Une mobilisation collective contre l’enracinement de la pauvreté en France

Une mobilisation collective contre l’enracinement de la pauvreté en France
Publié le 5 janvier 2022
  • Président de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS)
Au nom des associations engagées pour une plus grande solidarité, Pascal Brice interpelle ici l’ensemble des candidats et candidates à l’élection présidentielle au sujet de la lutte contre la pauvreté. Quels sont leurs engagements pour l’accès au logement, au travail, à une alimentation saine, à des conditions de vie décentes ? Il présente ici cinq chantiers prioritaires d’une mobilisation nationale contre la pauvreté : un revenu minimum pour tous, le droit à l’alimentation, la valorisation du travail social, la relance du logement social et une politique migratoire européenne.

La pauvreté s’enracine à haut niveau dans notre pays. Elle n’a pas explosé avec la crise sanitaire mais ne disparaitra pas sans une puissante mobilisation collective que les élections présidentielles doivent susciter. Pour notre part, nous ne laisserons pas le pays passer à côté de ces atteintes à la dignité des personnes et du nécessaire volontarisme dans la lutte contre la pauvreté.

Cette élection doit permettre de poser le bon diagnostic sur la pauvreté en France après ces longs mois de crise sanitaire et d’y apporter des réponses adaptées : un investissement social durable ; un partenariat territorialisé avec les acteurs de la lutte contre la pauvreté.

L’action des pouvoirs publics (chômage partiel, soutien à l’économie, aides ponctuelles, nombre élevé de places d’hébergement d’urgence) a permis d’éviter l’explosion de la pauvreté que l’ampleur de la crise sanitaire et sociale faisait redouter. C’est un acquis essentiel qu’il convient de saluer. Mais il ne doit pas conduire à une forme de soulagement qui serait illusoire et même coupable au regard de la situation de millions de personnes et de son impact sur la cohésion du pays. La pauvreté et la précarité, par un effet de vertige qui s’immisce loin dans la société, minent bien plus qu’on ne l’imagine notre santé collective.

Nous souhaitons que chaque candidat(e) à l’élection présidentielle puisse se convaincre d’une réalité : en dépit des centaines de milliers d’emplois non pourvus dans les entreprises, la reprise économique ne suffira pas à combattre la fatalité et l’étendue de la pauvreté pour des millions de personnes.

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La France compte encore 9,3 millions de personnes en situation de pauvreté monétaire selon l’Insee, qui reconnaît lui-même que sa méthode statistique exclut de ce décompte environ 1,5 à 2 millions de personnes. Plus de 11 millions de personnes sont donc pauvres, soit plus de 16% de la population. Toujours selon l’INSEE, une personne sur cinq subit la pauvreté monétaire ou les privations. Ajoutons enfin que parmi elles, plus de 300 000 personnes sont aujourd’hui sans domicile fixe, 2,2 millions en attente d’un logement social tandis que près de 6 millions de personnes sont toujours inscrites à Pôle Emploi, dont 2,7 millions depuis plus d’un an.

Centres d’appel 115, maraudes de rue, Samu sociaux, centres communaux d’action sociale, centres d’hébergement d’urgence et centres d’hébergement et de réinsertion sociale, centres d’accueil des demandeurs d’asile et des réfugiés, ateliers et chantiers d’insertion et associations intermédiaires, lits et appartements médicalisés, distributions alimentaires : toutes nos associations vivent cet enracinement de la pauvreté et ce qu’il représente pour la dignité des personnes à qui les droits humains les plus fondamentaux ne sont pas garantis. Elles peinent souvent à s’alimenter correctement, à avoir un logement autonome et digne, à se soigner, à accéder à l’emploi, à l’éducation et la formation pour elles et leurs enfants, à leurs droits et aux services publics en général, notamment du fait de la dématérialisation sans alternative des démarches administratives, ou encore à la culture et aux loisirs. Plusieurs milliers d’entre elles vivent encore dans la rue, en bidonville ou squats, dans des conditions menaçant leur survie. Leur parole n’est que très rarement entendue, y compris pour élaborer les politiques qui les concernent.

