PISA 2022 : derrière l’arbre, la forêt

PISA 2022 : derrière l’arbre, la forêt
Publié le 8 décembre 2023
Loin de se réduire à un « classement », l’enquête PISA sur les performances scolaires fournit une série d’éclairages comparatifs sur les apprentissages et les besoins des élèves. Au-delà des chiffres indiquant les résultats en maths, en sciences et en compréhension de l’écrit, d’autres indicateurs, parfois beaucoup plus éloquents, doivent retenir notre attention.
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La moisson 2022 de données internationales sur le suivi des acquis des élèves (appelé PISA) ne permet pas seulement cette année de comparer la France aux autres pays de l’OCDE. Elle permet aussi d’observer comment notre système éducatif a réagi au choc du Covid-19 qui a contraint à fermer les établissements scolaires de longues semaines, moins longtemps en France cependant que dans la moyenne des autres pays, ce qui était d’ailleurs la stratégie affichée par le ministre Jean-Michel Blanquer. Les élèves de 15 ans qui ont rempli le questionnaire en 2022 étaient en effet au collège pendant les confinements. Et leur expérience montre que les points faibles du système, en situation critique, ne font que s’amplifier.

Comme des parents pressés qui regardent rapidement la moyenne de maths sur le bulletin de leur enfant, les médias ne retiennent le plus souvent de cette enquête internationale que les performances moyennes des élèves français de 15 ans en mathématiques, compréhension de l’écrit et en sciences pour constater que le décrochage français se poursuit. Mais Pisa ne fait pas que donner cette indication qu’on peut d’ailleurs relativiser en constatant que nous restons proches de la moyenne, et que tous les pays ont subi les effets négatifs de la crise sanitaire. Il faut néanmoins noter une contre-performance française puisque la France fait partie des pays qui ont fermé les établissements le moins longtemps mais où les résultats en mathématiques ont quand même baissé alors qu’on observe une meilleure performance en mathématiques dans les pays où les établissements ont fermé le moins longtemps (Taiwan, Japon, Corée, Suède, Suisse, Islande). Le questionnaire adressé aux élèves comme aux chefs d’établissement fournit beaucoup d’autres indications, certaines éclairant plus précisément nos difficultés dans des domaines où il ne s’agit pas d’observer des petits écarts à la moyenne mais des tendances françaises très atypiques parmi les autres pays enquêtés.

Première singularité française : une crise du recrutement qui s’est brutalement aggravée depuis 2018. Interrogés en même temps que les élèves, les chefs d’établissement français indiquent être confrontés à un manque de personnel. La France est le pays de l’OCDE qui présente la plus forte hausse ce cette difficulté : +50% contre +21% en moyenne dans l’OCDE. Résultat : en 2022, 67% des élèves français étaient scolarisés dans des établissements confronté à un manque de profs. Manque d’heures et d’encadrement pour les élèves, recrutement de non-titulaires, difficulté à stabiliser des équipes enseignantes dans les établissements difficiles… autant de handicaps qui, dans les années qui viennent, ne peuvent qu’amplifier des faiblesses plus structurelles.

Parmi ces faiblesses, l’anxiété ressentie par les élèves devant une forte pression scolaire. La période des confinements n’a rien arrangé sur ce plan. Là encore, la France est loin des moyennes européennes. Un élève français sur cinq seulement a bénéficié d’un soutien quotidien sous la forme de cours vidéo pendant les fermetures d’établissement, ce qui est deux fois moins que la moyenne de l’OCDE. Et seulement un sur dix a été interrogé quotidiennement par une personne de son établissement pour savoir comment il allait.

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Plus inquiétant encore : la faiblesse du suivi dans la crise n’est que le symptôme d’un profond manque de soutien aux élèves de la part des enseignants, qui est déjà une caractéristique au long cours du système français par rapport aux autres. Ainsi, à nouveau, et hors période de crise, nous sommes dans les scores les plus faibles quand on demande aux élèves s’ils reçoivent de leurs enseignants soutien et explications supplémentaires quand ils en ont besoin. « En France, seuls 52% des élèves déclarent que leurs enseignants semblent s’intéresser aux progrès de chaque élève à la plupart des cours de mathématiques (moyenne OCDE : 63 %) ». L’échec scolaire ne s’explique pas par le manque d’autorité mais par le manque d’attention.

