Pénurie d’électricité : que risque la France dans la durée ?

Pénurie d’électricité : que risque la France dans la durée ?
Publié le 1 mars 2023
Le risque de coupures massives du courant s’éloigne en cette fin d’hiver. Pour autant, les perspectives à moyen terme sont loin d’être rassurantes en ce qui concerne la continuité de l’approvisionnement électrique. Les exigences de la transition et de la décarbonation, les limites des stratégies de sobriété et la trop lente montée en puissance des énergies renouvelables créent de nombreuses incertitudes pour les années à venir.
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1. Des risques identifiés de défauts de puissance électrique dès 2030

En 2020, la France était le seul pays européen qui manquait ses objectifs d’intégration d’énergies renouvelables (ENR) dans son mix énergétique (cf. infographie Le Monde ci-contre).

En 2023, la France risque fort de manquer à nouveau ses objectifs de construction de nouvelles capacités d’ENR fixés par la Programmation Pluriannuelle de l’Energie (PPE). L’éolien terrestre et le photovoltaïque notamment, doivent progresser 3 et 6 GW en 2023 pour atteindre leurs objectifs, des croissances annuelles de 50% pour l’éolien et supérieure à 200% pour le solaire par rapport à 2022, qui paraissent inatteignables.

Notons toutefois que certaines filières, comme l’hydroélectricité ou le biométhane injecté, ont d’ores et déjà réalisé leurs objectifs fixés par la PPE.

C’est dans ce retard pris par la France dans le développement de ces nouvelles capacités renouvelables et décarbonées, que le projet de loi sur l’accélération des énergies renouvelables trouve sa raison d’être. Le texte visait à donner à la France l’occasion de rattraper ce retard en allégeant les procédures administratives, en accélérant le développement du solaire et de l’éolien en mer et en favorisant l’adhésion aux projets au niveau local. Sa capacité à le faire demeure incertaine. Les maires ont par exemple obtenu la possibilité de déterminer des zones d’implantation prioritaire pour les éoliennes, qu’il suffira de prévoir en dehors des couloirs de vent. En revanche, cette loi ne couvre pas les solutions de flexibilités nécessaires pour compenser l’irrégularité, notamment saisonnière, de la production de ces renouvelables, et assurer la sécurité d’approvisionnement future. Elle n’apporte pas non plus de mesure d’accélération spécifique à l’éolien terrestre et pourrait donc entériner un frein dans le développement de cette filière, comme annoncé par le Président de la République, en étalant l’objectif de doublement de la capacité actuelle sur trente ans (au lieu de dix). Cet objectif revu à la baisse correspond au rythme de déploiement actuel ; il multiplierait donc les facteurs de risque dans un scénario d’offre réduit sans réduction concomitante de la demande.

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Par ailleurs, un texte de loi complémentaire est attendu pour planifier la construction de nouvelles capacités nucléaires. Il devra fixer des objectifs crédibles pour cette filière, à l’heure où le projet de nouvel EPR de Flamanville accuse de nouveaux retards, et où le parc nucléaire existant connait un niveau de disponibilité historiquement bas à cause de problèmes de corrosion.

Dans ce contexte, il est légitime de poser la question de l’impact de retards chroniques sur les objectifs annuels de construction de nouvelles capacités. De nombreux scénarios de transition énergétique reposent en effet sur ces nouvelles constructions et sur une demande croissante d’électricité, sur laquelle pèsent également des incertitudes. Pics de demande hivernal, nouveaux usages, politiques d’électrification des usages existants : nombreux sont les facteurs qui peuvent impliquer une sollicitation plus importante du système électrique à moyen ou long terme.

Une estimation rustique permet de se donner quelques ordres de grandeur. Si les rythmes de développement des principales énergies renouvelables permettaient de rattraper le retard actuel (atteinte des objectifs de la PPE en 2028), mais ne pouvaient pas aller au-delà ensuite (rythmes imposés par la PPE maintenus stables après 2028), alors il pourrait manquer jusqu’à 9 GW de capacités (essentiellement de l’éolien offshore) pour concrétiser le mix électrique prévu par RTE dans son scénario N2, mêlant de manière équilibrée les énergies renouvelables et le nouveau nucléaire. Notons d’ailleurs que ce mix équilibré minimise le nombre de nouvelles capacités à construire parmi les scénarios envisagés par RTE. Si les rythmes de déploiement étaient encore plus contraints, par exemple limités aux rythmes actuels, il manquerait à court terme une dizaine de GW d’EnR (solaire et éolien terrestre), puis il pourrait manquer jusqu’à 23 GW de capacités en 2050 par rapport aux prévisions du scénario N2 (essentiellement des capacités nucléaires).

