Décarbonation du secteur aérien : le retour du refoulé

Décarbonation du secteur aérien : le retour du refoulé
Publié le 15 juin 2023
Pour décarboner le secteur aérien, les professionnels et les pouvoirs publics parient sur les carburants d’aviation durables (CAD) et une croissance plus lente du trafic. Problème : les ressources nécessaires pour produire ces CAD en quantité suffisante sont colossales (l’équivalent de 15 EPR !). Même avec une part de compensation carbone, la satisfaction de ces besoins représenterait un prélèvement insoutenable pour le reste de l’économie. De fait, il est nécessaire d’organiser la baisse du trafic, plaide François Kirstetter.
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Résumé

Une feuille de route de décarbonation du secteur aérien a été présentée tout récemment par les administrations (DGAC, CGDD, DGEC). La demande y est prise comme une donnée exogène et le trafic continue de croître dans les prévisions, à un rythme certes moins rapide sous l’effet de l’augmentation du prix du billet du fait du passage à des carburants d’aviation durables (CAD). 

Compte tenu de la faible efficacité énergétique de la production de ces CAD, le besoin énergétique pour les produire s’avère considérable et insoutenable, posant de façon crue la question refoulée : faut-il vraiment maintenir une croissance du secteur ? peut-on atteindre la neutralité carbone sans réduire le trafic aérien ?

Pour la France, les volumes d’énergie nécessaires pour répondre au besoin si les carburants étaient intégralement issus de l’électricité formeraient l’équivalent de 15 centrales nucléaires de type EPR, représentant entre 25 et 40% de la demande d’électricité bas carbone prévue par RTE dans son scénario médian. RTE n’a prévu à ce stade que 1% de la demande pour la production d’e-CAD, ce qui ne permettrait de couvrir que de l’ordre de 2% des besoins de l’aviation. Si les CAD étaient produits uniquement à partir de biomasse, la mobilisation de l’intégralité du potentiel de production durable issu de la biomasse ne couvrirait qu’environ 60% du besoin.

Les scénarios des administrations comprennent un panachage des solutions ainsi qu’une part de compensation carbone (entre 8 et 20%). Mais même en panachant ces solutions, le besoin énergétique demeure considérable et représenterait un prélèvement insoutenable pour les autres secteurs de l’économie qui ont, eux aussi, besoin de se décarboner et proposent des usages plus efficaces de ces ressources énergétiques contraintes.

Le besoin d’énergie décarbonée n’est donc pas soutenable compte tenu des gisements disponibles. Il s’avère nécessaire de maitriser la demande. 

La présente note propose donc de :

  • prévoir une baisse de trafic de 2%/an d’ici 2050 ainsi qu’un approvisionnement privilégiant en cas de conflit d’usage les usages à la meilleure efficacité énergétique ;
  • mieux intégrer cet objectif dans la maitrise des émissions de gaz à effet de serre (GES) en se dotant d’indicateurs spécifiques à la maîtrise du trafic international ;
  • instaurer une fiscalité incitative à la maitrise de la demande ;
  • interdire la subvention aux aéroports et aux compagnies aériennes et redéployer l’effort de la collectivité vers le rail et les alternatives soutenables ;
  • limiter drastiquement le nombre d’aéroports afin d’organiser quelques points d’entrée sur le territoire national articulés avec des transports collectifs pour rejoindre le réseau des villes petites et moyennes ;
  • s’appuyer sur l’Etat-actionnaire pour organiser la maitrise du trafic.

En 2019, en France, le secteur aérien a émis directement 24,2 millions de tonnes de CO2 (vols intérieurs et vols internationaux au départ de France). Ces émissions représentent l’équivalent de 5,3 % des émissions globales de la France, soit 2,2 fois plus qu’il y a 30 ans, malgré l’amélioration significative des performances technologiques des avions. C’est l’aviation commerciale de passagers qui constitue l’immense majorité du trafic mondial (avec 12,5 millions de passagers par jour). Sur la base des données de l’Agence internationale de l’énergie, le secteur de l’aviation a dans son ensemble produit 1.3 milliard de tonnes de CO2 en 2019, soit 3.1 % des 33.4 milliards de tonnes de CO2 émises par la consommation d’énergie. Ce ratio n’inclut ni le CO2 émis dans le cycle de vie du carburant (production, transport…) ni les effets non-CO2 de l’aviation, à commencer par les nuisances sonores pour les riverains. Compte tenu des prévisions de croissance, à l’échelle mondiale, le secteur aérien devra mettre en place des mesures de décarbonation permettant d’éviter 21 milliards de tonnes de CO2 dans la période 2021-2050. 

