La présidence polonaise de l’UE : l’élargissement par la sécurité

La présidence polonaise de l’UE : l’élargissement par la sécurité
Publié le 17 décembre 2024
  • Chercheur sur l'élargissement de l'Europe, rédacteur en chef adjoint à Res Publica Nowa
Dans quelques semaines, la Pologne assumera la présidence du Conseil de l'UE, arrivant avec une forte crédibilité en matière de défense et de grandes ambitions pour la sécurité européenne. Pour Varsovie, il ne s'agit pas seulement d'une rotation de routine mais d'une occasion privilégiée de recadrer l'élargissement de l'UE et de l'aligner sur les priorités de l'Europe en matière de sécurité. La Pologne sera-t-elle à la hauteur de l'événement ?
Cet article est tout d’abord paru le 28/11/2024 sur le site du think tank polonais Visegrad Insight

Dans quelques semaines, le collège des commissaires européens arrivera à Varsovie pour marquer le début de la présidence polonaise du Conseil. Pour les commissaires fraîchement nommés, il s’agira de l’un de leurs premiers grands engagements internationaux. Pour la Pologne, l’accueil de cette réunion offre une occasion privilégiée rare de façonner l’agenda de l’UE au début de son nouveau mandat – et de se positionner en tant que leader en matière de sécurité et l’un des principaux champions de l’élargissement.

C’est la sécurité, idiot !

Après les élections européennes de juin 2024, l’UE est entrée dans un nouveau cycle institutionnel – une occasion pour Varsovie de faire progresser ses priorités.

La Pologne dispose d’un puissant levier : avec des dépenses de défense qui devraient atteindre 4,7 % du PIB en 2025, Varsovie jouit d’une forte crédibilité pour mener les discussions sur la sécurité européenne et faire valoir qu’une Union plus large est essentielle pour une Union plus sûre.

Dans les prochains jours, Donald Tusk définira les priorités de la présidence polonaise de l’UE. Sa vision comprendra probablement sept ou huit dimensions de la sécurité : la défense traditionnelle, l’énergie, l’économie, la technologie et l’information, la santé, l’alimentation, le climat et la sécurité civile.

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Cette vision élargie de la sécurité s’aligne sur les débats en cours au sein de l’UE sur la souveraineté stratégique et la résilience. Cependant, elle renforce également les arguments en faveur de l’élargissement, en présentant une Europe élargie comme essentielle à la sauvegarde de ces dimensions. L’Europe élargie sécuriserait ses frontières, limiterait les ingérences étrangères et favoriserait le sentiment d’appartenance à l’Europe.

La présidence polonaise offre la possibilité de recadrer le débat sur l’élargissement de l’UE, en mettant l’accent non plus sur les défis mais sur les avantages stratégiques. Alors que la survie de l’Ukraine dépend de sa capacité à résister à l’agression de la Russie sur le champ de bataille, son avenir européen dépend du processus ardu d’adhésion à l’UE. La Pologne peut promouvoir un discours stratégique soulignant que la sécurité et l’élargissement dans le voisinage oriental doivent aller de pair.

De plus, Varsovie s’est également engagée à soutenir l’adhésion de la Moldavie et assumera la responsabilité de contribuer aux négociations d’adhésion dans les Balkans occidentaux, démontrant ainsi que l’élargissement de l’UE est une priorité transversale. Si la Pologne considère l’adhésion comme une clé de la sécurité à long terme de l’Europe, cela pourrait donner le ton des discussions pour les années à venir.

Surmonter les limites

La présidence du Conseil s’adresse principalement aux cercles politiques de l’UE, dans un langage souvent enveloppé de jargon bruxellois et de détails technocratiques. Il est très peu probable que le mandat de six mois de la Pologne suffise à gagner les cœurs et les esprits des sociétés européennes à l’élargissement.

La politique intérieure ajoute à la complexité de la situation. Les prochaines élections présidentielles polonaises pourraient modifier l’orientation politique du pays et influencer les priorités de la présidence. De plus, les prochaines élections devraient coïncider avec la reprise des discussions sur la suspension des droits d’importation et des quotas sur les exportations ukrainiennes vers l’Union européenne.

En effet, les mesures commerciales autonomes (ATM) qui donnent à l’Ukraine un accès au marché européen doivent expirer le 5 juin 2025, ce qui entraînera une nouvelle discussion sur le niveau de soutien dont bénéficiera l’Ukraine pour commercialiser ses produits sur le marché européen. Cela impliquerait des discussions sur les œufs, la volaille, le sucre et d’autres éléments vitaux du secteur agroalimentaire, qui pourraient être facilement présentées comme une attaque contre les agriculteurs polonais.

Trop souvent basés sur des émotions plutôt que sur des chiffres, les débats sur ces mesures commerciales pourraient facilement échapper à tout contrôle et provoquer de réels problèmes pour le gouvernement polonais et les forces favorables à l’élargissement. Il est d’autant plus nécessaire de mettre l’accent sur la sécurité et les avantages d’une Union élargie. D’autant plus que la sécurité restera probablement un thème central pour les deux côtés de l’échiquier politique.

La présidence polonaise de l’UE a le potentiel de rompre avec le scénario traditionnel de l’élargissement. En tirant parti du nouveau cycle institutionnel à Bruxelles, Varsovie peut créer une dynamique en faveur d’un programme d’élargissement que la présidence danoise suivante pourrait également soutenir.

Six mois, c’est une courte fenêtre d’opportunité dans le monde de l’élaboration des politiques européennes mais, avec la bonne stratégie, la Pologne peut laisser une marque durable. Après tout, comme le dit le dicton national, « un Polonais se débrouillera toujours ».

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