Ces réalités touchent très fortement certaines catégories de la population et certains territoires. Les jeunes, les femmes, en particulier lorsqu’elles sont cheffes de famille monoparentale ou lorsqu’elles sont victimes de violences, les chômeurs de longue durée ou les retraités, ou encore les personnes sous main de justice et en situation de prostitution, sont structurellement plus touchées par cette exclusion. Enfin, certains territoires sont frappés très durement, dans les quartiers des villes mais aussi les territoires ultra-marins ou encore de nombreux territoires ruraux.

Cette campagne présidentielle devrait notamment porter sur la perspective désormais ouverte malgré les harassants ressauts de la crise sanitaire, du plein emploi en France. L’évolution de la démographie comme le dynamisme de la création d’emplois dégagent cet horizon. Mais de quoi parle-t-on ? S’agit-il d’un plein emploi au seul sens des équilibres macro-économiques qui pourrait fort bien s’accommoder de la persistance de niveaux élevés de pauvreté et de précarité, y compris au travail ?  Ou bien plutôt d’un plein emploi et de politiques durablement et obstinément fondées sur la volonté de combattre la pauvreté et la précarité dans le pays ?

Pour cela, l’investissement social durable dans la lutte contre la pauvreté devrait constituer un axe majeur du prochain quinquennat. C’est le sens notamment de la loi pluriannuelle de programmation « de la rue, à l’hébergement et au logement » proposée par notre Fédération et sur laquelle la ministre du Logement a accepté d’ouvrir une concertation.  

Cet investissement collectif dans la durée devrait notamment comporter cinq chantiers principaux.

Le moment est venu de mettre en place un revenu minimum, revalorisé, simplifié pour lutter contre le non accès au droit qui demeure un fléau, accessible dès 18 ans pour tout jeune qui en a besoin. Le lancement des travaux autour du revenu universel d’activité (RUA) au début du présent quinquennat a constitué une bonne nouvelle. Leur interruption nous a fait perdre du temps. Le travail collectif réalisé donne les bases d’une discussion démocratique en vue d’un revenu permettant à tous, et notamment aux jeunes, de vivre dignement.

La crise sanitaire a souligné combien le droit à l’alimentation restait pour beaucoup une réalité à conquérir. Ce progrès doit s’inscrire dans celui de l’ensemble de la société vers une alimentation en quantité nécessaire, mais aussi en qualité.  Les exclus doivent pouvoir bénéficier et participer pleinement à la transition écologique pour l’alimentation, mais aussi pour les mobilités. Elles y contribuent notamment dans le cadre de l’insertion par l’activité économique ou au titre des territoires zéro chômeurs de longue durée, par exemple pour la production agricole biologique ou la réparation des vélos. Ces initiatives devront être encouragées et portées au cœur de la société.

La reconnaissance et la valorisation du travail social constituent une urgence. Les écoles de formation manquent d’élèves et nos associations, de salariés. Au regard de la pauvreté dans le pays, des inquiétudes qui montent depuis longtemps à l’égard de différentes formes de violence dans la société, comment se priver de ces professionnel(les) ? Ces métiers du lien social doivent être reconnus à leur juste valeur. Le travail social pourra ainsi poursuivre son évolution vers des approches décloisonnées autour des parcours des personnes qui prennent en compte l’accès à l’ensemble des besoins sociaux, y compris la santé, le logement, l’emploi ou la culture. Dans le prolongement des états généraux de la santé mentale, chacun doit prendre la mesure de l’impact des insuffisances de la prise en charge sur le plan de la santé mentale sur la situation des personnes en exclusion et de leurs accompagnants.

