La République des beaux gosses

La République des beaux gosses
Publié le 19 avril 2024
Jeunes, dynamiques et séduisants : est-ce une condition pour mener une carrière politique ? Le choix des têtes de liste aux élections mais aussi des ministres semble désormais accorder une place majeure à l’apparence physique. Mais est-ce vraiment nouveau ? Que cela traduit-il du rôle des partis politiques et de l’effacement des programmes dans leur compétition devant les électeurs ?
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Le monde politique et démocratique fait face à un tabou, un « impensé » qui, pourtant, influence l’imaginaire des électeurs, des médias et des élus : l’impact de la beauté et du physique sur les électeurs. Dans nos démocraties, faire de la politique, c’est, aussi, dégager quelque chose, tant dans l’attitude que dans l’apparence. Les électeurs cherchent toujours ces petits plus qui sont souvent des critères évoqués dans les sondages. Les hommes politiques, tant aux États-Unis qu’en France, travaillent ces aspects et sont conscients de ces données dans le vote des électeurs. Comment peut-on définir la beauté ? C’est une notion forcément floue, soumise à une subjectivité évidente, variable en fonction des goûts, des couleurs et des critères de l’époque mais que l’on peut tenter de délimiter. Du point de vue des chercheurs, ou même de « l’opinion générale », on s’accorde à utiliser ce que Pierre Bourdieu désignait comme l’hexis corporelle : « mythologie politique réalisée, incorporée, devenue disposition permanente, manière durable de se tenir, de parler, de marcher, et, par-là, de sentir et de penser ». En des termes plus communs, nous pouvons dire que chacun cherche à se rapprocher d’un idéal physique, qui correspond à une image largement répandue dans l’inconscient collectif. Dans le livre où il étudie la relation entre pouvoir et beauté, François Hourmant la décrit comme une « combinaison entre une grande taille, symbole de stature, et une silhouette svelte associée à la jeunesse, représentant la vitalité et le dynamisme ».

Ce que l’on pourrait appeler la « République des beaux gosses » étend son empire. Pour réussir en politique, il ne suffit plus d’avoir la légitimité d’actions passées, d’avoir « fait des choses », accumulé les charges, d’appartenir à un parti politique puissant, d’être reconnu par ses pairs ou marqué par les défaites et les cicatrices, il convient aussi et peut-être surtout d’être beau. Après le temps de l’homo politicus, vient désormais celui de l’homo aestheticus. Les arguments cessent d’être rationnels, et deviennent plus visuels, émotionnels et physiques qu’idéologiques. Porter beau, être jeune, bien s’habiller et parler avec aisance, sont des critères qui existaient déjà en politique, mais qui jouent un rôle de plus en plus important dans la sélection des responsables politiques, leur médiatisation et leur popularité.

Pourquoi la beauté tient-elle une place centrale et non plus marginale ? Que signifie cette esthétisation de la politique et que nous dit-elle sur la crise de la démocratie ? Telles sont les questions que nous allons explorer.

 

L’effet de halo

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 L’apparence est décisive, c’est vrai non seulement en politique, mais aussi dans la vie sociale ou le marketing. Les discriminations fondées sur le physique, donnant des avantages à des personnes jugées plus séduisantes existent partout : à l’école, les enfants les plus séduisants peuvent être mieux notés, évalués et bénéficient de présomptions de réussites académiques. Sur le plan personnel, les personnes belles sont souvent jugées plus agréables, sociables, dignes de confiance, compétentes, intelligentes, honnêtes et dotées de bonnes intentions que les autres. Des qualités qu’elles n’ont pas forcément mais qui leurs sont attribuées par un biais connu de la psychologique sociale : l’effet de halo qui les entoure. Plus une personne est jugée belle et plus les individus autour d’elle lui associeront des valeurs positives. L’adage, « ce qui est beau est bon » se révèle étonnamment juste, l’attrait physique emporte avec lui des jugements favorables sur les qualités morales et intellectuelles du « beau gosse ». En plus de l’impact visuel et émotionnel, une belle personne a plus de facilité dans ses rapports aux autres, ses échanges sociaux, renforce naturellement son influence dans les groupes où elle intervient, et son opinion sera davantage prise en compte. L’impact de la beauté en politique a été mesuré dans de nombreuses études qui démontrent que cette « prime à la beauté » entraîne une augmentation de 15 à 20 % des suffrages, selon le type d’élection. Durant les campagnes électorales, la médiatisation des programmes politiques est de plus en plus rare, les médias préférant couvrir les clashs, les stratégies et les sondages, il est de plus en plus difficile pour un électeur de fonder sa décision sur sa connaissance des programmes des candidats. Ainsi, l’apparence d’un candidat peut servir de raccourci pour effectuer un choix politique. Ce phénomène est d’autant plus prégnant que tout le monde pratique le déni à l’égard de cette esthétisation de la politique. Les électeurs nient que la beauté puisse être un critère de choix, et les candidats minimisent son impact électoral. 

