Baccalauréat : comment sauver les apparences

Baccalauréat : comment sauver les apparences
Publié le 30 août 2023
Dans son interview de rentrée, le Président de la République s’est prononcé à plusieurs reprises sur les sujets d’éducation. « Compte tenu des enjeux, l’éducation fait partie du domaine réservé du Président », a-t-il notamment déclaré. La grogne montante depuis le printemps d’une part du corps enseignant à propos du nouveau calendrier de l’année de Terminale (épreuves écrites de spécialité en mars) a été entendue par le Président et relayée par le nouveau ministre qui a tout de suite annoncé le retour des épreuves au mois de juin. Mais qu’attend-on exactement de l’année de Terminale ?
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Pour les élèves, l’année de Terminale présente un double défi. Il s’agit, d’une part, de l’année de validation des acquis du second degré au terme de 15 années de scolarité et, d’autre part, d’une année de transition entre le secondaire et le supérieur. Dans leur quasi-totalité, les élèves souhaitent poursuivre leur formation dans le supérieur, là où se jouera leur avenir. Les difficultés d’un trop grand nombre d’étudiants dans ce cycle supérieur, sanctionnées par un fort taux d’abandon ou d’échec au cours de la première année, ont poussé les décideurs publics depuis plusieurs années à accorder une plus grande attention à l’articulation entre le lycée et le post-bac, ainsi qu’au projet d’orientation des élèves en les incitant à y consacrer davantage de temps (le plus en amont possible des inscriptions sur Parcoursup) et, surtout, à mettre en cohérence le choix de leurs spécialités avec les réquisits des formations auxquelles ils veulent candidater. Telle est la logique de la réforme qui a conduit à la suppression des filières : elle encourage les élèves à identifier leurs points forts en cohérence avec leur projet d’orientation de manière à les évaluer sur les matières les plus pertinentes pour leur formation ultérieure et à renforcer leurs acquis dans les disciplines qui ont leur préférence.

Cette logique en partie nouvelle appelait nécessairement des adaptations du lycée. Elle invitait tout d’abord à reconnaître que la finalité des années lycée se trouve désormais en partie au-delà du lycée lui-même, dans sa capacité à ouvrir au projet post-bac. Concrètement, cela signifie que les inscriptions sur Parcoursup tiennent logiquement une place centrale dans l’année de Terminale : la réflexion amont sur le type de formation où l’on a une chance de réussir, tout comme la constitution du dossier qui permettra aux formations supérieures de juger des chances de succès des candidats doivent mobiliser l’attention des élèves puisque ce processus d’orientation constitue, bien plus que la note finale du bac, un élément déterminant de la suite de leurs études. L’enrichissement, année après année, des informations disponibles à partir du site de Parcoursup, témoigne d’une prise de conscience générale du besoin d’outils pour formuler un projet d’orientation. On ne peut plus simplement dire à un élève « passe ton bac d’abord », en court-circuitant la réflexion sur le post-bac.

C’est dans ce contexte qu’il faut s’interroger sur l’utilité du bac en fin d’année de Terminale. Rappelons la situation qui prévalait avant la réforme Blanquer : les élèves formulaient leurs vœux d’orientation et commençaient à recevoir des réponses pour leur année d’après bac avant même de passer les épreuves finales, si bien que l’évaluation la plus déterminante pour leur avenir, celle qui porte sur leur admission dans la formation post-bac, se faisait en absence des résultats dans les épreuves les plus significative pour évaluer leur profil. Les élèves passaient ensuite les épreuves écrites et orales de juin avec un seul enjeu : ne pas être recalé. Mais avec des taux de réussite régulièrement supérieurs à 90%, l’enjeu était en réalité faible voire inexistant pour l’écrasante majorité des élèves. Tout le monde passait donc le bac écrit de juin avec le sentiment de prolonger un rituel majeur, en réalité complètement dépourvu d’enjeu. L’ambition du projet de Pierre Mathiot, qui a inspiré la réforme du baccalauréat, était précisément de redonner de l’importance au baccalauréat en avançant suffisamment les épreuves en cours d’année pour qu’elles comptent dans les évaluations de Parcoursup. On avait donc un dispositif cohérent : des élèves invités à réfléchir plus en amont à leur choix d’orientation dès la seconde (avec le choix des spécialités), des spécialités renforcées, des épreuves de bac prises en compte pour l’admission dans le Supérieur.

La physionomie de l’année de Terminale s’en trouvait nécessairement changée. Le passage des épreuves écrites de spécialité de juin à mars a cristallisé l’attention mais c’est en réalité l’ensemble de l’année qu’il s’agissait de repenser en donnant aux élèves plus de temps pour penser à leur orientation et moins focaliser l’année sur un « bachotage » peu formateur. La décision rapide du nouveau ministre de l’Education nationale, Gabriel Attal, semble redonner de la « cohérence » à l’année de Terminale en replaçant les épreuves écrites de spécialité en juin. En réalité, il vide les épreuves de leur enjeu puisque les élèves auront déjà reçu les premières réponses de Parcoursup avant même d’aller plancher lors de leurs écrits. Mais les apparences sont sauves : le rituel immuable du baccalauréat à la française est toujours là ! Avant toute évaluation sérieuse, la réforme à peine mise en place (perturbée par les confinements dus au Covid-19 lors des années précédentes), est déjà remise en cause et dénaturée.

