Le gouvernement a adressé au Parlement son projet de loi sur la fin de vie, comprenant un volet sur le développement des soins palliatifs et un autre instaurant une aide à mourir pour les patients atteints d’une maladie incurable qui la demandent. L’Assemble nationale a créé une commission spéciale pour examiner ce texte. Après une séquence d’auditions, elle entame le 13 mai la discussion sur les amendements en vue d’un débat en séance publique à compter du 27 mai. L’ancienne ministre de la Santé Marisol Touraine, qui a porté la dernière avancée législative sur la fin de la vie avec la loi Claeys-Leonetti en 2016, a été auditionnée le 30 avril par cette commission. Ce texte reprend les positions qu’elle y a exprimées.
Je suis depuis longtemps favorable à l’adoption d’une loi pour une aide active à mourir. Comme beaucoup, j’ai été confrontée, à plusieurs reprises, à des situations douloureuses concernant des très proches, mais je ne suis pour autant pas une militante de cette cause : je n’appartiens à aucune association et je considère qu’il n’y a pas d’un côté la lumière et de l’autre les ténèbres ; qu’il y a place pour un débat respectueux, nuancé, pondéré. C’est en tout cas ce que nous devons collectivement aux personnes malades.
Le débat parlementaire est l’aboutissement d’un long processus de consultations et de mobilisation, dont le rapport du Comité Consultatif National d’Ethique d’abord, la Convention Citoyenne ensuite, ont été les temps marquants. Quelle que soit leur force – et la Convention citoyenne a indiscutablement représenté un exercice démocratique remarquable – ils préparent le débat parlementaire sans se substituer à lui. Il appartient désormais au Parlement de dire et d’écrire la loi, tout en ayant à l’esprit les attentes vibrantes des citoyens qui se sont engagés. L’exercice démocratique est nouveau, il se doit d’être novateur, à la hauteur des débats respectueux et réfléchis qui ont précédé la discussion parlementaire.
Une demande pour soi
L’ouverture de cette nouvelle liberté (ou de ce nouveau droit1) répond dans son principe, selon moi, à l’aspiration exprimée par nos concitoyens à rester maîtres de leur vie jusqu’au bout, c’est-à-dire jusqu’à leur mort. La loi actuelle, votée en 2016, ne permet pas de répondre à l’ensemble des situations et en particulier elle ne prend pas en charge la souffrance de ceux dont la mort annoncée se situe au-delà d’un terme proche, très proche même. L’aide à mourir ne doit évidemment pas se concevoir comme la réponse à une norme sociale intériorisée par les individus, comme dans la Grèce Antique par exemple ou dans d’autres civilisations, mais bien comme l’expression d’un mouvement d’émancipation, la prise en considération de la volonté de la personne. C’est une évolution à laquelle nous sommes collectivement confrontés et que nous devons regarder en face. Il n’appartient plus à la société de nous dire comment nous devons vivre, ou mourir, mais d’aider chacun de nous à vivre et à mourir le mieux possible, selon sa vision de la vie, sa recherche de dignité, ses aspirations philosophiques. Nous avons vu, en quelques décennies à peine, se transformer profondément notre conception de l’ordre social. Il était inévitable que le rapport à la vie, à sa fin, à la mort, soient à leur tour l’objet de questionnements et que les schémas classiques, hérités d’une culture ancienne, soient bousculés. En ce sens, l’aide à mourir est bien l’expression d’une fraternité et d’une solidarité, contrairement à ce que disent ceux qui n’y voient qu’individualisme et égoïsme.
Je n’oppose pas pour ma part les soins palliatifs, indispensables, et le droit à bénéficier d’une aide à mourir : je suis convaincue que savoir ce droit accessible rassure. Pour autant, si la volonté de pouvoir choisir les conditions de sa mort renvoie sans doute pour une part à la peur de souffrir et à l’angoisse de mourir, il y a aussi des personnes malades qui, bénéficiant de soins palliatifs, préfèrent, malgré tout, mourir que mal vivre. Cette volonté de décider de sa mort comme ultime étape de sa vie n’est pas réductible à la peur de mal mourir et doit selon moi être entendue pour ce qu’elle est. Sauf à accepter des inégalités choquantes, c’est-à-dire que ceux qui en ont les moyens aillent mourir à l’étranger, tandis que d’autres seraient contraints de mal mourir ici.
La vivacité des réactions parfois entendues souligne que se joue dans l’accompagnement des malades en fin de vie bien plus qu’une aide et un soutien. Chacun projette son histoire, ses convictions, dans certains cas ses croyances. Et tout cela est à la fois normal, légitime et bénéfique, dès lors que personne ne cherche à imposer ses convictions à tous. Or c’est là le paradoxe : l’aide à mourir est proposée comme un nouveau droit, une nouvelle liberté, certainement ni comme une obligation ni même comme une nouvelle référence de vie. Or les inquiétudes qui s’expriment le sont toutes pour refuser à ceux qui le souhaitent d’être aidés, au nom de ceux qui souhaitent un accompagnement autre, différent. Or l’aide à mourir ne retirerait rien à personne, elle ouvrirait une nouvelle liberté sans restreindre en rien celle des autres. C’est une demande pour soi, un droit pour soi qui n’impose rien à qui que ce soit d’autre.