La longue histoire de la beauté et de la séduction en politique

Le premier cas moderne documenté est américain. Hollywood a connu un âge d’or des années 1930 aux années 1960, consacrant des acteurs et actrices telles que Greta Garbo, Clark Gable, John Wayne ou Marilyn Monroe. En cela, l’image projetée au cinéma véhiculait le mythe d’une Amérique jeune, conquérante, joyeuse, et surtout très belle.  L’apparition de la télévision au sein des foyers eut un effet encore plus puissant. En novembre 1959, un jeune sénateur américain du Massachusetts, John Fitzgerald Kennedy (JFK), publia un article dans le magazine TV Guide intitulé « A Force that has Changed the Political Scene » dans lequel il expliquait en quoi l’apparition et la propagation de la télévision, donc de l’image, allaient bouleverser le monde et les campagnes électorales. Un an plus tard, la campagne présidentielle américaine de 1960 qui l’oppose à Richard Nixon, en apporte la démonstration. Il mise sur son physique, son attitude corporelle et son style vestimentaire, il donne à voir sa femme et ses enfants. Un jeune homme de 42 ans au sourire éclatant, à la chevelure rousse et toujours impeccablement vêtu, JFK reflétait la promesse d’une nouvelle génération. Avant lui, les présidents étaient plus âgés et perçus comme les pères, ou grands-pères, de la nation : Herbert Hoover, Franklin Delano Roosevelt, Harry Truman, Dwight Eisenhower. L’idée d’avoir un homme avec de l’expérience à la Maison Blanche rassurait les Américains, mais, avec l’avènement de la télévision, ils étaient prêts à choisir un leader avec plus de glamour, de charisme, en phase avec le tournant des années soixante.

