L’auto-promotion au service d’une densification douce

L’auto-promotion au service d’une densification douce
Publié le 29 février 2024
  • urbaniste, secrétaire générale de Villes Vivantes
"Le pavillon fait partie du rêve français" : avec cette déclaration, le Premier ministre Gabriel Attal a mis en lumière la place de l'habitat pavillonnaire dans la politique du logement. Les zones pavillonnaires, longtemps considérées comme un problème plutôt qu'une solution, peuvent contribuer à répondre au manque de foncier disponible pour construire de nouveaux logements. La réponse à la crise du logement pourrait ainsi venir des habitants eux-mêmes, sous la forme de l'auto-promotion.
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Dans un premier article sur le potentiel de la densification pavillonnaire, publié dans La Grande Conversation en mars 2022, je présentais le périurbain des villes françaises comme le gisement foncier clé face aux défis du ZAN et d’une crise du logement dont nous ne connaissions pas encore l’ampleur. Je reviens ici pour préciser et corriger les propositions que j’avais faites, à partir de mon expérience au sein de Villes vivantes qui conçoit et opère, aux côtés de collectivités pionnières1, des projets de densification douce partout en France.

Dans mon article de 2022, forte de mon expérience à la ville de Paris, mon premier réflexe fut de proposer la création d’un nouveau dispositif permettant le développement d’une forme spécifique d’intervention urbaine : la « micro-promotion », que je suggérais d’encadrer par un statut spécifique et d’accompagner par des financements ciblés. Aujourd’hui, cela ne me semble plus être la priorité. Voici pourquoi.

C’est parce que je suis plus que jamais convaincue que le « petit propriétaire de banlieue » peut contribuer à résoudre la crise du logement et, plus largement, que chaque ménage propriétaire d’une maison en France détient une part de la solution, que je pense qu’une autre approche est nécessaire. Dans la perspective de faire des particuliers les acteurs de production de la ville de demain, nous devons changer le paradigme de nos politiques du logement et les considérer, désormais, comme des partenaires clés.

Parmi les premiers apprentissages de terrain : la densification douce que je prônais dans ma première note, existe déjà, et de façon massive, mais en auto-promotion bien plus qu’en micro-promotion. De ma proposition initiale, je garde donc la certitude que c’est à cette échelle du particulier que nous pouvons charger la donne. Ce que je ne savais pas encore, c’était que cette option pour produire du logement abordable, dont j’avais estimé le potentiel à l’aide de calculs théoriques, était, en réalité, prête à passer à l’échelle après 10 ans de recherche et développement. Des milliers d’opérations pilotes ont été conçues et accompagnées partout en France2, des territoires ruraux aux secteurs les plus recherchés, une maison à la fois, grâce à de nouveaux métiers, de nouveaux outils et une nouvelle filière d’accompagnement de l’auto-promotion.

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Il serait donc trop restrictif de parler uniquement de densification pavillonnaire. C’est l’ensemble des espaces résidentiels qui pourraient gagner à faire l’objet d’une politique de « densification douce », terme que je préfère désormais utiliser, et récemment remis au cœur du débat public à l’occasion des annonces du Premier Ministre.

Ces annonces résonnent avec les témoignages qui nous sont parvenus du monde entier, en janvier dernier, lors du colloque Organic Cities3. Des dizaines de chercheurs et professionnels sont venus construire l’état de l’art des méthodes de production dites « bottom-up » de la ville intense, avec des retours d’expérience de Tokyo à Jakarta, en passant par Toronto ou la côte Ouest des Etats-Unis. Les principes même de l’intensité et de la densification ont été interrogés et évalués à l’aune d’études quantitatives nouvelles. Les habitants peuvent devenir des opérateurs essentiels d’une production de logements abordable et vertueuse, s’ils sont accompagnés par des outils innovants et des règlements adaptés.

De la crise aux drames ?

Nous voici pris dans une crise plus aiguë que jamais avec 330 000 personnes sans abri, chiffre qui a doublé en 10 ans4, des milliers d’étudiants ayant commencé l’année universitaire au camping et des travailleurs salariés étant réduits à dormir dans leur voiture face à des chiffres de production au plus bas. Et ce alors même que l’emprise foncière du logement n’a cessé de croître ces dernières décennies avec l’étalement urbain au détriment des espaces naturels, agricoles ou forestiers, et donc du climat et de la biodiversité.

