Une Allemagne non européenne

Une Allemagne non européenne
Publié le 16 septembre 2024
  • Professeur assistant à l’université de Leiden et chargé de mission au Das Progressive Zentrum
La coalition au pouvoir à Berlin sort affaiblie des élections européennes. Les Verts ne retrouvent pas leur excellent niveau de 2019. Les socialistes souffrent de l’impopularité du Chancelier. Les Libéraux ne tirent pas vraiment profit de leur orthodoxie budgétaire. A l’inverse, l’extrême droite progresse fortement et les populistes de gauche, nouveaux venus, font une entrée en force au Parlement européen. Tout cela pèsera sur les équilibres entre groupes parlementaires au sein d’une Assemblée où les députés allemands jouent traditionnellement un rôle central.
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Ce texte a tout d’abord été publié en anglais dans le projet « Plus désunis que jamais ? Analyse comparative des élections européennes de 2024 ». Il est mené dans le cadre d’une coopération entre Das Progressive Zentrum (Berlin, Allemagne) et European Policy Centre (Bruxelles, Belgique). Il associe en outre : Istituto Affari Internazionali (Italie), Terra Nova (France) et Krytyka Polityczna (Pologne). Ce projet est soutenu par Open Society Foundations.

Introduction

Parce qu’il envoie la plus large délégation nationale (96 sièges), le choix des électeurs allemands aux élections européennes influence considérablement les équilibres du Parlement européen (PE). Indépendamment même du déroulement de la campagne, les implications des changements politiques dans le plus grand Etat membre de l’UE-27 méritent d’être examinées de près. Alors que le système de partis allemand s’est montré, jusqu’à récemment, nettement plus stable que dans d’autres pays européens, cette élection montre que l’Allemagne se trouve désormais dans une situation comparable à celle de nombre de ses voisins. Comme ailleurs, les élections ont été marquées par un renforcement de la polarisation politique plutôt que par un véritable débat sur les questions européennes.

Un contexte partisan bouleversé

Comme dans d’autres pays européens, les élections en Allemagne se sont déroulées dans un contexte politique tendu, marqué par un bouleversement du système des partis. Parallèlement à la progression déjà ancienne du parti populiste de droite Alternative pour l’Allemagne (AfD), un nouveau parti a émergé au début de l’année 2024, dirigé par l’ancienne dirigeante du parti de gauche (« die Linke ») Sahra Wagenknecht, qui a créé un parti à son nom, « Bündnis (Alliance) Sahra Wagenknecht » (BSW). Ce mouvement politique combine un populisme de gauche avec une position anti-immigration et une rhétorique pro-russe. Il a rapidement démontré son potentiel électoral dans les sondages. Compte tenu de son lancement récent, les élections européennes ont constitué son premier test électoral réel.

Ces changements importants du système des partis se produisent dans un contexte électoral particulièrement intense, avec plusieurs élections régionales (« Länder ») importantes cet automne et dans la perspective des prochaines élections fédérales de l’automne 2025.

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L’actuel gouvernement fédéral de coalition tripartite, qui regroupe les sociaux-démocrates (SPD), les Verts et les libéraux (FDP), est largement impopulaire. Cette impopularité est principalement due à des décisions politiques comme la loi visant à décarboner le secteur du chauffage domestique par l’installation de pompes à chaleur, dont le ministre de l’économie des Verts, Robert Habeck, a été le pionnier, et à des luttes intestines incessantes, en particulier entre les Verts et les libéraux. Ces élections européennes servaient de test pour les élections fédérales qui auront lieu dans un peu plus d’un an.

Dans le même temps, plusieurs Länder de l’est de l’Allemagne se rendent aux urnes pour les élections régionales, courant septembre en Saxe et en Thuringe, puis dans le Brandebourg. Beaucoup craignent que ces élections n’affaiblissent encore davantage les partis traditionnels allemands, tout en renforçant considérablement l’AfD, parti d’extrême droite, et en établissant le parti de gauche populiste BSW comme un élément permanent du paysage partisan.

