Édito

L’art et la manière de voter

Publié le 6 octobre 2023
Pourquoi voter ? Et comment bien compter les voix et les répartir ? Alors qu’un électeur sur deux ne s’est pas déplacé lors des dernières élections législatives, ces questions sont plus pressantes que jamais. On ne peut plus se contenter des formules rassurantes et des promesses de « mieux entendre les Français ». Il faut à la fois prendre la mesure de la remise en cause des grands récits qui organisaient nos représentations politiques et accepter d’entrer dans la technique de l’élection.
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L’éloignement des Français vis-à-vis de la politique, qui s’exprime notamment par une baisse de la participation électorale et un sentiment croissant de défiance à l’égard des responsables politiques relève d’une série complexe de facteurs. Jean-Louis Missika décrit ici l’affaiblissement des deux grands récits qui organisaient la vie politique française, et plus largement européenne, depuis l’après-guerre. Dans une confrontation structurante, les récits social-démocrate et conservateur permettaient aux électeurs de déchiffrer les antagonismes et les priorités politiques de chaque camp. Si le rapport des électeurs à la vie politique se transforme – avec la montée des extrêmes, la volatilité des votes, la multiplication des partis, la prédominance de l’opposition peuple-élite – c’est en raison de l’affaiblissement de ces deux récits qui partageaient, au-delà de leurs différences de programme, une vision commune du progrès et de l’émancipation, liée au développement économique et à l’accès à la consommation. Affaiblis de l’intérieur et confrontés aux limites environnementales d’un modèle extractif de production, ils n’arrivent pas à se réinventer. Pourtant, le grand récit écologique peine à s’imposer en substitution, ce qui laisse les électeurs dans un vide où s’engouffrent les représentations régressives ethno-nationales.

Si les partis traditionnels ne parviennent pas à renouveler leur doctrine, les électeurs ne se sentent pas non plus bien représentés en raison d’un mode de scrutin qui exclut de l’Assemblée nationale une partie des forces politiques ou organise leur sous-représentation. C’est pourquoi les réflexions sur le vote proportionnel se développent. Mais plusieurs modalités sont possibles si l’on veut corriger notre système électoral par « une dose », ou plus, de proportionnelle. C’est l’objet d’une discussion cette semaine à partir des propositions formulées par Terra Nova pour un scrutin proportionnel aux élections législatives. Le politologue Gérard Grunberg réagit à ces propositions en défendant pour sa part une proportionnelle intégrale, seule capable, à ses yeux, de requalifier les partis politiques et les rétablir dans leur rôle, là où la note de Terra Nova laisse transparaître une méfiance problématique à l’égard des partis. D’autre part, l’association Démocratie et proportionnelle éclaire une modalité de vote proportionnel absente du rapport, qui fonctionne pourtant très bien dans de nombreux pays voisins, selon les auteurs, permettant de combiner une élection directe des députés à une échelle de circonscription assez fine et une attribution supplémentaire de sièges sur une base proportionnelle nationale. Cette riche discussion, trop absente de notre débat politique jusqu’à présent, rappelle que le débat institutionnel ne doit pas se limiter à la figure du Président de la République ni aux modalités du référendum.

Mais connait-on bien les attentes des électeurs et leurs comportements électoraux ? Réclamée depuis des années au nom de l’accès aux données publiques, les données des bureaux de vote sur l’ensemble du territoire sont désormais accessibles. Que peut changer cette discrète évolution technique ? Laure Lucchesi et Joël Gombin expliquent ici en quoi l’analyse électorale, dont l’approche géographique était jusqu’à présent limitée par la présentation des résultats à l’échelle communale, va pouvoir évoluer et mieux comprendre, en croisant des données plus précises, les choix électoraux.

Enfin, sur un autre sujet, l’économiste François Meunier fait une proposition concernant la comptabilité carbone. Puisque nous voulons réduire nos émissions de gaz à effet de serre pour tenir nos engagements sur le climat, nous devons compter ces émissions. Une méthode est mise en place actuellement pour que chaque entreprise présente son bilan carbone. Celle-ci, montre l’auteur, pourrait être plus efficace si l’on raisonnait en prenant en compte la chaîne de production dans le bon sens. Mieux compter, mieux rendre compte : les entreprises aussi peuvent se donner les moyens de montrer qu’elles tiennent leurs engagements.

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