Le rôle central du prix de l’énergie
La réponse tient en grande partie à l’évolution récente des prix des énergies fossiles. La compétitivité du plastique recyclé est étroitement liée à celle du plastique vierge, lui-même fortement dépendant des cours du pétrole et du gaz. Lorsque ces derniers baissent, comme c’est le cas depuis plusieurs mois notamment aux Etats Unis et en Asie, la production de plastique vierge devient mécaniquement moins coûteuse et donc plus attractive pour les industriels.
Cette situation crée un paradoxe économique : alors que la réglementation européenne renforce les exigences en matière de contenu recyclé, les conditions internationales de marché rendent le plastique recyclé moins compétitif. Les acteurs du recyclage se retrouvent ainsi pris en étau entre une incitation à investir pour développer leurs activités dans un contexte de rentabilité en berne.
Un écart de prix dissuasif
Le cas du polytéréphtalate d’éthylène (PET), largement utilisé pour les bouteilles, illustre bien cette tension. Aujourd’hui, le PET vierge se négocie autour de 800 euros la tonne, tandis que le PET recyclé est vendu à un prix environ deux fois supérieur. Dans un contexte de forte pression sur les coûts, cet écart constitue un frein majeur à l’incorporation volontaire de matière recyclée.
Un dilemme pour la transition écologique
Des prix de l’énergie bas peuvent représenter une bonne nouvelle pour le pouvoir d’achat des ménages, pour certaines industries intensives en énergie ou encore pour la balance commerciale européenne. Mais ils illustrent aussi une limite structurelle de la transition écologique : tant que les matériaux recyclés sont en concurrence directe avec des matières vierges dont les coûts environnementaux ne sont pas pleinement intégrés, leur compétitivité restera variable et fragile.
C’est également une mauvaise nouvelles pour les collectivités locales ; Celles qui ont investi dans des infrastructures de tri, en amont des activités de recyclage, font donc également face à cette fragilité économique liée à la concurrence du plastique vierge. Ces centres de tri reposent sur des coûts largement fixes : investissements lourds, charges de personnel, énergie, maintenance. En revanche, leurs recettes issues de la vente des matières plastiques triés en vue de leur recyclage sont directement exposées aux fluctuations des marchés. Lorsque le plastique vierge devient moins cher, en période de baisse des prix du pétrole, il est souvent préféré par les industriels. La demande et le prix des plastiques triés puis recyclés diminuent alors, ce qui réduit les revenus des centres de tri sans possibilité d’ajuster les coûts. Cette dissociation entre charges rigides et recettes volatiles place les collectivités dans une situation paradoxale : les investissements réalisés pour améliorer le recyclage peuvent accroître le coût net du service public, alors même qu’ils répondent à des objectifs environnementaux nationaux et européens.
Cette difficulté ne concerne d’ailleurs pas uniquement le plastique. Des problématiques similaires apparaissent dans d’autres secteurs de l’économie circulaire, comme la régénération des solvants ou le recyclage de certains métaux, eux aussi sensibles aux fluctuations des prix de l’énergie et des matières premières.
Internaliser le coût carbone
Dans ce contexte, l’extension du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (CBAM) pourrait constituer un levier pertinent. En internalisant le coût carbone des matières vierges, largement importées, et produites à partir d’énergies fossiles, ce dispositif contribuerait à réduire l’écart de prix avec les matériels recyclées, établissement ainsi les bases d’une concurrence plus équitable.
L’enjeu est de taille : un plastique recyclé émet entre 50 et 80 % de gaz à effet de serre en moins qu’un plastique vierge. Sans instruments économiques cohérents avec cet avantage environnemental, les ambitions de développer une économie plus circulaire risquent de se heurter durablement aux réalités du marché.