Édito

Le règne des apparences

Publié le 19 avril 2024
On appelle « villages Potemkine » ces décors montés à la hâte à la demande du conseiller de Catherine II de Russie quand celle-ci se déplaçait pour visiter ses provinces, dont elle ne percevait qu’une apparence de carton-pâte lui cachant la réalité sociale de son pays. En est-on encore là en Russie ? Que sait-on des luttes d’influence qui se trament derrière les murs du Kremlin ? L’autocratie est-elle moins stable qu’elle ne s’en donne l’image ? Mais sommes-nous également sûrs d’échapper nous-mêmes au règne des apparences quand nos démocraties sont dominées par une communication politique toujours plus formatée ?
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Faire pression sur Moscou a toujours été une tâche diplomatique difficile. Le développement des échanges économiques défendu par l’Allemagne n’a pas permis d’ancrer la Russie dans une attitude coopérative. Le dialogue « d’homme à homme » prôné par la France s’est révélé illusoire. Et la pression par les sanctions n’a pas freiné l’appareil militaire. Peut-on espérer une décomposition interne du régime ? Derrière la façade de l’unité guerrière, que sait-on des divisions du pouvoir ? La marche spectaculaire des mercenaires de Wagner contre Moscou a mis au jour une contestation ouverte du maître du Kremlin. Est-elle révélatrice de failles plus profondes ? Le journaliste Régis Gente nous éclaire cette semaine sur le fonctionnement des cercles du pouvoir russe. Son analyse montre que l’agression russe contre l’Ukraine a provoqué des divisions au sein des élites mais surtout des changements de rapports de force entre les différents groupes qui se partagent le pouvoir.

Chez nous, le débat politique semble laisser place à des systèmes de communication privilégiant l’image et l’apparence. Si ce diagnostic n’est pas neuf, le rôle particulier de l’apparence physique reste néanmoins peu commenté. Il s’impose pourtant de manière évidente sur la scène française, à mesure que les débats de fond sont marginalisés, en partie en raison de l’affaiblissement des partis politiques. Yoann Taïeb retrace ici les grandes étapes de cette évolution et observe les effets de ce nouveau primat de la beauté physique dans la vie politique française. La capacité à formuler un programme électoral et à construire des propositions politiques susceptibles de convaincre les électeurs ne s’impose plus comme la priorité des campagnes électorales.

A contrario, les délibérations citoyennes apparaissent comme un outil efficace pour formuler des choix collectifs. L’exemple en est donné cette semaine par l’exercice mené par la société des ingénieurs et scientifiques de France avec une Convention scientifique étudiante sur l’hydrogène. Pour réussir la transition énergétique, nous aurons besoin de l’hydrogène. Un programme européen, présenté ici, est d’ailleurs consacré au développement de la filière hydrogène. Mais pour quels usages ? Le rapport final issu des travaux de cette convention, que nous publions ici, fait des propositions solidement argumentées pour un recours à cette technologie et fixe des priorités d’utilisation. A l’heure où l’on s’inquiète à juste titre de la faiblesse de la culture scientifique au sein de la population, cette contribution de jeunes ingénieurs et scientifiques au débat public donne un exemple particulièrement inspirant de la manière dont les choix scientifiques et techniques peuvent sortir des laboratoires et irriguer la décision publique.

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