CAP et baccalauréat professionnel : agir pour la réussite des élèves

CAP et baccalauréat professionnel : agir pour la réussite des élèves
Publié le 13 mars 2024
  • Députée de Meurthe-et-Moselle (Renaissance), ancienne Ministre déléguée à l’Enseignement et à la Formation professionnels
L’enseignement professionnel a été trop longtemps négligé dans notre système de formation. Constatant les difficultés persistantes sur le marché du travail des jeunes diplômés d’un CAP ou d’un bac professionnel, Daniel Bloch plaidait ici pour améliorer la formation initiale de ces jeunes en la prolongeant d’un an. L’ancienne ministre chargée de ce sujet dans le gouvernement d’Elisabeth Borne lui répond ici en défendant la réforme récente visant à améliorer en priorité l’entrée des jeunes sur le marché du travail.
Écouter cet article
00:00 / 00:00
Lire la note de Daniel Bloch

Ministre déléguée à l’Enseignement et à la Formation professionnels du gouvernement d’Elisabeth Borne, je me suis attachée à tracer un trait d’union entre les mondes de l’éducation et du travail, en engageant notamment, sous l’impulsion du président de la République, une réforme des lycées professionnels, inédite par son ampleur. Elle propose une évolution et une valorisation de cette voie professionnelle qui répondent à notre promesse républicaine d’égalité des chances et à la quête d’une école qui garantisse la réussite de chacun, dans son parcours d’études mais également dans son entrée dans la vie active. Construite progressivement et collectivement, cette réforme vise à rapprocher davantage l’école de l’entreprise car nous assumons la vocation professionnalisante des enseignements qui sont dispensés dans les 2100 lycées professionnels de notre pays.

Un constat alarmant

Il me semble d’abord important de rappeler que nous partons d’un constat alarmant : le lycée professionnel concentre les élèves en difficultés scolaires et sociales. Il présente un taux de réussite tout à fait insuffisant et altère la confiance des jeunes dans notre société car ils doutent d’y avoir leur place aujourd’hui et demain.

Au lycée professionnel, et non à cause de lui, nous comptons un trop grand nombre de décrocheurs : deux tiers des élèves décrocheurs sont en effet des lycéens professionnels alors que ces derniers ne forment qu’un un tiers des élèves. Ces élèves décrochent déjà, pour une part, au collège ou avant la fin de leur formation au lycée, mais aussi après le bac lorsqu’ils font le choix d’une poursuite d’études (cette dernière était encore récemment trop peu préparée et accompagnée).
Ensuite, le taux d’insertion dans l’emploi après l’obtention de leur diplôme est bien trop faible pour des formations professionnelles qui, par leur caractère professionnalisant, devrait avoir une forte capacité d’insertion. On a ainsi mesuré avant la réforme qu’en moyenne 4 diplômés sur 10 ne parvenaient pas à s’insérer sur le marché du travail au cours de l’année qui suit leur sortie du lycée. Sur des cohortes annuelles de plus de 600 000 jeunes qui suivent une scolarité dans les lycées professionnels, plus de la moitié se retrouve sans solution à un moment de leur parcours. C’est pourquoi nous devons consolider leur formation et renforcer leur employabilité.
Enfin, les poursuites d’études sont insuffisamment réussies. Seul un tiers des bacheliers professionnels poursuivent des études. Et, parmi eux, seule la moitié réussit cette nouvelle étape.

Cette situation inacceptable est source de frustrations aussi bien pour les jeunes que pour leurs familles et les enseignants qui ont tous à cœur de faire réussir leurs élèves, alors que notre devoir est de garantir à tous les jeunes la promesse républicaine d’une insertion professionnelle réussie dans un emploi durable et de qualité.

Les ambitions de la réforme

Abonnez-vous à notre newsletter

Par la réforme que j’ai portée comme membre du gouvernement et que je continue de soutenir comme membre de la majorité, nous corrigeons avec détermination ces inégalités de destin, trop longtemps invisibilisées par la société.