Exacerbée par la hausse des taux directeurs de la Banque Centrale Européenne en 2023, associée à une hausse des prix de la construction et des matériaux, à la suite de la guerre en Ukraine et de la forte réduction des dispositifs incitatifs comme le Pinel et le PTZ, la crise s’installe durablement. À tel point que la FFB, l’USH, la FNAIM, la FPI, le Pôle Habitat FFB, PROCIVIS, l’UNIS, l’UNNE, l’UNSFA et l’UNTEC en sont venus, en septembre dernier, à lancer l’Alliance pour le logement afin de poursuivre une démarche commune défendant une politique du logement ambitieuse.

La situation est d’autant plus grave que, si on le considère à la fois comme une politique et un service rendu à la population, le logement doit être compris comme un flux et non un stock. Il n’existe pas de « stock de logements » conçu comme une quantité inaltérable qu’il s’agirait uniquement de compléter car, chaque année, l’habitat se dégrade, évolue, n’est plus adapté, n’est plus situé au bon endroit au regard des évolutions de vie de chacun et des dynamiques territoriales. Nous ne pourrons pas faire autrement que de maintenir un effort constant pour sa réhabilitation, sa rénovation, sa construction afin d’assurer le maintien d’une offre suffisante pour que le logement ne devienne pas le premier facteur d’exclusion de la société.

Les effets de cette crise auront des impacts au long cours : d’un point de vue social, car, chaque année, des parcours résidentiels sont fracturés, affectant la vie professionnelle, familiale et intime, mais aussi du point de vue des savoir-faire et de l’économie française car, chaque mois, des entreprises disparaissent et avec elles, des compétences.

Quel modèle opérationnel pour réaliser le potentiel de densification douce ?

Une première idée qui peut venir à l’esprit, lorsque l’on envisage la possibilité de densifier les quartiers d’habitat individuel existant, c’est de raser une dizaine de maisons pour les remplacer par de l’habitat collectif produit en promotion avec, peut-être, un usage plus rationnel du foncier et une emprise au sol moins importante. Mais, outre le fait que les attentes des Français ne portent pas essentiellement sur l’habitat collectif, bien qu’il soit possible de produire de l’habitat collectif qui propose un grand nombre des caractéristiques recherchées dans l’habitat individuel (notamment l’espace extérieur privatif), ce scénario est impossible dans la pratique pour deux raisons. Premièrement en termes d’acceptabilité sociale : il est plus délicat à présenter aux riverains que celui de la densification douce, qui conserve une forme d’habitat peu dense, à échelle humaine, presque villageoise. Ensuite, du point de vue du modèle économique : en dehors de quelques points très particuliers, autour de certaines gares du Grand Paris par exemple, acheter et raser 10 maisons pour en faire le terrain d’une opération de promotion fait peser une charge foncière trop élevée sur le bilan de la future opération. Une telle substitution n’est économiquement viable qu’en autorisant des hauteurs élevées, c’est-à-dire dans certains secteurs spécifiques du territoire.

Une deuxième option consiste à faire évoluer la densité des tissus de maisons individuelles par l’intervention de marchands de bien. Ces professionnels procèdent en complétant et en restructurant un bien immobilier dont la configuration et le potentiel permettent la création d’une poignée de logements (moins d’une dizaine, en général), ce qui serait possible en fusionnant 2 à 3 parcelles mitoyennes. Dans certains secteurs, notamment en Ile-de-France, certains se transforment en marchands de sommeil et procèdent à des subdivisions de grandes maisons pour créer plusieurs logements de fortune, outrepassant les règles au mépris de la sécurité des personnes. Dans d’autres territoires au contraire, ce sont ces petits opérateurs qui ont eu, ces dernières décennies, une action déterminante pour la rénovation et l’adaptation de l’offre de logements dans les centres bourgs des villages, avec en particulier la remise sur le marché de biens laissés vacants. Ces petites opérations, réalisées par des professionnels qui mêlent le neuf et l’ancien, nécessitent généralement des opportunités présentant un potentiel d’au moins 4 à 5 logements pour être viables. Dans la plupart des cas cependant, une maison individuelle construite sur un terrain de taille moyenne, ne rentre pas dans la catégorie d’action de ces opérateurs : il est envisageable d’y ajouter, la plupart du temps, 1, voire 2 ou 3 logements supplémentaires, mais rarement plus.

Dans l’article que j’ai publié en avril 2022, je suggérais une troisième option : pour aider à mobiliser ce potentiel foncier constitué de petites parcelles, je proposais de créer un statut de « micro-promoteur » sur le modèle du micro-entreprenariat afin de faciliter, pour un particulier, la production de nouveaux logements sur une parcelle dont il est déjà le propriétaire. L’idée d’un tel statut était de faciliter ses démarches et de cibler quelques exceptions, qui pourraient lui être appliquées du fait de son statut de non-professionnel, sous condition de recourir à des professionnels agréés. Je proposais également la création d’un accompagnement financier supplémentaire, sous condition de ressources ou selon des critères de localisation et de performance énergétique des logements produits.