Ce fut la première fois que la télévision diffusa un face à face présidentiel, et ce débat est entré dans l’histoire.  Avant le débat, le républicain était le grand favori, porté par une expérience politique et internationale importante. Nixon était moqué depuis longtemps par les caricaturistes et les chansonniers qui prenaient plaisir à pointer ses soucis de pilosité, son manque d’attrait, ainsi que son comportement très renfermé, confinant à la dureté. De dessin satirique en parodie musicale, son corps et ses habitudes étaient l’objet de railleries. Ce 26 septembre 1960, alors que Nixon portait un costume gris qui le rendait transparent à l’époque de la télévision en noir et blanc, n’avait aucun maquillage, un front plein sueur et marqué par un visage pâle, à la suite d’une récente hospitalisation, son concurrent, lui était dans des dispositions inverses. Kennedy opta pour un costume noir, avec une chemise blanche idéale pour jeter la lumière sur son visage et paraître en pleine forme, ainsi que du maquillage. Plus assuré et confiant, il dégagea une telle maîtrise qu’un sondage mené après le débat auprès des Américains le consacra vainqueur, selon les téléspectateurs, tandis que ceux qui avaient écouté le débat à la radio ont désigné Nixon. Le 12 novembre 1960, quatre jours après avoir remporté la présidence avec une très courte majorité, Kennedy a lui-même reconnu le rôle joué par la télévision et son image : « Cest la télévision plus que toute autre chose qui a inversé la tendance ». La séduction politique s’est transformée en «séduction cathodique » pour reprendre le terme de Christian Delporte. Conscient de son image, il poussa les Américains à se soucier de leurs corps. En 1961, il prononça un discours dans lequel il déplorait le fait que les Américains n’étaient plus une nation de sportifs mais de spectateurs et que, cette image renvoyée au monde, surtout dans le contexte de la guerre froide, était très négative. La suite de son mandat s’appuiera sur cette image de « beau gosse » avec la diffusion de clichés de lui chemise ouverte, cigare à la main, vêtu de costumes sur mesure, en maillots de bain à Nantucket ou encore avec des Ray Ban accrocheuses. Associé aux plus belles actrices de l’époque, dont Marylin Monroe, cette image lui valut une légende de playboy, sûr de lui, guidant le pays. Une beauté conquérante, aussi bien d’un point de vue intime que politique. Encore aujourd’hui, bien après sa mort, le mythe JFK repose sur son image autant que sur son assassinat. Il a inspiré la communication politique moderne et a institué ce qu’on a appelé la « kennedysation » : c’est-à-dire le fait de miser sur son image, son physique, sa beauté pour accélérer sa carrière dans le milieu politique. Les conseillers en communication du futur président Nixon s’inspireront directement de lui : « Le modèle de la réussite ? Kennedy », répond William Gavin dans une note de synthèse destinée à orienter la campagne de Nixon en 1968 : « Souvenons-nous de John F. Kennedy : un prince, auquel chacun voulait – et pouvait – sidentifier. Lidéal Kennedy. Propre, net, beau, spirituel, brillant, riche, fort, sûr de lui, réconciliateur, courageux, inventeur dun style nouveau. Ne forçant personne mais entraînant tout le monde derrière lui…».

En France, c’est lors de la première campagne présidentielle de la cinquième République, en 1965, que Jean Lecanuet s’inspira grandement de la communication du président Kennedy, à tel point qu’il fut surnommé le « Kennedy français ». En 1974, Valéry Giscard d’Estaing joua sur sa jeunesse, comparée à l’âge de ses prédécesseurs, et accepta d’être pris photo en maillot de bain, en train de faire du sport pour dessiner l’image d’un futur président jeune et beau. Même l’icône mondiale de la beauté de l’époque, Brigitte Bardot, fut aperçue avec un t-shirt « Giscard à la barre ».

