Trajets domicile-travail : impératifs de la transition écologique et du soutien au pouvoir d’achat

Trajets domicile-travail : impératifs de la transition écologique et du soutien au pouvoir d’achat
Publié le 18 juillet 2023
Terra Nova a publié récemment un rapport sur la décarbonation des transports et des mobilités. Edenred en France, par la voix de son directeur général, a souhaité contribuer à la discussion autour des propositions qui y figurent en mettant l’accent sur un point que les auteurs évoquaient peu : le rôle que peuvent jouer les entreprises et leurs salariés dans la décarbonation des mobilités. Il y soutient notamment la création d’un Budget mobilité unique (BMU).
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Le développement des mobilités durables a été érigé comme une priorité des Gouvernements successifs, qui s’est notamment traduite par des avancées significatives dans la Loi d’Orientation des Mobilités et la Loi Climat et Résilience. Une illustration législative de ces ambitions a été la mise en place du Forfait Mobilités Durables (FMD). Cependant, force est de constater que ce dispositif est trop complexe, trop contraignant et se heurte à d’autres schémas tels que la prise en charge de l’abonnement de transports en commun. Constat de déception, donc, mais solide fondement pour faire évoluer ce cadre législatif et réglementaire vers un Budget Mobilité Unique (BMU). Et pour faire jouer aux entreprises un rôle décisif dans l’accompagnement de leurs salariés vers une transition durable dans leurs déplacements.

73% des salariés utilisent un véhicule personnel motorisé pour se rendre au travail1, loin devant les transports en commun, le vélo ou les mobilités partagées. Si les politiques publiques portant sur le développement des infrastructures de transports collectifs et cyclables, ou encore sur l’électrification du parc de véhicules en circulation sont déterminantes, la solvabilisation financière des ménages pour accéder aux mobilités alternatives à l’autosolisme – dont on fait le constat qu’elle est trop souvent un impensé du champ politique – l’est aussi.

Le forfait mobilités durables, créé dans la Loi d’Orientation des Mobilités en 2019, est aujourd’hui le dispositif principal permettant aux entreprises d’inciter et d’aider leurs salariés à utiliser des mobilités douces et partagées (tels que les vélos et vélos électriques, le covoiturage, les véhicules en libre-service). Trois ans après son entrée en vigueur, il est possible d’en dresser un premier bilan. Il a permis à des entreprises de promouvoir la mobilité durable auprès de leurs salariés et de les aider concrètement à sauter le pas. Il n’est pas question de remettre en question l’impact sur l’évolution des modes de déplacement des salariés dans ces organisations. En revanche, l’ampleur du dispositif reste bien en-deçà de l’ambition initiale : moins de deux employeurs privés sur cinq ont déployé le forfait mobilités durables2, et un salarié sur deux reconnaît ne jamais en avoir entendu parler.

Ces chiffres traduisent une méconnaissance du forfait mobilités durables, mais aussi la complexité d’un dispositif qui s’inscrit dans le maquis des aides financières publiques et privées à la mobilité durable. Les directeurs des ressources humaines et les dirigeants des petites entreprises sont confrontés à la multiplicité des aides : forfait mobilités durables, prise en charge de l’abonnement de transports en commun et prime transport. Ils doivent se confronter aux plafonds, aux règles de cumul et aux systèmes de collecte de preuves spécifiques.

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Le frein principal au déploiement du forfait mobilités durables dans les entreprises réside dans la frontière étanche entre cette aide et la prise en charge de l’abonnement de transports en commun. Cette prise en charge à hauteur de 50% à 75% est obligatoire pour les employeurs, soit une incitation efficace et nécessaire à l’utilisation des transports en commun. Néanmoins, la transition des mobilités ne saurait se limiter aux seuls transports en commun, et le fait que seule cette aide soit obligatoire décourage fortement les employeurs à mettre à disposition de chaque salarié une aide qui corresponde à ses besoins – par exemple louer un vélo en partage jusqu’à la gare lors des beaux jours et faire du covoiturage un autre jour – et ainsi à aider financièrement tous les salariés au sein des organisations. Nous savons par ailleurs que le télétravail est désormais pratiqué par 45% des salariés. Le seul abonnement de transports en commun ne parait donc plus être la solution universelle à la décarbonation des déplacements.

Pour autant, la méconnaissance du forfait mobilités durables ne signifie ni un rejet ni une indifférence à l’égard des déplacements domicile-travail.  Bien au contraire, les entreprises ont un rôle à jouer dans la transition des mobilités et c’est également l’un des enseignements majeurs des dernières études. Plus de huit salariés sur dix estiment que les employeurs devraient participer financièrement à l’ensemble des frais liés aux trajets domicile-travail de leurs salariés. En effet, n’oublions pas que les transports représentent le second poste de dépenses contraintes des ménages. Mais les salariés vont plus loin et sont sept sur dix à considérer que c’est le rôle de l’employeur d’inciter ses salariés à utiliser des modes de transport plus durables3.

Le corpus actuel des dispositifs de soutien aux mobilités durables est en décalage avec cette aspiration. Une réforme constitue l’opportunité de parvenir à concilier la nécessaire transition des déplacements du quotidien et les tensions sur le budget transport des ménages. Les pouvoirs publics ont tout intérêt à créer les conditions favorables pour embarquer les entreprises dans ce défi collectif. Pour cela, il est essentiel de lever les freins au déploiement du forfait mobilités durables autour de deux principes de simplification et d’universalisation.

Nous demandons ainsi la création d’un Budget Mobilité Unique, reposant sur quatre innovations réglementaires :

  • Unifier toutes les aides à la mobilité des salariés existantes, et en particulier le forfait mobilités durables et la prise en charge de l’abonnement de transports en commun ;
  • Garantir l’égalité de traitement entre tous les salariés d’une même entreprise, et donner accès à l’ensemble des modes de mobilité durable, afin d’accélérer la multimodalité à grande échelle et dans l’ensemble des territoires ;
  • Soutenir les salariés à la hauteur du budget actuellement consacré aux trajets domicile-travail, soit une enveloppe de 800 euros par salarié par an ;
  • Rendre le Budget Mobilité Unique obligatoire, selon une dynamique de seuils progressifs, et l’associer à un régime fiscal incitatif pour les entreprises, condition essentielle pour garantir la généralisation du dispositif.

Il y a là une opportunité pour les entreprises de mettre en œuvre des actions concrètes en faveur de la transition écologique, de soutenir le pouvoir d’achat de leurs salariés en période d’inflation, et de fidéliser leurs collaborateurs. C’est aussi la possibilité, pour ces derniers, d’exercer leur liberté de déplacement et de conscience politique s’agissant de leur empreinte carbone. Aidons-les à en avoir les moyens !

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Ilan Ouanounou