Édito

Le monde à l’envers

Publié le 23 février 2024
Une mode a surgi dans le monde des études : inventer une tendance sociétale pour accrocher les médias et faire le buzz. Symptôme typique de cette jouissance funeste : décrier la « génération de la flemme » et noircir le portrait d’une jeunesse individualiste et indisposée, qui n’a plus de goût au travail et que tout engagement décourage. Rien ne justifie pourtant de douter de ses promesses.
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Toute une série d’enquêtes récentes, reprises en boucle dans la presse et les médias, véhiculent l’image d’une jeunesse aux illusions perdues, attachée à son seul détachement. Les jeunes actifs, en particulier, sont aujourd’hui victimes de représentations très négatives sur leur rapport au travail, leur capacité à s’inscrire dans un collectif et à s’y investir. La sévérité de ces stéréotypes qui dominent l’espace public s’avère en fait n’être que le fruit du conservatisme et de ses paniques morales. C’est ce que montre l’enquête conduite par Terra Nova et l’APEC auprès de 3.000 actifs de 18-29 ans et de 2.000 actifs de 30-65 ans. Les jeunes actifs, comme leurs aînés, présentent un niveau élevé de satisfaction vis-à-vis de leur travail. Comme eux, ils ressentent une forte adéquation entre leurs aspirations, leur formation et leurs missions professionnelles. La place qu’ils accordent au travail dans leur vie n’est ni plus ni moins importante que celle que lui attribuent leurs aînés. La jeunesse est bel et bien au travail et en appétit de collectif, avec une solide volonté de progresser. Et la seule dimension qui distingue radicalement les jeunes des autres actifs, c’est… l’important capital d’avenir dont ils disposent ; envers du décor, c’est plutôt chez les plus âgés que l’enquête identifie une certaine lassitude à l’égard du travail, dont il serait bon de mieux se préoccuper.

Mais penser contre soi-même n’est jamais chose aisée. Il s’avère que même le souci de soigner peut s’avérer porter préjudice à la santé : c’est ce que les systèmes de soins et les chaînes de production pharmaceutiques doivent intégrer aujourd’hui s’ils veulent continuer à sauver des vies sans mettre en danger la planète. C’est bel et bien le monde à l’envers, nous montre Vincent Bretin, spécialiste en santé globale et auteur d’une étude de l’agence Unitaid sur l’impact environnemental des systèmes de soins : produire des médicaments, soigner, opérer, hospitaliser, sont des activités salvatrices pour les malades mais directement néfastes pour la biodiversité et le climat – et donc in fine pour la santé ! Les connaissances sur ces intrications sont désormais sur la table : c’est l’affaire de tous que de décider maintenant d’élaborer, produire, financer, acheter et plaider en faveur de produits de santé résilients et adaptés au climat. Ne rien faire, c’est prendre le risque que des interventions sanitaires qui sont aujourd’hui salutaires deviennent demain obsolètes, inefficaces ou même perverses.

Les parlementaires européens ont entendu cet appel. Avant de remettre en jeu leur mandat en juin, ils auront (en principe) révisé la législation européenne sur les produits pharmaceutiques. L’un des enjeux est de favoriser une Europe du médicament qui intègre dans ses standards environnementaux et sociaux une innovation thérapeutique décarbonée, soutenable et durable. Catherine Amalric, députée européenne Renew, nous livre cette semaine un plaidoyer pour que l’accès des citoyens européens à l’innovation thérapeutique soit, demain, davantage conforme aux valeurs de solidarité, d’équité et de soutenabilité financière et environnementale. Deux principes doivent guider la délibération du Parlement européen dans les mois qui viennent : d’une part la solidarité entre Etats membres pour que, comme avec les vaccins Covid, l’accès à l’excellence scientifique profite à tous, et d’autre part l’intégration normative de toutes les dimensions qui concourent à la santé durable – santé des humains, des animaux et des environnements.

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