Le tournant du parti personnel

Les années 1990 représentent un tournant dans la relation entre esthétique et politique, parce que l’affaiblissement des partis politiques traditionnels libère un espace pour des aventures politiques plus personnelles, qui ne passent pas par la conquête de positions de pouvoir à l’intérieur d’un parti structuré, mais par la création d’un nouveau parti, entièrement conçu pour servir les ambitions de son fondateur. Silvio Berlusconi a ouvert la voie en 1994, en lançant son parti personnel, Forza Italia, Emmanuel Macron a suivi cet exemple en 2016, en lançant En Marche, dont les initiales étaient les mêmes que les siennes. Le parti personnel permet de concentrer l’attention des électeurs sur la personnalité du fondateur, ses qualités morales ou physiques. Emmanuel Macron a redessiné la vie politique française, mais aussi le rôle de la beauté en politique. Ce fut l’un des aspects du récit de sa conquête du pouvoir. Quand il se lance dans la course, en novembre 2016, il a déjà envoyé de nombreuses « cartes postales » dans la presse : sportif, à vélo, se baladant sur une plage en couple, en maillot de bain, barbu. Toute une palette pour mettre en avant les attributs de la beauté et de l’assurance en vue de la prise du pouvoir. Pour rassurer l’opinion car, ainsi qu’on l’a évoqué, « l’effet de halo » joue à plein. On peut s’attarder sur la période « hipster Macron » dont médias et commentateurs s’emparèrent. Début janvier 2016, après les vacances de Noël, Emmanuel Macron affichait une barbe de quelques jours qui suscita de nombreux éditos et articles. Ce moment eut son importance puisqu’il alimenta le récit d’un homme ambitieux, qui en voulait toujours plus. On comparait cette image avec Nicolas Sarkozy et sa fameuse phrase « je ny pense pas seulement en me rasant le matin », lorsqu’il répondait à Alain Duhamel sur la future présidentielle de 2007. Une simple image surplombait débats et interrogations quant à la stratégie politique du ministre de l’Économie. Un coup de communication réussi pour celui qui allait lancer son parti moins de quatre mois plus tard et qui consacrait là une nouvelle forme d’homme politique moderne : celui qui maîtrise et change son apparence, « joue » avec ses poils, smartphone à la main, signe du modèle de l’entrepreneur qu’il défendait. En 2017, un de ses arguments de campagne, était le fait qu’il soit plus jeune que ses rivaux et que sa fraicheur, sa jeunesse et son physique avantageux pourraient faire contraste avec le président Hollande, souvent moqué pour son embonpoint ou une supposée apathie, associée à des traits de caractères négatifs. Celui-ci avait d’ailleurs changé son image en faisant un régime pour l’élection présidentielle… avant d’être rattrapé par son ancienne apparence. C’était aussi un message envoyé aux électeurs pour leur dire que ce nouveau président jeune et « esthétique » allait balayer « l’ancien monde ». Lors des campagnes législatives, c’est, d’ailleurs, l’image du président Macron qui était présente sur toutes les affiches et les tracts. Son image était un atout « séduction ». Depuis, il n’a pas cessé de s’appuyer sur cette image de jeune premier. Mais il s’adapte. Aujourd’hui, on le voit avec des tempes grises, toujours en train de courir sur une estrade ou gants de boxes sur l’épaule. Sa photographe officielle, Soazig de la Moissonnière, le montre en boxeur, sueur au front en train de donner des coups et d’en recevoir. C’est, aussi, un message politique subliminal qui veut dire : « je cogne et j’encaisse ». Son image de « beau gosse » lui a servi, et sert encore, mais c’est une tactique qui se retourne parfois contre lui puisque les traits négatifs associés à la beauté sont la légèreté, le narcissisme, le mépris pour les autres. Ce qu’exprime François Ruffin dans son livre : « Je dois avouer pire : votre tête ne me revient pas. (…) les traits réguliers, le nez droit, la peau lisse, la mâchoire carrée (…) vous transpirez l’assurance, la confiance ».

Un autre exemple contemporain est celui de Jordan Bardella. Surnommé « Monsieur Parfait », « enfant roi du RN ». Unanimement décrit comme un surdoué de la politique, parlant avec aisance, beaucoup de ces qualités lui sont prêtées car il correspond aux critères de beauté qui confèrent ces attributs. Il est grand, élancé et porte des costumes toujours cintrés. Il mise sur ce physique qui lui vaut beaucoup de commentaires éloquents, tant sur les réseaux sociaux que dans la presse : on s’interroge sur son couple dans la presse people (Closer, Gala, Purepeople), un forum de jeunes (jeuxvideo.com) trouve qu’il est « de plus en plus beau », une ancienne miss France déclare dans une émission que, « physiquement, Jordan Bardella est le gendre idéal : il est impertinent tout en restant poli ». Des médias n’hésitent d’ailleurs pas à écrire des articles ayant pour titre « le gendre idéal ». Sur les réseaux sociaux, on retrouve également des commentaires en rapport avec son apparence : « Vous êtes encore plus beau quhier » dit une commerçante au salon de l’agriculture ; « moi aussi je rêve de crier Jordan je t’aime ! », publie une tiktokeuse ; « il est agréable, il est franc, il est proche du peuple, il ferait un très bon Président ! » répond une autre dans les commentaires, « nempêche c’est la première fois que quelqu’un me déstabilise, jadore il est canon » conclut une autre. Au meeting de lancement des Européennes, lOpinion rapporte les commentaires de deux jeunes criant « Jordan on taime » : « Cest un beau gosse, il incarne le renouveau de tout ce quon détestait au Front national ». Sa beauté est un facteur d’engagement politique. On ne peut encore réellement mesurer l’impact qu’il a sur les adhésions mais, en regardant les meetings, un constat s’impose : le public est de plus en plus jeune, composé de lycéens, étudiants ou jeunes démarrant dans la vie professionnelle qui n’auraient jamais été là quelques années auparavant.

