Retrouvez en ligne sur le site de France Universités le dossier de presse « Relancer la recherche biomédicale en France » : https://franceuniversites.fr/wp-content/uploads/2023/04/Dossier-de-presse-Jeudi-6-Avril-2023.pdf et le rapport complet de l’étude (en anglais) « Supporting France Universités’s reflections on the state of biomedical research in France » : https://franceuniversites.fr/wp-content/uploads/2023/04/Report-State-of-Biomedical-Research-in-FR_France-Universites.pdf
Affiner le diagnostic sur la recherche en biologie santé : une démarche fondée sur une étude bibliométrique
L’état de la recherche biomédicale en France est au cœur de nombreux débats depuis une dizaine d’années, qui ont mis au jour les problèmes et proposé des recommandations pour améliorer la situation, notamment, très récemment, dans le contexte de la préparation de la Loi de Programmation de la Recherche (LPR), en 2019.
La pandémie de Covid19 ayant contribué à dévoiler les faiblesses du système, la performance et l’organisation de la recherche biomédicale française en ont d’autant plus été scrutées et discutées. En a résulté la publication, en 2021, d’un rapport en deux volumes des Académies de Médecine et de Pharmacie résumant l’état du débat selon deux grandes lignes :
1. Il y a bel et bien un déclin de la recherche biomédicale française ;
2. Ce déclin est surtout dû
- à la part plus faible des financements de la recherche dans ce secteur, de la part de la France, comparativement à ses homologues internationaux ;
- à la fragmentation des structures, financements et acteurs dans le champ de la recherche ;
- à un déficit d’harmonisation entre les universités et les CHU.
Ce rapport suggère que cette fragmentation et ce manque d’harmonisation ont un impact négatif sur la recherche translationnelle et sur la recherche pluri- et interdisciplinaire, avec des conséquences sur les soins avancés et l’innovation thérapeutique. Quoique largement partagée parmi les experts, cette perception de la réalité devait encore être étayée. Or, il était compliqué d’aborder quantitativement et rigoureusement des sujets comme l’interdisciplinarité, et de rassembler les contributions des différents acteurs.
C’est la raison pour laquelle France Universités a commandé une étude indépendante visant à fournir des arguments et preuves supplémentaires, à partir d’une analyse bibliométrique de publications.
Cette étude, conduite en 2022, visait à apporter un éclairage sur deux aspects majeurs :
- Grâce à des analyses bibliométriques originales, affiner notre vision de la production, de l’impact scientifique, de la spécialisation thématique et de l’interdisciplinarité de la recherche biomédicale française, dans une comparaison internationale.
- Permettre de comprendre le poids respectif des différents acteurs institutionnels de l’écosystème français, en accordant une attention particulière aux universités et aux CHU.
Il s’agit de nourrir les discussions des différentes parties sur l’état actuel de la recherche en biologie-santé dans notre pays, ainsi que les actions à engager, à l’avenir, au niveau national, en particulier concernant le rôle et la contribution possibles des universités et des CHU, sans oublier, plus largement, la mise en place d’une stratégie nationale de recherche en biologie-santé.
La présente étude visait à permettre une évaluation des hypothèses et perceptions actuelles sur ces questions, et offrir de nouvelles perspectives fondées sur des données probantes, pour répondre à un certain nombre de questions.
Principales conclusions de l’étude
Le sujet de la performance et du positionnement globaux de la France en recherche biomédicale a déjà fait l’objet de multiples discussions et analyses, les plus récentes étant celles menées par Terra Nova et Alain Fischer, dont les conclusions rejoignent les rapports antérieurs. L’étude menée affine et complète ce débat, en apportant des données et des analyses précises pour valider et alimenter les hypothèses de base.
Existe-t-il un déclin de la recherche biomédicale en France ? Où la recherche est-elle produite et quel est le poids des différents acteurs ? Le modèle actuel des CHU permet-il de mener des recherches de qualité supérieure, à savoir dans le domaine clinique et translationnel ?
L’étude diligentée par France Universités permet de dresser trois grandes conclusions :
1. La recherche biomédicale ne décline pas, en soi, en France (bien qu’elle décline comparativement aux autres pays analysés ici), mais elle a atteint un plafond en-deçà de son potentiel, dans la dernière décennie, ce qui contraste avec les autres pays européens. C’est une préoccupation majeure, étant donnée la concurrence intense des grands pays émergents. De plus, et au-delà de la spécialisation dans des domaines importants comme le cancer et les maladies infectieuses, la France apparaît spécialisée dans des domaines classiques plutôt qu’émergents. Il serait intéressant de définir les priorités en matière de recherche biomédicale au niveau national et de savoir si, finalement, celle-ci constitue une priorité. Si tel n’est pas le cas, quelle en est la conséquence pour le pays ?