Aller plus loin qu’en 2016
Cette position était déjà la mienne lors de l’adoption de la loi Claeys-Leonetti de 2016, même si j’ai évidemment, comme ministre au banc pendant les débats parlementaires, respecté les arbitrages qui avaient été rendus. Beaucoup connaissaient mes convictions et savaient combien il m’a été pénible d’argumenter contre les amendements qui proposaient l’aide active à mourir et qui correspondaient à ce qui me semblait juste. J’étais cependant convaincue que l’on n’avance pas sur un tel sujet à la faveur d’un amendement. La discussion était intervenue au terme, déjà, d’un long processus politique qui avait mobilisé de nombreuses instances dont, en 2012, une commission présidentielle présidée par le Pr Sicard, des débats régionaux et, déjà, une conférence citoyenne portée par le CCNE en 2013. Je n’ai pas caché que si ce texte était porteur d’avancées pour les malades, celles-ci me paraissaient insuffisantes pour répondre aux attentes clairement exprimées par les Français. Je constate que ceux qui à l’époque se sont opposés, parfois avec virulence, à cette nouvelle loi et appelaient à s’en tenir à la loi de 2005 sont les mêmes qui aujourd’hui, pour refuser toute évolution, appellent à s’en tenir à la loi Claeys-Leonetti qu’ils parent désormais de toutes les vertus. Or cette loi ne répondait que très partiellement aux demandes des Français, et le résultat est qu’elle a été peu et mal appliquée. Elle ouvrait un nouveau droit pour la fin de vie : la sédation profonde et continue jusqu’au décès pour les patients dont le pronostic vital est engagé à court terme, soit quelques heures ou quelques jours, Plusieurs raisons expliquent que cette sédation est en réalité peu pratiquée aujourd’hui. D’abord, les médecins s’en sont peu emparés parce qu’au fond, pour beaucoup d’entre eux, ils pratiquaient déjà, lorsqu’il le fallait, ce geste ultime de sollicitude à la toute fin de la vie. Le texte ouvrait également un droit pour le patient de demander cette sédation. Mais sur ce point il y a eu une ambiguïté, non dans le texte, mais dans le débat parlementaire, voulue selon moi par les opposants à cette loi : ils ont fait valoir que les patients allaient pouvoir renoncer aux traitements, y compris à l’alimentation artificielle, dans le but de pouvoir bénéficier de cette sédation, et en prenant le risque donc de mourir de faim et de soif : cette image angoissante a occupé les débats et n’a pas manqué de polariser les imaginaires et les positions sur la sédation.
Au-delà des principes, ce qui compte c’est le texte de la loi. Et je voudrais me concentrer sur trois observations rapides en ce qui concerne le projet déposé à l’Assemblée Nationale.
Un nouveau droit
Contrairement à ce qu’affirment certains responsables gouvernementaux, ce projet de loi ouvre bien un nouveau droit. Affirmer que le texte ne constitue ni un nouveau droit ni une liberté mais « une réponse éthique au besoin d’accompagnement des malades »2 ne correspond ni à la réalité du texte ni, d’ailleurs, à l’intérêt du Gouvernement – cela me laisse donc perplexe. C’est parce qu’il ouvre un droit nouveau qu’il marque une avancée réelle. Si ce n’était pas le cas, on se demande d’ailleurs pourquoi il faudrait légiférer ! Je ne sous-estime pas la portée symbolique des mots : parler d’aide à mourir ou d’aide active à mourir, me convient donc bien, même si j’avoue avoir d’abord hésité : cela permet de mettre l’accent sur la démarche de l’aide au patient, ce qui est par essence positif et l’expression d’une solidarité. Mais il faut savoir reconnaître ce que cette aide est et ce qu’elle n’est pas, dire que ces mots renvoient à l’assistance au suicide, qui peut aller jusqu’à impliquer un acte hétéro-administré, c’est-à-dire d’euthanasie. Celle-ci est exclusivement conçue comme un prolongement de l’assistance au suicide : c’est une limitation qui ne me gêne pas. Forger de nouveaux mots, c’est très bien ; feindre d’ignorer leur portée et euphémiser leur force de transformation, c’est à la fois étrange politiquement et regrettable, car nos concitoyens attendent un langage de clarté, qui seul peut engager l’ensemble de la communauté nationale. Les Français veulent savoir ce qu’ils pourront demander et ce qui leur restera refusé, c’est une exigence démocratique. Mon premier espoir est donc que, sans changer les mots utilisés, le débat parlementaire permette d’en fixer clairement la portée.
Un cadre effectif pour les patients
Si la loi ouvre un nouveau droit, elle doit bien sûr poser le cadre de référence dans lequel ce droit va pouvoir s’exercer3. D’abord, la loi doit garantir l’effectivité de ce droit – il me semble qu’elle s’y attache en posant notamment l’obligation pour le médecin qui ferait jouer la clause de conscience d’adresser le malade vers un(e) professionnel(le) qui accepte d’aider des malades à mourir. Elle doit ensuite garantir que la volonté du malade soit respectée, et elle seule. Ce point est évidemment fondamental pour éviter d’éventuelles dérives. Les modalités de ces garanties peuvent se discuter, mais il est fondamental de s’assurer de la volonté de la personne de mourir et que cette volonté soit respectée.