Jordan Bardella emploie la stratégie du selfie. Prendre la pose pour une photo à côté d’élus ou de citoyens leur permet de capter un peu de la célébrité et de l’image propagée par le “beau gosse”. On crée une intimité qui lie bien plus que des arguments politiques rationnels. Son équipe de campagne parle ouvertement de la construction d’une image de « rockstar » : « Nous voulons des images de gagne, avec des militants souriants ». C’est l’exact opposé de Florian Philippot, ancien bras droit de Marine Le Pen, connu pour son style abrupt, presque impitoyable dans ses interventions. Ce changement de visage est également une manière de normaliser le RN. Auparavant, avec des figures telles que Bruno Gollnisch, ou Jean-Marie Le Pen, le parti était représenté par une génération ancienne, empêtré dans des engagements radicaux, moins habitué à gérer la question de l’apparence dans les médias. Avec la nouvelle génération, portée par Bardella et des figures féminines comme Laure Lavalette, Edwige Diaz ou un ancien producteur comme Laurent Jacobelli, on fait face à des personnalités modernes qui ont compris le pouvoir de l’image. Pourtant, la stratégie du « beau gosse » sert aussi à camoufler le flou de sa vision politique. S’il était aisé de comprendre les convictions de Jean-Marie le Pen, Bruno Mégret et d’autres historiques du Front national, il est bien plus difficile de savoir ce que pense Bardella. Ses discours sont vagues et faits de slogans éculés : « qui à part nous se soucie du droit des Français à vivre en paix, chez eux, dans leur pays ? », « le grand effaceur de la France sappelle Emmanuel Macron », « dans les cantines françaises, on doit manger français », « les Français ont le droit de rester Français » (meeting du 3 mars, Marseille). Il entretient le flou et a intérêt à continuer ainsi pour s’appuyer longtemps sur une image qui se suffit à elle-même.

