Édito

Crier victoire

Publié le 19 janvier 2024
En politique, persuader ses électeurs, ou ses adversaires, qu’on a gagné peut être une manière de se sortir d’un mauvais pas. Les représentations et les mises en récit comptent. Elles impressionnent les esprits. Mais pour que leur effet soit durable, il est préférable qu’elles présentent une forme de vraisemblance. Qu’on puisse en revenir à des faits. Qu’on puisse vérifier, par exemple, de quel programme politique est extraite une disposition législative. Qui peut ainsi crier victoire après le vote de la loi immigration ? Un simple travail de comparaison permet de s’y retrouver.

Comme nous l’avons dit dès le lendemain du vote, la loi sur l’immigration constitue un tournant du quinquennat et un naufrage de la macronie, désormais sans repères. Mouvement d’humeur ? Mauvaise foi ? Nous avons attendu de disposer du texte dans son intégralité pour en mener un examen dépassionné. Chacun jugera par lui-même à la lecture. Nous mettons simplement en regard trois éléments avant de les commenter : le programme de Marine Le Pen, celui d’Emmanuel Macron et le contenu de la loi votée le 19 décembre dernier par une large partie des députés et sénateurs de la majorité avec l’appui de toutes les voix des LR et des RN. Les élus du Rassemblement national ont au final de bonnes raisons de parler de « victoire idéologique », tout en annonçant bien sûr vouloir aller plus loin. Le gouvernement s’est étrangement abrité derrière la malfaçon de la loi en anticipant une censure du Conseil constitutionnel. Mais si l’on peut espérer que celui-ci jouera bien, dans les jours qui viennent, son rôle de gardien de l’Etat de droit, il n’en reste pas moins que le processus parlementaire a conduit à importer dans un texte de la majorité, avec l’accord du gouvernement, des points clés du programme du parti contre lequel le Président de la République s’est fait élire.

Nous poursuivons cette semaine la présentation des débats entourant une éventuelle évolution de la législation concernant la fin de vie. Après l’avis du Conseil consultatif national d’éthique et celui de la Convention citoyenne, un rapport confié au Pr. Franck Chauvin est paru en décembre, portant sur les « soins d’accompagnement ». L’ambition de ce rapport est d’inscrire les soins palliatifs dans une démarche plus globale de soins d’accompagnement. Que faut-il entendre par là ? Elsa Walter, qui a elle-même une expérience personnelle de bénévole auprès de personnes en fin de vie, analyse ici l’ensemble de ce rapport, interroge ses propositions et la manière dont elles s’inscrivent dans le débat en cours sur la reconnaissance d’une aide active à mourir. Ce rapport met en valeur un ensemble d’initiatives qui, au-delà de la prise en charge médicale, permettent de garder sur le patient un regard humain, le considérant comme une personne, reconnue dans ses droits en tant que malade, mais aussi comme interlocutrice de l’ensemble de la société.

Le thème des nouveaux outils numériques s’enrichit aussi d’une nouvelle contribution portant sur les réseaux sociaux. C’est à peine si nous nous souvenons de la promesse originelle de ces nouveaux supports de communication : créer de nouveaux liens, communiquer et peut-être même mieux nous comprendre et nous rapprocher par le partage des opinions et la confrontation des points de vue. Progressivement, à mesure que les règles d’utilisation évoluaient, nous sommes devenus captifs des usages induits par leur configurations. En d’autres termes, nous nous adaptons à des manières de faire construites par les applications au lieu de les utiliser en fonction de nos propres besoins et de nos objectifs. Pour rester maîtres de nos usages, nous devons mieux comprendre le fonctionnement de ces outils et ce qu’ils font évoluer dans nos propres pratiques, nous expliquent ici deux spécialistes de sémiotique, Eric Bertin et Jean-Maxence Granier.

Un exemple désormais bien connu de l’impact de ces réseaux sociaux sur la vie politique concerne les Etats-Unis et l’ampleur de la désinformation qui se répand par leur intermédiaire. La campagne des primaires républicaines, qui vient de commencer, en témoigne encore, provoquant les plus vives inquiétudes sur une possible désignation de Donald Trump comme candidat du parti républicain. Pour prendre du recul par rapport à cette campagne des primaires, Pedro Soriano retrace ici les moments essentiels de la construction de l’identité du parti républicain. Comment ce parti originellement anti-esclavagiste, ancré dans l’électorat industriel du Nord, peut-il aujourd’hui représenter les Américains idéologiquement les plus éloignés de ses valeurs fondatrices ? Ce retour historique fait mesurer l’ampleur du bouleversement qu’a introduit Donald Trump dans la politique américaine. On peine aujourd’hui à voir sur quels ressorts, institutionnels ou civiques, la vie politique américaine pourrait s’appuyer pour résister à cette déstabilisation.

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