A l’aune de mes premiers mois d’expérience, sur le terrain, en accompagnement des habitants et des collectivités dans leurs projets de densification douce, je pense toutefois que ces deux propositions ne sont pas les bonnes aujourd’hui. Car tout dispositif public offrant un avantage financier à des porteurs de projets privés pose une double question : d’une part la question du circuit d’instruction et de délivrance de l’avantage (qui informe ? quelles sont les pièces demandées ? les « cliquets » administratifs de déclenchement et de versement ?), et d’autre part la question du contrôle du bon respect des conditions de l’avantage.

Le dispositif Mon Accompagnateur Rénov’, déployé ces derniers mois en France sur la question de la rénovation énergétique, illustre les nombreuses difficultés générées par la création d’un avantage massif associé à un acte simple : la rénovation énergétique d’une résidence principale en propriété occupante ou locative. A des fins d’instruction, d’accompagnement technico-administratif, et de contrôle, elle a nécessité le recrutement de centaines d’intervenants (Mon Accompagnateur Rénov’), en quantité suffisante pour se déployer équitablement sur le territoire. Dans la perspective de ce recrutement, ont dû être élaborés un cahier des charges, un processus d’agrément, des modalités de rémunération, un protocole d’accueil et d’orientation du public, ainsi qu’un guide d’interaction entre ces intervenants et les autres acteurs publics œuvrant dans le même champ. Se pose à présent la question du contrôle des intervenants eux-mêmes, alors que nombre d’entre eux sont liés à des entreprises dont ils sont en situation d’être prescripteurs des services…

A partir de l’idée simple qui consistait à aider certains types de projet, nous avons créé un édifice technocratique et mobilisé des coûts et déployé des compétences humaines centrées sur le système d’aide. Le niveau de service apporté aux porteurs de projets, et le niveau de qualité de ces projets (en dehors de la performance thermique), semblent être les grands perdants. Au-delà du fonctionnement des aides, c’est l’ensemble des instances ayant trait à l’habitat (DDT, Services Habitat des Départements, des EPCI, ADIL, France Rénov’) qui sont aujourd’hui submergées d’appels de particuliers demandant « à quoi ils ont droit ».

Il est difficile d’imaginer une telle logique pour promouvoir la création de logements en densification douce si l’on souhaite diriger l’investissement public vers un accompagnement sur mesure et de qualité, c’est-à-dire centré sur le processus de projet, notamment parce que mettre l’accent sur l’éligibilité à une aide et sur l’instruction de l’accès à l’aide, c’est finalement, accompagner des particuliers qui ont déjà un projet (pas de projet = pas d’éligibilité). Or en matière de densification douce, l’expérience montre que l’intérêt de la collectivité est d’orienter l’énergie d’accompagnement en direction de projets encore en gestation, ou qui n’ont pas encore tout à fait germé dans l’esprit des particuliers, pour créer l’offre supplémentaire attendue.

S’il peut être utile de faciliter et d’accompagner le déploiement de la densification douce dans les années à venir, via la facilitation d’accès aux financements et l’exonération de certaines contraintes règlementaires et fiscales, l’urgence, face à la crise, est de passer à l’échelle une méthode de production de logement dont le modèle a fait ses preuves.

Aider les habitants auto-promoteurs et les professionnels à changer la donne

La dernière option est celle de l’accompagnement des projets dont les maîtres d’ouvrage demeureront les particuliers eux-mêmes, qui recourront à des professionnels de la maîtrise d’œuvre pour faire bâtir. En un mot : accompagner la filière de l’autopromotion qui existe déjà, et qui est capable d’opérer à l’unité, maison par maison, par l’ajout d’un logement à la fois, et la remobiliser pour opérer en densification douce et non plus en étalement urbain.