Cette élection européenne était également la première où les jeunes de 16 ans pouvaient voter dans toute l’Allemagne. L’Allemagne est ainsi l’un des trois États membres de l’UE, avec l’Autriche et la Belgique, à avoir instauré un âge de vote aussi bas pour les élections du Parlement européen (en Grèce, l’âge est de 17 ans).

Cette modification de la loi électorale allemande a été introduite par la coalition au pouvoir et s’inscrivait dans la suite de l’abaissement de l’âge de vote pour les élections régionales dans un grand nombre de Länder, mais pas dans tous. De ce fait, de nombreux jeunes électeurs qui ont pu voter pour la première fois aux élections européennes ne peuvent pas le faire aux élections régionales de cet automne en Thuringe et en Saxe, qui maintiennent un âge de vote plus élevé. L’abaissement de l’’âge de vote pour les élections européennes pourrait également ouvrir la voie à une mesure similaire pour les élections fédérales, à condition de modifier la constitution. Ces efforts d’abaissement de la majorité électorale sont particulièrement pertinents au vu du vieillissement de la population allemande – l’âge médian est actuellement de 45 ans. Permettre à une plus grande proportion de jeunes électeurs de participer aux élections pourrait bien affecter les résultats, bien que de manière contre-intuitive (voir ci-dessous).

Enfin, en Allemagne, les élections européennes diffèrent de la plupart des autres élections dans la mesure où il n’y a pas de seuil électoral – généralement fixé à 5 % pour les élections fédérales et régionales – pour entrer au Parlement européen. Alors que l’Allemagne avait l’habitude de fixer un seuil pour les élections européennes, la Cour constitutionnelle fédérale de Karlsruhe a jugé celui-ci inconstitutionnel à plusieurs reprises. Bien que la plupart des grands partis politiques aient élaboré des plans pour réintroduire un seuil électoral compatible avec les exigences de la Cour, cela ne s’est pas produit à temps pour l’élection de 2024. Ainsi, contrairement aux élections fédérales, les électeurs ont pu donner leur voix à des partis politiques relativement petits, sachant qu’ils pourraient éventuellement gagner un siège au Parlement européen avec les 96 sièges allemands à pourvoir.

Une campagne électorale qui n’a parlé de l’Europe qu’à la marge

La campagne en Allemagne a peut-être été la moins européanisée de l’histoire récente. C’est assez surprenant car, sur le papier, le potentiel était important, les députés allemands étant appelés à jouer un rôle de premier plan au niveau européen.

De nombreux programmes de partis incluaient des propositions potentiellement révolutionnaires pour l’UE. Les Verts ont appelé de leurs vœux une « République fédérale européenne basée sur une Constitution européenne ». Contrairement à leurs précédents manifestes de campagne, l’AfD est revenu à une position maximaliste, visant à abolir l’UE et à la remplacer par une nouvelle entité se concentrant étroitement sur l’économie et l’intérêt national.  Les autres partis ont également fait des suggestions détaillées sur des sujets plus concrets, allant de la création d’une armée européenne ou du passage au vote à la majorité qualifiée sur les questions de politique étrangère à des propositions pour une assurance-chômage européenne. Bon nombre des questions qui ont finalement été les plus débattues au cours de la campagne publique avaient une dimension européenne évidente, comme la guerre de la Russie contre l’Ukraine et le soutien de l’UE à Kyiv ou le nouveau pacte sur les migrations et l’asile.