Quand la laideur est un handicap

A contrario, la laideur, ou toute caractéristique perçue comme ne correspondant pas aux normes de beauté, comme le surpoids, peut vous exclure des postes à haute responsabilité. Lorsqu’il accéda au pouvoir en 2007, Nicolas Sarkozy, connu pour son dynamisme et sa pratique sportive, décida de faire un régime et de pratiquer la course sous les projecteurs des caméras. Après un long duel médiatique, et politique, avec Dominique de Villepin, constatant que celui-ci avait bénéficié de l’attention générale grâce à son rôle de premier ministre mais aussi à un physique svelte qu’il mettait en avant (notamment lors de l’université de rentrée de l’UMP en 2005), Nicolas Sarkozy s’était décidé à adopter un mode de vie plus sain. Plus tard, il exigea des cuisines de l’Élysée de lui servir des repas légers et invita son Premier ministre, François Fillon, à courir avec lui, dans une mise en scène à l’usage des Français. C’était la première fois qu’un président en exercice était vu en train de faire du jogging en public, renforçant son image d’homme d’action. Il prodigua également des conseils à ses ministres, notamment en 2009, lorsque, selon Le Figaro, il les encouragea à suivre des régimes et à pratiquer une activité physique. Preuve que l’apparence est un facteur de décision politique, après son arrivée à l’Élysée, lors du deuxième remaniement du gouvernement Fillon en juin 2007, un poste ministériel était en discussion pour Gérard Larcher, celui de l’agriculture. Dans des propos rapportés par Patrick buisson, son ancien conseiller, Nicolas Sarkozy décida d’abandonner l’idée jugeant que celui-ci n’était pas assez gracieux physiquement et contrastait avec les autres ministres « flashy » : « Je sais bien que je suis le Tom Cruise du pauvre, mais enfin Gérard Larcher ministre, ce n’est pas possible : il est trop laid ! Tandis qu’avec Rachida [Dati] et Rama [Yade], on va leur en mettre plein la vue. » Dans la même veine, François Hollande, avant la présidentielle 2012, avait une image négative : il était décrit comme un homme rond, mou et eut même des surnoms insultants. Très lucide quant à l’image de « gentil nigaud » diffusée par ses opposants et les humoristes, son objectif principal était de faire oublier les surnoms dévalorisants tels que « Flamby », « Beignet » et « Porcinet » face à un Nicolas Sarkozy qui surjouait le président sportif, qui faisait attention à son corps et qui s’appuyait sur ses tempes grises, façon de dénoter par rapport à François Hollande rondouillard, bonhomme pouvant laisser penser qu’il était moins sérieux. Il décida de transformer cette situation en un avantage, en médiatisant son régime. Dans une interview accordée à Gala en octobre 2010, il confiait : « Ce n’est pas par vanité ou pour des raisons superficielles, mais plutôt pour être en accord avec moi-même » qu’il le faisait. Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen aussi ont suivi des régimes. On se souvient que des bourrelets autour de la taille de Nicolas Sarkozy avaient été supprimés sur une photo publiée dans la presse. Dans leur livre « Cuisines de la République » publié chez Flammarion, Pascale Tournier et Stéphane Reynaud emploient un néologisme : « bimbolitiques » pour qualifier cette rage de paraître. Le psychiatre Gérard Apfeldorfer, cité dans cet ouvrage, décrypte : « Les hommes politiques ont toujours cherché à séduire (…). Ils doivent répondre aux attentes de la société. Or, le modèle en vogue est celui de la minceur. » Il explique également : « Un homme au poids contrôlé est perçu comme pratiquant une politique rigoureuse et mesurée. En revanche, selon la croyance sociale, être en surpoids est associé à la passivité, à la dépendance voire à un moindre niveau d’intelligence. » A l’heure actuelle, le cas d’Édouard Philippe interroge. Auparavant Premier ministre à la barbe fournie, tantôt noire, tantôt blanche, il a parlé très ouvertement de son alopécie et de son physique nouveau. Lorsqu’il quitte Matignon en 2020, il est l’homme le plus populaire du pays, rassure physiquement et contraste avec le jeune président Macron. Désormais, avec cette nouvelle image, peut-être que des électeurs, consciemment ou pas, se détourneront de lui car ils ne le trouveront pas rassurant et estimeront qu’il est malade sans le dire. « Le physique, ça compte, après, heureusement on n’est pas que son physique, on s’accepte comme on est et on montre ce qu’on fait, ce qui est beaucoup plus important, mais bien sûr que ça compte » déclarait-il sur le plateau de Léa Salamé (Quelle époque, 14 octobre 2023).