La part des émissions du secteur aérien par rapport aux émissions nationales a doublé en 25 ans

Source : Académie des technologies, 2023

Source majeure de gaz à effet de serre (GES), l’aviation soulève toutefois des problèmes spécifiques de décarbonation. A l’instar de l’actuelle stratégie nationale bas carbone, les stratégies de décarbonation du secteur parient sur le maintien d’une croissance dynamique peu soutenable. A l’heure où se prépare une nouvelle stratégie, il devient indispensable de mesurer ce que le choix de l’aérien veut dire.

1. A trafic constant ou croissant, le besoin d’énergie renouvelable ou bas carbone pour décarboner l’aviation n’est pas soutenable

Si la part de l’aviation dans les émissions de GES demeure à ce jour une composante parmi d’autres, le poids des consommations énergétiques renouvelables et bas carbone à prévoir d’ici 2050 pour l’aviation, particulièrement élevé du fait de la faible efficacité énergétique de la production, suffit à créer une pression insupportable sur les ressources. 

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Un nombre limité d’options s’offre certes au secteur aérien pour décarboner son activité. L’amélioration technologique et l’optimisation des procédures contribueront significativement à la décarbonation d’après les projections optimistes de la filière, mais la mesure principale (60 % de l’objectif) reposera sur l’utilisation de carburants bas carbone. L’usage de carburants durables pour l’aviation, désignés généralement par l’acronyme « SAF » pour Sustainable Aviation Fuelou « CAD » pour carburant d’aviation durable, constitue le principal levier. Leur quasi-compatibilité avec les infrastructures existantes facilite leur adoption, tandis que l’adaptation des nouvelles générations d’avions pour permettre l’usage de carburants bas carbone de sources différentes semble réalisable dans un délai raisonnable. Le Falcon 10X, avion d’affaires de Dassault Aviation, devrait être le premier certifié. Son montage devrait commencer cette année et la certification est attendue en 2025.

Deux types de carburants sont envisagés par la feuille de route de décarbonation de l’aérien et par l’ADEME pour prendre le relais des carburants fossiles : la production d’électro-carburants et d’hydrogène à destination des nouvelles générations d’avions à partir d’électricité décarbonée ainsi que la production de biocarburants à l’aide de biomasse et notamment des résidus de culture et d’agroforesterie. Les nouvelles générations d’avion devraient notamment être conçues pour accueillir indifféremment ces carburants de sources diverses et permettre la continuité d’exploitation quelles que soient les sources localement disponibles. Si des questions techniques demeurent à lever, notamment sur les joints utilisés, la disponibilité de ces appareils devrait être rapide (cf. ci-dessus).

La croissance du secteur aérien devrait être tirée principalement par la demande des économies émergentes et atteindre de l’ordre de 3,1 % par an d’après le secteur. Cette croissance plus réduite qu’à ce jour intègre un ralentissement sous l’effet de la croissance dynamique des prix du carburant à mesure qu’il se décarbonisera. Au total, le secteur anticipe toutefois encore un doublement du trafic entre 2020 et 2050. La massification du transport aérien qu’avait entrainée la baisse du prix du billet n’est donc que peu modifiée.

En effet, l’avion est, sur la dernière décennie, le seul mode de transports à avoir connu une croissance significative, notamment pour les voyages lointains, la distance moyenne parcourue ayant doublé sur cette période.

Cette augmentation traduit une massification certaine du voyage aérien. Il est toutefois prématuré de conclure à une démocratisation, les écarts inter-déciles demeurant importants : si le voyage aérien n’est certes plus l’apanage de quelques-uns, sa fréquence, elle, demeure très corrélée aux revenus.

