Harris-Trump, une approche similaire de la frontière ?

Harris-Trump, une approche similaire de la frontière ?
Publié le 4 octobre 2024
Bien qu’elle s’oppose au discours violemment anti-immigrants de Donald Trump, la candidate démocrate à la présidence est en train d’infléchir la position de son parti sur le sujet. Comment propose-t-elle de traiter les migrants arrivant à la frontière avec le Mexique ? Quelle différence par rapport à Biden ? Quelle est sa vision du sujet migratoire pour la nation américaine ?
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L’approche du Parti démocrate à l’égard de la frontière entre les États-Unis et le Mexique a fondamentalement changé, comme l’a illustré la visite de la vice-présidente Kamala Harris à la frontière en septembre, pour la première fois depuis qu’elle est devenue la candidate démocrate à l’élection présidentielle. Kamala Harris a critiqué l’ancien président Donald Trump pour avoir saboté un projet de loi bipartisan du Sénat portant précisément sur la sécurité frontalière.1 La candidate s’est d’ailleurs engagée à ressusciter ce projet de loi, qui instaurerait les mesures de sécurité frontalière les plus strictes depuis des années.2 Le contraste est saisissant avec 2020, lorsque Joe Biden s’était engagé à arrêter la construction du mur frontalier, à abandonner les politiques frontalières du président Donald Trump et à accueillir les demandeurs d’asile.

Alors que les politiques restreignant l’accès à l’asile et développant le mur frontalier étaient autrefois diabolisées par les dirigeants du Parti démocrate, elles font désormais partie intégrante de l’agenda du parti. Les démocrates continuent néanmoins de mettre en avant les avantages de l’immigration légale et de faire pression pour la régularisation des Dreamers3 et d’autres immigrants sans statut légal résidant depuis longtemps aux États-Unis. À l’opposé, Donald Trump a constamment qualifié les arrivées à la frontière d’ « invasion », décrivant l’immigration non autorisée comme une menace pour la société américaine, dont la résolution passerait par une « issue sanglante ».4 D’autres membres de son parti utilisent un langage similaire et dénoncent le « remplacement » des natifs des États-Unis par des immigrés. Bien que les politiciens républicains et démocrates diffèrent considérablement en termes de ton et de nuance, les deux partis sont aujourd’hui bien plus alignés sur les politiques frontalières qu’ils ne l’ont été ces deux dernières décennies.

Ce virage s’est opéré rapidement, alors que la migration irrégulière entre les États-Unis et le Mexique a atteint des niveaux record au cours des trois dernières années. Ce réalignement est cependant passé presque inaperçu dans le tumulte des campagnes électorales, où l’immigration demeure un sujet très controversé. Dans le même temps, des divergences fondamentales subsistent entre les partis concernant leur vision de l’immigration pour l’avenir du pays.

D’une certaine manière, la dynamique actuelle constitue un retour à une époque antérieure. Jusqu’au début des années 2000, les deux partis étaient globalement d’accord sur l’importance de contrôler et de réduire l’immigration irrégulière. Cette position a commencé à diverger au cours des deux dernières décennies et, en 2018, le clivage a atteint son paroxysme, les démocrates prônant des politiques humanitaires et d’accueil, tandis que les républicains mettaient l’accent sur le contrôle des frontières et l’application de la loi. L’immigration a constitué l’un des thèmes majeurs de la campagne de Donald Trump contre la candidate démocrate Hillary Clinton. Alors que les récentes arrivées aux frontières ont de nouveau capté l’attention du public, les sondages d’opinion ont montré un écart important dans la confiance accordée par le public aux candidats des deux partis en ce qui concerne la gestion de crise. Toutefois, à mesure que les dirigeants démocrates ont changé de position et que Kamala Harris est devenue la candidate du parti, les sondages indiquent que cet écart s’est réduit.

