L’élection européenne tremplin d’une nouvelle opposition à l’intérieur
Après quatorze ans au pouvoir, le Fidesz a, certes, perdu en pourcentage (- 7 points), mais pas en suffrages exprimés, par rapport à 2019. Avec 44,7% c’est un recul bien bénin, presque enviable (!) par rapport à l’ébranlement politique subi par le pouvoir en France ou la défaite de la coalition allemande.
La véritable nouveauté de ce scrutin ne concerne donc pas le parti au pouvoir mais l’opposition qui, elle, sort transformée de ce vote européen avec une participation record (près de 60% contre 43,5% en 2019). En effet, la percée d’un nouveau parti « Respect et Liberté » (Tisza), lancé en mars par Péter Magyar, avec 30% des voix a fait émerger une nouvelle force d’opposition dont il est encore difficile de cerner le profil politique. Magyar, issu du Fidesz, séparé de son épouse ministre de la justice et tête de liste pressentie pour les élections européennes, Judit Varga, a lancé son mouvement dans un contexte très particulier suite à l’amnistie donnée à un complice d’un pédophile condamné. Indéfendable pour un parti qui dit promouvoir les valeurs familiales. Le scandale a contraint à la démission la ministre de la justice et même la présidente de la république, Katalin Novak. Péter Magyar s’employa ensuite à dénoncer l’hypocrisie et les pratiques corrompues et clientélistes du Fidesz (qu’il connaissait bien de l’intérieur).
Le nouveau parti de Magyar ne fit donc pas campagne sur des thèmes européens même si, lors d’un meeting à la fin de la campagne, il lança : « Voulons-nous aller vers l’Est ? » et la foule répondit : « l’Ouest » ; puis, dans la même veine : « Le Fidesz ou l’Europe ?». « L’Europe » répondit le public. Il est, pour le moment, difficile de donner à Tisza un profil politique bien défini, mais son adhésion au PPE au Parlement européen, où il remplacera le Fidesz exclu, donne une indication.
Ce qui est important à retenir c’est que cette percée ultra-rapide d’une nouvelle force d’opposition ne s’est pas faite aux dépens de l’électorat du Fidesz, mais, pour l’essentiel, aux dépens de l’opposition traditionnelle (libérale ou de gauche). Ainsi, la Coalition Démocratique de l’ancien premier ministre socialiste Ferenc Gyurcsany a obtenu 8% (au lieu de 16% en 2019). Momentum, le petit parti libéral anti-Fidesz, ne franchit pas la barre des 5%
Le Jobik s’est effacé mais un nouveau parti d’extrême droite, « Notre Parti », a pris sa place (1 député).
Cestes, l’ancienne opposition garde sa prépondérance dans les grandes villes, Szeged, Pécs, Györ et surtout Budapest (où la victoire très serrée du maire du maire sortant Gergely Karacsony est contestée) comme le montrent les élections municipales qui se sont déroulées en même temps que les européennes. Mais, après avoir perdu trois élections législatives de suite, elle donnait une impression d’impuissance et n’arrivait plus à incarner une alternative à Orban. C’est pourquoi même d’anciens dissidents libéraux, tels que Gabor Demsky, Balint Magyar ou Miklos Haraszty ont appelé à voter pour Péter Magyar qui devient ainsi le challenger potentiel de Viktor Orban. A condition que les anciennes oppositions usées et éclatées puissent converger avec la nouvelle.
Recomposition européenne : Orban l’homme charnière
Si la politique intérieure a dominé cette élection il y eut cependant deux thèmes forts dans le discours du Fidesz dont les implications sont importantes pour l’Europe. Le premier fut l’effort du Fidesz de présenter comme un enjeu majeur de cette élection « la question de la paix et de la guerre ». Orban considère que l’Ukraine ne peut gagner la guerre contre la Russie et qu’il faut donc chercher à y mettre un terme. Une grande « marche pour la paix » fut organisée à Budapest lors de la campagne. Il ne s’agit pas (comme c’est parfois présenté à l’extérieur) pour Orban d’une position « pro-russe ». Il n’est pas, ni les Hongrois, russophile ; ils se souviennent de l’histoire (1848, 1956). Mais Orban a exploité un sentiment répandu dans la société (« restons à l’écart » de ce conflit, « ce n’est pas notre guerre ») et, en même temps, profité d’avantages économiques à tirer de son indulgence affichée envers Poutine (livraisons de pétrole et de gaz).
Cela rend d’autant plus difficile, bien entendu, la formation d’une politique européenne de soutien fort à l’Ukraine. Orban est favorable à l’élargissement de l’UE vers les Balkans (surtout la Serbie de son alter ego Vucic) mais considère qu’entamer des négociations avec l’Ukraine dont les frontières ne sont pas définies est « prématuré ».
Plus important à court terme que les obstructions sur l’élargissement de l’UE à l’Ukraine est le rôle qu’Orban veut jouer dans la recomposition européenne marquée par la poussée des partis nationalistes et populistes de droite. Entre deux femmes politiques son cœur balance : « l’avenir du camp souverainiste en Europe, comme de la droite en général, repose aujourd’hui entre les mains de deux femmes. Tout dépendra de la capacité à coopérer de Marine Le Pen en France et de Giorgia Meloni en Italie ».1
Évincé du parti populaire européen (PPE), le Fidesz d’Orban se situe à la charnière de deux groupes au Parlement européen : les conservateurs et réformistes européens (CRE,Fratelli d’Italia, PiS polonais, etc) et Identité et Démocratie (ID,Le Pen, Wilders, etc). L’ambition d’Orban est la réunion de ces deux groupes pour peser explicitement sur les orientations de la politique européenne face à l’alliance des conservateurs (PPE), des sociaux-démocrates (SD) et Renew et, plus généralement, sur la recomposition politique au plan européen. C’est le contraire d’une hypothétique sortie (quand on reçoit 3% de son PNB en fonds européens on réfléchit à deux fois avant de claquer la porte et l’échec britannique est devenu un anti-modèle) ; l’objectif est de transformer l’UE de l’intérieur, à commencer par une recomposition politique européenne espérée avec l’affaiblissement de la France et de l’Allemagne. La présidence hongroise de l’UE dans ce contexte n’est pas anodine.