Ce texte a tout d’abord été publié en anglais dans le projet « Plus désunis que jamais ? Analyse comparative des élections européennes de 2024 ». Il est mené dans le cadre d’une coopération entre Das Progressive Zentrum (Berlin, Allemagne) et European Policy Centre (Bruxelles, Belgique). Il associe en outre : Istituto Affari Internazionali (Italie), Terra Nova (France) et Krytyka Polityczna (Pologne), qui apportent une expertise spécifique permettant une perspective européenne plus complète. Ce projet est soutenu par Open Society Foundations.
Introduction
En Italie, les élections au Parlement européen (PE) des 8 et 9 juin ont largement confirmé l’équilibre des forces politiques établi lors des élections générales d’octobre 2022 et ont renforcé le leadership de la Première ministre Giorgia Meloni. Les Frères d’Italie, membres du groupe des Conservateurs et Réformistes européens au Parlement européen (CRE) et principal partenaire de la coalition au pouvoir, ont conforté leur victoire avec 28,8 % des voix, soit un peu plus que ce que prévoyaient les sondages. Ils ont ainsi obtenu 24 des 76 sièges attribués à l’Italie au sein de l’assemblée européenne. Cette performance se démarque nettement des 6 % obtenus par le parti lors des précédentes élections européennes de 2019, ce qui confirme l’emprise de Mme Meloni sur la politique italienne. Cela montre également que sa position au gouvernement n’a pas entraîné d’inconvénients politiques significatifs pour son parti. Contrairement à d’autres dirigeants européens dans des États membres comme la France, l’Allemagne et l’Espagne, Mme Meloni est arrivée en tête des suffrages ce qui légitime son rôle de premier plan au sein du Conseil européen. Un rôle qu’elle aura encore du mal à traduire en influence concrète, comme l’ont montré les négociations sur les postes les plus importants de l’UE où elle a vainement tenté de s’opposer aux nominations de Kaja Kallas comme cheffe de la diplomatie européenne et d’Antonio Costa comme président du Conseil européen.
A l’inverse, le vote a été une défaite cuisante pour la Ligue de Matteo Salvini (membre du groupe rival d’extrême droite Identité et Démocratie au PE) qui était arrivée en tête en 2019 avec 34 % des voix. En juin, La Ligue n’a obtenu que 9 % des voix, gagnant ainsi 8 sièges. Elle a également été dépassée par l’autre partenaire de la coalition au pouvoir, la résurgence de Forza Italia (membre du Parti populaire européen – PPE), qui a obtenu 9,6 % des voix et 9 sièges.
Les élections ont également marqué un retour à un clivage gauche-droite traditionnel dans le système politique, les partis d’opposition de centre-gauche s’en tirant mieux que ne le prévoyaient les sondages d’opinion. Le Parti démocratique (PD – membre des Socialistes & Démocrates au PE) est devenu la deuxième force politique, avec 24,1%, ce qui se traduit par 21 sièges, et enverra le plus grand contingent national au sein du groupe S&D au PE. L’alliance des Verts et de la Gauche
(Alleanza Verdi e Sinistra, AVS, membres des Verts/Gauche) a obtenu un résultat étonnamment positif avec 5 sièges et 6,8 % des voix, entrant au PE après avoir manqué le seuil électoral de 4 % en 2019 en raison des divisions entre les membres de l’alliance.
Les deux listes libérales centristes qui se sont lancées dans la course cette année, les États-Unis d’Europe et Action, toutes deux affiliées à Renew, ont ignoré la leçon selon laquelle un ticket électoral commun augmenterait leurs chances. Elles se sont présentées séparément et, en conséquence, elles ont toutes deux manqué le seuil de 4% et n’enverront aucun représentant au Parlement européen. Le Mouvement 5 étoiles (M5S, non aligné au PE), dirigé par l’ancien Premier ministre Giuseppe Conte, a connu un résultat décevant. Leur pari électoral sur une position pacifiste à l’égard de l’Ukraine n’a pas été couronné de succès, puisqu’ils ont obtenu un score décevant de 10 %, en baisse par rapport aux 15 % que les sondages annonçaient un mois plus tôt. Ils enverront 8 représentants au Parlement européen.
