La droite LR : abondance de maux, faiblesse des perspectives

La droite LR : abondance de maux, faiblesse des perspectives
Publié le 4 juin 2025
La droite française est enfermée, depuis au moins 2017, dans une crise ininterrompue symbolisée par des défaites électorales successives, un rétrécissement de son électorat, la perte de son influence et l’appropriation de ses idées par ses concurrents. Elle a manqué de travail idéologique sérieux et a été minée par des querelles de personnes plutôt que portée par un projet clair. La chute brutale de François Fillon, alors donné gagnant en 2017, l’a privée d’une victoire attendue et a précipité la désintégration de ce parti historique mais orphelin de ses grandes figures.

Dans ce vide, Emmanuel Macron a su lui prendre ses idées, ses cadres et ses électeurs, tandis que le Rassemblement national a conquis l’espace populaire, devenant la nouvelle force dominante à droite. Si le retour de la droite LR au gouvernement, par la nomination au poste de Premier ministre de Michel Barnier et la nouvelle popularité de Bruno Retailleau, laissent à penser qu’un nouvel espoir est possible, il est peut-être trop tard pour refaire du parti le principal pôle de la droite française.

La question est de savoir quels sont les principaux maux de la droite ? Comment a-t-elle été détroussée par ses concurrents et quelles sont ses perspectives pour le futur ?

Mal numéro 1 : Le grand flou à l’origine du parti

La droite parlementaire a connu une succession de noms, de chefs et de programmes politiques. Aux débuts de la Cinquième république, la ligne était claire : gaulliste ou pompidolienne.  Les choses sont désormais différentes. Depuis la création de l’UMP en 2002, qui proposait de réunir toutes les tendances de la droite et du centre, la ligne n’est pas clairement tranchée. Les libéraux cohabitent avec les gaullistes, les conservateurs, les souverainistes et les centristes. Toutes ces tendances ont essayé de travailler à un même projet, en pure perte puisque l’éclatement du paysage politique et l’avènement de nouvelles radicalités dans les discours publics font que ces différences sont devenues des obstacles insurmontables. Preuve en est, la prolifération de nombreux nouveaux partis à droite qui se revendiquent des tendances auparavant internes des Républicains : Identités et libertés de Marion Maréchal, Reconquête d’Éric Zemmour, UDR d’Éric Ciotti, Debout la France de Nicolas Dupont-Aignant et ainsi de suite.

Ces divergences au cœur de la droite UMP n’étaient pas problématiques à une époque où la concurrence était trop faible, trop outrancière ou trop marginale. C’était aussi un problème secondaire quand ladite droite était si habituée au pouvoir qu’elle avait le luxe de ne pas se questionner. Mais, les échecs de 2012, 2017 et 2022 sont passés par là et, avec eux, l’absence de remise en question tant sur le fond que sur la forme. L’inventaire de ces bouleversements n’a pas été fait avec sérieux, ni transparence et, rétrospectivement, on constate encore plus l’incohérence du parti aux chefs et personnalités phares de la dernière décennie : François Fillon, Alain Juppé, Michel Barnier, Valérie Pécresse, François-Xavier Bellamy, Eric Ciotti et Bruno Retailleau. Tous sont si différents qu’ils illustrent parfaitement que, d’un point de vue doctrinal, l’UMP-LR n’a jamais su se définir et s’en tenir à une ligne identifiable pour des électeurs en quête d’une proposition politique en adéquation avec leurs attentes.

Mal numéro 2 : Une sociologie électorale rétrécie

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Entre 2002 et 2025, l’électorat de la droite s’est réduit comme peau de chagrin. De 2002 à 2007, l’UMP s’appuyait sur un socle électoral large et puissant composé de retraités, des classes moyennes, des catholiques pratiquants, des professions libérales, des artisans et des cadres supérieurs. Elle dominait dans l’Ouest conservateur, le Sud-Est, l’Alsace et les zones périurbaines. Nicolas Sarkozy avait même réussi à séduire une partie des classes populaires par un discours mêlant mérite, autorité et identité, lors de sa campagne présidentielle de 2007.

À partir de 2012, l’électorat se disperse et se fragmente. Le quinquennat a déçu, les promesses de Nicolas Sarkozy ne sont pas tenues, selon ses électeurs. Par conséquent,  une érosion commence :  les classes populaires se tournent vers le FN, les jeunes et les urbains vers le centre, voire la gauche représentée par François Hollande. En 2017, François Fillon est doublement siphonné par Emmanuel Macron chez les modérés et par Marine Le Pen chez les électeurs populaires. En 2022, Valérie Pécresse, dépassée sur sa droite par le RN et Reconquête d’Éric Zemmour, en plus du président candidat, s’effondre à 4,8 %, confirmant que LR ne parle plus qu’à un électorat âgé, conservateur, rural et patrimonial.