La beauté chez les femmes est perçue différemment

 La perception de la beauté et de l’image diffère selon le genre. Alors que la beauté masculine est souvent associée à des termes positifs ou flatteurs tels que « beau gosse », « viril » ou « séducteur », les femmes sont souvent réduites à des stéréotypes, comme celui de la courtisane ou de la séductrice dissimulant des ambitions cachées. Parfois, c’est plus insidieux : les femmes sont davantage jugées sur leur apparence que sur leurs compétences, ce qui se reflète dans les titres de presse et les qualificatifs positifs qui les décrivent, tels que « belle ministre », « députée à la crinière blonde » mais aussi négatifs. Cela s’est notamment produit avec Ségolène Royal, remise en question pour son erreur sur le nombre de sous-marins nucléaires possédés par la France alors qu’elle était présentée comme une candidate au succès fulgurant. Par la suite, des médias ont laissé entendre qu’elle était motivée par l’envie de barrer la route à son ancien mari, François Hollande et non pas par l’envie de servir son pays, ont insisté sur sa voix aiguë et d’autres critères plus physiques que politiques.  Valérie Hayer, la tête de liste de Renaissance aux élections européennes, est parfois dépeinte dans certains médias comme une « belle candidate », mettant ainsi l’accent sur son apparence plutôt que sur ses compétences et son bilan. Le recrutement du personnel politique féminin peut aussi ressembler à un casting. Chaque composition gouvernementale est le résultat d’un subtil équilibre qui prend en compte les rapports de force au sein d’un parti, d’une coalition, ainsi que les rivalités pour les portefeuilles ministériels. Cependant, une autre considération, bien moins avouée et plus taboue, peut également influencer le choix des ministres femmes : celle de la séduction. Nicolas Sarkozy a volontiers exploité le charme de femmes telles que Rachida Dati, Rama Yade ou Nathalie Kosciusko-Morizet, qui l’accompagnaient fréquemment lors de soirées officielles et de déplacements, revêtant des tenues de soirée de créateurs renommés. Elles étaient ainsi présentées comme les ambassadrices des grands couturiers, incarnant l’élégance, le raffinement « à la française » et symbolisaient l’image d’un Nicolas Sarkozy conquérant et dynamique. Najat Vallaud-Belkacem (NVB) a aussi vu sa beauté être évoquée dans de nombreux portraits datant de la campagne présidentielle de 2012. Durant cette période, elle a fait l’objet de 17 portraits dans les journaux, contre seulement deux pour Delphine Batho. Ces articles mettaient en avant les signaux de séduction corporelle, comme ses battements de cils, son sourire constant et louaient ses qualités dans des termes souvent élogieux. Elle était décrite comme une nouvelle « égérie », à la fois diplômée et naturelle, avec un profil « rayonnant » et une compréhension profonde des enjeux culturels et sociétaux, ce qui a contribué à sa popularité. Fleur Pellerin, ancienne ministre de la Culture et de la Communication, était pleinement consciente de cette réalité. À sa nomination au gouvernement, elle l’exprimait ouvertement : « Si j’avais été un homme blanc de 60 ans, avec les mêmes compétences, j’aurais eu moins de chances d’être nommée. » Au journal de France 2 du 26 août 2014, juste après l’entrée au gouvernement de figures jeunes comme, justement, Fleur Pellerin ou Emmanuel Macron, Manuel Valls avait ainsi évoqué « le renouvellement qui simposait et de beaux visages, ceux de la jeunesse ».

Cécile Duflot, alors ministre sous François Hollande, a été elle-aussi rapidement évaluée en fonction de son aspect physique. Son choix de porter un jean avec des talons hauts lors du premier conseil des ministres, la photographie officielle du premier gouvernement de François Hollande, ainsi que sa robe décolletée à fleurs à l’Assemblée nationale le 17 juillet 2012, ont suscité des critiques de l’opposition et des sifflements machistes. Cette focalisation sur son apparence a exposé Cécile Duflot à la violence et la misogynie du monde politique, rappelant clairement aux femmes, en particulier aux jeunes femmes, les obstacles à leur légitimité qui persistent dans ce domaine. Le code de l’Assemblée ne disait officiellement rien sur la tenue obligatoire des députés. La règle en vigueur était légitimée par des années d’usage : les hommes devaient porter le costume et la cravate, les femmes devaient opter pour un tailleur et une veste, mais pas de pantalon qui leur était interdit. Michèle Alliot-Marie, ancienne ministre et figure du RPR/UMP, raconta qu’un huissier lui avait refusé l’entrée dans l’hémicycle à cause de son pantalon. Il a fallu attendre 1980 pour que les femmes députées puissent en porter de manière « légale » et 2018 pour que l’instruction générale du bureau de l’Assemblée nationale inscrive une règle claire disposant que « la tenue vestimentaire adoptée par les députés dans lhémicycle doit rester neutre et sapparenter à une tenue de ville ». L’esthétisation de la politique est un symptôme de l’affaiblissement des partis et de l’épuisement des projets qu’ils portent. Le populisme vise à simplifier les problèmes complexes auxquels les Etats-nations sont confrontés, la beauté vise à les masquer. L’un et l’autre sont en phase avec l’air du temps.

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Yoann Taïeb