affectée à ce domaine est insuffisante : elle est de 17,2 %, un taux très inférieur aux 35 à 40 % des pays voisins. 

Proposition 2 : Réunir l’ensemble des financements des programmes nationaux en recherche en santé sous un pilotage unique pour élaborer une stratégie commune de recherche en santé.

 Le financement de la recherche en santé est fragmenté : assurance maladie pour le Programme hospitalier de recherche clinique (PHRC), d’un côté, et financement du ministère de l’Enseignement et de la Recherche pour les universités et les organismes nationaux de recherche, de l’autre. Les programmes nationaux de recherche en santé s’appuient également sur des financements dispersés entre les ministères, le Secrétariat général pour l’investissement (SGPI) et l’Objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam), ce qui ne permet pas d’avoir une vision globale pour mener une politique nationale visible. 

Proposition 3 : Simplifier le millefeuille organisationnel en confiant à l’Inserm le pilotage de la programmation nationale de la recherche en santé, et aux universités le pilotage de la politique scientifique locale. 

La recherche en biologie/santé est partagée dans son pilotage entre le ministère de Santé et de la Prévention, le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et le ministère des Finances ; et dans sa conduite entre les universités, les centres hospitaliers et universitaires (CHU), les organismes nationaux de recherche, dont l’Inserm spécialisé en biologie santé et d’autres (CNRS, INRAE, IRD, CEA, INRIA), auxquels s’ajoutent les agences créées pour chaque nouveau domaine de maladie et les appels à projets des investissements d’avenir, les IHU, etc. 

Proposition 4 : Ré-universitariser et re-médicaliser la gouvernance du CHU avec un binôme médecin-universitaire/administratif. 

Proposition 5 : Formaliser les objectifs et les modalités du partenariat en matière de recherche en complétant les conventions HU actuelles par un contrat d’objectifs, de moyens et de performance en cohérence avec les contrats pluriannuels respectifs de chacune des parties. 

Proposition 6 : Substituer au Comité de la Recherche en matière Biomédicale et de Santé Publique (CRBSP) un comité stratégique CHU-Université, en lui conférant notamment le suivi du contrat d’objectifs, de moyens et de performance. 

Le CHU a perdu sa dimension universitaire. La coordination locale entre le CHU et l’université est souvent insuffisante. Or, la création du CHU en 1958 a été pensée dans une relation entre hôpital et faculté de médecine. La mise en place de grandes universités multidisciplinaires ne s’est pas accompagnée d’une évolution de la loi de 1958 : les conventions entre CHU et universités créant le CHU sont souvent peu stratégiques, voire obsolètes. 

Par ailleurs, la recherche en santé ne bénéficie pas assez des disciplines des sciences fondamentales et expérimentales et des sciences sociales. La conduite d’une stratégie de recherche menée en parallèle par le CHU, d’une part, et l’université, d’autre part, sans cohérence d’ensemble, est pénalisante pour la recherche en santé. 

Le CRBSP est une instance consultative, sans fonction stratégique, et dont le fonctionnement apparaît très contrasté selon les sites. 

Proposition 7 : Sanctuariser les crédits dédiés à la recherche clinique hospitalière dans la Loi de finances de la sécurité sociale.

Proposition 8 : Permettre à l’échelon du site que l’université et le CHU définissent en commun l’usage des crédits de la recherche et de l’innovation provenant notamment du PHRC, des appels d’offres européens, de l’ANR et autres instances. Cette définition s’opèrerait dans le cadre du contrat d’objectifs et de moyens qui les lie, notamment pour les actions prioritaires de recherche et d’innovation. 

Le budget de la recherche dans les établissements de santé ne finance pas la recherche hospitalière. Le CHU a, de fait, un modèle économique qui ne peut favoriser la recherche car il est principalement fondé sur la tarification à l’activité (T2A), donc sur les soins. Les crédits MIGAC (missions d’intérêt général et de l’aide à la contractualisation) et MERRI (missions d’enseignement, de recherche, de référence et d’innovation) ne sont pas redistribués à la hauteur des activités de recherche clinique. Et s’agissant des MERRI, seule une faible part est dévolue au PHRC. 