La panne du logement social que connait le pays n’est pas tenable. La responsabilité en est partagée entre les pouvoirs publics dont la politique d’offre n’a pour le moins pas provoqué les effets espérés, les maires qui ne respectent pas leurs obligations au titre de la loi SRU et ceux qui marquent des réticences au regard des naturelles exigences de la qualité de vie dans les grandes villes. Un pacte républicain territorialisé pour la relance du logement social doit naître de cette élection présidentielle. Un effort collectif national est indispensable pour permettre aux personnes en difficultés de sortir de la rue ou du mal logement. Il passe aussi par un effort majeur de lutte contre la précarité énergétique des ménages les plus défavorisés. Cette relance du logement social est indissociable d’une approche pluriannuelle des politiques d’hébergement qui devrait être fondées sur un diagnostic territorialisé des besoins sociaux et non plus sur l’évolution des températures, une sortie des nuitées d’hôtels vers d’autres modes d’hébergement offrant les moyens d’un accompagnement social durable.

Mais ces efforts seront vains si notre pays ne se dote pas enfin, dans un cadre européen adapté, d’une politique migratoire digne de ce nom. Nul doute que cette question sera présente dans le débat des présidentielles à des fins d’instrumentalisation des inquiétudes provoquées par la fragilisation sociale et culturelle de nombreux français. Mais sera-t-il abordé sous l’angle de la dignité – des accueillis comme des accueillants – et des moyens de garantir un ordre public malmené aux yeux de tous par les campements dans nos villes ? A défaut, les politiques de solidarité – pour le logement, la santé – et l’action de nos associations continueront à subir les conséquences de l’absence de prise en charge digne et efficace des personnes étrangères dans notre pays ; avec tous les dangers que cela comporte au vu des instrumentalisations. Respecter pleinement le droit d’asile, garantir un accès rapide au séjour pour celles et ceux qui y ont droit plutôt que les faire errer dans les rues, créer une protection humanitaire et environnementale, ouvrir la migration de travail dans un cadre de maîtrise avec les partenaires sociaux ; tels sont les moyens de permettre aux personnes de vivre dignement et de dégager les politiques de solidarité des conséquences de l’absence structurelle de politique migratoire.

Cette mobilisation nationale contre la pauvreté suppose également un changement de méthode que nous souhaitons également porter au débat public dans cette période électorale. Les politiques de solidarité sont au milieu du gué de la décentralisation. Il faudra faire le bilan de la renationalisation du RSA en Seine Saint Denis. Les mobilisations dans l’Etat et les collectivités locales ne manquent pas. Il faut notamment saluer celle des départements et des communes pendant cette crise sanitaire. Mais la réalité est que l’Etat a largement disparu du champ des politiques sociales dans les territoires. Lorsqu’il les exerce encore, comme pour l’hébergement, le manque de moyens et la réorganisation à l’infini de ses services territoriaux le privent des moyens d’agir. Les services masquent trop souvent cette impuissance derrière la verticalité et les tableaux Excell. Quant aux collectivités locales, l’échec de l’accompagnement des bénéficiaires du RSA dans la plupart des départements en dit long.

Il est temps de se donner les moyens de politiques de solidarité pleinement territorialisées.  Sur la base d’un socle national de droits renforcés et plus effectifs en luttant contre le non-accès, les politiques devraient partir des besoins et des modalités identifiées depuis chaque territoire. C’est dans ce cadre que nos associations pourront le mieux faire valoir leur ancrage, leur engagement et leur expertise, dans le cadre d’un partenariat loyal et équilibré comprenant un diagnostic partagé, l’identification des objectifs assignés, les moyens financiers correspondant et finalement une capacité à rendre compte du bon usage de l’argent public au service de la cohésion sociale.

En mettant ces débats à l’agenda de l’élection présidentielle nous formulons le souhait que notre pays se donne les moyens de surmonter ses fragilités sociales et culturelles en luttant obstinément contre les exclusions pour réussir le plein emploi.

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Pascal Brice

Il a dirigé l'office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) de 2012 à 2018 avant de prendre la tête de la Fédération des acteurs de la solidarité depuis 2020.
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