Sur la période 2030–2040, les retards de capacités pourraient se concentrer sur le solaire et l’éolien terrestre. Sur cette période, des risques d’indisponibilité du parc nucléaire ne sont pas à exclure pour autant, mais ils concernent davantage le parc existant que les nouvelles constructions attendues principalement après 2040, même si des indisponibilités existent souvent en phase de lancement. Ces risques d’indisponibilité du parc nucléaire existant (problèmes de corrosion persistants ou non, prolongation de la durée de vie de certains réacteurs par exemple…) n’ont pas été quantifiés dans cette note.

À partir de 2040, la montée en puissance de ces filières EnR (solaire et éolien terrestre) pourrait compenser le retard accumulé, mais se poserait alors la question de la mise en service de flexibilités suffisantes pour compenser l’intermittence des EnR (voir ci-après).

Par ailleurs, la montée en puissance du nouveau nucléaire et de l’éolien en mer paraît à ce jour insuffisante. Le défi d’accélération est immense : il suppose simultanément l’accélération de la validation des dossiers en amont, la disponibilité des ressources humaines formées sur l’ensemble de la chaîne de valeur, alors que cette filière n’a pas été suffisamment renouvelée, comme la capacité à mener et plus encore à paralléliser des chantiers complexes opérationnellement. Or, sans accélération forte par rapport aux rythmes actuels, ces filières accuseraient des retards importants entre 2040 et 2050. En particulier en 2050, une quinzaine de GW de nouveau nucléaire pourrait manquer. Cet écart est proche de celui qui sépare les trajectoires haute (N2) et basse (N1) de RTE (Figure 1).

Figure 1 – Trajectoires de développement de nouvelles tranches nucléaires (nouveaux EPR2), Futurs Énergétiques 2050, RTE (2022)

De plus, la capacité de production renouvelable électrique à développer n’est pas entièrement pilotable, et reste largement dépendante des conditions météorologiques. La capacité française à assurer la sécurité d’approvisionnement dépendra donc du développement approprié de nouvelles solutions de flexibilité et de stockage.

RTE développe ces solutions de flexibilité de manière intensive dans la majorité des scénarios des Futurs Énergétiques 2050 : les stations de pompage hydrauliques se développent sur la plupart des sites européens capables d’en accueillir, les excédents d’électricité renouvelable sont utilisés pour produire de l’hydrogène par électrolyse (power-to-gaz) et le pilotage de la demande (effacement, reports de consommation) se développe à court terme. Le scénario N2, qui nécessite là encore le moins de nouvelles capacités de flexibilité du fait de l’équilibre nucléaire-EnR, requiert tout de même la mise en place de plus de 20 GW de flexibilité dès 2040. La technologie de Power-to-X et les flexibilités de la demande industrielle en composent une grande partie. Il s’agit aujourd’hui de technologies non éprouvées. Seul l’effacement industriel a apporté une flexibilité significative aujourd’hui, mais un changement d’échelle de cette solution pose question : l’activité industrielle en serait perturbée, avec un risque de destruction de demande (baisse durable de l’activité industrielle) accru. De même, le recours récurrent à l’interruption de la production d’hydrogène du futur parc d’électrolyseur impacterait négativement la rentabilité de cette activité. En somme, la flexibilité par la consommation ne constitue pas une solution durable pour couvrir les pointes de consommation, notamment saisonnières. Encore moins dans des situations où il y a un risque d’indisponibilité des capacités de production d’électricité (risques de retard de mises en service ou, comme aujourd’hui, moindre disponibilité du parc nucléaire) : dans ces situations, une spirale de prix élevés et de désindustrialisation ne saurait qu’être aggravée par des interruptions visant à équilibrer le réseau électrique.

Par ailleurs, les rythmes de développement des flexibilités prévues par le scénario N2 en 2040 et au-delà peuvent questionner par leur réalisme (plus de 1 GW par an, rythme similaire à celui de l’éolien terrestre aujourd’hui) : ils paraissent trop ambitieux pour des technologies non éprouvées à grande échelle (batteries, pilotage de la charge et décharge des flottes de véhicules élec…). D’autant plus qu’à court terme (d’ici 2030), France Stratégie souligne que les rythmes de développement de ces flexibilités sont encore incertains.

