Référendum : comment réformer l’article 11 de la constitution ?

Référendum : comment réformer l’article 11 de la constitution ?
Publié le 17 novembre 2023
  • professeur de science politique à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Le Président de la République a annoncé son désir de soumettre prochainement au Parlement un projet de révision constitutionnelle comportant une modification substantielle des conditions d’organisation d’un référendum législatif. Un exercice délicat qui, selon Bastien François, ne saurait consister simplement à élargir les champs d’application possibles du référendum et à abaisser les seuils requis pour l’organisation d’un référendum d’initiative partagée.

De la bruyante revendication d’un référendum d’initiative citoyenne (RIC) par les Gilets jaunes jusqu’à la tentative avortée d’utiliser le référendum d’initiative partagée (RIP) pour essayer de bloquer la récente réforme des retraites, la question référendaire a fait ces dernières années une irruption fracassante dans l’espace public et sur l’agenda de celles et ceux qui réfléchissent à la façon de répondre à la profonde crise démocratique que nous vivons. Lors du 65e anniversaire de la Ve République, le 4 octobre dernier, le président de la République a proposé tout à la fois d’élargir le champ du référendum aux « questions de société » et d’assouplir les modalités d’engagement d’un RIP (mis en place en 2008 mais tellement corseté qu’il s’avère impossible à mettre en œuvre). Que faut-il en penser ?

Si l’on n’a aucune raison de douter du souci présidentiel de « répondre aux aspirations démocratiques de notre temps » en favorisant l’usage du référendum, cette proposition s’inscrit dans un contexte très particulier où la droite républicaine, dans une surenchère débridée avec l’extrême droite, réclame non seulement un référendum sur l’immigration mais également les moyens constitutionnels de déroger par référendum au droit européen et aux traités internationaux en la matière. C’est dire que la proposition d’Emmanuel Macron risque de n’être lue qu’à la lumière d’un deal politique à courte vue au détriment de son enjeu démocratique immédiat et à plus long terme. Car, on le sait, le référendum peut être aussi bien un instrument de restauration d’une démocratie efficace parce qu’inclusive qu’un outil privilégié des autoritarismes populistes. On propose dès lors ici d’examiner l’état de la discussion sur la réforme du référendum législatif prévu à l’article 11 de la Constitution et d’esquisser quelques pistes pour un enrichissement démocratique de ce mécanisme essentiel d’expression de la souveraineté.

1/ L’élargissement du champ référendaire

Sous le quinquennat précédent, en 2019, un projet de loi constitutionnelle à l’initiative d’Emmanuel Macron prévoyait déjà d’ajouter dans le champ du référendum les « réformes relatives aux questions de société », étant entendu, précisait alors l’exposé des motifs de la loi, que celles-ci « n’incluent pas les matières fiscale et pénale, qui, eu égard à leur nature particulière et à notre tradition constitutionnelle, resteront ainsi du ressort de la démocratie représentative. »

Mais le juriste se trouve fort dépourvu lorsqu’il lui faut définir ce qu’est une « question de société » et l’historien, le sociologue ou le politiste lui rétorquera sans hésitation que tout peut devenir, dans un contexte donné, une « question de société ». Cela vaut bien sûr aussi pour les matières fiscale et pénale. L’abolition de la peine de mort, aujourd’hui heureusement consacrée par notre Constitution, était bien une « question de société » lorsqu’elle a été portée par François Mitterrand, et un référendum sur la « fin de vie » envisagé par le président de la République, selon les choix retenus, pourrait inclure également un volet pénal. La question de la justice fiscale – que l’on pourrait traduire de maintes façons dans des textes législatifs soumis à référendum – va se poser de plus en plus face à l’ampleur des besoins de financement des transitions écologiques et à la nécessité d’en faire porter le fardeau de façon équitable, comme l’a rappelé le mouvement des Gilets jaunes.

