L’extrême droite en procès au Brésil

L’extrême droite en procès au Brésil
Publié le 30 juin 2025
  • Docteur en droit de l’Université de São Paulo (USP) où il mène sa recherche doctorale en théorie de l’État. Il a été visiting scholar à l’Université de New South Wales (UNSW), et effectue actuellement un séjour de recherche à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS)
Suivant l’exemple de Donald Trump aux Etats-Unis, Jair Bolsonaro, battu lors des élections présidentielles d’octobre 2022, a organisé une tentative de coup d’Etat pour rester au pouvoir. Mais, contrairement à la situation nord-américaine, il doit maintenant répondre de ses actes devant la justice.

Comme d’autres pays d’Amérique latine, le Brésil a traversé un long régime militaire (1964-1985). La redémocratisation a abouti à la Constitution de 1988, un texte ambitieux visant non seulement à rompre avec la dictature, mais aussi à poser les bases d’un État plus juste, égalitaire et pluraliste.

Récemment, une vague réactionnaire mêlant fondamentalisme religieux, nationalisme autoritaire et nostalgie de l’ordre militaire a émergé, en résonance avec des phénomènes similaires ailleurs. Entre 2019 et 2022, Jair Bolsonaro, élu Président de la République, a tenté de saper les institutions démocratiques, diffusé massivement des fake news, attaqué la presse et nié la pandémie, pour finir par tenter un coup d’État visant à empêcher l’investiture de Lula. Malgré cela, la mobilisation de la société civile et la fermeté du Tribunal suprême fédéral ont permis à la démocratie de résister, et Bolsonaro fait aujourd’hui l’objet de poursuites pénales pour atteinte à l’ordre démocratique.

Idéologie autoritaire et ascension au pouvoir

Surnommé le « Trump des tropiques », Bolsonaro incarne une extrême droite défendant un programme réactionnaire, hostile aux droits humains, aux libertés démocratiques et à la mondialisation. Sa base repose sur un christianisme ultra-conservateur qui nie les droits des personnes LGBTQ+, les droits des femmes, les crimes de la dictature militaire et la réalité du changement climatique.1

Son parcours commence dans les Forces armées brésiliennes, dont il est expulsé en 1987 pour insubordination liée à un complot présumé préparant des attentats à l’explosif, un épisode toujours controversé. Devenu député fédéral, il se fait connaître par ses positions provocatrices et autoritaires. En 1999, il déclare à la télévision que, s’il arrivait au pouvoir, il fermerait le Congrès et donnerait un coup d’État le jour même, menaçant de « tuer au moins 30 000 personnes », y compris le président de l’époque, Fernando Henrique Cardoso.2

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Avec la montée de l’autoritarisme, il rallie des soutiens, notamment parmi les partisans d’un retour à la dictature militaire. En 2016, lors du vote de destitution de la présidente Dilma Rousseff, il rend hommage au colonel Carlos Brilhante Ustra, tortionnaire reconnu, ce qui choque profondément les démocrates.3 Élu président en 2018, sa campagne est marquée par une diffusion massive de fake news, s’inscrivant dans un populisme d’extrême droite inspiré par des idéologues internationaux comme Steve Bannon, ancien conseiller de Donald Trump.4

Négationnisme

Sous le gouvernement Bolsonaro, le négationnisme est devenu central dans la politique fédérale, affectant profondément l’éducation, la recherche, l’environnement et, de façon particulièrement grave, la gestion de la pandémie de COVID-19. Cette crise a mis en lumière l’usage délibéré du chaos social et institutionnel comme mode de gouvernance. Plutôt que de suivre les recommandations basées sur des preuves scientifiques et les consignes des autorités sanitaires, le gouvernement a nié la gravité de la maladie, diffusé de fausses informations et encouragé des comportements à risque. Cette posture s’est largement propagée via les réseaux sociaux, les discours officiels et les interventions informelles, notamment dans les vidéos hebdomadaires sur YouTube.5

Les vaccins validés ont été discrédités, le port du masque découragé et des traitements inefficaces comme la chloroquine promus, malgré l’absence de preuves de leur efficacité. Cette rhétorique polarisante a transformé la pandémie en champ de bataille politique, empêchant tout dialogue constructif et toute réponse nationale coordonnée.6