Si la France ne fait pas de la recherche en biologie santé une priorité en faisant passer son investissement au même niveau que ses concurrents, il est alors crucial de repenser la politique de recherche biomédicale nationale en faisant mieux coïncider les décisions et les priorités avec celles prises au niveau européen par les autres États-membres.
2. Plus de 60 % des recherches en France sont produites par les universités et les CHU ensemble. Néanmoins, le modèle de recherche est différent, les universités portant presque toutes les spécialisations en sciences du vivant et les CHU, en sciences de la santé, et les deux se chevauchent peu. Les universités font également davantage appel à l’interdisciplinarité.
La recherche française se concentre dans des domaines classiques plutôt que dans des secteurs émergents. Cela accroît le risque que la recherche française biomédicale se laisse distancer par ses concurrents, en particulier dans les domaines émergents à forte contribution des sciences sociales comme la santé publique, ou des sciences appliquées comme le génie biologique. En outre, la recherche apparaît comme plus inégale en France qu’ailleurs en termes d’impact scientifique.
3. La performance des CHU en matière d’impact scientifique des publications n’est pas bonne. Ils ont le plus faible taux de citations en comparaison des universités et de l’Inserm en recherche fondamentale et translationnelle mais aussi, et de manière importante, en santé publique, épidémiologie et recherche clinique. Si cela peut indiquer qu’il existe des types d’études avec des habitudes de citations différentes en CHU, d’un côté, à l’Inserm et dans les universités, de l’autre, c’est aussi cependant le signe d’un plus faible impact et/ou d’un plus faible intérêt de la part de la communauté mondiale. Cela suggère également qu’on ne cible peut-être pas la recherche translationnelle d’excellence au sein des CHU.
Bien que cet impact soit plus faible qu’attendu ou qu’espéré, d’autres études comparant des institutions internationales dotées d’un modèle similaire aux CHU permettraient de mieux comprendre la manière dont les CHU, et leur modèle d’association avec des universités, s’en sortent réellement.
En outre, la complexité de l’organisation du système français en recherche biomédicale semble avoir un impact négatif sur la capacité de pilotage de la politique de recherche et de définition des grandes priorités nationales. Cela semble lié, au moins en partie, à la difficulté à aligner les priorités de recherche des CHU et celles des universités, au problème plus large d’affiliation des personnels communs des CHU et des universités, et à l’impact scientifique de la recherche faite en CHU.
Propositions de France Universités en réponse à ces différents constats
Proposition 1 : Augmenter la part du PIB affectée à la Recherche & Développement dans notre pays à 3 % dont 1 % à la recherche publique d’ici 2027, et porter de façon pérenne à au moins 30 % la part consacrée à la santé.
Le financement de la recherche en santé est insuffisant. On constate une diminution permanente en euros constants des budgets alloués à la recherche en biologie santé, que l’on peut estimer de 25 %, entre 2008 et 2020. De plus, la part du budget de la recherche affectée à ce domaine est insuffisante : elle est de 17,2 %, un taux très inférieur aux 35 à 40 % des pays voisins.
Proposition 2 : Réunir l’ensemble des financements des programmes nationaux en recherche en santé sous un pilotage unique pour élaborer une stratégie commune de recherche en santé.
Le financement de la recherche en santé est fragmenté : assurance maladie pour le Programme hospitalier de recherche clinique (PHRC), d’un côté, et financement du ministère de l’Enseignement et de la Recherche pour les universités et les organismes nationaux de recherche, de l’autre. Les programmes nationaux de recherche en santé s’appuient également sur des financements dispersés entre les ministères, le Secrétariat général pour l’investissement (SGPI) et l’Objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam), ce qui ne permet pas d’avoir une vision globale pour mener une politique nationale visible.
Proposition 3 : Simplifier le millefeuille organisationnel en confiant à l’Inserm le pilotage de la programmation nationale de la recherche en santé, et aux universités le pilotage de la politique scientifique locale.