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L’expression « question de société » n’a assurément pas sa place dans le texte de notre Constitution sauf à vouloir ajouter de la confusion à un article qui fait déjà l’objet de controverses interprétatives. La question du champ référendaire reste cependant ouverte. Faut-il l’élargir ? A quoi ? Jusqu’où ? On ne tranchera pas ici mais il faut prendre la mesure de la très grande complexité de la question. Le cercle de réflexion Terra Nova, pourtant très favorable à l’extension de la possibilité d’engager des référendums, notamment à l’initiative des citoyens, soulignait en 2019 les risques importants qu’il y a à utiliser cet outil en matière fiscale : « L’impopularité croissante de l’impôt pourrait ainsi déboucher sur des initiatives référendaires visant à supprimer des taxes sans se soucier de l’équilibre des finances publiques, alors même qu’une majorité de citoyens restent attachés à la qualité des services publics et des systèmes de protection sociale, lesquels sont financés par les prélèvements obligatoires, dont les impôts. Ce mouvement pourrait en outre trouver le soutien direct ou indirect de puissants lobbies désireux de faire reculer l’intervention de l’État en matière fiscale et réglementaire (normes sanitaires, environnementales, administratives, etc.) et de “stimuler”, voire de corrompre l’initiative citoyenne en mettant à son service des relais, des moyens de communication, des ressources financières, etc. »

La droite républicaine de l’Assemblée nationale a déjà répondu à ces questions dans une proposition de loi constitutionnelle « relative à la souveraineté de la France, à la nationalité, à l’immigration et à l’asile » déposée en juin 2023. Elle ne s’embarrasse pas de nuances et y raye d’un trait de plume toutes les restrictions posées par l’article 11, le référendum pouvant alors porter sur toutes les matières législatives. Aucune justification de nature « démocratique » ici : l’exposé des motifs se contente de noter que le champ référendaire inclura notamment « les questions relatives à l’entrée et au séjour des étrangers en France ainsi que le droit de la nationalité ». Mais le plus intéressant est que cette proposition de réforme constitutionnelle prévoit d’ajouter les lois organiques – qui visent à compléter ou à préciser certains articles de la Constitution – au champ du référendum. Les lois organiques doivent être prévues dans les articles concernés de la Constitution, elles sont adoptées selon une procédure particulière et plus contraignante que la loi « ordinaire », et elles ne peuvent être promulguées qu’après la déclaration par le Conseil constitutionnel de leur conformité à la Constitution. Pourquoi cet ajout ? En fait, dans l’esprit des programmes de Marine Le Pen et d’Eric Zemmour lors de la dernière élection présidentielle, il s’agit pour la droite républicaine de se donner les moyens de réviser subrepticement la Constitution par référendum en instaurant des limites aux articles 55 (primauté des traités internationaux sur les lois nationales) et 88-1 (sur la participation de la France à l’Union européenne).

On le voit, un élargissement sans bornes et irréfléchi du champ référendaire, pour des raisons qui plus est purement instrumentales, ouvrirait un espace considérable à un (futur) président cherchant à contourner le cadre de l’État de droit national et international. Si l’on veut étendre les objets du référendum et en même temps éviter ce risque d’un usage illibéral, quelle que soit l’extension finalement retenue ou les exceptions formulées, il faudra donc ajouter à la réforme du champ référendaire deux contraintes supplémentaires portant sur l’engagement de l’opération référendaire elle-même.

D’une part, il faudra interdire l’utilisation du référendum législatif pour réviser la Constitution et exclure, pour cette raison, les lois organiques du champ référendaire. Si tous les juristes conviennent, en dépit du double précédent gaullien, que la Constitution ne peut être révisée en l’état qu’en vertu de l’article 89 (obligeant alors, préalablement à l’organisation éventuelle d’un référendum, à une adoption du projet de révision en termes identiques par les deux chambres parlementaires), l’intention affichée d’Éric Zemmour et de Marine Le Pen, lors de la dernière présidentielle, d’utiliser l’article 11 pour modifier des pans essentiels de notre Constitution et de notre patrimoine de droits fondamentaux, et aujourd’hui celle des députés LR d’utiliser la voie détournée d’un référendum sur des lois organiques pour échapper à nos obligations internationales et européennes, oblige à inscrire explicitement dans la Constitution cette interdiction.