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Le résultat, largement inaperçu, de ce changement de calendrier est de faire passer entièrement le bac (c’est-à-dire la part significative du bac) en contrôle continu. En effet, les décisions d’admission dans le Supérieur seront prises sur la base des bulletins de Première et des deux premiers bulletins trimestriels de Terminale. Les notes du bac de juin arriveront aux élèves début juillet, après les résultats d’admission de Parcoursup. Dans la réforme dite « Blanquer », les épreuves écrites de spécialité avaient précisément été placées en mars pour éviter une évaluation fondée sur le seul contrôle continu, considéré comme peu fiable en raison des inégalités de niveau entre établissements. La décision du nouveau ministre conduit donc à instaurer, à la demande d’une partie du monde enseignant qui proteste contre le raccourcissement de l’année scolaire, ce que la plupart des acteurs avait affirmé redouter à l’époque de Blanquer : une place prépondérante donnée au contrôle continu. Mais on peut se rassurer : on pourra « boucler le programme dans les temps », et les salles d’examen seront pleines en juin. En revanche, l’effort d’organisation et tout le travail de correction de ces épreuves, deux défis logistiques au regard du nombre de bacheliers, seront menés en pure perte au regard de l’enjeu essentiel pour les élèves, c’est-à-dire l’approfondissement de leurs connaissances dans les matières essentielles pour leur parcours ultérieur.

Un argument en faveur du retour des épreuves écrites du bac en juin est la « reconquête du mois de juin ». Ce mot d’ordre est cependant ici entendu à contresens. En effet, ce n’est pas le mois de juin des élèves de Terminale qui est à reconquérir mais celui des élèves de Seconde, « libérés » trop souvent début juin… pour organiser au mieux les épreuves du bac des Terminales, ainsi que les épreuves anticipées de Français. Alors que le Président de la République s’inquiète à juste titre d’un calendrier scolaire déséquilibré, le rétablissement des épreuves en juin ne fait que verrouiller l’impossibilité de sauver les fins d’années des lycéens qui ne passent pas le bac. Quant aux élèves de Terminale, au terme de 15 années d’école, il n’était pas absurde de les inciter à prendre plus de temps entre avril et juin pour se projeter dans leur avenir d’après-bac (la moitié de l’épreuve du Grand Oral était consacrée à une présentation par l’élève de ses aspirations et de ses projets, ce qui est également supprimé par le nouveau ministre).

Une manière de redonner de la cohérence à l’ensemble tout en maintenant les épreuves de juin serait de n’ouvrir les inscriptions sur Parcoursup qu’à partir de début juillet, une fois connus les résultats définitifs du bac. Cela supposerait que tous les enseignants du Supérieur consacrent leur mois de juillet à l’examen des dossiers Parcoursup des nouveaux lauréats. Les contraintes d’une telle organisation la rendent peu probable. Une autre option serait de commencer l’examen des dossiers à la rentrée de septembre et de retarder la rentrée des premières années post-bac à courant octobre. Mais cela aurait l’inconvénient de laisser les élèves dans l’expectative tout l’été et de les empêcher de s’organiser pour leur nouvelle vie (déménagement, etc.). Tout compte fait, instaurer le contrôle continu sans le dire et faire semblant de maintenir « un vrai bac » fin juin est sans doute une solution en apparence confortable pour beaucoup… mais pas pour les élèves. Ceux-ci auront au final moins de temps à consacrer à ce qui aura le plus d’impact pour la suite de leur parcours (la formulation de leur projet d’avenir) et seront soumis au double stress du contrôle continu (le seul qui comptera vraiment) et de l’examen final (parce qu’il faut bien maintenir le rituel et ne pas être recalé).

Au final, cette décision rapide de revenir à l’ancien calendrier illustre la difficulté à organiser une transition entre le lycée et l’enseignement supérieur. Le choix collectif affirmé par le retour des épreuves écrites consiste à privilégier une épreuve évaluative finale (le bac) sur la préparation du parcours dans l’enseignement supérieur (notamment à travers Parcoursup, perçu comme le projet d’ « un autre ministère »). Les élèves seront donc évalués de deux manières différentes : à partir du contrôle continu pour juger de la pertinence de leur projet dans le Supérieur et par le contrôle final pour délivrer le diplôme du bac, qui n’est qu’une condition suspensive pour poursuivre leur route. Peut-être était-il trop ambitieux de viser deux objectifs à la fois dans une année très chargée. C’est l’orientation qui est sacrifiée, comme le montre la suppression du dialogue consacré à ce sujet au cours du Grand Oral du mois de juin. Pour les formations du Supérieur, cela signifie que l’accueil des néo-bacheliers et les remédiations proposées dans les premiers mois de licence sont des enjeux, désormais bien identifiés, encore plus importants.


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Marc-Olivier Padis