Toutefois, la poursuite de la massification pose la question de la faisabilité physique de l’objectif de décarbonation de l’aviation au moyen des carburants durables. 

Elle suppose en effet la disponibilité de quantités importantes d’électricité bas carbone et de bioénergie. Le secteur aérien anticipe pour 2050 un besoin mondial en CAD de l’ordre de 400 Mt (4 800 TWh) par an. Avec un rendement de 35 %, cela mobiliserait chaque année l’équivalent de la moitié de toute l’énergie électrique produite dans le monde (27 000 TWh), ce qui parait donc peu réaliste. La consommation en carburant n’augmenterait d’ailleurs à cette occasion que d’un facteur 1,3 grâce aux gains d’efficacité énergétique espérés sur la propulsion et la gestion des opérations. Pour l’Europe et la France, le besoin serait alors stable respectivement à 50 Mt/an et à 10 Mt/an. En s’appuyant à la fois sur les prévisions du secteur de l’aviation et sur la directive européenne ReFuelEU pour un transport aérien durable en cours d’examen dans le cadre du paquet législatif Fitfor55, les objectifs, en ordre de grandeur, pour la production de CAD sont les suivants :

Besoins en CAD (SAF en anglais) découlant des objectifs déclarés du secteur de l’aviation et, pour l’Europe, des propositions réglementaires de la Commission

Besoin en SAF2030203520402050
Monde20 Mt70 Mt185 Mt400 Mt
Europe2,5 Mt10 Mt16 Mt30 Mt
France0,5 Mt2 Mt3 Mt6 Mt
Source : Académie des technologies, 2023

Pour la France, 180 à 240 TWh d’électricité bas carbone seraient à produire s’ils étaient produits exclusivement à partir d’hydrogène donc d’électricité (e-CAD) ou d’hydrogène recombiné à du CO2 biogénique (e-bioCAD) – l’équivalent de 15 centrales nucléaires de type EPR – représentant entre 25 et 40% des 645 TWh de demande d’électricité bas carbone prévus par RTE dans son scénario médian. RTE n’a prévu dans son rapport sur l’Élaboration de scénarios de transition écologique du secteur aérien que 7 TWh pour la production d’e-CAD, de l’ordre de 2% des besoins.

Si les CAD étaient produits exclusivement à partir de biomasse, 58 TWh de biomasse étant nécessaires d’après le rapport de l’ADEME pour produire 1 Mtep de CAD, de l’ordre 500-600 TWh de biomasse (entre 9.5 et 11 Mt de biomasse sèche) seraient nécessaires. Pour mémoire, la mobilisation de l’intégralité du potentiel de production durable issu de la biomasse (344 TWh) ne couvrirait donc qu’environ 60% du besoin. Cette mobilisation, outre qu’elle interdirait des usages prévus de la biomasse, souvent indispensables à d’autres secteurs pour se décarboner, s’effectuerait avec un rendement énergétique trois fois inférieur à d’autres valorisations, rendant ce choix particulièrement inopérant. 

Même en panachant les solutions électriques et biomasse, le prélèvement opéré sur les autres secteurs s’avère, dans tous les cas, démesuré. Les scénarios des administrations comprennent bien un panachage des solutions ainsi qu’une part de compensation carbone (entre 8 et 20%). Mais même dans ce cas, de 58 à 133 TWh de biomasse et de 77 à 150 TWh d’électricité demeurent à mobiliser selon les scénarios.

Au-delà du coût considérable de cet effort, de 57 milliards d’euros pour six EPR 2 (jusqu’à 72 TWh produits) à 114 milliards d’euros pour 144 TWh et de sa faisabilité pratique (besoin en compétences, capacité à multiplier les chantiers de construction en parallèle), la faisabilité technique de ces nouveaux carburants n’est pas assurée pour la biomasse. A l’exception de l’hydrotraitement de résidus lipides, les autres technologies de production de SAF (Alcool-to-Jet, Biomass-to-Liquids, Power-to-Liquids) ne sont pas encore matures à ce jour et les rendements demeurent médiocres (3 à 4 fois inférieurs à la production de biogaz par exemple, sans permettre le retour au sol de l’azote, donc la transition agroécologique permise par ce procédé).