D’autre part, il faudra rendre obligatoire un contrôle du Conseil constitutionnel sur l’objet du référendum proposé par le président de la République. Par une décision de 1962 (62-20 DC), le Conseil constitutionnel s’est déclaré incompétent pour juger de la constitutionnalité d’une loi adoptée par le peuple, au motif que l’article 61 de la Constitution, prévoyant son intervention entre le vote de la loi et sa promulgation, ne vise en fait que les lois adoptées par le Parlement. Cette décision du Conseil est cohérente du point de vue juridique et compréhensible du point de vue politique : on voit mal une juridiction annuler un acte du peuple souverain. Mais elle a l’inconvénient de laisser un vide juridique. La solution consisterait à organiser ce contrôle en amont de la consultation référendaire. Ce contrôle est déjà prévu pour le référendum d’initiative partagée (à l’article 61), il n’y a pas de raison que l’initiative présidentielle y échappe. Le Conseil constitutionnel a certes estimé, dans une décision dite « Hauchemaille » de 2000 (2000-21 REF), qu’il pouvait être amené à contrôler les décrets qui organisent le référendum, mais accepterait-il de contrôler le contenu substantiel du décret qui définit la question qui est posée au référendum ? Autant dire les choses clairement et inscrire le principe du contrôle de l’initiative présidentielle dans la Constitution.

2/ L’assouplissement du RIP

Le président de la République a annoncé son intention d’assouplir les conditions de mise en œuvre du référendum d’initiative partagée (RIP). Dans une lettre aux partis représentés au Parlement, il a depuis précisé la nature de cet assouplissement : abaisser à un million d’électeurs, contre près de 4,8 millions aujourd’hui, le seuil pour permettre l’organisation d’un RIP ; abaisser également le nombre de parlementaires requis (93 contre 185 actuellement) ; donner aux citoyens la possibilité de prendre l’initiative de ce RIP. Là encore rien de véritablement original. Ces propositions étaient déjà contenues dans le projet de révision constitutionnelle de 2019 (les modalités d’un RIP d’initiative citoyenne restant alors dans les limbes d’une loi organique annoncée).

Si l’initiative présidentielle devait prospérer, il s’agirait cependant d’une véritable avancée, s’agissant en particulier de l’abaissement très significatif du nombre de soutiens citoyens exigés – avec environ 2% du corps électoral nous serions à un étiage comparable (bien que plus élevé) aux seuils existants dans d’autres pays qui pratiquent habituellement le référendum. Il faut toutefois faire preuve ici d’une certaine prudence. Dans le projet de révision constitutionnelle de 2019, l’assouplissement de l’engagement du RIP se payait alors de deux restrictions importantes. D’une part, le référendum ne pouvait porter sur le même objet qu’une disposition introduite au cours de la législature et en cours d’examen au Parlement ou définitivement adoptée par ce dernier et non encore promulguée (ce qui aurait rendu impossible la manœuvre tentée par les parlementaires de gauche lors de la réforme des retraites). D’autre part, il était prévu que la proposition de loi soumise à référendum ne pouvait avoir pour objet l’abrogation d’une disposition législative promulguée depuis moins de trois ans (contre une année dans le texte en vigueur). Dans une note envoyée aux dirigeants des partis, en octobre 2023, Emmanuel Macron évoque cette fois un délai de 5 ans.

Le caractère spectaculaire de l’annonce présidentielle masque cependant deux difficultés qui risquent de rendre cette réforme constitutionnelle totalement inopérante.

Même demandé par 93 parlementaires, soutenu par un million de citoyens et validé par le Conseil constitutionnel, le référendum reste hypothétique puisqu’il suffit que la proposition de loi soit examinée par les deux assemblées pour qu’il ne soit pas organisé. Il suffit donc au gouvernement, avec le soutien de sa majorité, d’organiser une seule lecture du texte devant l’Assemblée nationale et le Sénat pour enterrer définitivement le référendum. Cela peut sembler assez curieux mais l’existence d’une telle disposition dans la Constitution montre bien que le RIP a été dès l’origine conçu pour ne pas être mis en œuvre… Des sénateurs socialistes ont récemment déposé une proposition de loi constitutionnelle pour corriger cette malfaçon : si la proposition de loi référendaire n’a pas été rejetée expressément par les deux assemblées dans un certain délai, elle doit être automatiquement soumise à référendum. Une telle solution n’est pas très convaincante. On devrait plutôt partir du principe que dès lors qu’un RIP est engagé, le Parlement n’a plus son mot à dire pendant toute la durée des opérations référendaires. Pour cela, rien de très compliqué : il suffit de supprimer le 5ème alinéa de l’article 11. De façon symétrique, on pourrait considérer que dès lors que le Parlement est en train d’examiner un texte, aucune opération référendaire portant sur le même objet ne peut être engagée.