Les systèmes électriques européens étant interconnectés, c’est aussi à cette échelle qu’il faut s’intéresser au dimensionnement des capacités de production et des solutions de flexibilité associées : elles sont déterminantes pour la sécurité d’approvisionnement. Ainsi, le scénario N2 de RTE prévoit le développement de près de 25 nouveaux GW d’interconnexions avec nos pays transfrontaliers. Or, dans les prochaines années, la plupart des gouvernements européens envisagent de décommissionner d’importantes capacités de production pilotable. D’ici 2035, ce sont 80 GW de puissance pilotable qui pourraient être retirés du réseau interconnecté reliant la France à ses pays frontaliers, du fait de fermetures programmées de centrales à charbon et nucléaires.

Aussi, la France ne pourra pas toujours compter sur ses capacités d’interconnexion pour boucler l’équilibre offre-demande, sachant que ses voisins européens partagent ces mêmes enjeux grandissants de dépendances aux conditions climatiques et de moindre pilotabilité de la production d’électricité. Dans les territoires de nos voisins européens, la question de la sécurité énergétique se pose aussi de façon plus prégnante.

En conclusion, si les rythmes de mise en service des capacités de production d’électricité n’augmentent pas fortement, 10 à 20 GW de capacités, principalement pilotables, pourraient manquer à l’horizon 2050 par rapport au scénario de RTE N2 qui prévoit le moins de nouvelles capacités. Dans ce scénario, les retards de mise en service d’EnR pourraient être moins importants (potentiellement quelques GW en 2050 pour l’éolien offshore), mais des doutes pèsent sur les moyens de flexibilité qui seraient mobilisés pour compenser l’intermittence de ces EnR. La flexibilité par la consommation ne constitue pas une solution durable pour couvrir les pointes de consommation, notamment saisonnières, encore moins s’il existe des tensions sur la disponibilité des capacités de production (risque de spirale de désindustrialisation). Parallèlement, dans tous les scénarios de RTE, d’autres solutions de flexibilité doivent être déployées de façon massive. Dans la mesure où il n’y a pas de retour d’expérience de déploiement à grande échelle de ces solutions, il convient d’envisager des aléas. En somme, il parait raisonnable d’envisager que les 20 GW de flexibilité prévus ne seraient pas mobilisables, ou uniquement de façon transitoire et pour des équilibrages du réseau de très court terme, mais pas pour compenser l’intermittence pluri-journalière ou saisonnière des EnR. 

Enfin, nos voisins européens réduisent, eux aussi, la part des énergies pilotables dans leur mix électrique de façon massive (-80 GW à l’horizon 2035) : il est donc vraisemblable que les 25 GW de nouvelles interconnexions prévues entre la France et ses voisins ne pourront pas être exploitées au maximum de leur capacité lors des épisodes climatiques défavorables (par exemple, lors d’épisodes de « Dunkelflaute », bien connus en Allemagne, caractérisés par de faibles productions éolienne et solaire, combinées à une consommation d’électricité élevée en hiver).

2. Une maitrise suffisante de la demande n’est pas assurée, générant un risque de besoin de production additionnel

La France accuse aujourd’hui « un énorme retard » en matière de rénovation énergétique des bâtiments. Pour atteindre un parc dit de Bâtiments Basse Consommation énergétique (ou « BBC ») comme le demande la SNBC à l’horizon 2050, la rénovation d’au moins 1% du parc par an est nécessaire dès aujourd’hui, puis près de 2% d’ici à 2030. Or, selon une analyse du Haut Conseil du Climat, seules 0,2% des rénovations entreprises entre 2012 et 2016 seraient des rénovations globales satisfaisant les critères BBC

En conséquence, la consommation énergétique finale de chauffage toutes énergies confondues – corrigée des aléas climatiques – dans les secteurs résidentiel et tertiaire n’a pas baissé de 2000 à 2020. Ainsi, une multiplication des efforts par un facteur 5 est nécessaire pour atteindre l’objectif de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) à partir de 2023.