Le taux de participation a été historiquement bas (49,7 %). C’est la première fois dans l’histoire républicaine de l’Italie que le taux de participation à une élection générale ou à une élection au Parlement européen est inférieur à 50 %. Des différences marquées sont apparues entre les circonscriptions où les élections européennes se déroulaient en même temps que les élections locales et celles où le seul vote possible était pour le PE, en particulier dans le sud. Meloni a rapidement attribué le faible taux de participation à l’éloignement des citoyens vis-à-vis de l’UE. En fait, l’Italie reste un pays légèrement eurosceptique, avec seulement 46 % des Italiens qui voient l’adhésion à l’UE d’un œil positif. Cependant, la baisse du taux de participation est en train de devenir un trait caractéristique des élections en Italie.
Le contexte des élections : de Draghi à Meloni
Depuis les dernières élections européennes de 2019, l’Italie a subi les mêmes chocs systémiques que ses partenaires européens, à savoir la pandémie de Covid-19 et la guerre d’agression russe contre l’Ukraine. La pandémie a durement touché le pays, l’économie italienne étant sévèrement affectée. La guerre russe contre l’Ukraine a été un signal d’alarme pour un pays fortement dépendant des importations de gaz russe et pour les partis nationaux qui avaient cultivé des liens politiques avec le régime de Moscou. Rome a réagi rapidement en soutenant politiquement, financièrement et militairement la résistance de l’Ukraine.
Les premières conséquences de la guerre ont été gérées par le gouvernement de Mario Draghi, soutenu par une large coalition parlementaire. Mme Meloni est restée fermement dans l’opposition, tout en adoptant progressivement une attitude plus favorable aux fermes réponses de l’Europe et de l’OTAN à la Russie. Sa décision a été payante lors des élections générales d’octobre 2022, lorsqu’une coalition de droite menée par son parti, Frères d’Italie, avec la Ligue et Forza Italia (qui avaient tous deux soutenu M. Draghi) a pris le pouvoir, Mme Meloni devenant la première femme Premier ministre de l’histoire de l’Italie. La coalition a fait preuve d’une grande cohésion au cours de ses 20 premiers mois au pouvoir, bien que les trois principaux partis appartiennent à des groupes politiques différents au sein du Parlement européen. Leur tâche a également été facilitée par une opposition affaiblie, qui a connu une reconstruction importante, en particulier en ce qui concerne le parti démocratique (PD) de centre-gauche. Sous la nouvelle direction d’Elly Schlein, le PD est passé à gauche et a tenté de trouver un terrain d’entente avec le M5S. Les résultats des élections européennes auront des conséquences sur la construction d’une alternative de centre-gauche au niveau national, puisque le PD est de nouveau clairement en tête.
Contraintes institutionnelles et personnalisation de la politique
La campagne électorale pour les élections européennes a commencé assez tard, les programmes et listes des partis n’ayant été présentés qu’à la fin du mois d’avril. Cela peut s’expliquer en partie par une série d’élections régionales dans les premiers mois de 2024 en Sardaigne, dans les Abruzzes et en Basilicate, qui ont dominé les préoccupations des partis. La victoire du centre-gauche en Sardaigne et la confirmation du centre-droit dans les deux autres élections ont été interprétées comme un test pour le gouvernement de Meloni. Les médias et les partis politiques ont également présenté les élections du PE comme des élections de mi-mandat. Lors du lancement de sa campagne à Pescara en avril, Mme Meloni a elle-même adopté ce discours, affirmant qu’elle demandait aux électeurs italiens d’exprimer leur satisfaction à l’égard du gouvernement.