Proposition 9 : Renforcer et évaluer l’efficacité des mesures en faveur de l’attractivité des carrières hospitalo-universitaires prises notamment dans le cadre du Ségur de la Santé. 

Il est important de pallier la désaffection des hospitalo-universitaires. La situation des médecins hospitaliers universitaires se dégrade, l’attractivité de la carrière s’effondre, comme en témoignent les démissions en cours de carrière et la désertification des viviers de certaines disciplines dont certaines ne sont plus représentées dans les CHU : ces dernières années, entre 2018 et 2020, 139 PU-PH et MCU-PH (78 PU-PH et 61 MCU-PH) ont démissionné sur un effectif global au 31 décembre 2019 de 6395 médecins universitaires (4432 PU-PH et 1963 MCU-PH). Le renforcement des mesures en faveur de l’attractivité des carrières hospitalo-universitaires est d’autant plus nécessaire que la réforme des études de santé a entraîné une augmentation, depuis 2018, de 35% des étudiants formés pour devenir médecin. 

Proposition 10 : Créer des instituts de santé publique au sein des universités. 

Comme le démontre le rapport commandé par France Universités, la France a peu investi le champ de la santé publique. La discipline de santé publique souffre d’un manque de reconnaissance et d’ambition universitaire dans un environnement hospitalier essentiellement dévolu au soin sans réelle culture de prévention.

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Publié le 16 mars 2023

« La recherche médicale française a besoin de réformes ambitieuses »

Alain Fischer, pédiatre et immunologiste, a été élu président de l’Académie des sciences. Pour Terra Nova il a rédigé en janvier un rapport sur la recherche médicale en France : diagnostic pessimiste, propositions ambitieuses, ce rapport a permis de remettre à l’agenda du débat public l’état préoccupant dans lequel se trouve la recherche médicale dans notre pays.
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Comment se porte selon vous la recherche médicale française ?

LA GRANDE CONVERSATION

Elle est dans un état préoccupant ! Pour en juger, nous disposons de nombreux indicateurs. Chacun d’eux, pris isolément, présente certes des limites méthodologiques. Mais quand on constate qu’ils vont tous dans le même sens, force est malgré tout d’en tirer une vue d’ensemble qui n’est pas positive. Prenons par exemple les publications scientifiques : nous étions au sixième rang mondial en 2005, nous sommes à présent au neuvième rang, derrière l’Italie ou la Corée du Sud. La part française a chuté de 34% ! Le volume de publications est certes croissant, donc le déclin est plus relatif qu’absolu : les autres progressent plus vite alors que nous restons sur un plateau. Et si l’on se concentre sur les publications à fort impact scientifique, dans le classement effectué par la revue Nature, la leçon est la même : nous enregistrons en France le plus fort déclin sur la moyenne des cinq dernières années parmi les dix premiers pays du classement.

Il y a donc une urgence à s’emparer du sujet, au plus haut niveau politique : comprendre les causes de ce déclin, et en tirer les conséquences.

Quelle est selon vous la principale cause de ce déclin ?

LGC

La première chose à regarder, c’est le financement. Un effort important était attendu au moment de la préparation de la loi de programmation de la recherche, en 2020. Nous restons en France sous 0,8% de PIB consacré à la recherche publique, au dixième rang de l’Union européenne, alors que l’Allemagne, par exemple, a dépassé 1% sous les mandats d’Angela Merkel. Et le constat est le même quand on ajoute les dépenses privées : l’Allemagne est au-dessus de 3%, objectif visé par la stratégie dite de Lisbonne, et nous sommes à 2,2%. Si l’on se concentre sur le secteur biologie-santé, on constate une baisse de 28% des crédits publics de recherche en France.

Cet enjeu des moyens a des répercussions immédiates sur la qualité de la recherche : il vient fragiliser l’attractivité du métier de chercheur, la qualité des infrastructures et des équipements, et il impose donc directement la perte de vitesse que nous sommes en train de connaître.

Quel est l’enjeu en termes d’infrastructures et d’équipements ?