Le lycée professionnel doit être une voie de choix, une voie de réussite, une voie reconnue par tous. Cette voie de choix commence par une action engagée sur la connaissance des métiers, la lutte contre les stéréotypes et la lisibilité des parcours de formation. De nombreuses actions sont déjà initiées à ce sujet, mais elles doivent être renforcées et généralisées. Ainsi, le Président de la République l’a annoncé : l’ensemble des 5e, 4e et 3e auront la possibilité de découvrir les métiers grâce à une demi-journée « Avenir » tous les quinze jours. L’objectif est ambitieux : faire connaître plus de 50 métiers de secteurs variés à chacun des collégiens, en surmontant les déterminismes sociaux et territoriaux.

La réforme porte en outre pleinement l’ambition de mieux faire réussir les jeunes scolairement et dans leur insertion professionnelle. Enfin, la reconnaissance par les élèves, leurs familles, les entreprises et les enseignants d’une voie professionnelle qui favorise l’excellence, passe par un rapprochement de l’école et de l’entreprise, un renforcement des savoirs fondamentaux et des formations qui répondent mieux à l’avenir des métiers.

La valorisation de la voie professionnelle, une voie stratégique pour la Nation

L’enjeu est fondamental pour les filières de la voie professionnelle car elles sont méconnues et/ou font l’objet de représentations biaisées. Pourtant elles alimentent en compétences des secteurs stratégiques pour la souveraineté et l’avenir de notre nation : industrie, numérique, transports, transitions écologique et démographique. L’enjeu est aussi fondamental pour la société toute entière, non seulement parce qu’elle prépare l’avenir de toute une jeunesse mais aussi parce qu’elle forme à 50% des métiers sur lesquels notre économie repose. Ainsi ces filières sont porteuses d’emploi et le lycée professionnel a justement des compétences à apporter à ces secteurs stratégiques qui connaissent pour la plupart des tensions de recrutement croissantes. Et je le dis sans ambages, si l’insertion de ces jeunes ne peut se faire sans un socle scolaire et théorique, je suis à l’aise avec l’objectif premier de cette voie, à savoir la professionnalisation et l’insertion efficace sur le marché du travail. Et c’est dans ce sens que nous avons agi.

Ainsi, l’un des aspects majeurs de cette réforme consiste à mieux accompagner les lycées professionnels dans la valorisation de cette relation avec les entreprises. D’abord l’installation de bureaux des entreprises dans chaque lycée professionnel a un rôle majeur à jouer dans l’aide à la recherche de stages de qualité et le développement des relations avec les employeurs. De plus, la décision forte du Président de la République d’offrir une gratification assurée par l’Etat à tous les élèves des lycées professionnels lorsqu’ils sont en stage, quel que soit leur diplôme et leur niveau, participe pleinement à la reconnaissance de ce temps en entreprise. Par ailleurs, l’extension de l’aide financière au passage du permis de conduire aux lycéens professionnels, et non plus seulement aux apprentis, lève les freins à la mobilité qui sont certainement les plus limitants pour eux, notamment dans les territoires ruraux. La possibilité pour les élèves des lycées professionnels d’obtenir leur permis dès l’âge de 17 ans depuis cette année facilite leur accès à l’emploi. Enfin, les élèves seront mieux préparés à leur recherche de stage et aux temps en entreprise par un accompagnement dédié réalisé par France Travail.

Par ailleurs, nous assumons la nécessité de faire évoluer l’offre de formation dans tous les territoires. La question n’est en effet pas seulement le temps que l’on passe au lycée professionnel mais ce que l’on y apprend. Si, depuis 30 ans, les filières tertiaires ont été largement développées en lycée professionnel, facilitant les formations en groupes plus nombreux et en évitant l’investissement dans des plateaux techniques onéreux, nous devons aujourd’hui porter un vrai travail de réflexion sur l’adéquation des formations aux opportunités du marché du travail et sur les perspectives professionnelles futures qu’elles ouvrent à ces jeunes. Ce travail d’inventaire et de réorientation sera minutieux, mené avec les services déconcentrés de l’État, en particulier les rectorats de région académique, en lien avec les Régions, pour mieux s’ajuster aux besoins en compétences. Je tiens à alerter sur le fait que, si des formations sont plus plébiscitées que d’autres par les jeunes et leurs familles, ce ne sont pas nécessairement celles qui leur offrent le plus de perspectives. Dans ce cas, certaines seront fermées ou transformées pour ouvrir autant de formations conduisant aux métiers d’avenir. Par exemple, dans la région Grand Est qui m’est chère et avec laquelle nous avons signé la première convention de transformation de la carte à la fin de l’année 2023, près de 70 transformations (ouvertures, évolutions ou fermetures) sont attendues dès la prochaine rentrée scolaire, sans que pour autant l’offre globale ne soit réduite.

