Tout reste à faire : quelles leçons tirer du débat opposant Trump à Harris ?

Tout reste à faire : quelles leçons tirer du débat opposant Trump à Harris ?
Publié le 13 septembre 2024
Si le débat télévisé a été l’occasion pour les deux candidats de dessiner leurs positions et leurs antagonismes sur d’importants points (coût de la vie et inflation, droit à l’avortement, immigration, bilan de la crise sanitaire, port d’armes…) le silence passé sur de nombreux sujets-clés nationaux (écologie et transition énergétique, système électoral, prix des médicaments, fonctionnement de la Cour Suprême…) comme supranationaux (conflit ukrainien survolé, conflit israélo-palestinien omis, positionnement stratégique vis-à-vis de l’Europe oublié…) montre les limites de l’exercice.
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Pour la première fois depuis huit ans, les deux candidats, Donald J. Trump (Républicain) et Kamala Harris (Démocrate) se sont serré la main avant le début du très attendu premier débat de la nouvelle candidate du parti Démocrate après le retrait de Joe Biden le 21 juillet dernier.  

Il ne faut pas s’y tromper : cette salutation n’a rien d’une cordialité retrouvée entre les deux camps et les deux Amériques qu’ils représentent mais tient seulement à la démarche audacieuse de Kamala Harris qui, à peine arrivée sur l’estrade, s’est empressée de présenter sa main à son rival lequel, ostensiblement surpris, n’a eu d’autre choix que de faire de même, d’une main molle qu’on ne lui connaît pas.

Le débat aura été à l’image de cet échange liminaire. Durant les 90 minutes qui les ont opposés, Trump est tombé à répétitions dans les pièges tendus par l’ancienne procureure rôdée à l’exercice, le conduisant à multiplier les outrances et les fausses informations (la chaîne CNN en a décompté 33).

A partir de ce constat, quelles leçons tirer du débat du 10 septembre dernier ? Harris est-elle la grande victorieuse du débat comme nombre d’observateurs américains l’ont écrit ? Quel avenir ce débat suggère-t-il pour les États-Unis à échéance courte (l’élection se tient le 5 novembre prochain) et plus longue ?

Le quadruple objectif de la stratégie Harris

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Jusque-là confinée à une stratégie du « silence » risquée comme le souligne le magazine politique Persuasion de Yascha Monk, Kamala Harris s’est illustrée en oratrice tenace, capable de tenir tête au Républicain qui excelle dans cet exercice. La tâche n’était pourtant pas aisée puisque la candidate Démocrate devait répondre à au moins quatre défis que lui imposait ce débat.

Premièrement, elle devait imposer un nouveau rythme et instaurer un nouveau rapport de force face au 45e Président alors que le débat de juin, qui opposait celui-ci à un Joe Biden diminué, avait procuré à Donald Trump un très net avantage autant en termes d’image que sur les sujets abordés. L’exercice s’apparente à une ligne de crête : très concrètement, il s’agissait pour Kamala Harris de remobiliser l’électorat Démocrate autour d’un projet politique renouvelé (« Clearly, I am not Joe Biden ») sans renier son allégeance à l’administration Biden dont elle doit nécessairement assumer le bilan.

Le deuxième défi du débat pour la candidate Démocrate découle de ce premier. Kamala Harris devait se présenter au public américain, au « layman » qui ne la connaît que trop peu malgré trois années et demie passées à la Vice-Présidence des États-Unis. Sur ce point, la Démocrate ne parvient pas à imposer le récit de son personnage pourtant nécessaire dans le cadre d’une élection hyperpersonnalisée. Sûrement en raison du lancement tardif de sa campagne, Harris n’a pas réussi à construire positivement une identité de candidate qui semble toujours se fonder en opposition à celle de Trump. On peut imaginer sans peine que cette question mobilisera l’équipe de campagne de Harris au cours du mois de septembre.

Troisièmement, le camp Démocrate avait pour ambition à peine voilée de convaincre les indécis des deux camps en vue de l’élection. Si les indécis du camp Démocrate se rallieront sans grande difficulté à Kamala Harris le 5 novembre, la question n’est pas aussi simple pour les électeurs mitigés du camp Républicain, d’autant plus que le parti lui-même, qui était sujet à divisions quant à la candidature Trump en 2024, a fini par courber l’échine (à l’image de J.D Vance qui qualifiait Trump d’« idiot » avant de devenir son colistier en juillet dernier) et lui conférer l’investiture. Dans cette perspective, Kamala Harris ne crée pas la surprise et semble empêchée de parvenir au fond des sujets-clés en raison des embardées rhétoriques irréfrénées de son concurrent.