LGC

Dans certaines disciplines, en particulier la physique et les sciences de l’univers, notre pays dispose d’atouts importants en termes d’infrastructures de recherche. Mais en biologie-santé, en dépit des programmes d’investissements d’avenir, nous restons à la traîne. Il nous manque des structures de financement pérennes. En matière d’imagerie par exemple, nous passons pour partie à côté des progrès majeurs qui se jouent aujourd’hui : la France ne possède ainsi que quatre cryo-microscopes électroniques, alors que les chercheurs allemands en ont 39 !

Comment les chercheurs vivent-il aujourd’hui leur métier ?

LGC

Certes, la France est bien positionnée en nombre de chercheurs : avec 300.000 ETP, la densité de chercheurs dans la population est plus élevée chez nous qu’en Allemagne ou au Royaume-Uni.

Le premier élément à avoir en tête, c’est la question des salaires, car elle détermine l’attractivité de ce métier. Les comparaisons ne sont pas faciles à faire, mais on peut quand même retenir qu’un chercheur en début de carrière perçoit en moyenne 2000 euros nets mensuels en France, 2600 nets au Royaume-Uni, et au minimum 4000 euros bruts en Allemagne.

Par ailleurs, et c’est dit partout, le quotidien des scientifiques, aujourd’hui, c’est de passer bien trop de temps à chercher de l’argent et remplir des dossiers, au lieu de faire de la science. Le sujet majeur en l’espèce, c’est le bouleversement du ratio, dans nos laboratoires, entre les crédits de fonctionnement pérennes et les crédits sur projet. A l’échelle de ma carrière, je dirais que l’on est passé d’un ratio 50/50 à un ratio 85/15. Aller chercher des financements sur appel à projets, c’est un travail différent de celui que nous avons choisi et pour lequel nous nous sommes formés : c’est chronophage et frustrant quand on a choisi un métier de science, cela crée de l’insécurité pour les équipes, et, surtout, c’est orthogonal avec nos valeurs de chercheurs, puisque cela conduit peu ou prou à privilégier des projets court-termistes, avec peu de prise de risque, adossés à des résultats préliminaires le plus solides possibles, pour maximiser nos chances d’être financés. C’est privilégier la logique inverse de la créativité et de la curiosité qui nous ont amenés à choisir ce métier.

Votre rapport pour Terra Nova est peu amène à l’égard de l’Agence nationale de la recherche (ANR)…

LGC

Pour juger de la performance de cette agence, il faut regarder la lourdeur des procédures et les taux de succès : sur ces deux indicateurs, il faut reconnaître que l’agence s’est nettement améliorée depuis sa création en 2005. L’objectif, à la création, c’était de renforcer le pilotage stratégique thématique de la recherche. On s’aperçoit aujourd’hui que ce choix s’est fait initialement au détriment de la recherche fondamentale, et au profit de recherches appliquées sur des thèmes dont la pertinence n’est pas toujours évidente.

La principale difficulté, c’est le ratio entre les dotations et le financement sur projet ANR. Là, la France est allée trop loin me semble-t-il. En outre, on sait bien que la sélection des meilleurs projets, qui est l’atout principal de ce système en théorie, conduit à délaisser la recherche non-programmée, qui est essentielle. Il est vrai que, sur ce point, la situation a été en partie améliorée puisque les projets sur appel à proposition non ciblés sont devenus majoritaires ces dernières années.

Dans le rapport pour Terra Nova, je propose que l’ANR garantisse des taux de succès supérieurs à 25 %, que les crédits alloués soient augmentés, et que la durée des contrats soit allongée à cinq ans. Il faudrait aussi poursuivre les efforts en matière de simplification administrative…

Que pensez-vous de la mission de pilotage stratégique de la recherche en santé ?