Nous visons l’employabilité et la préparation des compétences de demain mais pas au détriment des savoirs fondamentaux et des compétences complémentaires de savoir-être (les « soft-skills »)indispensables pour une insertion professionnelle réussie.

Adossé au « choc des savoirs » présenté par le ministre de l’Éducation nationale Gabriel Attal – désormais Premier ministre –, nous avons présenté un plan d’actions dédié au lycée professionnel, plus ambitieux encore.

Plutôt que de déterminer la qualité du parcours par le nombre d’années scolaires, j’ai souhaité une organisation qui s’adapte mieux au profil des élèves. D’abord par la transformation de l’année de terminale, différenciée. Concrètement, la dernière période de l’année de terminale prépare le jeune soit à une insertion professionnelle avec une période de stages allongée, soit à la poursuite d’études par une préparation solide à celle-ci. De plus, le renforcement des enseignements fondamentaux (+ 10%) est prévu par la réforme ainsi que de nouvelles modalités pédagogiques par des groupes à effectifs réduits. Il n’a jamais été question de nier ou d’invisibiliser des difficultés d’acquisition et de maîtrise de ces savoirs. Ainsi, en mathématiques et en français, à l’instar des classes de CAP, les élèves de seconde et de première de baccalauréat professionnel vont bénéficier de groupes à effectifs réduits.

Ce n’est d’ailleurs pas la seule illustration de l’effort historique que nous avons mené pour la voie professionnelle et pour ceux qui la font vivre. Pour ses enseignants, dont la mission est particulièrement remarquable, nous avons mis en place un PACTE d’une ampleur deux fois supérieure à celui auquel pouvaient prétendre les enseignants de la voie générale et technologique (jusqu’à 7500 euros bruts par an !).

Une réforme construite avec méthode

J’en appelle à l’objectivité et à un minimum de patience. Même s’il y a une indéniable urgence à agir, ce que nous avons fait, nous ne pouvons pas obtenir des résultats immédiats. Nous pouvons déplorer des fragilités scolaires croissantes, mais nous nous en sommes saisis dès 2017, notamment par le dédoublement des classes à l’école primaire, les vacances apprenantes ou encore les « devoirs faits ». Les premières cohortes ayant bénéficié de ces mesures n’en sont pour la plupart qu’à peine au milieu de leur scolarité et nous ne pouvons encore en mesurer tout le bénéfice.

La voie professionnelle a connu de nombreuses réformes, sur ses modalités pédagogiques notamment. Mais je ne crois pas qu’elle doive se réformer par l’ajout d’une année pour tous, ni d’ailleurs par le changement de son nom. Par exemple, il est déjà possible d’ajouter une année à la réalisation du CAP, mais cette mesure n’est pas plébiscitée par les équipes pédagogiques.

Nous avons aligné la durée du baccalauréat professionnel sur celle du baccalauréat général et technologique. Cet alignement contribue aussi à valoriser le lycée professionnel et en à faire une voie choisie pour les élèves qui s’y engagent.

Afin de mieux valoriser la réussite et l’excellence, j’ai également souhaité corriger l’injustice que vivaient les élèves de CAP, de Brevet professionnel et de Mention Complémentaire en instaurant la possibilité d’attribuer des mentions (AB, B, TB, félicitations) à ces diplômes également.

Nous avons préféré le développement des formations secondaires de spécialisation professionnelle post CAP ou post bac professionnel, certifiantes, d’un an maximum, orientées vers l’emploi avec une vocation « hyper insérante ». Sous statut scolaire avec des stages ou sous statut d’apprenti, mais toujours en alternance. Afin d’approfondir la maîtrise technique et la maturité comportementale de l’élève et de développer l’employabilité de ce dernier par une spécialisation dans un domaine ciblé et insérant de sa filière, cette solution menée en lien avec l’entreprise rencontre un succès certain et ouvre de belles perspectives à ceux qui s’y engagent : la promesse d’obtenir, quoi qu’il arrive, un stage ou un contrat d’apprentissage, de ne pas être laissé au bord de la route à l’issue de la formation et, dans la majorité des cas, d’être directement embauché dans l’entreprise ou chez l’un de ses sous-traitants.