Le bilan est tragique : Brésil a connu un des plus forts taux de mortalité au monde, conséquence d’une gestion négligente visant à nourrir la polarisation et maintenir le soutien d’une base radicalisée.7 Une commission d’enquête parlementaire du Sénat national a mis en lumière des manquements majeurs : sous-déclaration des décès, refus d’acheter des vaccins et longue vacance à la tête du ministère de la Santé.8 Malheureusement, l’enquête a ensuite été classée sans suite suite à des pressions exercées sur le ministère public fédéral.9 Par ailleurs, Jair Bolsonaro fait l’objet de poursuites pour crime contre l’humanité, soulignant la gravité de sa responsabilité dans cette crise.

Attaques aux institutions démocratiques

Bolsonaro a suivi à la lettre le manuel des dirigeants autoritaires contemporains, visant à affaiblir les organes de contrôle de l’État pour miner la démocratie brésilienne de l’intérieur. Par des mesures infralégales – notamment via des décrets exécutifs -, il a profondément redéfini la structure de plusieurs entités publiques : compétences vidées, finalités détournées et fonctions essentielles démantelées.10

L’environnement a été l’un des secteurs les plus visés. Des agences de protection, telles que l’Institut brésilien de l’environnement et des ressources naturelles (IBAMA), chargé de la protection de l’environnement, ont subi des ingérences directes : révocations arbitraires de responsables régionaux et coupes budgétaires ont compromis la surveillance et la lutte contre les atteintes environnementales. Résultat : hausse spectaculaire de la déforestation et des incendies en Amazonie.11 Selon un rapport du Centre d’analyse de la liberté et de l’autoritarisme (LAUT), cette politique s’inscrivait dans un projet d’endoctrinement idéologique de l’appareil d’État, tout en assouplissant les normes pour encourager une exploitation prédatrice des zones protégées, y compris des terres autochtones.12

Le pouvoir judiciaire n’a pas été épargné. La Cour suprême fédérale (STF) a fait l’objet d’attaques systématiques : déclarations publiques hostiles, menaces directes et mobilisation de partisans pour exiger sa fermeture.

L’offensive autoritaire s’est également manifestée par la délégitimation du système électoral, suivant le modèle de Donald Trump. Bolsonaro a utilisé réseaux sociaux, vidéos en direct et interventions officielles pour semer le doute sur les urnes électroniques et l’intégrité du scrutin. Cette stratégie s’appuyait sur une structure parallèle de renseignement, dite « Abin parallèle », opérant hors cadre légal avec des logiciels espions comme FirstMile, utilisés pour surveiller illégalement juges de la Cour, opposants politiques et journalistes.13

Tout cet appareil discursif et institutionnel préparait une rupture en cas de défaite électorale. Lorsque Luiz Inácio Lula da Silva a remporté l’élection d’octobre 2022 avec 50,9 % des voix, contre 49,1 % pour Jair Bolsonaro, les préparatifs du coup d’État se sont accélérés : réunions avec des militaires et rédaction du « Poignard Vert et Jaune », un document prévoyant l’usage des Forces armées pour annuler les résultats.14 L’escalade a culminé le 8 janvier 2023, dont l’organisation et l’encouragement directs, selon les enquêtes de la Police fédérale, proviendraient du cercle proche de Bolsonaro et de l’ancien président lui-même.

Tentative de coup d’État et le 8 janvier

Après la défaite électorale de Jair Bolsonaro, la tentative de coup d’État a gagné en ampleur et s’est structurée de manière plus explicite. Aujourd’hui, les faits sont clairement établis grâce aux enquêtes menées par la Police fédérale brésilienne, qui a saisi, lors d’une opération, un document surnommé la « minute du coup d’État ». Ce texte prévoyait l’arrestation de juges de la Cour suprême fédérale ainsi que l’annulation des résultats de l’élection présidentielle. L’enquête a également mis au jour des réunions stratégiques impliquant des hauts gradés de l’armée et des alliés politiques de Bolsonaro, au cours desquelles la faisabilité du plan a été discutée. Selon la Police fédérale, l’ancien président n’était pas seulement informé de ces démarches : il y a pris part activement et a encouragé la radicalisation progressive de ses partisans.