Toutefois, c’est bien l’effet de ces prélèvements additionnels non intégrés dans l’actuelle stratégie nationale bas carbone qui inquiète, et conduit à restreindre les possibilités de décarbonation d’autres secteurs et à les renchérir. Avec ces besoins, les capacités d’importation d’énergie bas carbone semblent difficilement à la hauteur pour prendre le relais de la production nationale. Il est alors nécessaire de réinterroger le choix de société en faveur de l’aviation qui sous-tend ce tendanciel. Alors que d’ores et déjà, les inégalités sociales liées à l’usage de l’aviation s’avèrent spectaculaires puisque 1% de la population est responsable de 50% des émissions de GES liées aux vols commerciaux et privés, le surcoût des billets pourrait conduire à réduire le trafic de 15 à 19% d’après l’ADEME, la croissance s’infléchissant à environ 1%/an d’après le diaporama présenté par la Première ministre au conseil national de la transition écologique le 22 mai 2023 et pourrait encore accentuer ces inégalités, posant la question de la soutenabilité démocratique du secteur. 

2. Il est impossible d’échapper à une maitrise significative de la demande

« L’atteinte rapide de la décarbonation du secteur aérien à l’horizon 2030 doit être réalisée en œuvrant sur l’ensemble des leviers, y compris la forte accélération de la maîtrise de la demande d’ici 2025 à l’instar des recommandations récentes de l’Agence internationale de l’énergie (AIE). »

2.1. Adresser un signal à l’occasion de la stratégie française énergie climat

A l’occasion de la loi de programmation de l’énergie annoncée pour l’été, la trajectoire retenue pour le secteur aérien sera déterminante pour afficher le signal que la ressource rare que constitue l’énergie renouvelable et bas carbone doit servir en priorité à l’emploi et aux usages du quotidien et assurer la faisabilité sociale de la trajectoire. Il serait en effet difficile de prévoir que la production énergétique à développer sur notre territoire désormais doit servir en priorité aux vacances des plus aisés, au détriment du chauffage, de la mobilité quotidienne et de l’emploi des autres habitants.

Ceci suppose de mieux intégrer cet objectif dans la maitrise des émissions de GES en se dotant d’indicateurs spécifiques à la maîtrise du trafic international.

Proposition : se doter d’indicateurs spécifiques dédiés à la maîtrise du trafic international.

Proposition : prévoir une baisse de trafic de 2%/an d’ici 2050 ainsi qu’un approvisionnement privilégiant en cas de conflit d’usage les usages à la meilleure efficacité énergétique

Une trajectoire de décroissance du trafic aérien sera donc nécessaire pour que le prélèvement soit tenable. Une baisse de 2%/an du trafic en un peu plus de 25 ans serait adaptée. Elle permettrait pendant ce laps de temps de ramener approximativement le trafic à son niveau de l’année 2000, sans effet excessif sur les modes de vie. Un tel changement des usages permettrait de relâcher la pression sur les autres usages énergétiques. Les impacts économiques directs et indirects sur le secteur seraient sensibles mais sans doute préférables aux impacts sur les autres secteurs en cas de poursuite des tendances actuelles et de surallocation des ressources à l’aérien. Cette trajectoire de décroissance pourrait en outre s’accompagner de l’importation d’une fraction des SAF et de mécanismes de compensation partielle pour permettre l’atteinte de la neutralité carbone, sans hypothéquer les autres usages pour lesquels efficacité et sobriété sont déjà nécessaires. 

Dans ce cadre, privilégier les usages les plus performants énergétiquement semble le plus adapté, afin d’optimiser la contrainte et de ne pas faire porter un poids excessif aux secteurs en concurrence.