Le rapport des Perspectives Gaz 2022 du service public du gaz et de ses opérateurs (GRTgaz, Terega, GRDF, SPEGGN) modélise une variante de consommation détaillant l’impact d’actions de rénovation dont la performance serait divisée par 2 dans le secteur du bâtiment par rapport aux hypothèses du scénario de référence qui aboutissent à un parc de Bâtiment Bas Carbone (BBC) en 2050, conformément aux objectifs de la SNBC. Une telle variante se traduirait par une consommation d’électricité supplémentaire de 7 TWh par rapport à la trajectoire de référence en 2050, et par un impact sur la pointe électrique nette de 4 GW supplémentaires dans le cas d’un pic de froid hivernal similaire à celui de l’année 2012. Ce surplus de puissance est relativement faible car le mix énergétique pris pour référence par les opérateurs de réseau de gaz est bien équilibré. Toutes énergies confondues, le surplus de puissance nécessaire serait alors de 13 GW. Ainsi, avec un scénario de référence reposant davantage sur l’électricité pour le chauffage des bâtiments (comme le prévoient la SNBC et le scénario de RTE), une rénovation deux fois moins efficace conduirait probablement à des pointes de consommation d’électricité accrues de près de 10 GW.

De façon analogue à l’horizon 2035, le rapport RTE-ADEME sur la contribution du chauffage dans les bâtiments à la réduction des émissions de CO2 tire des conclusions similaires. Un retard sur le nombre et la qualité des rénovations entrainerait selon l’étude, une augmentation de la consommation électrique de 8 à 14 TWh par an en 2035 ainsi qu’une augmentation de la pointe électrique en hiver de 6 à 9 GW, et des émissions de CO2 de 9 à 11 Mt/an, en fonction de la pénétration des pompes à chaleur dans le secteur.

Par ailleurs, même avec des gains de rénovation significatif, il ne faut pas exclure le risque d’effets « rebond ». RTE sous-estime à ce stade les effets rebond liés à la rénovation. Les travaux d’évaluation des programmes d’efficacité énergétique gratuits aux Etats-Unis effectués par Michael Greenstone montrent que les crédits gratuits proposés sous l’administration Obama pour la rénovation des logements n’ont eu que peu d’efficacité pour un coût significatif. Seuls 15 % des gens ont été réceptifs, 7,5% sont allés jusqu’au bout des travaux, avec des économies de 20% à peine sur leurs factures. Les travaux sur données françaises de Matthieu Glachant sont convergents. Ils estiment que le temps nécessaire pour amortir les travaux de rénovation dépasse le siècle. Cet effet contre-intuitif repose sans doute à la fois sur la qualité insuffisante des travaux et sur l’importance de l’effet rebond – des ménages se chauffant mal accèdent grâce à eux au bien-être, compensant pour partie les baisses de consommation permises par la rénovation. Cet effet est largement sous-estimé dans l’actuelle stratégie nationale bas carbone (SNBC) qui ne l’anticipe pas. En s’appuyant sur la performance attendue par la SNBC, les travaux de RTE minimisent à ce stade le besoin d’énergie notamment lors des épisodes de froid. La mise à jour à la fin du printemps de ses scénarios conduira sans doute à une réévaluation du besoin de moyens à la pointe.

Enfin, toute politique qui accentuerait la trajectoire d’électrification des usages par rapport au scénario de référence mentionné dans la première partie (scénario de consommation des Futurs Énergétiques 2050, RTE), accentuerait aussi l’écart que nous avons identifié avec le développement de l’offre. Une politique d’interdiction de renouvellement des équipements gaz dans le bâtiment à court terme par exemple, aurait pour conséquence de réduire la consommation de gaz dans le bâtiment, mais également le transfert rapide de plusieurs millions de consommateurs de gaz vers le vecteur électrique.

En France, une politique de non-renouvellement des équipements gaz pourrait, si elle était initiée, réhausser la pointe électrique hivernale de 10 à 20 GW en 2040 et en 2050. Il est important d’insister sur un point : ces estimations se fondent sur des hypothèses de rénovation des bâtiments ambitieuses ; tout écart qui conduirait à des baisses moins importantes des besoins de chauffage accentuerait encore l’impact sur la pointe électrique. Concrètement, la dizaine de GW liée au risque de rénovation moins performante et les 10 à 20 GW de pointe supplémentaire liés à une conversion du parc de chaudières gaz peuvent se cumuler.

Ces informations sont à mettre au regard de la disponibilité future des capacités de production du parc électrique français évoquées plus haut, et du rythme de développement des solutions de flexibilités capables répondre à des variations, saisonnières ou moyen terme, de demande d’électricité et des tensions sur l’offre, de plus en plus intermittente.