De nombreuses personnalités politiques allemandes ont joué un rôle de premier plan au cours de la campagne. Tout d’abord, Ursula von der Leyen, présidente sortante de la Commission et femme politique de l’Union démocrate-chrétienne (CDU), a visé sa réélection au poste de présidente de la Commission. Le candidat principal des Verts en Allemagne, Terry Reintke, a également été l’une des têtes de liste des Verts européens dans la campagne paneuropéenne (Spitzenkandidat). La libérale Marie-Agnes Strack-Zimmermann était l’une des nombreuses têtes de liste de Renew. Enfin, le leader du Parti populaire européen (PPE), Manfred Weber, a joué et continuera très probablement à jouer un rôle de premier plan au sein du parti populaire européen (PPE). Cependant, en fin de compte, les questions centrales de cette élection, en particulier la paix et la sécurité, ont été débattues principalement à travers un prisme national et en relation avec les acteurs politiques nationaux, beaucoup plus largement que lors des précédentes élections. La campagne a donc principalement porté sur les questions considérées comme porteuses en politique intérieure. Ainsi, l’AfD et la BSW ont mis l’accent sur ce qu’ils considèrent comme une dangereuse politique d’armement de l’Ukraine.

En réponse, les sociaux-démocrates ont souligné l’’approche prudente du chancelier Olaf Scholz concernant les livraisons d’armes à l’Ukraine, évitant ainsi une escalade, une surenchère russe et préservant la paix en Allemagne en la tenant à l’écart de la guerre en cours. Toutefois, les questions véritablement européennes liées à la guerre, telles que les sanctions de l’UE ou l’achat conjoint d’armes, ont été presque entièrement absentes des débats publics. Même des partis comme les Verts, qui se concentrent généralement sur le changement climatique, ont placé la question de la sécurité intérieure au cœur de leur campagne électorale. La principale affiche électorale du parti montrait sa tête de liste, Terry Reintke, avec le slogan : « Une Europe forte mène à une Allemagne sûre ».

Mais, dans l’ensemble, les partis ont peu mis en avant les candidats, même prometteurs, pour soutenir leurs campagnes électorales, comme on le voyait avec les affiches électorales des conservateurs et des sociaux-démocrates. Au lieu de représenter principalement leurs têtes de liste pour le Parlement européen, ils ont mis en avant des responsables nationaux. Une série d’affiches du SPD présentait à la fois la candidate principale de la liste du parti, Katarina Barley, et le chancelier Olaf Scholz. De même, la CDU a mis en avant la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, ainsi que le leader du parti, Friedrich Merz. Pas plus que Scholz, Merz n’a l’intention de quitter la politique nationale pour un rôle au niveau de l’UE pour le moment. D’une certaine manière, ces affiches électorales soulignent la double importance du Parlement européen et du Conseil européen. Mais, surtout, elles montrent que les partis allemands pensent que les électeurs ne s’intéressent pas suffisamment aux questions européennes ou que les hommes politiques qui façonnent la politique européenne ne sont pas pertinents pour eux.

Bien que l’absence de questions européennes et le manque d’intérêt pour les candidats ne soient pas une évolution totalement inattendue, le contraste reste frappant avec les précédentes élections européennes. L’effondrement du processus de désignation d’une tête de liste transnationale (Spitzenkandidaten), potentiel candidat à la présidence de la Commission européenne, a pu contribuer à cette évolution. Ce processus avait joué au moins un certain rôle dans les campagnes électorales précédentes, en particulier lorsque des candidats germanophones tels que Jean-Claude Juncker, Martin Schulz ou Frans Timmermans ont participé à des débats télévisés en Allemagne.

L’AfD et le BSW ont aussi largement contribué à aborder les questions européennes selon une optique nationale, ce qui a incité tous les autres partis à mettre en avant des solutions avant tout nationales, plutôt que d’essayer d’expliquer les complexités du processus décisionnel au sein de l’UE. Un exemple clé de ce phénomène est la politique migratoire, une question centrale mise en avant par l’AfD. Alors que les partis établis auraient facilement pu évoquer le nouveau pacte de l’UE sur la migration et l’asile pour proposer des solutions politiques, les discussions se sont plutôt concentrées sur des mesures d’inspiration nationale telles que la réintroduction des contrôles aux frontières au sein de l’espace Schengen.