2.2. Arrêter les subventions au trafic aérien 

Pour aller plus loin, la réduction du nombre d’aéroports semble de bon sens. D’après le service de l’information aéronautique, la France métropolitaine compte, hors aéroports militaires, 472 aérodromes représentant 721 pistes, dont 329 sont équipés des infrastructures destinées au transport aérien commercial de passagers et règlementairement « ouverts à la circulation aérienne publique ». Toutefois, l’Union des aéroports français n’en recense que 86 ouverts aux vols commerciaux. Parmi eux, seule une petite douzaine d’aéroports offre des vols longs courriers de plus de 3 000 km. Et seuls 15 aéroports métropolitains disposent d’un flux de plus d’un million de passagers en 2019. L’équilibre économique de la plupart des aéroports dépend alors de subventions publiques, notamment issues des chambres consulaires, ce qui devient anachronique et injustifiable au regard des enjeux de lutte contre le dérèglement climatique et de réexamen des dépenses budgétaires brunes. 

Une étude de la Fédération nationale des utilisateurs de transport (FNAUT) de 2019 montre ainsi qu’il faut en moyenne un peu plus d’un million de passagers pour qu’un aéroport ne soit pas structurellement déficitaire, le risque de déficit restant significatif entre un et trois millions. En 2012, sur 76 aéroports disposant moins de deux millions de passagers, 72 étaient déficitaires. Le déficit global pour 40 plates-formes déficitaires étudiées par la FNAUT à partir des seules données détaillées disponibles s’élevait en 2012 à 68 millions d’euros, soit une moyenne de 1,7 million par aéroport, pour un déficit toujours supérieur à 20€ par passager et dépassant les 200€ par passager pour 16 d’entre eux, Angoulême ayant connu un déficit supérieur à 1000€ par passager. Avant la crise COVID, aucune amélioration n’avait été identifiée et le déficit cumulé des aéroports est estimé par la FNAUT à 100 millions d’euros. Ces déficits structurels sont couverts par le contribuable via les subventions des collectivités territoriales et des chambres consulaires, des réductions de taxes foncières, la mise à disposition de personnels, la détaxation des carburants ainsi que des aides d’Etat pour les lignes soumises aux obligations de service public. A ces coûts s’ajoutent les coûts pour l’Etat de ses services dans les aéroports notamment de sécurité-sureté.

Proposition : supprimer les subventions aux aéroports et aux compagnies aériennes, et redéployer ces fonds vers le développement de mobilités collectives décarbonées

Articuler alors l’entrée du trafic international dans quelques aéroports avec des transports collectifs permettant la desserte des villes de la région conduirait alors à mieux organiser les flux et à réduire l’empreinte carbone de l’ensemble des trajets, en ne limitant pas la focale sur le seul trafic international. Au-delà des 15 aéroports disposant de plus de 1  million de passagers par an en métropole et de la capacité d’équilibrer leurs comptes, fermer aux avions de ligne de 40 sièges et plus les structures aéroportuaires qui ne parviennent pas à un équilibre économique sans subvention constituerait un levier pertinent pour rationaliser une offre d’un autre temps. Les subventions ainsi économisées pourraient d’ailleurs utilement contribuer à cette réorganisation des mobilités collectives, notamment en soutenant ces offres multimodales, articulant quelques points d’entrée dans le territoire avec des mobilités collectives, à l’instar du rail.

De même, la subvention directe ou indirecte aux compagnies aériennes doit cesser. Elle forme pourtant encore le cœur du modèle d’une compagnie low cost, dont le résultat inférieur aux subventions reçues s’appuie sur la destruction de valeur. Le modèle de subvention aux compagnies aériennes n’a plus de raison d’être dans un monde qui doit changer ses priorités pour atteindre la neutralité carbone. Le redéploiement de ces subventions vers d’autres mobilités collectives participant aux dessertes fait alors partie de la bascule vers un monde bas carbone.

Proposition : limiter drastiquement le nombre d’aéroports ouverts aux vols commerciaux 

Un plan de fermeture d’aéroports pourrait donc utilement être déployé. Ce plan permettrait par ailleurs d’éviter la concurrence par les taxes d’aéroport et de disposer de ce levier pour adresser un signal prix pour modérer le trafic.

2.3. Limiter le nombre de vols

Toutefois, une telle rationalisation du nombre d’aéroports ne permettra pas de réduire suffisamment le nombre de vols, l’essentiel du trafic étant concentré (plus de 50% passe par les deux aéroports parisiens, plus de 95% dans les 17 premiers aéroports). 