L’autopromotion est la filière courte de la production de logement en France depuis plusieurs décennies : un particulier achète un terrain ou fait usage d’un terrain qu’il possède déjà, puis choisit un maître d’œuvre, un architecte ou un constructeur pour faire bâtir un logement dont il sera le futur occupant ou qu’il pourra mettre en location. Cette filière se distingue de la filière de la promotion et de celle du marchand de bien dans la mesure où l’habitant, futur occupant ou bailleur du logement, ne délègue pas le travail de maîtrise d’ouvrage à un acteur professionnel. Il fait bâtir pour son propre usage, selon un programme qu’il a lui-même défini. Cette filière de l’autopromotion a produit, ces dernières décennies en France, entre un tiers et la moitié de la production annuelle de logements, avec deux caractéristiques. Cette production s’est d’abord faite essentiellement en étalement urbain, en diffus et en lotissement. Elle a ensuite produit du logement abordable pour les classes moyennes françaises : les coûts de production, à localisation comparable, sont de 500€ à 1000€/m2 inférieurs à ceux de la promotion5, les particuliers assurant le travail de maîtrise d’ouvrage du projet. A ces économies substantielles, s’ajoutent parfois celles de l’auto-construction partielle, notamment pour les travaux de finition, ce qui permet, là encore, de réduire les coûts.

La densification douce qui présente aujourd’hui le potentiel de déploiement le plus prometteur, consiste à remobiliser cette filière en densification des quartiers existants, en bâtissant sur des terrains issus du partage de parcelles déjà bâties, tout en conservant le modèle économique abordable de l’autopromotion qui permet de produire à l’unité, et de façon sur mesure. C’est pour réussir cette remobilisation de la filière de l’autopromotion à l’échelle des besoins en logements abordables de la France, qu’il est nécessaire d’accompagner. Et c’est cet accompagnement qui a fait l’objet de travaux de recherche et développement conduits avec succès, depuis un peu plus d’une dizaine d’années maintenant, par les équipes de Villes Vivantes et un ensemble de collectivités pionnières.

Comment le gouvernement peut-il aider la densification douce à passer à l’échelle ? Force est de constater, tout d’abord, qu’il n’est pas aisé de concevoir des politiques publiques dont l’opérateur final est le particulier. L’administration peine à penser, et donc à favoriser, le miniaturisable, l’individualisable. Les petites parcelles sur lesquelles sont construites une maison pourront être harmonieusement densifiées grâce une conception sur mesure qui s’oppose, par définition, aux « normes », « critères » et « conditions » définis a priori, avec lesquels nous avons pris l’habitude de construire nos politiques publiques de soutien. Or les projets de densification douce en gestation sont d’ores et déjà confrontés aux normes environnementales, au code de la construction, aux règles des plans locaux d’urbanisme, aux plans de prévention des risques, aux avis des ABF, au code civil, etc., censés garantir leur qualité et leur compatibilité avec l’intérêt général.

Convenons qu’en 2024, dans la situation critique que nous connaissons dans nombre de territoires qui sont, littéralement, en pénurie de logement, avec des taux d’intérêt nominaux proches de 4%, des coûts de construction très élevés et des normes de construction ambitieuses, produire un logement supplémentaire, avec un jardin, dans un territoire qui en a le besoin, en respectant l’ensemble des règlements en vigueur, est une prouesse et une bonne chose en soi.

La première chose à faire, pour aider les habitants auto-promoteurs et les professionnels qui les accompagnent à changer la donne, c’est de ne pas ajouter de complexité à la complexité existante : pas de nouveaux critères, pas de nouvelles conditions, pas de nouveau statut, pas de nouveau dispositif.

La seconde pourrait être de contrôler de façon plus précise les règlements des Plans Locaux d’Urbanisme qui subissent d’immenses pressions des riverains et qui sont de moins en moins ouverts aux possibilités de construire en densification, malgré l’objectif du Zéro Artificialisation Nette (ZAN) promulgué et décliné dans chaque territoire : de plus en plus, la densification douce est tout simplement interdite. Il faut prendre conscience de son rôle et l’autoriser massivement.

La troisième pourrait consister à permettre aux petits projets d’autopromotion (ajout d’un logement supplémentaire sur une parcelle déjà bâtie) de déroger à certaines règles trop contraignantes du Plan Local d’Urbanisme : stationnement, emprise au sol dans le cas des petites parcelles, accès, possibilités d’implantation en limite séparative et à l’alignement de la voie.

La quatrième pourrait consister à ajuster, alléger certaines procédures d’autorisation d’urbanisme dans le cas des projets d’ajout d’un logement supplémentaire sur un terrain déjà bâti.

La cinquième, enfin, et peut-être la plus fondamentale, consiste à redonner un élan positif en faveur de la densification douce. Cela pourrait passer par une révision de la fiscalité locale en faveur des maires intensificateurs, afin de leur donner les moyens de mieux équiper et aménager leur territoire et donc d’accueillir les nouveaux arrivants dans de bonnes conditions, en améliorant la qualité de vie. C’est-à-dire, soutenir ceux qui sauront voir la densification (douce) comme une option à activer pour mieux loger leurs habitants.

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