L’histoire de deux partis : Républicains et Démocrates aux États-Unis

L’histoire de deux partis : Républicains et Démocrates aux États-Unis
Publié le 16 janvier 2024
Cette semaine marque le début de la saison des primaires pour l'élection présidentielle américaine, et tout porte à croire que le résultat sera d'offrir aux Américains le même menu qu'il y a quatre ans, mais inversé : Joe Biden comme président sortant, et Donald Trump comme challenger. Cela conduit inévitablement à la question suivante : pourquoi l'affrontement des deux candidats les plus âgés de l'histoire du pays va-t-il se répéter ? Pourquoi la politique américaine semble-t-elle immobile ? Comment en sommes-nous arrivés là ?
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Dans le cas du Parti républicain, il convient de faire un peu d’histoire pour expliquer comment Trump a réussi à prendre le contrôle du parti. Cette domination du magnat new-yorkais (aujourd’hui installé en Floride, comme tout bon retraité new-yorkais) n’est pas une anomalie, mais la conséquence d’un long processus politique qui a affecté les conservateurs américains, les transformant en un parti très différent de ce qu’il était à ses débuts.

Le Grand Old Party est né en 1854 comme un parti nordiste, anglo-saxon, protestant, anti-esclavagiste (pour des raisons économiques plutôt que morales) et en faveur d’un Etat fédéral plus fort que les Etats fédérés (mais aussi, et on l’oublie souvent, comme un parti généralement hostile à l’immigration). La guerre de Sécession en a fait le parti naturel du gouvernement pendant plusieurs décennies (entre 1868 et 1912, il n’y a eu qu’un seul président démocrate et huit présidents républicains), période pendant laquelle le parti est devenu plus conservateur, et plus passif dans la lutte pour les droits civiques des Noirs, au point que dans les années 1920, il ne se distinguait pratiquement plus des démocrates sur ce point.

Il faut ajouter à cela le fait que la Première Guerre mondiale, qui a coïncidé avec le mandat d’un président démocrate, a amené les républicains, dans une certaine mesure en réaction à l’inflexibilité de Wilson, à développer un gène isolationniste qui est réapparu ces dernières années. En revanche, la Grande Dépression, qui a coïncidé avec le mandat d’un président républicain, Hoover, qui y a répondu par des mesures économiques d’austérité que nous associons aujourd’hui aux conservateurs, a fini par placer les républicains solidement à l’aile droite de la politique américaine.

Les vingt années de mandats consécutifs des démocrates à la suite de la Grande Dépression ont forcé les républicains à chercher un nouveau terrain électoral, et ils ont vite compris que leur principal objectif politique devait être de gagner le vote des Blancs du Sud, qui, bien que descendants des rebelles confédérés contre lesquels les fondateurs du parti républicain avaient créé le parti, étaient désormais idéologiquement plus proches de ce dernier que des démocrates (et étaient toujours des WASP, c’est-à-dire des Blancs, anglo-saxons et protestants).

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Ce processus a duré des décennies, mais il a été favorisé par un mouvement corrélatif au sein du parti démocrate. Le parti démocrate, devenu après la guerre de Sécession le parti des Sudistes vaincus, avait d’abord choisi, après le conflit, d’élargir son champ d’action en ciblant les immigrés nouvellement arrivés (non pas parce que les ex-Confédérés avaient une sympathie particulière pour eux, mais pour deux raisons principales : d’une part, parce que les immigrants n’allaient pas dans le Sud pauvre, mais dans le Nord riche, et d’autre part, parce que l’attitude résolument anti-immigrés des Républicains poussait les Démocrates à appliquer aux immigrants le vieux principe de « l’ennemi de mon ennemi est mon ami »).

Ainsi, le Parti démocrate du début du XXe siècle était un conglomérat quelque peu étrange de protestants sudistes racistes et d’immigrés non anglo-saxons, pour la plupart catholiques, auquel la Grande Dépression a ajouté une composante déstabilisante : les électeurs noirs urbains du Nord. Désespérés par l’inaction des républicains sous Hoover, ils se sont tournés en masse vers les démocrates, votant par exemple pour Roosevelt avec 76 % des voix lors des élections de 1936. La Seconde Guerre mondiale, au cours de laquelle près d’un million de Noirs se sont battus pour un pays qui les traitait comme des citoyens de seconde zone, a finalement conduit à l’intégration raciale au sein des forces armées, par décret du président Truman – un démocrate – en 1948, ce qui a déclenché la première dissidence des démocrates du Sud, prélude à de nombreuses autres.

Mais c’est la lutte pour les droits civiques, officiellement inaugurée par l’arrêt Brown v. Board of Education de la Cour suprême en 1953, déclarant inconstitutionnelle la ségrégation raciale dans les écoles, qui a provoqué un réalignement de la politique américaine dont les conséquences sont encore visibles aujourd’hui. Les administrations démocrates de Kennedy et surtout de Johnson se sont résolument alignées sur la minorité noire, s’aliénant ainsi définitivement les Blancs du Sud, qui se sont progressivement tournés vers le parti républicain, et ont créé une nouvelle ère de domination républicaine, du moins au niveau présidentiel (entre 1968 et 1992, il n’y a eu qu’un seul président démocrate et quatre présidents républicains).

Et ce n’est pas tout : les immigrants non anglo-saxons et catholiques du Nord, qui avaient constitué l’autre grand pilier de la coalition démocrate pendant la majeure partie du 20e siècle, ont également commencé à se tourner vers les républicains en raison d’une part de la concurrence que leur livraient les minorités raciales pour les emplois de cols bleus et d’autre part des conséquences de la désindustrialisation et de la perte d’emplois au profit de pays où les salaires sont moins élevés. Le parti républicain des premières années de la guerre froide était le parti des milieux d’affaires, mais les conséquences de la désindustrialisation et de la perte d’emplois au profit des pays à bas salaires n’ont pas été imputées aux républicains, parce qu’ils tenaient un discours plus isolationniste, bien que dans la pratique, ils aient été les principaux responsables de ces politiques.