Le besoin d’accompagnement des élèves confrontés aux difficultés de l’apprentissage est illustré par un autre indicateur présenté dans PISA, appelé « growth mindset » (qu’on pourrait traduire « état d’esprit dynamique » plutôt que « mentalité de croissance » comme le fait l’OCDE) qui interroge les élèves sur l’idée que leur intelligence n’est pas une donnée statique, mais une capacité dynamique susceptible de progresser : 46% seulement des élèves français pensent qu’ils peuvent progresser, contre une moyenne de 58% dans l’OCDE. Cet indicateur donne une idée du sentiment de fatalisme scolaire qui caractérise particulièrement les élèves français. Un sentiment qui trahit aussi la perception du poids de l’origine sociale sur les résultats scolaires, lequel apparaît spécialement marqué dans notre système par rapport aux autres pays : « la France est toujours l’un des pays de l’OCDE où le lien entre le statut socio-économique des élèves et la performance qu’ils obtiennent à PISA est le plus fort ».

A côté du sentiment d’être peu soutenus, les élèves français expriment aussi un désarroi particulier devant le climat scolaire et les problèmes de discipline dans leur classe. Un élève français sur deux déclare qu’il y a des bruits et du désordre dans la plupart des cours ou dans tous les cours, et que cela perturbe les temps d’apprentissage – là où le chiffre moyen des autres pays est très sensiblement inférieur à 30%. Faute de pouvoir s’exprimer dans le cadre pédagogique, les élèves s’expriment par le chahut.

C’est à la lumière de ces données qu’il faudra évaluer la pertinence de la réponse par « groupes de niveaux » avancée par le ministre de l’Education nationale. La recherche internationale, à nouveau confirmée par les résultats de PISA 2022, établit que le recours à des groupes de niveaux peut se révéler bénéfique pour les élèves s’ils visent des remédiations spécifiques et s’ils sont évolutifs et temporaires. En revanche, ils produisent du découragement et de la démobilisation s’ils conduisent à répartir les élèves dans des classes pour toutes les matières en fonction de leur niveau avec un risque de stigmatisation. Mais, en tout état de cause, c’est le type de relation de travail établi au sein de ces groupes qui fera la différence. Autrement dit, les groupes de niveaux n’ont de sens que s’ils sont soutenus par une vraie culture de l’attention et de la remédiation : pilotés d’en haut comme une énième réforme administrative, ils sont au mieux sans effet, au pire contre-productifs. Sans amélioration des méthodes, en particulier dans la capacité à prendre en compte les besoins des élèves et à y répondre, le risque est réel d’abaisser les exigences dans les groupes les plus faibles et par conséquent d’accentuer encore les écarts, qui sont déjà trop importants, entre les d’élèves en difficulté et ceux qui réussissent.

Les chiffres de PISA permettent d’identifier des leviers d’action efficaces mis en place chez nos voisins pour remédier aux difficultés. Une précédente enquête plus spécifiquement consacrée aux enseignants (TALIS) a ainsi mis en évidence les effets bénéfiques de la formation continue des enseignants sur les performances des élèves. Or, celle-ci est faible en volume et peu adaptée aux attentes des enseignants en France. Un enseignant sur trois a participé à une formation d’après l’enquête TALIS de 2018, contre un sur deux dans les autres pays. Alors qu’ils sont plus de neuf sur dix (93%) à dire avoir besoin d’une formation d’après une enquête BVA pour le réseau Canopé en octobre 2023. Cette formation doit en outre changer profondément de nature et ne plus être conçue comme un exercice individuel mais développer à très large échelle les partages de pratiques, le travail en commun et le soutien mutuel. Comme le souligne le mathématicien Charles Torossian, co-auteur avec Cédric Villani du rapport sur l’enseignement des mathématiques (en 2018), la formation permanente doit passer par des formes de collaboration entre les enseignants : « C’est ce qui nous manque en France. A Singapour, la collaboration est permanente. A Valence, en Espagne, un professeur certifié de mathématiques a sept heures dans l’établissement pour gérer le rapport avec les parents, la collaboration et la préparation des cours avec ses collègues. Ça change tout ».  Enseigner est un sport collectif, et non pas individuel.

Les enseignements de cette vague PISA indiquent dans quelles directions un diagnostic partagé des difficultés de l’école française pourrait s’orienter. La comparaison internationale ne sert pas à établir un classement dans une course de vitesse, pas plus qu’elle ne doit favoriser une étrange joie mauvaise devant nos difficultés. Les réformes d’organisation, touchant aux programmes, aux manuels scolaires, aux épreuves etc. ne changent rien tant qu’elles n’incitent pas à transformer ce qui fait le cœur du métier lui-même : la relation d’enseignement. Or, c’est précisément sur cet aspect transversal de l’exercice de leur métier que les enseignants expriment leur plus grande appétence à se former. Mais pour développer une réponse massive à la hauteur des difficultés, la formation continue doit se transformer en un « développement professionnel continu » privilégiant les échanges entre pairs, le travail collaboratif et une stratégie collective à l’échelle des établissements, comme nous l’avons expliqué dans notre récent rapport, co-publié avec l’association Ecolhuma, plaidant pour un passage de la formation continue au « développement professionnel continu »

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Marc-Olivier Padis