A cet égard je regrette la disparition du rôle des directives anticipées. Certains s’interrogent à juste titre sur le cas particulier où un patient, après avoir exprimé une demande d’être aidé à mourir, perdrait ses compétences cognitives au cours du processus, au point de ne pouvoir réitérer l’expression de cette volonté jusqu’au bout. La procédure d’aide à mourir serait-elle interrompue en pareil cas ? Selon les termes actuels du projet de loi, oui, ce qui est d’une grande violence potentielle pour les malades. Les directives anticipées pourraient au contraire permettre de garantir le respect de la volonté si malheureusement la personne ne pouvait pas ou plus le faire au moment ultime, alors que le processus a été engagé. Il me semble souhaitable de prendre en compte ces situations-là, puisqu’elles renvoient à des cas qui ne devraient soulever aucune difficulté, le malade ayant exprimé sa volonté et ayant depuis sombré dans une situation d’inconscience.
« Moyen terme » : une précision qui n’a pas lieu d’être
En revanche, et c’est ma troisième observation, il ne faut pas attendre de la loi qu’elle règle comme du papier à musique l’ensemble des questions concrètes et des questions éthiques. La loi fixe un cadre principiel, mais la singularité de chaque cas doit relever de ce que le Conseil d’Etat a appelé la sagesse pratique 4. Et cette sagesse pratique se construit dans le dialogue avec son médecin si possible, ou à défaut avec un médecin, et l’équipe soignante (les médecins ne sont pas les seuls impliqués). Il faut faire confiance à ce dialogue singulier. A cet égard je suis perplexe devant la précision que seuls pourront bénéficier de l’aide à mourir ceux dont le « pronostic vital est engagé à court ou moyen terme ». Je ne me place pas sur le terrain médical et de la difficulté qu’il y a à établir ce pronostic, même si c’est un point important. Il me paraît souhaitable de ne pas avoir une définition tranchée du délai d’imminence du décès, précisément pour que puisse s’exercer pleinement la relation de confiance entre le malade et le médecin. Je ne veux pas suggérer d’élargir à l’extrême le champ d’application de la loi, mais de le rendre souple, flexible : pourquoi une référence au terme prévisible de la vie serait-elle nécessaire ? Il me semble que l’engagement du pronostic vital, couplé à des souffrances réfractaires et insupportables, est une condition forte, nécessaire et suffisante. Il faut absolument éviter que l’appréciation du temps restant à vivre devienne un décompte macabre ou, pire encore, un outil de pression, un enjeu qui devienne le centre de l’attention alors que celui-ci doit rester, jusqu’au bout, le malade, sa volonté, sa dignité. De même, il me semble nécessaire de s’assurer que la volonté de ne pas souffrir, de ne pas se dégrader, dans un avenir indéterminé, soit bien assimilée à une souffrance psychologique liée à la maladie et prise en compte comme telle – car sinon l’objectif de la loi ne serait que partiellement atteint, en refusant à un malade de prendre sa décision à un moment où il estime pouvoir le faire sereinement.
Aider les patients à la fin de leur vie
En guise de conclusion, je voudrais d’abord m’insurger contre le débat statistique que j’entends souvent : il serait illégitime que l’attention politique se concentre sur une aide à mourir à laquelle seuls quelques milliers de nos concitoyens voudront accéder chaque année. Parce que la loi ne devrait concerner qu’une minorité de personnes, elle n’aurait donc pas lieu d’être ? C’est un raisonnement étrange, comme si le droit de personnes minoritaires ne valait pas d’être défendu ! Je dis sans ambages mon espoir que l’ouverture de l’aide à mourir rassure et permette précisément à des femmes et des hommes malades, inquiets des effets de leur maladie, de vivre plus sereinement la fin de leur vie. Car c’est bien de leur vie que l’on parle, et non de la vie en général. Mais si quelques milliers de personnes malades, sans que je puisse en quantifier précisément le nombre, aspirent à être aidés à mourir, au nom de quoi faudrait-il, parce qu’elles ne sont que quelques milliers, leur refuser ce droit ? Le principe même de la démocratie, plus encore en matière sociale, est de protéger ceux qui ne sont pas majoritaires et de garantir leurs droits. Si l’on dit les choses plus brutalement : au nom de quoi faudrait-il accepter la souffrance physique ou psychologique de quelques-uns, au motif que la majorité des autres ne souffre pas ou trouve comment être soulagée ?
Enfin, je voudrais dire combien je reste marquée par ce que l’on a appelé « l’affaire Vincent Lambert », dont personne n’est sorti indemne : ni sa femme, ni ses parents et sa famille, ni ses soignants, ni l’hôpital n’ont été épargnés. Des années durant, la violence des échanges a occulté l’essentiel : le destin tragique d’un homme. J’espère donc que la loi saura éviter la judiciarisation des décisions de permettre, ou non, l’aide à mourir.