Le parti républicain de l’époque de Reagan était donc un curieux amalgame d’électeurs de la classe supérieure (les vieux WASP de toujours) et de la classe inférieure (les ex-démocrates blancs du Sud et du Nord), tandis que les démocrates étaient le parti des minorités raciales et, de moins en moins, de la classe ouvrière du Nord.

Cependant, tout mouvement politique engendre des contre-réactions : en l’occurrence, l’absorption par le Parti républicain des électeurs du Sud signifiait à la fois la reprise d’une grande partie de leurs positions sociales et religieuses, dont notamment l’opposition à l’avortement et aux relations homosexuelles, et une tentation autoritaire, visant en premier lieu à tenter d’exclure autant que possible les minorités de l’accès aux urnes. La domination croissante de l’aile évangélique du parti républicain a généré un exode croissant des électeurs républicains du Nord ayant fait des études supérieures et ne souscrivant pas à ces positions (plus tard, l’entrée en scène de la question du mariage pour tous a exacerbé ce mouvement).

Cette dissociation a également généré un fossé croissant entre les électeurs républicains (de plus en plus homogènes : blancs de la classe ouvrière ou rurale, évangéliques et sans éducation universitaire, avec des tendances populistes et isolationnistes) et leurs dirigeants (présidents et candidats tels que les Bush, Mitt Romney ou Paul Ryan, tous issus des élites du pays, avec un discours économique néolibéral et interventionniste en politique étrangère).

Le Parti républicain menaçait déjà d’élire un candidat « populiste » depuis quelques cycles électoraux (Mike Huckabee en 2008, Rick Santorum en 2012 ont obtenu des résultats notables en misant sur ce discours) et a finalement succombé à la tentation en 2016, en choisissant Trump (qui a profité de la division du vote entre les candidats conventionnels). Pendant les quatre années de sa présidence et les trois suivantes en tant que leader tacite de l’opposition, Trump a approfondi les tendances isolationnistes (proposition de retrait de l’OTAN et arrêt du soutien à l’Ukraine), conservatrices (nomination de juges de la Cour suprême qui ont annulé la constitutionnalité du droit à l’avortement) et autoritaires (soutien à la prise d’assaut du Capitole le 6 janvier 2021 et promesses de persécution politique de ses opposants s’il est réélu).

Ce qui reste de l’establishment républicain a essayé de trouver un candidat capable de lutter contre Trump, mais tous les sondages indiquent que celui-ci est déjà soutenu par plus de 60 % des électeurs républicains, et même s’il trébuche occasionnellement dans un État où les électeurs du GOP sont un peu plus modérés que la moyenne, comme cela pourrait se produire dans le New Hampshire, le résultat final sera conforme à la logique de l’évolution du Parti républicain actuel : Trump sera le candidat.

Et ensuite, à moins que leur état de santé ne les en empêche tous les deux, il affrontera Biden. Ces dernières semaines, nous avons lu toutes sortes de commentaires un peu fantaisistes sur le fait que Biden pourrait être contraint de se retirer et qu’un chevalier en armure étincelante émergerait pour mener les démocrates à la victoire. Il s’agit là de spéculations sans fondement. Le parti démocrate, contrairement au parti républicain, est un parti très discipliné et très peu enclin à l’expérimentation. Et si, pour une raison ou une autre, M. Biden décidait de se retirer, le candidat à l’investiture serait la vice-présidente Kamala Harris. Les démocrates n’abandonneront jamais leur première femme vice-présidente (qui plus est, représentante des minorités noire et asiatique).

À la tête d’une coalition hétérogène de blancs ayant fait des études supérieures et de Noirs et de Latinos sans instruction, le président affronte l’élection au plus bas de sa popularité. Bien que l’économie soit solide, et le chômage très bas, les effets à long terme de l’inflation, et le fait indéniable qu’il est un vieil homme, font qu’il ne suscite guère d’enthousiasme. Biden doit espérer qu’une fois les primaires républicaines terminées, lorsqu’il sera clair que Trump sera le candidat républicain (ce qu’une majorité d’électeurs américains ne croit toujours pas possible aujourd’hui), les électeurs accepteront, comme un moindre mal, qu’il soit le seul capable de vaincre Trump, comme ils l’ont fait en 2020.

Biden espère également que le calendrier judiciaire de Trump, qui pourrait le voir affronter jusqu’à quatre procès criminels distincts avant l’élection (deux pour ses tentatives de subversion de l’élection de 2020, un autre pour la rétention de documents secrets après avoir quitté la Maison Blanche, et un autre pour la gestion illicite de son conglomérat d’affaires) aboutira à au moins une ou deux condamnations, amenant la minorité d’électeurs républicains qui n’apprécient pas Trump à choisir soit de voter pour Biden, soit de rester chez eux, donnant ainsi à Biden la marge nécessaire à la victoire.

Le principal problème d’une telle stratégie est que son exécution ne dépend pas du président, tandis que les avocats du candidat républicain feront de leur mieux pour reporter toutes les poursuites après l’élection. Biden est également vulnérable à toute récession économique qui pourrait survenir dans les mois à venir, comme à l’instabilité mondiale en Ukraine et au Proche Orient. Si l’élection avait lieu aujourd’hui, il serait peu probable que le président la remporte, et même s’il gagnait en termes de nombre de suffrages, il serait tout à fait possible que Trump obtienne une majorité de Grands Electeurs, comme il l’avait fait contre Hillary Clinton en 2016.

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Pedro Soriano