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Il n’en reste pas moins que des divergences partisanes subsistent quant à la manière de gérer l’immigration irrégulière. Donald Trump et ses alliés sont favorables à une stratégie d’expulsion massive, tandis que les démocrates souhaitent accorder un statut légal à une part significative de la population d’immigrants non autorisés – estimée à 11,3 millions au milieu de l’année 2022 par le Migration Policy Institute.5 Les divisions sont encore plus profondes en ce qui concerne les autres aspects de l’immigration. Donald Trump a promis de limiter considérablement l’immigration légale, tout en décrivant les immigrants en des termes péjoratifs. Kamala Harris, à l’inverse, s’inscrit dans la continuité des politiques de l’administration Biden, notamment la création de nouvelles voies d’immigration légale et l’adoption de statuts juridiques temporaires qui offrent une protection contre l’expulsion, sans toutefois mener à l’obtention d’une carte verte.6

Une perception défavorable du bilan de l’administration Biden sur la gestion de la frontière  

La perception du chaos à la frontière entre les États-Unis et le Mexique et dans les villes où les demandeurs d’asile et d’autres migrants se sont installés a modifié l’opinion d’une grande partie du public américain sur le contrôle des frontières. Au cours de l’année fiscale 2022, 2,4 millions de migrants se sont présentés à la frontière sud, avec un record de 2,5 millions au cours de l’année fiscale 2023, et plus de 2 millions pour l’année fiscale 2024 (voir la figure 1).7

Figure 1. Nombre de migrants rencontrés par le Service des douanes et de la protection des frontières des États-Unis à la frontière entre les États-Unis et le Mexique, exercice 2015-24*

* Les données de l’année fiscale 2024 vont jusqu’au mois d’août, couvrant les 11 premiers mois de l’année fiscale.
Note : Le graphique retrace le nombre de contacts aux postes-frontières entre les États-Unis et le Mexique, ainsi que les interceptions des tentatives d’entrées irrégulières le long de la frontière.
Sources : Les données pour l’année fiscale 2015-20 proviennent de la base de données de la Commission européenne : Les données pour l’année fiscale 2015-20 proviennent du ministère américain de la Sécurité intérieure (DHS), Office of Homeland Security Statistics (OHSS), Immigration Enforcement and Legal Processes Monthly Tables, mis à jour le 10 septembre 2024, disponible en ligne ; les données pour l’année fiscale 2021-24 proviennent de U.S. Customs and Border Protection (CBP), Nationwide Encounters, mis à jour le 16 septembre 2024, disponible en ligne.

Selon une enquête du Pew Research Center réalisée en janvier 2024, 80% des personnes interrogées estimaient que le gouvernement gérait mal la situation à la frontière entre le Mexique et les États-Unis.8

Figure 2. Part des adultes américains déclarant que le gouvernement américain gère mal la situation à la frontière sud, 2019-24

Note : Le graphique montre la part des répondants adultes américains qui ont déclaré que le gouvernement fait un « très mauvais » ou « assez mauvais » travail « face au grand nombre de migrants cherchant à entrer aux États-Unis à la frontière avec le Mexique ».
Source : Pew Research Center, How Americans View the Situation at the U.S.-Mexico Border, Its Causes and Consequences (Washington, DC : Pew Research Center, 2024), disponible en ligne.

Le rapprochement des démocrates avec la position du parti républicain sur la frontière

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Compte tenu de l’état de l’opinion publique, il n’est pas surprenant que la campagne de Kamala Harris et d’autres démocrates aient modifié leur message sur le contrôle des frontières. Ainsi, Kamala Harris a vanté la baisse récente du nombre de passages à la frontière après l’entrée en vigueur, en juin, d’un décret limitant l’accès à l’asile pour certains des migrants rencontrés le long de la frontière en dehors des points d’entrée officiels aux États-Unis.9 Kamala Harris a également mis en avant ses compétences en matière d’application des lois, du fait de sa carrière de procureur. Elle s’affiche désormais pour « une sécurité frontalière forte et une voie d’accès méritée à la citoyenneté ».10

Les points de divergence entre les candidats

Bien qu’ils convergent sur cette position concernant la frontière, les candidats diffèrent sur la façon de gérer les nouveaux arrivants et sur le rôle plus global de l’immigration aux États-Unis. Les démocrates continuent d’affirmer qu’une immigration ordonnée est un avantage net pour le pays, tandis que de nombreux républicains considèrent que l’immigration, même légale, constitue une menace pour l’emploi et la sécurité.11