En Italie, la loi électorale pour les élections du PE est purement proportionnelle, avec un seuil national de 4% et une grande importance accordée aux votes pour les candidats individuels au sein des listes de partis. Ces contraintes institutionnelles ont deux implications. Premièrement, le système proportionnel n’exige pas la formation d’une coalition, ce qui signifie que les petits partis sont incités à faire campagne pour eux-mêmes. La campagne électorale a donc approfondi les dissensions entre les partenaires de la coalition, en particulier au sein de la majorité au pouvoir. L’affiliation à différents groupes politiques au niveau européen a pris une importance nouvelle, la Ligue de Salvini adoptant une approche beaucoup plus eurosceptique, conformément au message de l’ID, face à la tentative de Meloni d’institutionnaliser et de normaliser son propre point de vue conservateur intransigeant sur la nécessité de changer profondément l’Europe de l’intérieur. La rivalité a été particulièrement forte entre l’euroscepticisme de la Ligue et le message pro-européen traditionnel de Forza Italia, les deux partenaires s’affrontant depuis longtemps auprès de l’opinion.
La deuxième implication a été la personnalisation prononcée de la campagne. Le poids d’un vote axé sur les candidats a été renforcé par la division du territoire italien en cinq grandes régions.
Les dirigeants des partis – y compris des personnalités de haut niveau telles que la Première ministre Meloni et le ministre des affaires étrangères Antonio Tajani (Forza Italia) – se sont présentés en tête de liste, tout en déclarant qu’ils ne siégeraient pas au Parlement s’ils étaient élus. Mme Meloni s’est présentée dans les cinq circonscriptions, soulignant encore son lien direct avec les électeurs en les invitant à utiliser son prénom « Giorgia » dans l’urne et en recueillant plus de deux millions de votes personnels. L’ancien président du Parlement européen, M. Tajani, s’est présenté dans quatre circonscriptions sur cinq. La même décision a été adoptée – avec des résultats mitigés – par d’autres leaders, tels que Carlo Calenda (Azione, cinq sur cinq), Matteo Renzi (États-Unis d’Europe, quatre sur cinq) et Elly Schlein (PD, deux sur cinq). M. Salvini a choisi de ne pas se présenter mais son nom figure sur le logo électoral de la Ligue. Au sein du M5S, le chef du parti et ancien premier ministre italien Giuseppe Conte a décidé de ne pas se présenter, tout en dominant la campagne du parti. Les bons résultats du PD s’expliquent aussi en partie par le choix de personnalités politiques locales bien connues.
Plusieurs partis ont décidé de travailler avec des candidats indépendants, capables d’attirer des votes personnels sur leurs listes. Certains d’entre eux ont fini par jouer un rôle majeur au cours de la campagne. L’ancien général de l’armée Roberto Vannacci s’est distingué sur les listes de la Ligue, donnant le ton de la campagne avec son message agressif de droite dure sur les valeurs, les droits des minorités et l’immigration. Il a éclipsé le leader de son propre parti et a obtenu plus de 500 000 votes personnels. Le centre-gauche s’est également tourné vers des candidats indépendants : le PD a élu des voix anti-guerre issues de la société civile comme Marco Tarquinio et Cecilia Strada, tandis qu’AVS a enrôlé Ilaria Salis, une activiste politique incarcérée en Hongrie, dans le but de dénoncer la violation de l’État de droit par Budapest, une démarche au final fructueuse.
Un débat national autour de différentes idées de l’Europe
Dans un environnement aussi personnalisé, le contenu des programmes politiques des partis et la campagne proprement dite menée par les candidats ont progressivement divergé. Les manifestes électoraux reflétaient des distinctions claires dans les propositions et les principes sur des domaines politiques européens aussi divers que la transition écologique, la défense européenne ou les migrations. Cependant, la campagne au jour le jour a été dominée par les questions intérieures. Il s’agissait de débats houleux sur la réforme constitutionnelle, la mainmise de gouvernement sur la télévision publique ou la limitation du droit à l’avortement. L’opinion publique italienne s’est habituée à une polarisation politique telle que toute discussion sur des questions sérieuses paraît de moins en moins attractive. Paradoxalement, la campagne qui a le plus développé les sujets européens a été la campagne eurosceptique menée par la Ligue de Salvini.
