Édito

Fiasco démocratique

Publié le 17 mars 2023
L’usage du 49-3 par le Gouvernement cristallise les mécontentements et les colères. Il n’est pourtant que le dernier maillon d’une chaîne de décisions qui ont étouffé la délibération parlementaire. Des décisions de l’exécutif qui a usé et abusé des techniques de « rationalisation » du parlementarisme. Mais aussi des décisions des oppositions – notamment de la NUPES – qui n’ont pas ménagé leurs efforts pour faire obstruction à la discussion dans l’Hémicycle. Dans ces conditions, le Parlement est empêché de jouer son rôle de métabolisation des conflits et de recherche du compromis.
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Le Gouvernement a engagé sa responsabilité sur la réforme des retraites telle qu’elle est sortie des mains de la Commission mixte paritaire, en recourant à l’article 49-3 de la Constitution pour la 100e fois depuis 1958. Loin d’être un moyen « despotique » comme on a pu le lire, ce choix pourrait conduire au rejet du texte et à la chute du Gouvernement si une motion de censure issue d’un groupe à l’identité partisane incertaine – comme celle de LIOT – trouvait une majorité dans l’Hémicycle. Ce qui, sans être probable, est désormais possible : il suffirait pour cela qu’aux voix de la NUPES et du RN, se joigne un gros tiers des LR dont les dernières semaines ont montré qu’ils étaient entrés dans un processus de décomposition rapide et incontrôlé.

Le problème démocratique devant lequel nous nous trouvons ne réside pas tant dans l’usage du 49-3 que dans la série des décisions qui, depuis trois mois, ont empêché qu’une délibération parlementaire digne de ce nom puisse avoir lieu. A commencer par celles du Gouvernement. Il a certes amendé substantiellement sa proposition au terme de nombreux échanges, aboutissant finalement à un texte plus équilibré que la copie initiale, comme le notait ici même Fipaddict. Mais quand il s’est agi d’engager le débat au Parlement, c’est un véhicule singulier qui a été choisi : un projet de loi de financement rectificative de la Sécurité sociale (PLFSSr) permettant d’activer l’article 47-1 de la Constitution et de limiter les échanges à 20 jours à l’Assemblée et à 15 jours au Sénat. Cela n’a pas empêché les parlementaires de disposer d’un volume d’heures de débat supérieur à ce qui avait été alloué en 2010 à la réforme Woerth ou en 2014 à la réforme Touraine. Mais il n’aura échappé à personne que la composition de l’Assemblée en 2010 et en 2014 était très différente et que celle de 2023 appelait sans doute plus de respect du Parlement … Au total, les techniques du « parlementarisme rationalisé » ont corseté le débat parlementaire. Et fourni aux oppositions le prétexte qu’elle recherchait…

Car parmi les décisions qui ont entravé la délibération parlementaire, il y a  aussi celles des oppositions. Singulièrement celles de la NUPES qui a pris argument de ce verrouillage procédural pour mener une guérilla d’amendements poussée jusqu’à l’embolie. Loin d’assumer ses nouvelles responsabilités de leader de la gauche (on lira avec profit l’analyse de Gérard Courtois à ce sujet), le groupe LFI a nourri ad nauseam cette manœuvre d’obstruction parlementaire qui a produit l’effet attendu : faire de l’Hémicycle le théâtre d’un conflit inexpiable  et empêcher que l’article 7 de la loi – sur le report de l’âge légal à 64 ans – puisse être examiné et soumis au vote, alors même que les syndicats et probablement quelques millions de Français attendaient ce débat.

Des forces politiques adverses ont ainsi, d’un même élan, étouffé la délibération parlementaire, c’est-à-dire la possibilité que le Parlement… parlemente ! Dans ces conditions, il est bien évident qu’il n’est pas en situation de jouer son rôle de métabolisation des colères et de recherche du compromis. Ce jeu destructeur favorise la banalisation de la violence politique, analysée par Denis Bertrand, Alexandre Dézé et Jean-Louis Missika, et prend le risque de porter le pays au bord d’une crise de régime. Les seuls qui peuvent encore tirer les marrons du feu sont les élus RN, comme le montrent Bruno Palier et Paulus Wagner. La Grande Conversation reviendra cette semaine sur l’activité du RN à l’Assemblée.

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