La recherche en biologie/santé est partagée dans son pilotage entre le ministère de Santé et de la Prévention, le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et le ministère des Finances ; et dans sa conduite entre les universités, les centres hospitaliers et universitaires (CHU), les organismes nationaux de recherche, dont l’Inserm spécialisé en biologie santé et d’autres (CNRS, INRAE, IRD, CEA, INRIA), auxquels s’ajoutent les agences créées pour chaque nouveau domaine de maladie et les appels à projets des investissements d’avenir, les IHU, etc.
Proposition 4 : Ré-universitariser et re-médicaliser la gouvernance du CHU avec un binôme médecin-universitaire/administratif.
Proposition 5 : Formaliser les objectifs et les modalités du partenariat en matière de recherche en complétant les conventions HU actuelles par un contrat d’objectifs, de moyens et de performance en cohérence avec les contrats pluriannuels respectifs de chacune des parties.
Proposition 6 : Substituer au Comité de la Recherche en matière Biomédicale et de Santé Publique (CRBSP) un comité stratégique CHU-Université, en lui conférant notamment le suivi du contrat d’objectifs, de moyens et de performance.
Le CHU a perdu sa dimension universitaire. La coordination locale entre le CHU et l’université est souvent insuffisante. Or, la création du CHU en 1958 a été pensée dans une relation entre hôpital et faculté de médecine. La mise en place de grandes universités multidisciplinaires ne s’est pas accompagnée d’une évolution de la loi de 1958 : les conventions entre CHU et universités créant le CHU sont souvent peu stratégiques, voire obsolètes.
Par ailleurs, la recherche en santé ne bénéficie pas assez des disciplines des sciences fondamentales et expérimentales et des sciences sociales. La conduite d’une stratégie de recherche menée en parallèle par le CHU, d’une part, et l’université, d’autre part, sans cohérence d’ensemble, est pénalisante pour la recherche en santé.
Le CRBSP est une instance consultative, sans fonction stratégique, et dont le fonctionnement apparaît très contrasté selon les sites.
Proposition 7 : Sanctuariser les crédits dédiés à la recherche clinique hospitalière dans la Loi de finances de la sécurité sociale.
Proposition 8 : Permettre à l’échelon du site que l’université et le CHU définissent en commun l’usage des crédits de la recherche et de l’innovation provenant notamment du PHRC, des appels d’offres européens, de l’ANR et autres instances. Cette définition s’opèrerait dans le cadre du contrat d’objectifs et de moyens qui les lie, notamment pour les actions prioritaires de recherche et d’innovation.
Le budget de la recherche dans les établissements de santé ne finance pas la recherche hospitalière. Le CHU a, de fait, un modèle économique qui ne peut favoriser la recherche car il est principalement fondé sur la tarification à l’activité (T2A), donc sur les soins. Les crédits MIGAC (missions d’intérêt général et de l’aide à la contractualisation) et MERRI (missions d’enseignement, de recherche, de référence et d’innovation) ne sont pas redistribués à la hauteur des activités de recherche clinique. Et s’agissant des MERRI, seule une faible part est dévolue au PHRC.
Proposition 9 : Renforcer et évaluer l’efficacité des mesures en faveur de l’attractivité des carrières hospitalo-universitaires prises notamment dans le cadre du Ségur de la Santé.
Il est important de pallier la désaffection des hospitalo-universitaires. La situation des médecins hospitaliers universitaires se dégrade, l’attractivité de la carrière s’effondre, comme en témoignent les démissions en cours de carrière et la désertification des viviers de certaines disciplines dont certaines ne sont plus représentées dans les CHU : ces dernières années, entre 2018 et 2020, 139 PU-PH et MCU-PH (78 PU-PH et 61 MCU-PH) ont démissionné sur un effectif global au 31 décembre 2019 de 6395 médecins universitaires (4432 PU-PH et 1963 MCU-PH). Le renforcement des mesures en faveur de l’attractivité des carrières hospitalo-universitaires est d’autant plus nécessaire que la réforme des études de santé a entraîné une augmentation, depuis 2018, de 35% des étudiants formés pour devenir médecin.
Proposition 10 : Créer des instituts de santé publique au sein des universités.
Comme le démontre le rapport commandé par France Universités, la France a peu investi le champ de la santé publique. La discipline de santé publique souffre d’un manque de reconnaissance et d’ambition universitaire dans un environnement hospitalier essentiellement dévolu au soin sans réelle culture de prévention.