Édito

D’un extrême à l’autre

Publié le 12 janvier 2024
La polarisation politique n’est plus une spécialité anglo-saxonne conduisant aux désastres du trumpisme et du Brexit. En France aussi, la montée des extrêmes, entretenue à dessein par des médias politisés et chauffée à blanc par des réseaux sociaux plus inciviques que jamais, commence à marquer les esprits. La crainte d’un basculement du pays en 2027 est mauvaise conseillère et brouille déjà les raisonnements. Raison de plus pour analyser les dossiers à froid et maintenir le débat politique au niveau de convictions et d’idées conformes à nos aspirations démocratiques.
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Trois ans après leur sortie effective de l’Union (le 1er janvier 2021), les Britanniques doutent des bienfaits du « Brexit ». Dans un sondage publié par l’hebdomadaire The Observer le 30 décembre dernier, aucune des conséquences de leur décision de quitter l’Union ne comporte davantage de bénéfices que d’inconvénients à leurs yeux : au contraire, on ne trouve qu’un sondé sur dix pour considérer que le Brexit a eu un impact positif sur sa situation financière personnelle, sur le contrôle de l’immigration ou sur la défense du système de santé, des arguments pourtant présentés comme décisifs par les tenants du « Leave ». Au total, près de 50% des personnes interrogées considèrent l’affaire comme négative pour le pays, contre moins de 25% qui la jugent positive.

Mais, au-delà des perceptions de l’opinion, quel bilan économique peut-on tirer du Brexit, à la fois pour le Royaume-Uni et pour l’Union ? La question est particulièrement importante avant les élections européennes qui tireront un bilan de la législature au cours de laquelle il a fallu faire face aux conséquences du référendum britannique – lesquelles auraient pu être fatales au projet européen. Spécialiste des échanges internationaux, Denis Tersen présente ici un bilan du Brexit. Il montre que si les conséquences économiques de la sortie de l’Union européenne sont moins dévastatrices que prévu pour l’économie britannique, c’est avant tout parce que la mise en œuvre pratique du départ britannique, après des négociations laborieuses qui ont révélé l’impréparation et le désarroi des Conservateurs au pouvoir, n’a pas été aussi radicale qu’annoncé. Les conséquences économiques du Brexit ont été jusqu’à présent limitées et amorties, parce qu’il n’en a été gardé qu’une version dérisoire, centrée sur quelques symboles.

Sur la politique intérieure française, l’Education nationale change de ministre après quelques mois, alors même que les défis auxquels l’école est confrontée sont plus sensibles et visibles que jamais, récemment rappelés par les piètres résultats de Pisa. Alors que la tentation d’un retour de l’autorité « à l’ancienne » semble la seule inspiration gouvernementale, le sociologue spécialiste des questions scolaires François Dubet nous invite à prendre du recul. Une particularité de l’organisation de l’école à la française réside dans un mélange original d’uniformité supposée des pratiques d’enseignement et de faible coordination des équipes à l’échelle des établissements. La demande d’un exercice plus collectif du métier semble émerger (« Plus jamais seuls » !) au sein même d’une profession supposée très individualiste. En quoi est-ce nouveau dans l’histoire longue de l’institution ? Que peut-on en attendre ?

Autre surprise d’une administration française peu suspecte de tentation de sous-réglementation, l’impuissance des autorités sanitaires à lutter contre la pollution de l’eau aux nitrates. Les rapports se succèdent et les concertations se suivent sans résultat probant. Deux spécialistes de l’environnement et de l’écotoxicologie font ici le point sur un dossier qui fait du sur-place depuis trop longtemps : la concentration en nitrates d’origine agricole dans les eaux de surface et souterraines, mesurée par l’augmentation du nombre de communes classées en zones vulnérables, l’eutrophisation croissante des cours d’eau et l’augmentation de la teneur en nitrates dans les eaux souterraines, devrait faire l’objet de mesures enfin à la hauteur des risques pour notre santé.

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Les répercussions des conflits internationaux sur la politique intérieure française ajoutent des incertitudes à une situation politique marquée par une plus forte polarisation des positions et un renforcement des extrêmes. Dans ce contexte, les conséquences des massacres du Hamas le 7 octobre dernier et de la réplique de l’armée israélienne sur Gaza sont préoccupantes. La flambée d’actes antisémites a légitimement alerté les autorités. Mais un étrange récit s’est mis en place dans les commentaires publics, laissant entendre que l’extrême droite avait fait son examen de conscience en la matière tandis que l’extrême gauche révélerait aujourd’hui les tares d’un héritage inavoué. Le sujet mérite un examen plus approfondi, que mène ici Thierry Pech. Il apparaît que le récit du « transvasement » d’un bord à l’autre, comme dans une mécanique des fluides, ne résiste pas à l’examen des positions politiques ni des représentations des électorats. Mais la mauvaise nouvelle est qu’au lieu d’avoir un problème nous en avons deux : l’antisémitisme n’est pas passé d’un extrême à l’autre, chaque extrême cultive le sien, pour des raisons idéologiques et électorales différentes. 

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