Dernièrement et afin d’envisager remplir ces exigences, il fallait battre Trump dans l’arène où il règne en maître : celle des caméras et des micros. Or, pour ce faire, il n’est nul besoin d’exceller soi-même mais simplement d’éviter que l’autre excelle. A cette fin, la rhétorique de Kamala Harris s’est révélée brillante mais sans coup d’éclat. Le candidat Républicain reste celui de la punchline au cours du débat mais c’est une épée à double-tranchant qui a sérieusement amoché la main qui la tenait (« In Springfields […] the’yre eating the pets of people that live there » ; « she wants to do transgender operations on illegal aliens that are in prison »).

Les résultats du débat : une affaire de perception plus que de raison

« Les faits ne pénètrent pas dans le monde où vivent nos croyances, ils n’ont pas fait naître celles-ci, ils ne les détruisent pas ».

Cette phrase de Proust semble avoir été rédigée pour la circonstance.  

En effet, il semble primordial de se préserver du tropisme de rationalité qui guette les observateurs de la campagne présidentielle américaine et qui conduirait à un écueil majeur dans l’interprétation des résultats du débat : ce n’est pas celui qui a raison qui l’emporte. Non seulement cela reviendrait à réitérer l’erreur qui a précipité la défaite de Hillary Clinton face à Donald Trump en 2016 mais cela reviendrait, en outre, à grossièrement méconnaitre ce dernier, qui ne s’est jamais fait l’ambassadeur de la science ou de la technique politique mais au contraire le catalyseur d’un mécontentement né de l’insuffisance perçue des projets politiques offerts par une élite technocrate et savante.

Par exemple, lorsque Kamala Harris affirme que les « dirigeants mondiaux rient de Donald Trump », dénonçant selon elle le ridicule autant que l’incompétence de ce dernier, il ne faut pas en conclure que cela représente un argument susceptible de toucher les électeurs trumpistes. Au contraire : Donald Trump n’a pas été élu en 2016 sur les fondements de sa compétence ou de son conformisme aux usages de la diplomatie mais bien parce qu’il représente une rupture avec ceux-ci. Donald Trump se veut le candidat du peuple qui méprises les usages, les bienséances et les compétences et qui, à l’inverse, sait défendre ses positions de but-en-blanc et tenir tête à ceux que son électorat perçoit souvent comme une aristocratie internationaliste qui a, depuis longtemps, trahi le peuple américain et ses intérêts. Il conforte d’ailleurs volontiers ce récit au cours du débat (« I probably took a bullet to the head because of the things that they say about me »).

A qui appartient la démocratie : l’après 5 novembre ou la menace fantôme du camp Trumpiste

In fine, la performance de Kamala Harris ne mérite ni honneurs ni blâme mais renforce sa position dans une course à la Maison Blanche qui s’annonce rude. Le fait que Donald Trump annonce qu’il ne souhaite pas de nouveau débat télévisé face à elle indique qu’elle a bien pris le dessus à cette occasion. Plus inquiétant est l’horizon dessiné par Donald Trump et confirmé par la teneur de son propos lors d’un débat émaillé de fausses informations et de propos complotistes consciencieusement articulés autour d’une rhétorique populiste et anti-système qui, sempiternel crédo, n’en finit pas d’antagoniser l’adversaire politique.

Mais que se passerait-il si, le 5 novembre prochain, l’adversaire politique se muait en ennemi politique ?

Le candidat Républicain a déjà préparé une contestation des résultats si ceux-ci ne sont pas en sa faveur. Si la contestation des résultats des élections n’est pas nouvelle (Arrêt Bush v. Gore, rendu par la Cour suprême des États-Unis le 12 décembre 2000), elle prend une nouvelle teneur lorsque Donald Trump prévoit l’envoi de forces de policeaux bureaux de vote ou qu’il invoque une équipe de « 100 000 volontaires et avocats »afin de veiller à la régularité de ceux-ci.  Olivia Troye, ancienne conseillère du Vice-Président Mike Pence ne se trompe pas en l’assimilant à la partition que Donald Trump avait déjà joué peu avant l’assaut du Capitol le 6 janvier 2021 : « The potential for anger, division, political violence — all of that groundwork is being laid out again ».

L’ancien Président a quant à lui a martelé que la menace envers la démocratie n’était pas de son fait, en la renvoyant à ses adversaires (« They talk about democracy; (they say) I’m a threat to democracy. They’re the threat to democracy »).

Le défi des dernières semaines de campagne, de taille mais à la portée de Kamala Harris, sera donc de lui donner tort auprès des indécis républicains et particulièrement dans les « Swing States » (probablement l’Arizona, la Caroline du Nord, la Floride, la Géorgie, le Michigan, le Nevada, la Pennsylvanie, le Wisconsin et peut-être le Texas). Elle devra parvenir à incarner avec assurance et aisance le personnage que la gauche modérée américaine attend depuis Barack Obama, capable de formuler un projet politique rénové, populaire et fédérateur sur des sujets (trop) souvent à l’avantage du candidat Républicain.

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Elior Lovichi-Chollet

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