Quand la politique étrangère s’invite dans le débat national

Quand la politique étrangère s’invite dans le débat national
Publié le 6 avril 2022
  • directrice du bureau de Paris de l’European Council on Foreign Relations (ECFR), un think tank paneuropéen de politique étrangère
Les enquêtes d’opinion auprès des citoyens des différents pays européens montrent que les Européens ont dans l’ensemble une appréciation positive de l’ambition européenne affichée par Emmanuel Macron. Le paradoxe est que ce leadership français en Europe s’accompagne d’une image relativement négative de l’Union européenne en France.

Les questions de politique étrangère, de sécurité et de défense sont habituellement le parent pauvre des campagnes d’élection présidentielle en France et les débats se font – le plus souvent – sur les différences des programmes en matière d’économie, de justice sociale, d’éducation et de transport, en un mot plutôt des sujets relevant du débat de politique nationale.

Cette campagne bouscule ce schéma familier : la guerre en Ukraine, provoquée par la Russie, a fait irruption dans le débat de politique non seulement intérieur mais aussi extérieur de la France, à un moment crucial, juste avant le premier tour de l’élection présidentielle de la France, mais aussi au moment où la France exerce la présidence du Conseil de l’Union européenne. A ce titre, son positionnement sur la crise russo-ukrainienne est donc doublement scruté, voire triplement en raison du rôle spécial qu’Emmanuel Macron s’était assigné ces deux dernières années en souhaitant tendre la main à Vladimir Poutine lorsqu’il l’a invité à Brégançon en août 2019, puis lorsqu’il a, dans la foulée, enjoint la diplomatie et l’administration françaises dans son discours d’ouverture le 27 août 2019 de la conférence annuelle des ambassadeurs et des ambassadrices, à ne pas laisser « l’Etat profond » mettre à mal ses ambitions visant à construire une « une nouvelle architecture de confiance et de sécurité en Europe, parce que le continent européen ne sera jamais stable, ne sera jamais en sécurité, si nous ne pacifions pas et ne clarifions pas nos relations avec la Russie ».

Cette inflexion en faveur de la Russie a fait l’objet de critiques plus ou moins voilées des partenaires européens de la France, notamment à l’Est, qui l’accusaient de brader leur sécurité. La méthode Macron, consistant à secouer les Européens, a aussi fait l’objet de critiques et parfois d’incompréhensions. Trois ans plus tard, ce qui constituait une vulnérabilité pour Emmanuel Macron – le manque de confiance que lui accordaient certains Européens – s’est transformé en une force : il a été le seul dirigeant européen à qui Vladimir Poutine acceptait de parler – même si cela ne s’est pas traduit en actes pour l’heur, le dialogue n’est pas totalement rompu. Emmanuel Macron n’a pas besoin de mettre en scène cet avantage dans la campagne présidentielle française : la guerre accapare, et c’est bien normal, toutes les discussions et il est le seul des 11 candidats à avoir fait de la politique étrangère et à connaitre les dirigeants des institutions européennes, ceux des 26 autres Etats membres de l’UE, celui des Etats-Unis, de la Chine et évidemment de la Russie.

Si la politique étrangère n’est habituellement pas au centre du débat national français – notamment en raison des pouvoirs dévolus au chef de l’Etat par la Constitution de la Ve République et du domaine réservé de la politique étrangère, qui si elle ne dépend pas uniquement du chef de l’Etat, lui reconnaît une prééminence dans le processus de prise de décision – la Russie fait figure d’exception puisqu’il s’agit d’un sujet qui anime les extrêmes gauche et droite qui, avant la guerre, prônaient un rapprochement avec Poutine. Ceux-là même se trouvent très embarrassés aujourd’hui et leur (ancien) soutien affiché au maître du Kremlin leur coûte des points dans les sondages – même si, le revirement est en cours et le soutien clamé haut et fort pour le peuple ukrainien agressé. Cela semble fonctionner pour Marine Le Pen, qui remonte dans les sondages à environ 20%, ainsi que pour Jean-Luc Mélenchon, aujourd’hui à 15%, et qui espère faire l’union de la gauche et peut-être ainsi se qualifier pour le second tour de l’élection présidentielle le 24 avril.

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Depuis cinq ans, le paysage politique est bouleversé : création de la République en Marche par Emmanuel Macron, déliquescence – qui semble se confirmer – des traditionnels partis de gouvernement de droite et de gauche et une abstention record aux élections municipales de 2020 et enquête conduite par l’ECFR en janvier et février 2022 dans 12 Etats membres et auprès de 15 000 citoyens européens, ces mêmes citoyens indiquaient avoir une opinion assez favorable du leadership diplomatique déployé par la France ces dernières années. Toutefois, l’étude a mis en lumière un paradoxe français : bien que le gouvernement français se soit fait le champion de la souveraineté européenne ces dernières années, les Français font partie d’une minorité d’Européens de l’enquête – avec les Grecs, les Italiens et les Danois – qui ont une opinion plus négative que positive de la souveraineté européenne.

Cela pourrait s’expliquer par le fait qu’Emmanuel Macron et son équipe se sont tellement attachés à convaincre les autres Européens qu’ils n’ont pas consacré autant d’énergie à défendre et à incarner le récit de la souveraineté européenne en France. L’opinion des citoyens français figure parmi les opinions les plus négatives sur l’UE de toutes les personnes interrogées. Des experts ont mis en garde contre le fait de les étiqueter « Eurosceptiques » pour plusieurs raisons. Les Français sont plus favorables à l’idée de l’Europe qu’au soutien des institutions et des structures européennes. Ils sont relativement sceptiques à l’égard de l’intégration européenne mais font preuve d’un fort attachement à l’UE, à son ouverture aux autres, à son adhésion aux principes européens, aux politiques communes et à son rôle dans le monde.

Pour surmonter la méfiance des Français à l’égard de l’UE, il faudra, entre autres recommandations, que les médias et les programmes scolaires français accordent une place beaucoup plus importante aux affaires européennes, ce qui nécessitera un changement en profondeur du fonctionnement du débat de politique étrangère français : il faudra le rendre plus démocratique et plus ouvert. Tout un programme pour le prochain président ou la prochaine présidente.

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Tara Varma

Co-autrice du rapport "Une certaine idée de l’Europe : quel leadership pour le prochain Président français ?"