Enfin, cette campagne a été assombrie par plusieurs scandales politiques. Ceux-ci ont principalement touché les deux principaux candidats de l’AfD, Maximilian Krah et Petr Bystron. Un assistant parlementaire de Krah, par exemple, a été arrêté parce qu’il était soupçonné d’espionner pour le compte de la Chine. En outre, dans une interview accordée à un journal italien, Krah a refusé de reconnaître que tous les anciens membres de la SS devaient être considérés comme des criminels, ce qui a eu d’importantes conséquences au niveau européen : l’AfD a été rejetée – principalement sous la pression du Rassemblement national français – du groupe parlementaire ID au parlement européen juste avant l’élection. Bien que le parti l’ait temporairement suspendu de la campagne, Krah n’a pas été officiellement retiré de la liste des candidats. Cela est probablement lié à son succès sur TikTok, où il parvient en particulier à toucher les jeunes électeurs. En outre, un scandale a également éclaté concernant le candidat Petr Bystron, qui, selon la République tchèque, aurait reçu de l’argent de sources russes.

La campagne a également été exceptionnellement violente. Un policier est décédé à la suite d’une attaque terroriste au couteau lors d’un rassemblement islamophobe à Mannheim. Un candidat social-démocrate, l’eurodéputé Matthias Ecke, a également été attaqué alors qu’il collait des affiches électorales, ce qui a entraîné son hospitalisation. Cette agression et d’autres attaques contre des militants et des hommes politiques de différents partis ont affecté l’humeur du public à la veille des élections, sans qu’on puisse en inférer un effet sur les votes au bout du compte.

acteurs politiques nationaux, beaucoup plus largement que lors des précédentes élections. La campagne a donc principalement porté sur les questions considérées comme porteuses en politique intérieure. Ainsi, l’AfD et la BSW ont mis l’accent sur ce qu’ils considèrent comme une dangereuse politique d’armement de l’Ukraine.

En réponse, les sociaux-démocrates ont souligné l’’approche prudente du chancelier Olaf Scholz concernant les livraisons d’armes à l’Ukraine, évitant ainsi une escalade, une surenchère russe et préservant la paix en Allemagne en la tenant à l’écart de la guerre en cours. Toutefois, les questions véritablement européennes liées à la guerre, telles que les sanctions de l’UE ou l’achat conjoint d’armes, ont été presque entièrement absentes des débats publics. Même des partis comme les Verts, qui se concentrent généralement sur le changement climatique, ont placé la question de la sécurité intérieure au cœur de leur campagne électorale. La principale affiche électorale du parti montrait sa tête de liste, Terry Reintke, avec le slogan : « Une Europe forte mène à une Allemagne sûre ».

Mais, dans l’ensemble, les partis ont peu mis en avant les candidats, même prometteurs, pour soutenir leurs campagnes électorales, comme on le voyait avec les affiches électorales des conservateurs et des sociaux-démocrates. Au lieu de représenter principalement leurs têtes de liste pour le Parlement européen, ils ont mis en avant des responsables nationaux. Une série d’affiches du SPD présentait à la fois la candidate principale de la liste du parti, Katarina Barley, et le chancelier Olaf Scholz. De même, la CDU a mis en avant la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, ainsi que le leader du parti, Friedrich Merz. Pas plus que Scholz, Merz n’a l’intention de quitter la politique nationale pour un rôle au niveau de l’UE pour le moment. D’une certaine manière, ces affiches électorales soulignent la double importance du Parlement européen et du Conseil européen. Mais, surtout, elles montrent que les partis allemands pensent que les électeurs ne s’intéressent pas suffisamment aux questions européennes ou que les hommes politiques qui façonnent la politique européenne ne sont pas pertinents pour eux.

Bien que l’absence de questions européennes et le manque d’intérêt pour les candidats ne soient pas une évolution totalement inattendue, le contraste reste frappant avec les précédentes élections européennes. L’effondrement du processus de désignation d’une tête de liste transnationale (Spitzenkandidaten), potentiel candidat à la présidence de la Commission européenne, a pu contribuer à cette évolution. Ce processus avait joué au moins un certain rôle dans les campagnes électorales précédentes, en particulier lorsque des candidats germanophones tels que Jean-Claude Juncker, Martin Schulz ou Frans Timmermans ont participé à des débats télévisés en Allemagne.