À cet égard, il est intéressant de souligner encore que des situations défavorables peuvent tout à fait se cumuler pour creuser l’écart entre la demande et la disponibilité de l’offre d’électricité :

  • 10 à 20 GW de capacité de production à l’horizon 2050, principalement pilotables (nucléaires), indisponibles dans le cas du scénario N2 retardé ;
  • 20 GW de capacité de flexibilité à l’horizon 2050, indisponibles ou limités à des périodes transitoires et des équilibrages réseau de très court terme ;
  • Une part des 25 GW de nouvelles interconnexions, qui pourrait être indisponible ou intermittente, du fait du décommissionnement de moyens de production pilotables chez nos voisins (- 80 GW à l’horizon 2035) ;
  • 10 GW supplémentaires aux heures de pointes en hiver en cas de rénovation moins performante des logements dès 2035, puis à l’horizon 2050 ;
  • 10 à 20 GW supplémentaires aux heures de pointes en hiver en cas d’interdiction de renouvellement des chaudières au gaz (horizon 2040 et 2050).

Au total, les écarts offre-demande pourraient, s’ils se cumulaient, atteindre 30 à 50 GW lors des pointes hivernales, voire bien davantage (jusqu’à 45 GW supplémentaires) si les interconnexions avec les pays voisins ne sont pas mobilisables (épisodes de « Dunkelflaute » sur la plaque européenne), ou si des solutions de flexibilité pluri-journalière et saisonnière ne permettaient pas de compenser l’intermittence de la production des EnR. Ces écarts représentent la capacité production de plusieurs dizaines de réacteurs nucléaires.

3. La prise en compte du risque d’approvisionnement des industries et des ménages

La prégnance du risque d’approvisionnement électrique amène à formuler plusieurs recommandations.

Il est naturellement indispensable de développer toutes les énergies renouvelables et bas carbone le plus vite possible, non seulement électriques mais également thermiques, l’électricité n’ayant vocation à couvrir que 50% des usages à terme. Le défi technique de la transition est tel qu’on ne peut redouter un excès d’énergie bas carbone : cela n’aurait comme conséquence que de permettre de disposer d’énergie bon marché et d’accélérer la transition écologique. Et il demeure nécessaire de déployer rapidement les efforts d’efficacité énergétique (choix des meilleurs appareils) et surtout de sobriété qui permettront de limiter la demande à un niveau compatible avec les limites planétaires – sans changement de société, les objectifs de transition ne seront pas atteints et le système énergétique n’arrivera pas à faire face.

Il faut toutefois, au-delà de ces recommandations classiques, s’assurer de la concordance de la montée en charge des usages et de la production, par exemple en s’assurant que le déploiement massif des nouveaux usages souhaitables (véhicules électriques légers, pompes à chaleur) n’anticipe pas trop la production attendue donc ne conduise pas à déployer en urgence des moyens de production carbonés alors même que la société vient de réinvestir dans de nouveaux appareils. Pour ce faire, il demeure indispensable de consacrer les moyens électriques renouvelables et bas carbone additionnels à ce qui permet d’abattre le plus de carbone – remplacer le pétrole des véhicules, comme l’électricité fortement carbonée importée désormais structurellement d’Allemagne par des moyens bas carbone demeure à ce stade le meilleur usage pour la planète.

Il convient en outre de dé-risquer la transition en prévoyant autant que possible les systèmes qui permettent d’éviter la constitution de pointes additionnelles de consommation électrique, notamment l’hiver. La réussite de la rénovation thermique des logements demeure cardinale. Son échec mettrait sans doute sous tension la capacité à produire suffisamment d’électricité pour répondre à la demande en période de froid. On pourrait donc prévoir par défaut que les maisons s’équipent de pompes à chaleur hybrides, pompes à chaleur se reportant au moment des grands froids vers le gaz. Cela pour éviter la construction de centrales gaz au rendement thermique de 40% pour couvrir un besoin saisonnier d’électricité en cas de froid, alors que le choix de la pompe à chaleur hybride, au coût identique à un appareil classique, permet de consommer beaucoup moins de gaz. On pourrait de même encourager les micro-cogénérations et toutes les solutions qui apportent de la flexibilité au système électrique.

Les politiques ont désormais à l’échelle européenne fixé un programme ambitieux de décarbonation. La politique est aussi un art d’exécution. L’heure est désormais à l’invention du chantier de transition qui permettra d’éviter que ce changement indispensable ne se fasse aux dépens de la cohésion sociale et de la qualité de vie des habitants.

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Antoine Schuman