La note d’Oliver Philipp rappelle l’importance de la récente adoption de la directive européenne relative au travail via une plateforme. Le cadre français devra s’adapter. Le système en France s’était construit autour d’une sorte de troisième voie : les plateformes fonctionnent a priori avec des auto-entrepreneurs mais avec des règles1 et des espaces de négociation (notamment l’Autorité des relations sociales des plateformes d’emploi, ARPE) plus nombreux que dans d’autres pays européens. Cette régulation permet en théorie une adaptation des rémunérations, notamment à la hausse lorsque les travailleurs ne sont pas assez nombreux globalement ou sur des plages horaires ou lieux où la demande est forte, avec un plancher de rémunération négocié au sein de l’ARPE (revenu net d’une course pour les VTC, revenu horaire minimal pour les livreurs).
Mais constatons deux choses.
- D’une part, en réalité, ce système à la française n’a jamais été véritablement mis en œuvre, tout simplement parce que, dans une complaisance de fait des pouvoirs publics et des plateformes, un nombre très élevé de règles ne sont pas respectées : il existe de nombreuses locations de comptes illégales, le sous-traitant n’ayant pas l’âge ou les papiers pour exercer ; les chauffeurs VTC et livreurs des plateformes ont un taux faible de paiement effectif des cotisations Urssaf2 (pourquoi d’ailleurs faudra-t-il attendre 2027 pour que l’Urssaf les prélève directement à la source3 ?) ; les livreurs utilisent en grand nombre des scooters et même des voitures, alors qu’ils n’ont pour la plupart pas la ‘capacité’ (autorisation d’effectuer du transport léger de marchandises) ; beaucoup utilisent des vélos partagés (Véligo et Vélib en Ile-de-France par exemple) qui ne sont pas autorisés à la livraison. On comprend au niveau individuel ce recours massif à la « débrouille » par des travailleurs des plateformes précaires et aux trajectoires de vie compliquées. Ils essaient de vivre d’un métier dont ils apprécient le choix des heures et jours de travail qu’il permet4. Mais ce contre-système (un système dont les règles du jeu ne sont pas respectées) se retourne contre eux au niveau macroéconomique dans un mécanisme négatif qui rend les conditions de travail de plus en plus difficiles et les rémunérations descendantes, notamment pour les livreurs.
- En second lieu, les travailleurs des plateformes VTC et livraison ne sont pas suffisamment formés à un travail d’indépendant. Ils cotisent peu, obérant avantages sociaux immédiats et futures retraites. Ils sont peu au courant des diverses règles qui s’appliquent, manquant de lieux d’intermédiation et d’information. Ils sont mal traités dans l’espace public avec peu de services à leur disposition (il existe bien quelques « maisons des livreurs » en France mais au quotidien les livreurs se voient généralement refuser l’accès à des services de base comme les toilettes des restaurants). Enfin les travailleurs des plateformes, parce qu’ils sont théoriquement indépendants, ne sont pas éligibles aux régularisations comme le sont les sans-papiers travaillant dans des restaurants ou sur des chantiers. A plus long terme, alors que le turn over est important chez les chauffeurs VTC et livreurs, ces derniers sont rarement « récupérés » dans des trajectoires de carrières dans le transport public ou la logistique.
Un rapport de Terra Nova en 20225 estimait qu’au-delà du débat entre salarié et auto-entrepreneur, ce qui était urgent était d’améliorer les revenus et les conditions de travail des chauffeurs VTC et des livreurs. En 2024, le compte n’y est pas, notamment pour les livreurs. Deux perspectives concrètes existent à court terme en France. Après celles de 2022 qui avaient peu mobilisé les chauffeurs VTC et les livreurs, de nouvelles élections professionnelles vont avoir lieu entre le 22 mai et le 30 mai 2024, elles devront réunir bien davantage de votants (on constate que des collectifs comme le collectif des livreurs autonomes de plateformes (CLAP) qui n’avaient pas participé à la première élection seront représentés cette fois).
Surtout, la transposition de la nouvelle directive va obliger le législateur et l’Etat français à modifier des éléments importants du code du travail tandis que les plateformes devront répondre à des exigences de transparence sur le fonctionnement de leurs algorithmes et d’intervention humaine concernant l’indemnisation ou la résiliation de comptes. On peut envisager des effets de structure positifs établissant un vrai cadre d’exercice de ces professions désormais établies dans le paysage des villes. Mais des chantiers importants resteront, notamment autour de la formation et des trajectoires de carrières.