La seconde difficulté réside dans l’article 40 de la Constitution, lequel dispose que « les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l’aggravation d’une charge publique ». C’est là l’un des joyaux de la « rationalisation du parlementarisme » mise en œuvre au moment de la rédaction de notre Constitution en 1958. Il s’agit évidemment de limiter drastiquement l’initiative financière des parlementaires car toutes les lois affectent, d’une manière ou d’une autre, les finances publiques (il a ainsi pu être discuté jadis de la recevabilité d’une proposition visant à abolir la peine de mort, le salaire d’un bourreau coûtant moins cher à l’État que l’entretien de condamnés à perpétuité). D’ailleurs les parlementaires de gauche qui ont rédigé les propositions de RIP pour contrer la réforme des retraites en discussion au Parlement sont tombés dans ce piège : en proposant un référendum reproduisant le droit existant au moment de la discussion parlementaire (pour ne pas prendre le risque, même de façon marginale, de diminuer les ressources publiques ou d’aggraver une charge publique), ils se sont vu rétorquer par le Conseil constitutionnel que leur proposition de loi n’avait pas le caractère d’une « réforme » et ne satisfaisait dès lors pas à la condition mise par l’article 11 à l’engagement d’un référendum. Et demain, si des parlementaires souhaitaient proposer, un an après la promulgation de la loi de financement de la sécurité sociale portant cette réforme des retraites, un référendum l’abrogeant, ils ne le pourraient pas en raison de la limitation de leur initiative financière. Si l’on ne fait pas sauter le verrou de l’article 40, aucun référendum d’initiative parlementaire ou citoyenne, un tant soit peu ambitieux, ne pourra jamais être mis en œuvre.

3/ Des clarifications nécessaires

Lors de son allocution pour le 65e anniversaire de la Constitution, le président de la République a également insisté sur la nécessité d’éviter une « concurrence des légitimités ». On peut évidemment le suivre dans ce souci de ne pas opposer le peuple et ses représentants, à la condition toutefois de ne pas oublier que nos textes constitutionnels mettent sur le même plan ces légitimités. L’article 6 de la déclaration des droits de l’homme dispose que « tous les citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants, à la formation [de la loi] » tandis que l’on retrouve cette dualité dans l’article 3 de la Constitution de la Ve République : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum […] ». On peut d’ailleurs rappeler que lors de l’établissement de la Constitution de la Ve République, en 1958, les constituants avaient envisagé, un temps, de pouvoir soumettre à référendum tout projet de loi que le Parlement aurait refusé d’adopter…

Il faut prendre garde à ce que le souci légitime d’éviter la « concurrence des légitimités » n’exprime pas en fait une peur du peuple – on se souvient de la phrase malheureuse et d’un autre âge d’Emmanuel Macron, en mars 2023, fustigeant « la foule » qui « n’a pas de légitimité face au peuple qui s’exprime, souverain, à travers ses élus » –, qu’il empêche de comprendre que le temps est venu de nous doter d’une nouvelle vision du peuple, qui ne doit plus être considéré comme le récepteur passif de décisions sur lesquelles il serait incapable d’avoir prise. Ce peuple, majeur, capable, est le souverain. Il n’a pas à passer après la représentation nationale, ou plus tard, ou avec des formes d’expression qui auraient de moindres effets. Interdire au peuple de modifier (ou d’abroger) la législation par voie référendaire pendant une certaine durée est ainsi, par exemple, une atteinte à sa souveraineté, en contradiction avec l’article 3 de notre Constitution.