Cela ne signifie pas que le débat d’idées sur l’Europe et les relations futures entre l’Italie et l’UE ait été totalement absent. Toutefois, les partis politiques ont généralement présenté leurs points de vue à travers le prisme de la politique intérieure et se sont appuyés sur des messages simples. Un trait frappant de cette campagne électorale, surtout par rapport aux précédentes, a été l’absence presque totale d’appels à la sortie de l’Italie de l’euro ou de l’UE, même de la part des mouvements eurosceptiques les plus virulents. Cette évolution peut s’expliquer par l’attitude nouvelle que l’UE a adoptée pendant la pandémie, grâce aux instruments tels que le filet de sécurité pour l’emploi (SURE) et la « facilité pour la reprise et la résilience » (RFF) pour soutenir l’économie après la pandémie qui ont pu atténuer l’euroscepticisme persistant du pays. Cependant, ces programmes de l’UE ont à peine été mentionnés durant la campagne, les partis et même l’électorat semblant les considérer comme un dû, allant de soi.
Les Frères d’Italie de Meloni ont promu une vision confédérale de l’UE, basée sur le principe de subsidiarité et dénonçant la concentration du pouvoir entre les mains d’une Commission européenne « sans légitimité démocratique ». Son parti a mis en garde contre les excès de Bruxelles dans des secteurs tels que la compétitivité et la gouvernance fiscale. Toutefois, Mme Meloni a également mis l’accent sur un « destin commun européen », notamment par le biais d’une politique de sécurité et de défense commune. Elle a défendu l’idée de changer l’UE de l’intérieur, se démarquant ainsi de l’euroscepticisme plus explicite de la Ligue de M. Salvini. Elle a convaincu son électorat que l’UE peut être un instrument de promotion des intérêts nationaux sur la scène mondiale, si elle est gérée correctement, tout en rassurant certains secteurs économiques, tels que les agriculteurs et les petites et moyennes entreprises (PME) que le gouvernement dit protéger contre les « excès » de Bruxelles.
Les principaux partis de gauche et de droite ont défendu la vision d’une Europe plus fédéraliste. Forza Italia, à droite, a réitéré son message pro-européen traditionnel fondé sur la liberté, la sécurité et l’identité chrétienne. Le PD et l’AVS, à gauche, ont plaidé en faveur d’une intégration européenne plus poussée, favorisant le maintien d’outils économiques communs après RFF. D’une manière générale, les partis de gauche ont dépeint l’image d’une UE plus attentive aux questions sociales et écologiques. Cependant, la campagne du PD était principalement motivée par des promesses nationales, telles que le renforcement du système de santé publique et l’introduction d’un salaire minimum, des domaines politiques qui relèvent de la compétence des États membres et non de celle de l’UE.
Le ton de la campagne a été donné par les slogans adoptés par les partis, plutôt que par des propositions spécifiques, depuis le très critique « Moins d’Europe, plus d’Italie » de la Ligue jusqu’au proactif « L’Europe que nous voulons » du PD. Mais aucun slogan n’a eu autant de succès que « Avec Giorgia, l’Italie change l’Europe », qui résumait à la fois la personnalisation de la campagne de Mme Meloni et son intention d’influencer l’UE de l’intérieur.
Implications pour le prochain cycle institutionnel de l’UE dans des domaines politiques clés
Le Green Deal a été traité par les partis italiens en suivant la ligne adoptée par leurs familles politiques européennes respectives. Les partis au gouvernement ont critiqué d’une seule voix les règles de l’UE sur la transition écologique, qu’ils considèrent comme un obstacle à la compétitivité et comme une source de charge réglementaire, en particulier pour les PME qui constituent encore l’épine dorsale de plusieurs secteurs économiques en Italie. Les trois partis au pouvoir, en particulier Frères d’Italie et la Ligue, ont également fait évoluer leurs critiques contre une transition verte « idéologique » en une défense des valeurs traditionnelles épousées par la droite italienne, comme la propriété du logement et l’usage de la voiture, afin de s’assurer le soutien de leur électorat traditionnel. Au contraire, le centre-gauche a soutenu la nécessité de renforcer le Green Deal par le biais de vastes programmes d’investissements publics et en stimulant sa dimension sociale, même si la mise en évidence des coûts de la transition était un risque électoral. Leur soutien aux politiques vertes pourrait bien avoir aidé le PD et l’AVS à attirer un nombre substantiel de jeunes électeurs, étant donné que la défense des politiques vertes trouve de plus en plus d’écho auprès de la jeunesse italienne.