L’article 145 de la loi Climat et Résilience conduit à interdire les liaisons aériennes intérieures lorsqu’il existe une alternative en train en moins de 2h30 à partir de mars 2022. Même si cette première mesure a été en partie vidée de son sens par le décret d’application, elle n’aurait pu avoir qu’un impact négligeable sur les émissions de gaz à eff­et de serre. La mesure n’aurait pu en tout état de cause permettre qu’une réduction de l’ordre de 0,23 % des émissions des lignes intérieures françaises, selon l’Union des aéroports français (UAF). 

Mais l’adoption par la représentation nationale du principe conserve une valeur symbolique importante. Cette mesure a initié la maitrise de la demande de transport aérien. 

Proposition : instaurer une fiscalité incitative à la maitrise de la demande

L’intégration de l’aviation au marché d’échange européen ETS constitue avec une politique adaptée de taxes aéroportuaires, par exemple au moyen d’un taux minimal, ou de nouvelles taxes sur les billets d’avion à l’instar de celles créées pour financer la lutte contre le sida, un levier de maitrise de la demande, une partie significative de celle-ci étant sensible au prix.

2.4. S’appuyer sur l’Etat actionnaire

La décarbonation des participations de l’Etat dépasse le cadre de cette note, même s’il parait évident que l’Etat est loin d’avoir adopté pour ses participations une trajectoire compatible avec le respect de l’Accord de Paris.

L’Etat s’avère en effet très exposé aux valeurs liées à l’aviation. Airbus, Air France-KLM, Aéroports de Paris (ADP), Aéroport de Bordeaux – Mérignac, Aéroport de la Réunion – Roland Garros, Aéroport de Marseille – Provence, Aéroport de Montpellier – Méditerranée, Aéroport de Strasbourg – Entzheim, Aéroport de Toulouse – Blagnac, Aéroport Martinique – Aimé Césaire, Dassault Aviation, la SOGEPA, la Société aéroportuaire de Guadeloupe forment autant de participations de l’Etat.

L’Etat dispose donc de leviers afin de décarboner le secteur aérien, notamment par le dialogue actionnarial, pour organiser la décrue progressive du trafic : objectifs de réduction de trafic et de mise à disposition de CAD pour les aéroports, refus de nouvelles destinations pour les groupes aériens, mise sur le marché des avions compatibles avec les SAF pour les constructeurs.

Conclusion

Les plans de décarbonation de l’aérien qui circulent aujourd’hui se révèlent peu crédibles à l’examen. Certes, le progrès technique est sur le point, dans ce domaine, de proposer des solutions bas carbone qui semblaient inaccessibles il y a encore quelques années. Mais la quantité d’énergie à mobiliser pour satisfaire les besoins d’un trafic en croissance – même plus lente – s’avère hors de portée, sauf à léser gravement le reste de l’économie ou à renoncer à une partie de nos ambitions climatiques. Il est donc raisonnable de se résoudre à des politiques de maîtrise de la demande qui aient pour objectif assumé de faire baisser le trafic aérien dans des proportions sensibles et en tout cas cohérentes avec nos capacités de production d’énergies bas carbone dans les deux décennies qui viennent. Toute autre stratégie de décarbonation de l’aérien ne pourrait se faire qu’au détriment d’autres secteurs économiques, c’est-à-dire au prix d’une préférence collective pour l’avion que rien ne semble pouvoir justifier et certainement pas la prise en compte des besoins sociaux. Le cas de l’aérien fournit ainsi un bon exemple de secteur dont la décarbonation passe en partie par le progrès technique et les gains d’efficacité, mais d’abord et surtout par un effort de sobriété. Plutôt que le contingentement ou le rationnement (comme l’idée d’un quota de vols en avion par personne au cours d’une vie défendue par Jean-Marc Jancovici), les solutions esquissées ici promeuvent des incitations fiscales, le tarissement progressif des subventions publiques au secteur, la fermeture de certaines infrastructures et les choix de l’Etat-actionnaire.   

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François Kirstetter

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