L’AfD et le BSW ont aussi largement contribué à aborder les questions européennes selon une optique nationale, ce qui a incité tous les autres partis à mettre en avant des solutions avant tout nationales, plutôt que d’essayer d’expliquer les complexités du processus décisionnel au sein de l’UE. Un exemple clé de ce phénomène est la politique migratoire, une question centrale mise en avant par l’AfD. Alors que les partis établis auraient facilement pu évoquer le nouveau pacte de l’UE sur la migration et l’asile pour proposer des solutions politiques, les discussions se sont plutôt concentrées sur des mesures d’inspiration nationale telles que la réintroduction des contrôles aux frontières au sein de l’espace Schengen.

Enfin, cette campagne a été assombrie par plusieurs scandales politiques. Ceux-ci ont principalement touché les deux principaux candidats de l’AfD, Maximilian Krah et Petr Bystron. Un assistant parlementaire de Krah, par exemple, a été arrêté parce qu’il était soupçonné d’espionner pour le compte de la Chine.4  En outre, dans une interview accordée à un journal italien, Krah a refusé de reconnaître que tous les anciens membres de la SS devaient être considérés comme des criminels, ce qui a eu d’importantes conséquences au niveau européen : l’AfD a été rejetée – principalement sous la pression du Rassemblement national français – du groupe parlementaire ID au parlement européen juste avant l’élection. Bien que le parti l’ait temporairement suspendu de la campagne, Krah n’a pas été officiellement retiré de la liste des candidats. Cela est probablement lié à son succès sur TikTok, où il parvient en particulier à toucher les jeunes électeurs. En outre, un scandale a également éclaté concernant le candidat Petr Bystron, qui, selon la République tchèque, aurait reçu de l’argent de sources russes.5

La campagne a également été exceptionnellement violente. Un policier est décédé à la suite d’une attaque terroriste au couteau lors d’un rassemblement islamophobe à Mannheim.6 Un candidat social-démocrate, l’eurodéputé Matthias Ecke, a également été attaqué alors qu’il collait des affiches électorales, ce qui a entraîné son hospitalisation. Cette agression et d’autres attaques contre des militants et des hommes politiques de différents partis ont affecté l’humeur du public à la veille des élections, sans qu’on puisse en inférer un effet sur les votes au bout du compte.

Les résultats : Une « élection de mi-mandat » déguisée ?

En termes de participation, ces élections ont montré un véritable intérêt des électeurs. Le taux de participation de 64,8 % a atteint un niveau presque historique, comparable à celui atteint lors de la première élection directe du Parlement européen en 1979. La participation a augmenté de 3,4 points de pourcentage par rapport à 2019. Bien que ce taux soit encore inférieur aux 76,6 % enregistrés lors des élections fédérales de 2021, il s’agit d’un signe positif de la mobilisation des électeurs car il n’y a jamais eu autant d’électeurs en Allemagne pour choisir les députés européens (étant donné que les élections de 1979 n’ont eu lieu que dans ce qui était à l’époque l’Allemagne de l’Ouest).

En termes de résultats, il y a deux gagnants clairs et un perdant principal parmi les grands partis politiques par rapport à l’élection de 2019. Premièrement, l’AfD a remporté 15,9 % des voix, soit 4,9 points de pourcentage de plus que lors de la précédente élection du Parlement européen. Deuxièmement, Bündnis Sahra Wagenknecht (BSW) a recueilli 6,2 % des suffrages après seulement quelques mois d’existence. Les grands perdants ont été les Verts, dont la part de voix a chuté de 8,6 points de pourcentage, ne recueillant que 11,9 % du total. Il convient toutefois de noter que leur résultat de 20,5 % en 2019 représente un record historique à une époque où le changement climatique était considéré comme la question politique la plus importante par de nombreux électeurs. Les sociaux-démocrates ont subi de légères pertes, obtenant 14 % des voix contre 15,8 % en 2019, tandis que le Parti de gauche a également perdu des voix, principalement en raison de la sécession de Sahra Wagenknecht.