Le point culminant de cette escalade autoritaire fut l’attaque du 8 janvier 2023 – exactement deux ans après l’assaut du Capitole aux États-Unis -, lorsque des milliers de partisans de Bolsonaro ont envahi et saccagé les sièges des trois pouvoirs à Brasília.15 Loin d’un acte spontané, les événements de cette journée furent l’aboutissement d’une série d’actions coordonnées, combinant manipulation de l’opinion publique, instrumentalisation illégale de l’appareil d’État et incitation à la mobilisation de civils et de militaires contre l’ordre constitutionnel.

Symboliquement, le 8 janvier a représenté le moment où le Brésil s’est trouvé confronté au risque réel d’une rupture institutionnelle, aux conséquences potentiellement dévastatrices pour l’État de droit démocratique.

Résilience démocratique et jugement pénal

La résistance au projet autoritaire de Jair Bolsonaro a été portée non seulement par les institutions, mais aussi par la société civile, la presse indépendante et les milieux académiques. En août 2022, la lecture publique d’une lettre en défense de la démocratie à l’Université de São Paulo a symbolisé cette mobilisation transpartisane.16 Les médias, de leur côté, ont joué un rôle clé en enquêtant sur les abus du pouvoir et en diffusant des informations fiables face à la désinformation systématique orchestrée par le gouvernement.

Sur le plan institutionnel, la Cour constitutionnelle brésilienne – le Supremo Tribunal Federal (STF) – a joué un rôle décisif dans la défense de l’ordre démocratique. Face à l’aggravation de la crise institutionnelle, la Cour a intensifié ses décisions contre les actes autoritaires, notamment pendant la pandémie, période durant laquelle l’exécutif a violé de manière répétée les principes constitutionnels fondamentaux.

À la fin du gouvernement Bolsonaro, les enquêtes sur la tentative de coup d’État se sont intensifiées. La Police fédérale, le Ministère public fédéral et le STF ont réuni un vaste ensemble de preuves – matérielles et dépositions de témoins – démontrant le caractère planifié et structuré de la tentative de renversement du régime. La responsabilisation n’a pas concerné uniquement les auteurs directs des actes de vandalisme, mais aussi les idéologues et coordinateurs politiques du coup, y compris des militaires de réserve et des proches collaborateurs de l’ancien président. Dans ce contexte, le STF a assumé un rôle central et actif en tant que gardien de la Constitution. Bien qu’accusée par certains secteurs bolsonaristes d’activisme judiciaire, la Cour a réagi avec fermeté aux menaces concrètes qui pesaient sur l’ordre démocratique, en affirmant pleinement son autorité constitutionnelle.

Aujourd’hui, Jair Bolsonaro est inéligible, à la suite d’une décision du Tribunal supérieur électoral, en raison des attaques infondées contre le système électoral qu’il a proférées lors d’une réunion avec des ambassadeurs en juillet 2022.17 Sur le plan pénal, sa situation s’est considérablement aggravée. En juin 2025, Jair Bolsonaro et plusieurs généraux ont été interrogés devant le Supremo Tribunal Federal.18 Parallèlement, les enquêtes ont dévoilé l’usage d’institutions de renseignement clandestines (la « Abin parallèle ») pour espionner des adversaires politiques – juges de la Cour suprême, députés et sénateurs -, plaçant Bolsonaro au centre d’une longue liste d’infractions contre la démocratie. À ce jour, tout porte à croire qu’une peine de prison est inévitable.19

Dans cette confrontation, l’enjeu dépasse le sort individuel de l’ancien président. Il s’agit de démontrer que la démocratie brésilienne – contrairement à ce que beaucoup redoutaient – a su se défendre face à une menace interne. Cette défense a été rendue possible par une combinaison de vigilance citoyenne, de mobilisation sociale, de journalisme indépendant et d’action institutionnelle déterminée. La réponse apportée au bolsonarisme montre qu’une démocratie, même jeune, peut faire preuve de résilience lorsqu’elle s’appuie sur la force collective de ses principes fondamentaux.

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Rômulo Monteiro Garzillo