L’Italie est susceptible de faire pression pour aménager le Green Deal avec des politiques de compétitivité protégeant son industrie manufacturière. Retarder et atténuer les mesures les plus impactantes du Green Deal pourrait également être l’un des domaines politiques où les Frères d’Italie pourraient coopérer au cas par cas avec le PPE, et où Mme Meloni pourrait tenter d’exercer son influence grandissante au sein du Conseil.
Un modèle similaire de coopération sélective pourrait être suivi sur l’Ukraine et sur la question plus large de la défense européenne commune. Cependant, Meloni est confrontée à un défi de taille lorsqu’il s’agit d’argumenter en faveur d’un alignement de l’Italie sur les positions européennes sur l’Ukraine, en raison des craintes généralisées d’une escalade militaire au sein de la population italienne et de l’aggravation des fractures au sein de la majorité au pouvoir, mises en évidence par la campagne électorale. La campagne de Salvini est progressivement devenue plus franche sur l’Ukraine, en particulier après le soutien de Macron et de Stoltenberg à l’utilisation d’armes fournies par l’Occident sur le territoire de la Russie. Salvini a sévèrement critiqué les « projets » d’une « armée européenne » et a été jusqu’à qualifier Macron de « criminel ». Cette escalade rhétorique peut être interprétée comme un changement tactique visant à éloigner le parti de ses partenaires de gouvernement, même si elle s’est avérée infructueuse en termes de résultats électoraux, mais aussi à redorer le blason de la Ligue en matière d’euroscepticisme et donc à se réaligner sur ses partenaires traditionnels au sein du groupe ID au PE.
D’autres mouvements ont fait de la paix et du désarmement l’une de leurs principales cartes électorales : le M5S a même inclus le mot « paix » dans son propre symbole sur le bulletin de vote. L’AVS a également promu une plate-forme en faveur de la paix, combinant généralement la demande de négociations de paix sur l’Ukraine avec la dénonciation de la guerre de représailles d’Israël à Gaza. Le PD a adhéré à la ligne des socialistes européens consistant à soutenir l’Ukraine pour parvenir à une « paix juste » mais sans préciser concrètement ce que cela signifie, car le programme du parti ne pose pas l’intégrité territoriale de l’Ukraine comme condition explicite. Bien que cela n’entame pas l’approche pro-Ukraine du parti, l’inclusion sur ses listes de Tarquinio et Strada, des personnalités de la société civile qui ont clairement déclaré leur opposition à la prolongation de l’assistance militaire à Kiev, a également créé un embarras indéniable pour la nouvelle direction menée par Elly Schlein.
Dans l’ensemble, l’engagement personnel de Meloni en faveur de l’Ukraine devrait rassurer les alliés sur la position de l’Italie – pour l’instant. Toutefois, les élections américaines pourraient constituer un tournant : en cas de victoire de Donald Trump, Meloni sera probablement contrainte de choisir entre le camp d’une administration américaine isolationniste, mais idéologiquement proche, et celui des partenaires italiens de l’UE. De même, l’opposition de Meloni au choix de Kaja Kallas comme Haute représentante pour les affaires étrangères et la politique de sécurité est un signal que l’engagement déclaré du gouvernement italien en faveur d’une ligne européenne commune peut tout simplement être dépassé par un pur calcul politique.
La stratégie de la première ministre visant à renforcer sa position personnelle sur la scène internationale semble avoir porté ses fruits dans le domaine de l’immigration, puisque le gouvernement a réussi à réduire l’importance politique de cette question au cours de la campagne. Alors que la nécessité d’une politique européenne en matière d’immigration irrégulière et d’asile a dominé l’ordre du jour des négociations sur le nouveau pacte, elle a été pratiquement absente du débat électoral, jusqu’à la visite stratégique de Meloni Albanie début juin pour promouvoir l’engagement du gouvernement à externaliser la gestion de l’immigration. Il est peu probable que les élections modifient l’approche de l’Italie en matière d’immigration : les partis au gouvernement continueront à prôner l’externalisation de l’asile, en coopérant sur des paquets législatifs sélectionnés au niveau de l’UE avec la majorité traditionnelle du Parlement européen. Dans le même temps, le soutien au nouveau pacte pourrait être un obstacle trop important à franchir pour les Frères d’Italie au sein de CRE et compte tenu des tentatives de coopération potentielles – mais peu probables – avec l’ID.