Ce tableau général change lorsqu’on compare les résultats à ceux des élections fédérales de 2021, qui font l’objet de la plupart des commentaires publics en Allemagne. La comparaison indique clairement que de nombreux électeurs ne sont pas satisfaits du gouvernement de coalition actuel. De ce point de vue, les partis d’opposition, à savoir la CDU de centre-droit et son parti frère bavarois CSU, ainsi que l’AfD, ont réalisé des gains significatifs. 48% des électeurs ont également indiqué qu’ils avaient utilisé leur vote pour exprimer leur mécontentement à l’égard du gouvernement fédéral actuel, tandis que 55% ont déclaré que la politique intérieure avait déterminé leur vote. Ainsi, cette élection européenne a été largement considérée comme une élection fédérale de mi-mandat – une tendance que l’on peut également observer dans d’autres États membres de l’UE, comme la France.

Un autre aspect important ne doit pas être négligé : les petits partis politiques, qui ne se consacrent souvent qu’à la défense d’une seule cause, sont également sortis vainqueurs des élections. Cette tendance s’inscrit dans la continuité des élections de 2014 et de 2019, qui se sont déjà déroulées sans seuil électoral. Toutefois, alors qu’en 2019, seuls neuf des sièges allemands étaient occupés par des partis ayant obtenu moins de 5 % des voix, ce chiffre est passé à 12 (ou 15 si l’on inclut Die Linke, qui est passée sous la barre des 5 % en 2024). Le plus grand gagnant de ces petits partis est de loin le mouvement politique pro-européen VOLT, qui dispose désormais de trois sièges, contre un seul lors de l’élection précédente. Les succès des petits partis politiques tels que VOLT témoignent de l’éclatement progressif du système de partis allemand, ainsi que de la capacité des électeurs à tirer parti de l’absence de seuil électoral. Si un seuil très bas de 2 % avait été appliqué, seuls VOLT, Die Linke et un autre parti politique auraient été retenus.

Si l’on examine les questions qui ont influencé le choix des électeurs, la paix, la sécurité sociale et l’immigration ont dominé les préoccupations, reléguant l’urgence climatique à la 4e place par rapport à 2019. C’est probablement un facteur qui explique les pertes significatives des Verts allemands. L’étude montre également que la guerre de la Russie contre l’Ukraine a considérablement influencé les choix des électeurs, tandis que des sujets tels que les soins de santé, après la pandémie de Covid-19, ont perdu de l’importance pour la plupart des électeurs. Les résultats globaux masquent également d’autres changements électoraux qui devraient rester significatifs à l’avenir. Premièrement, ces élections sont en fin de compte le signe de changements électoraux plus larges en Allemagne. D’une part, il existe toujours un clivage clair entre l’est et l’ouest de l’Allemagne en ce qui concerne le succès des partis populistes contestataires tels que l’AfD et la BSW. Les résultats des élections au Parlement européen montrent que, dans de nombreuses régions de l’est de l’Allemagne, l’AfD est désormais le parti politique le plus puissant, ce que confirment ses bons résultats lors des élections de septembre. Dans le même temps, il est important de souligner que l’AfD a encore été en mesure de gagner des voix dans la plus grande partie de l’Allemagne de l’Ouest, même si elle y reste moins importante qu’à l’Est.

Deuxièmement, les jeunes électeurs font désormais preuve d’un comportement électoral qui défie les idées reçues. Chez les 16-24 ans, l’AfD a réussi à augmenter sa part de voix de 11 points de pourcentage, tandis que les Verts ont perdu 23 points de pourcentage par rapport à l’élection de 2019. De plus, les jeunes électeurs semblent beaucoup plus disposés que le reste des électeurs à voter pour des petits partis politiques. Quoi qu’il en soit, contrairement à ce qui s’est passé en 2019 au plus fort du mouvement Fridays for Future, les partis progressistes tels que les Verts ne pouvaient plus compter automatiquement sur ce groupe d’âge pour obtenir un soutien électoral et devront clairement chercher de nouveaux moyens de les atteindre à l’avenir.