LGC

Force est de constater que, ANR ou pas, la stratégie de la recherche médicale en France est plutôt faible. Nous souffrons d’un véritable millefeuille organisationnel et de financement. Chaque équipe de recherche en biologie-santé est affiliée à un établissement public à caractère scientifique et technologique ET à une université et/ou un hôpital. Elle obtient par ailleurs ses moyens de fonctionnement à la fois auprès d’organismes de financement pérennes mais modestes (Inserm ou CRNS), auprès de l’université de rattachement, parfois auprès de la région. Et elle doit enfin solliciter ses crédits dans des appels à projets de l’ANR ou bien auprès d’une multitude d’agences nationales spécialisées (Institut national du cancer, Agence nationale de la recherche sur le sida et les maladies infectieuses émergentes, etc.), et auprès d’associations (Ligue contre le cancer, AFM-Téléthon, etc.). 

Je plaide, dans mon rapport, pour une institution forte, capable d’unifier la vision stratégique et les moyens de la recherche biomédicale en France. En partant de ce qui existe, on pourrait confier à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) une mission globale, couvrant l’ensemble du champ de la santé, sur le modèle de l’Institut national de la santé américain.

Cette organisation rassemblerait les moyens d’agences comme l’Agence nationale de recherches sur le sida, les hépatites virales et les maladies infectieuses émergentes, la partie recherche de l’Institut national du cancer ou l’enveloppe des programmes hospitaliers de recherche clinique [PHRC].

La recherche clinique à l’hôpital semble constituer l’un des principaux angles-morts de la stratégie actuelle ?

LGC

La recherche hospitalière aussi est mal financée et sans stratégie. La triple mission (soin, formation, recherche) des centres hospitaliers universitaires issus de la réforme Debré de 1958 est aujourd’hui une coquille vide. La place de la recherche dans la gouvernance des CHU a été réduite, les liens avec l’université sont ténus dans la stratégie des CHU, et les fonds alloués à la recherche obéissent à des logiques opaques. L’enveloppe des crédits de recherche dans les CHU représente environ 10% du budget d’un établissement : c’est beaucoup, mais en réalité l’essentiel est absorbé pour couvrir le déficit de l’établissement ! Je propose de réformer l’organisation des CHU pour mieux arrimer ensemble, dans la gouvernance, les fonctions de soin, de recherche et d’enseignement, comme cela se fait dans d’autres pays, en particulier aux Pays-Bas.

Par ailleurs, l’un des outils de la recherche hospitalière, le PHRC, créé en 1993 pour, au moins en partie, court-circuiter l’Inserm et permettre aux médecins de piloter leurs propres recherches, fonctionne mal : seulement 1 700 articles scientifiques publiés pour 5 000 projets financés en vingt ans, soit une efficience vraiment très faible. En dépit d’un budget global d’environ de 250 M€ par an, il n’a jamais fait l’objet, à notre connaissance, d’une évaluation.

Si l’on veut continuer à rechercher l’intégration des activités de soin, d’enseignement et de recherche, la création des instituts hospitalo-universitaires est une avancée. Ils permettent d’attirer des chercheurs de qualité, français et étrangers. Je propose d’augmenter leur nombre, tout en gardant à l’esprit qu’on ne peut pas tout miser sur eux ; la souplesse d’équipes de taille plus réduite doit rester un atout.  

Vous plaidez aussi plus largement pour un renforcement de la culture scientifique dans notre pays

LGC

La science fait partie de notre patrimoine, au même titre que la culture. Mais la crise du Covid, avec son cortège de rumeurs et de théories du complot à l’égard notamment du vaccin, nous a rappelé ce que nous ne voulions pas voir : l’appétence de certains de nos concitoyens pour les thèses irrationnelles ou complotistes, la défiance à l’égard de la science et du progrès, les théories fumeuses du bien-être au détriment de la santé, révèlent un grave défaut de culture scientifique et de formation à l’esprit critique dans notre pays.

L’école, les médias, et la formation des élites : c’est là qu’il faut dorénavant accroître considérablement l’effort pour renforcer la culture scientifique.

Au-delà, il faut bien constater aussi que la science irrigue trop peu dans notre pays les cercles de l’activité économique et de l’action publique. Un chiffre me frappe : deux tiers des ingénieurs allemands ont un doctorat, contre 15 % à 20 % en France. Il y a urgence à réhabiliter la curiosité, la créativité et l’esprit critique, qui sont les apanages de l’activité scientifique, au cœur de notre patrimoine de valeurs.

Propos recueillis par Mélanie Heard