Enfin, tous les partis élus au Parlement européen rejettent uniformément et résolument les politiques d’austérité. C’est probablement dans le domaine budgétaire que l’attitude jusqu’à présent plutôt coopérative du gouvernement italien sera le plus mise à l’épreuve. Les titres des manifestes des partis tels que « La fin des politiques d’austérité » (Ligue), « Dépasser l’austérité » (Frères d’Italie), « Stop à l’austérité » (M5S) ou « L’Europe contre l’austérité » (AVS) soulignent l’omniprésence de ce discours politique dans la politique italienne. On pourrait en dire autant de la manière dont le PD a fait de l’austérité un angle de critique de la droite en raison de ses conséquences économiques néfastes. La mise en œuvre du pacte de croissance et de stabilité réformé est donc susceptible de provoquer un conflit entre l’Italie et l’UE.
Conclusion
Le nouveau clivage gauche-droite qui émerge des élections du PE au niveau national influencera les relations de l’Italie avec l’UE et les choix de coalition au sein du PE. Mme Meloni a déjà montré son influence dans la mesure où elle a réussi à orienter l’Europe vers la droite en matière de migration, avec le soutien du PPE. La position du gouvernement italien au sein du Conseil ne devrait pas changer de manière significative après ces élections. La Première ministre Italienne est l’un des rares dirigeants européens à être sorti renforcé des urnes et continuera probablement à tirer parti de son soutien aux priorités actuelles – l’aide à l’Ukraine et une défense européenne commune – contre des concessions sur les excès perçus par Bruxelles dans d’autres dossiers sensibles pour l’Italie, tels que la politique industrielle et la « coûteuse » transition verte. Cet exercice d’équilibrisme sera mis à l’épreuve sur les questions budgétaires, où une confrontation entre la position italienne et d’autres pays européens (les « frugaux ») et la Commission est le plus susceptible d’émerger. Un autre domaine controversé sera probablement l’Etat de droit et la liberté des médias. Meloni s’est trouvée isolée dans les négociations pour les nominations aux principaux postes européens mais elle exige toujours un portefeuille de premier plan pour l’Italie dans la prochaine Commission.
Les spéculations selon lesquelles l’ECR – ou les Frères d’Italie seuls – pourraient rejoindre une nouvelle majorité du PE semblent plus improbables en raison des résultats des élections qui ont confirmé la majorité traditionnelle des forces politiques pro-européennes, même si c’est dans des proportions réduites, et qui ont attiré les observateurs étrangers plus que les électeurs italiens. Les grands médias italiens ont couvert le sujet avec enthousiasme, mais en l’abordant généralement à travers le prisme national, en appliquant la façon dont le système parlementaire italien fonctionne tout en contournant complètement le rôle du Conseil dans l’élaboration des politiques, afin de rendre la politique européenne plus compréhensible pour les électeurs italiens. Mme Meloni a stratégiquement gardé ses cartes secrètes pendant la campagne et essaiera probablement d’orienter ECR vers un soutien au cas par cas pour des paquets législatifs spécifiques qui seront débattus par le prochain Parlement européen, en choisissant ses batailles de manière sélective.
Cette coopération potentielle au cas par cas de la part d’ECR est susceptible de se heurter à l’opposition farouche du PD, qui, en tant que principal contingent du groupe S&D, s’éloignera encore plus de toute forme de coopération avec la droite. Les socialistes sont le seul groupe politique au sein de la majorité traditionnelle du PE où un parti italien a une influence significative, car Forza Italia a moins de poids au sein du PPE (surtout par rapport à d’autres partis puissants en Allemagne et en Espagne) et Renew n’a pas de représentants élus en Italie. Dans l’ensemble, les relations de l’Italie avec l’UE continueront d’être déterminées par la politique nationale après ces élections européennes.