Enfin, si la progression continue de l’AfD est inquiétante, il convient de noter que si son résultat de 15,9 % représente une augmentation significative par rapport à 2019 ainsi que par rapport aux élections fédérales de 2021, il reste significativement inférieur à ce que certains sondages avaient prédit. Il reste à voir si cela indique un véritable point haut de leur développement ou si le lancement de BSW et les scandales liés à ses candidats clés a limité leur résultat.

Tout comme la campagne elle-même, les résultats des élections ont été principalement débattus à travers le prisme de la politique intérieure. Si les résultats n’ont pas provoqué de séisme politique comme en France, des hommes politiques conservateurs comme le premier ministre bavarois Markus Söder ont néanmoins appelé à des élections fédérales anticipées après la défaite évidente des partis formant l’actuelle coalition de feux tricolores au pouvoir (SPD, Verts, FDP). La collaboration déjà tendue entre les sociaux-démocrates, les Verts et les libéraux ne sera pas été facilitée, dans un avenir proche, par le résultat, chacun des trois partis tirant des leçons très différentes de cette élection.

En termes d’implications pour l’ensemble de l’UE, ces élections allemandes apporteront sans aucun doute des changements à Bruxelles. Au sein du Parlement européen lui-même, ces résultats sont déterminants pour la formation des groupes politiques et l’équilibre des pouvoirs. L’AfD a décidé d’exclure Krah de sa délégation officielle, tout en conservant Bystron. Alors qu’on pensait initialement que cela pourrait conduire à un éventuel retour du parti dans une ID reconfigurée, l’AfD a au contraire rapidement formé un groupe politique complètement nouveau, l’Europe des Nations souveraines. Il reste également à voir où les nouveaux eurodéputés de la BSW trouveront un foyer permanent, car ils sont naturellement ostracisés par Die Linke qui fait partie de la Gauche européenne (GUE/NGL). Dans le même temps, la décision des députés VOLT nouvellement élus en Allemagne et aux Pays-Bas de rejoindre les Verts/ALE compensera au moins en partie le nombre réduit de la délégation allemande au sein de ce groupe politique.

Au-delà du Parlement européen, les résultats affecteront probablement aussi la position de l’Allemagne dans son ensemble. Le gouvernement de coalition actuel étant affaibli sur le plan national, cela affectera également sa capacité d’influence et sa position dans les différentes formations du Conseil. Les trois partis au pouvoir devant se positionner avant les élections régionales et fédérales, on peut également s’attendre à un nouveau comportement de vote erratique de l’Allemagne au sein du Conseil, comme nous l’avons vu lors du vote sur l’élimination progressive des voitures à moteur thermique, par exemple. En d’autres termes, ces élections au Parlement européen ont finalement affaibli la position du gouvernement allemand au sein de l’UE, contrairement à d’autres acteurs tels que l’actuel chef du gouvernement italien, Georgia Meloni.

Conclusion

Bien que les électeurs aient été plus nombreux que jamais à participer à l’élection du Parlement européen de 2024 en Allemagne, le résultat ne peut pas être considéré comme un succès total pour la démocratie européenne. Par rapport aux campagnes précédentes, les débats sur les questions politiques européennes ont été beaucoup moins nombreux, les sujets de politique intérieure ayant dominé les échanges. Même les résultats ont été interprétés uniquement à travers le prisme allemand, comme une « élection de mi-mandat » sanctionnant la coalition des feux tricolores. Le résultat des élections au Parlement européen a également mis en évidence la fragmentation du paysage politique allemand. Ceci, à son tour, ne manquera pas d’affecter l’UE d’une manière qui va bien au-delà de la simple composition du Parlement européen à l’avenir, car cela indique des changements politiques qui affecteront le positionnement de l’Allemagne dans une multitude de formations différentes du Conseil de l’UE où de nombreuses politiques sont décidées.

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Daniel Schade

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