Il faut prendre garde aussi à ne pas amoindrir ou à détourner la signification du référendum. En janvier 2020, intervenant devant la Convention citoyenne sur le climat, le président de la République avait justement rappelé qu’il ne pouvait engager un référendum, sur le fondement de l’article 11 de la Constitution, que si la convention lui fournissait une proposition de loi en bonne et due forme. Si ce n’est pas le cas, avait-il précisé, le référendum ne serait que « consultatif » ou bien encore « indicatif ». Il s’agirait alors d’« éclairer », selon ses propres mots, la représentation nationale, de « créer un arc électrique, une pression » sur nos représentants pour qu’ils aillent dans le bon sens. « Ça ne s’est jamais fait, mais je suis prêt à aller dans cette direction, on peut innover démocratiquement. » A l’époque Emmanuel Macron n’avait visiblement pas peur d’une confrontation des légitimités en envisageant le référendum comme la mise en scène d’une pression du peuple sur ses représentants, les seconds étant sommés de se plier à l’opinion du premier. Mais le problème n’est pas seulement là. Le peuple, dans notre Constitution, est celui qui détient la souveraineté. Il peut l’exercer directement ou la déléguer. Le souverain décide, il n’opine pas. Ce qu’il décide a force de loi et, dans certaines conditions, force constitutionnelle. S’il en allait autrement, nous aurions affaire à un peuple dépossédé de sa souveraineté, réduit à n’être qu’un groupe de pression doté de la force du nombre. Parler de « préférendum », comme l’a fait en août dernier un ministre, porte-parole du gouvernement et chargé du « renouveau démocratique », en précisant (avec le vocabulaire des sondages d’opinion) qu’il s’agirait alors de « tester plusieurs sujets à la fois au cours d’un même vote », est de ce point de vue assez inquiétant, même si rien n’interdit d’organiser simultanément des référendums distincts sur des sujets distincts.

4/ Enrichir le référendum par un temps délibératif

Élargir le champ du référendum en assouplissant les conditions de sa mise en œuvre ne permet toutefois pas de répondre aux critiques généralement adressées à l’outil référendaire qui, au-delà du risque plébiscitaire, soumet au choix collectif des questions complexes sans que les citoyens soient toujours informés des conséquences de leur vote, réduit des débats sophistiqués à un choix binaire, ouvre des espaces considérables à toutes sortes de manœuvres démagogiques et, aujourd’hui, à des manipulations massives de l’opinion via les algorithmes et les réseaux sociaux.

Il est cependant possible d’imaginer un dispositif permettant de conjurer ces difficultés (celle principalement de la réduction à un choix binaire de la réponse à une question complexe) et ces risques (celui principalement d’une démocratie désintermédiée et exposée, en conséquence, à des formes diverses de manipulation), en incluant dans l’opération référendaire un temps de débat organisé permettant de mettre une question en l’état d’être tranchée par l’électorat en amont du vote, comme cela se pratique déjà dans certains Etats américains, notamment en Oregon.

Pour cela il faudrait mettre en place, par exemple dans la loi organique qui accompagne l’article 11 de la Constitution, un couplage entre le référendum – qu’il soit d’initiative présidentielle, parlementaire ou citoyenne – et un dispositif délibératif. Ce dispositif pourrait prendre différentes formes, comme celle d’une convention citoyenne chargée de réaliser une étude d’impact en cas de victoire du « oui » ou du « non », en auditionnant des experts et en synthétisant au besoin les études existantes, qui rédigerait alors un rapport de quelques pages exposant les conséquences de chacune de deux options, texte qui serait ensuite associé au matériel électoral des citoyens. Le vote proprement dit au référendum n’interviendrait alors qu’au terme de ce temps délibératif, qui pourrait être d’ailleurs ouvert à la société dans son ensemble en faisant précéder la réunion de cette convention citoyenne par un grand débat national organisé par les mairies, les associations, les médias, les partis, les universités, etc., dont les résultats seraient soumis aux citoyens tirés au sort.

L’ensemble de ce processus référendaire devrait alors être supervisé et animé par une autorité indépendante (ce pourrait être l’une des fonctions de la Commission nationale du débat public, mais cette tâche pourrait être également confiée au Conseil économique, social et environnemental) et, tout aussi important, devrait faire l’objet d’une réglementation identique à celle qui encadre les processus électoraux, s’agissant aussi bien du financement (pour éviter toutes les pressions ploutocratiques sur le référendum) que de l’accès aux médias, qui devront avoir des obligations strictes durant la période référendaire afin de garantir le pluralisme des débats.

Le référendum ne doit plus être une arme que l’on dégaine pour s’imposer au Parlement ou pour le contourner. Il doit être un moment de mobilisation et de délibération citoyennes, de mise en mouvement de la société autour d’un choix ou d’une alternative, permettant à chacun de s’approprier les enjeux du moment, dans un dispositif permettant de garantir, au sens large, la sincérité du scrutin. Voilà bien de quoi « répondre aux aspirations démocratiques de notre temps ».

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Bastien François