Parce que, plus que le simple allongement de la scolarité qui aurait envoyé un signal négatif aux jeunes de la voie professionnelle, déjà trop souvent, et à tort, stigmatisés, en ramenant le CAP à 3 ans ou le bac professionnel à 4 ans, nous avons préféré sécuriser le parcours de chaque élève, pour lui ouvrir tous les possibles. La réforme que nous avons portée, par ses 12 mesures, apporte des filets de sécurité à chaque élève à tous les niveaux : pendant la formation pour éviter le décrochage ; en fin de formation pour sécuriser son accès à l’emploi ou son entrée dans l’enseignement supérieur et, enfin, après la formation, par des mesures telles qu’ambition emploi pour les élèves (diplômés ou non) sans solution à la rentrée ou la mesure parcours de consolidation pour éviter le décrochage en première année de BTS.

Quant au CAP, je préfère voir un élève mieux accompagné pendant sa formation de deux années, qui lui permettra ensuite de préparer une formation courte de type certificat de spécialisation, ou d’intégrer une première professionnelle pour préparer son bac pro en 2 années, plutôt qu’un élève que l’on contraint dès le départ à préparer un CAP en 3 ans, possibilité déjà offerte aux équipes mais qui n’est souvent pas mobilisée. Rajouter une année à tous sans condition n’amènerait que frustration. Comme l’a indiqué le président de la République, cette réforme est construite avant tout pour réduire les inégalités de naissance et corriger les nombreuses injustices que supportaient les élèves de la voie professionnelle, en préparant trop souvent un diplôme sans garantie d’insertion professionnelle à la clé.

Cette vaste transformation que nous menons n’a pas été conçue et rédigée depuis la rue de Grenelle. Ma méthode a toujours été celle de la co-construction et du dialogue social. Mes équipes et moi nous sommes toujours attachés à écouter et à recevoir toutes les parties prenantes de la réforme, et tout particulièrement les partenaires sociaux, en trouvant de nombreux points d’accord avec certains.

La réforme a été bâtie par le terrain, notamment par des déplacements nombreux dans toute la France, y compris dans les outre-mer. Dès mon arrivée au Gouvernement, j’ai demandé un bilan de la « transformation de la voie professionnelle » initiée par Jean-Michel Blanquer, que j’ai présenté aux quatre groupes de travail chargés de faire des propositions sur la réforme ainsi qu’aux organisations syndicales qui ont accepté l’invitation. Dès mon arrivée, j’ai également animé le dialogue avec la voie professionnelle par des webinaires réguliers avec les chefs d’établissements directement et les responsables des nouveaux bureaux des entreprises. Format qui a depuis été repris par les ministres de l’Éducation nationale successifs pour s’adresser de façon privilégiée aux équipes éducatives et aux chefs d’établissements.

Cette réforme est donc menée avec chacun, à vitesse grand V, grâce à l’appui indispensable de la DGESCO et des régions académiques, et sans que nous ne devions recourir à un examen par le Parlement, de par la nature essentiellement règlementaire des dispositions que nous avons adoptées. Pour autant, de nombreux débats et auditions ont été menés à l’Assemblée nationale comme au Sénat.

Loin d’une réformette ou d’un ravalement cosmétique, le projet que portons, j’en suis convaincue, répond, par son adaptabilité à toutes les spécificités des établissements et à leur environnement, sur la forme comme sur le fond, aux besoins d’une voie à laquelle on n’accorde malheureusement trop peu de considération. Elle gagnerait sans doute à trouver autour d’elle un consensus qui transcende les postures et déclarations inopportunes et qui permette d’en respecter le bon déploiement. Construite avec méthode, dans le dialogue, elle pourra amener chaque année des dizaines de milliers de jeunes vers l’emploi durable.

Envie de contribuer à La Grande Conversation ?
Venez nourrir les débats, contredire les études, partager vos analyses, observations, apporter un éclairage sur la transformation du monde, de la société, sur les innovations sociales et démocratiques en cours ou à venir.

Carole Grandjean