La campagne de Kamala Harris a été relativement discrète sur les propositions en matière d’immigration de la candidate. Toutefois, compte tenu de son rôle dans l’élaboration des politiques de l’administration Biden, il est probable qu’elle associerait de la même manière un renforcement des contrôles à un accès élargi aux voies légales. Le projet de loi du Sénat qu’elle soutient prévoit ainsi 50 000 cartes vertes supplémentaires pour l’emploi et des visas familiaux chaque année, pour les cinq prochaines années. Cela constituerait la première augmentation de l’immigration légale depuis 1990. Ce projet défend aussi une voie d’accès à la citoyenneté pour les Afghans bénéficiant d’un statut temporaire aux États-Unis. Plus largement, le programme du Parti démocrate prévoit de renforcer le système d’immigration légale et de maintenir des niveaux élevés de réinstallation de réfugiés.12

En revanche, une deuxième administration Trump apporterait probablement des changements radicaux pour limiter l’immigration sous toutes ses formes. Donald Trump a réclamé à maintes reprises l’expulsion en masse de tous les immigrés non autorisés, le rétablissement de l’interdiction de visas et de voies légales pour certains pays à majorité musulmane et l’annulation de la protection pour de nombreux résidents non citoyens ayant un statut juridique précaire, comme les Afghans et les Ukrainiens qui bénéficient d’une protection temporaire. Donald Trump a aussi défendu une immigration fondée sur le mérite qui donnerait la priorité aux immigrants hautement qualifiés tout en réduisant considérablement l’immigration familiale, en mettant fin à la citoyenneté de naissance (dont les juristes s’accordent généralement à dire qu’elle est inscrite dans le 14e amendement de la Constitution pour toute personne née aux États-Unis, quel que soit le statut de ses parents) et en limitant les programmes destinés aux travailleurs étrangers temporaires. Une deuxième présidence Trump relancerait probablement plusieurs initiatives de son mandat précédent, notamment la suspension des programmes de réinstallation de réfugiés.

Deux visions de l’avenir

L’immigration reste un sujet de discorde important, et aucun des deux candidats n’a proposé de stratégie concrète pour surmonter les nombreux obstacles à la mise en œuvre de leur programme.13 Alors que Kamala Harris ne cesse de répéter qu’elle soutient le projet de loi rejeté par le Sénat, elle n’a pas proposé de plan pour le faire adopter par un Congrès divisé. Quant à Donald Trump, il esquive toutes les questions sur la manière dont il compte procéder à des déportations massives, une démarche qui mobiliserait des ressources considérables et la coopération de nombreux pays pour accepter le retour de leurs citoyens. Quelle que soit l’issue de la course, le prochain président sera confronté à une situation difficile. Il ou elle héritera probablement d’un Congrès fragmenté, ce qui entraînera la persistance de l’inaction législative concernant l’immigration. En outre, le recours de plus en plus fréquent à l’autorité présidentielle pour pallier la paralysie du Congrès entraînera inévitablement de nouvelles contestations juridiques, pouvant laisser certaines actions en suspens pendant des années. 

Néanmoins, la convergence du Parti démocrate avec les républicains sur la sécurité des frontières ouvre un nouveau chapitre dans le débat sur l’immigration aux Etats-Unis. Elle a en effet débouché sur un point d’accord : les outils disponibles pour gérer la frontière sud ne sont pas adaptés aux schémas migratoires actuels et à l’évolution démographique des migrants, et de nouveaux modes de gestion – notamment la limitation de l’accès à l’asile pour les migrants arrivant sans autorisation – seront mis en œuvre. Mais à d’autres égards, les deux partis restent plus éloignés que jamais l’un de l’autre.

La campagne présidentielle offre ainsi un aperçu des deux futurs possibles de la politique d’immigration. Mais il est aussi important de dépasser les discours et d’examiner de plus près les précédentes actions des administrations Biden et Trump. En outre, des événements imprévisibles tels que l’épidémie de COVID-19, le retrait précipité d’Afghanistan, l’invasion de l’Ukraine par la Russie et les troubles en Haïti et au Venezuela ont mis à l’épreuve les approches des précédents gouvernements américains en matière d’immigration. Il est presque certain que le prochain président sera aussi confronté à des crises qui mettront à l’épreuve le système d’immigration des États-Unis et modifieront davantage le paysage politique.

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Muzaffar Chishti

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