Édito

Désoccidentalisation ?

Publié le 25 août 2023
Le sommet des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) à Johannesburg vient de s’achever avec la décision d’élargir ce cercle des grands pays émergents à six nouveaux pays en 2024 : l’Iran, l’Argentine, l’Egypte, l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis et l’Ethiopie (avec un absent de taille, délibérément non-aligné : l’Indonésie). Mais quel message portent ces pays dont le poids dans la diplomatie, l’économie mondiale et les échanges ne cesse de croitre ? L’image d’unité envoyée depuis l’Afrique du Sud exprime le refus de laisser les pays du G7 parler seuls des affaires du monde. Pourtant, chacun suit d’abord l’agenda de ses propres intérêts : la Chine se considère comme l’acteur central au leadership bientôt incontestable, la Russie tente de faire oublier les faiblesses révélées par ses déboires militaires, le Brésil tarde à reprendre son rang international, l’Inde joue la carte américaine pour résister à l’influence chinoise…
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Pour masquer des intérêts divergents, rien de tel, nous rappelait il y a déjà quelques mois le spécialiste des relations internationales Ghassan Salamé, que de cibler l’hégémonie occidentale, ou ce qu’il en reste. L’apparition récente de l’expression « Sud global » pour désigner un large ensemble « non-aligné » rappelle que les « grandes puissances », si l’on entend par là les Etats-Unis et leurs alliés, n’ont plus le monopole des discours sur l’international. Pour autant, on ne voit guère émerger d’alternative stabilisatrice. Le temps de l’« hyperpuissance » américaine est bien révolu. Mais l’internationalisme appuyé sur les grandes institutions multilatérales, en premier lieu les Nations Unies, n’est pas revalorisé pour autant. Le monde est moins coopératif et plus transactionnel, et chacun est tenté d’y jouer sa carte sans se soucier d’architecture institutionnelle collective.

La contestation de l’hégémonie occidentale demeure une ressource rhétorique majeure pour les régimes politiques émergents. Mais comment interpréter les formes actuelles de cet anti-occidentalisme ? Nous avons posé la question au grand anthropologue Maurice Godelier, à l’occasion de la sortie de son livre, Quand l’Occident s’empare du monde (XVe-XXIe siècles) (Paris, CNRS éditions, 2023). A partir d’une synthèse magistrale de cinq siècles de domination occidentale, il se propose de répondre à la question : peut-on se moderniser sans s’occidentaliser ? Des pays comme le Japon ont fait délibérément le choix de s’ouvrir à l’Occident par une voie singulière de préservation de leur identité traditionnelle. La Turquie d’Atatürk présente un choix presque symétriquement opposé d’occidentalisation radicale imposée au détriment des traditions, non sans dégâts, retours de bâtons et divisions internes durables. De nombreux autres pays ont privilégié un rapport plus conflictuel au monde occidental, dans une rivalité mimétique aux effets ambigus : l’Occident contesté fournit parfois les outils mêmes de son rejet (le marxisme et le communisme ont été des produits idéologiques d’exportation occidentale !). Les forces de la globalisation ne sont plus entre les seules mains occidentales, mais les traces et legs des anciennes dominations ne sont pas près de s’effacer.

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