Aujourd’hui, le cœur sociologique des Républicains est très et trop restreint : retraités, catholiques pratiquants réguliers, classes supérieures des zones rurales ou des beaux quartiers. Les jeunes, les classes populaires, les salariés et les métropolitains ne votent plus LR. En résumé, le parti conserve un réseau local solide mais n’a plus de base nationale dynamique. Son avenir politique dépendra de sa capacité à se reconstruire autour d’une offre claire, cohérente et qui saura comprendre les aspirations des nouveaux électeurs à la sociologie différente des dernières décennies. Ceci n’est pas acquis dans la mesure où le parti semble accepter de devenir un parti libéral qui se consacre d’abord aux classes favorisées avant de songer à faire revenir à lui les classes populaires qui sont, nous l’avons dit, désormais au RN.

Mal numéro 3 : La guerre des égos comme récit continuel

L’un des autres problèmes récurrents de la droite française est sa tendance à tomber dans la guerre des égos de manière régulière, au détriment de la guerre des idées.  C’est une constante dans son histoire, sous la Cinquième république : Giscard contre Chirac, Chirac contre Chaban, Balladur contre Chirac, Chirac contre Sarkozy, Sarkozy contre Villepin, puis Copé contre Fillon, Sarkozy, Juppé et Fillon lors de la primaire de 2016, Barnier, Bertrand, Pécresse, Ciotti… et récemment, Retailleau contre Wauquiez, ce dernier accusant son rival vendéen d’avoir « lancé la guerre » pour la présidence du parti.

Ces luttes de pouvoir sont profondément ancrées dans la culture du parti gaulliste, où l’idée du chef est centrale et l’affrontement, une conséquence inévitable. Dans l’esprit des cadres comme des militants, l’intensité de ces conflits dépasse largement celle que l’on retrouve dans d’autres formations. Le problème est que cette logique de rivalités internes est un poison. Lorsque la droite était forte, au pouvoir, avec des figures puissantes, ces guerres d’ego pouvaient être perçues comme des « problèmes de riches ». Elles restaient violentes mais ne nuisaient pas aux résultats électoraux. En 1995, malgré la rivalité féroce entre Chirac et Balladur, les deux avaient atteint les 20 % au premier tour, et l’un des deux avait fini à l’Élysée. En 2025, ce n’est plus le cas. Voilà près de dix ans que la droite est siphonnée par Emmanuel Macron, Édouard Philippe, Marine Le Pen et Jordan Bardella. Tous disposent de ce que Les Républicains n’ont plus : des figures fortes, incontestées, prêtes à gouverner.

Face à ces guerres égotiques et donc au problème durable de l’incarnation, LR aurait dû se recentrer sur le fond, sur un projet clair. Cela n’a pas été fait. LR ne s’est jamais réellement appuyé sur des think tanks puissants ni sur une culture du débat intellectuel. En 2025, les thèmes que le parti aborde (sécurité, immigration, identité) sont essentiels, mais abordés de manière répétitive, obsessionnelle et déconnectée des enjeux contemporains comme l’écologie, l’économie numérique, la mobilité sociale ou le travail. En n’imposant jamais le tempo du débat public, LR perd la bataille des idées et aucun parti ne peut gagner la bataille politique sans victoire idéologique.

Mal numéro 4 : François Fillon, traumatisme et héritage

Un homme avait tenté de clarifier la ligne du parti en 2017 François Fillon. En allant au-delà des événements, on peut analyser qu’il est celui qui, en 2016, a tenté de redonner à une droite perdue dans le sarkozysme identitaire, sous “l’emprise” de Patrick Buisson, une colonne vertébrale idéologique. Depuis 2007, l’UMP-LR ne pensait plus vraiment. La victoire de Nicolas Sarkozy avait figé les débats internes et, en 2012, ce dernier avait mené une campagne marquée par une course à l’extrême droite, misant uniquement sur les thèmes identitaires. Il a oublié que le parti avait aussi une vocation populaire, sociale et européenne.

Face à cela, François Fillon, après 2012, travaille sur un programme novateur avec une ambition  claire : proposer un cadre idéologique structuré, cohérent, assumé, autour d’un projet de rupture. Il y propose une politique économique libérale (réduction massive de la dépense publique, suppression de 500 000 postes dans la fonction publique, réforme du Code du travail, allègement des charges pour les entreprises) ; une vision conservatrice sur les questions de société (valorisation de la famille traditionnelle, autorité, transmission) ; une ligne régalienne ferme (immigration réduite à un minimum, justice plus sévère, sécurité renforcée).

Il perd dans les circonstances que l’on connaît mais son apport à la réflexion de la droite demeure. Son programme constituait la première tentative depuis longtemps de lui redonner un socle d’idées. Paradoxalement, les idées libérales-conservatrices portées par François Fillon sont aujourd’hui revenues à la “mode”. En Europe, en Amérique, et même en France, chez des figures comme Jordan Bardella, Éric Ciotti, ou Marion Maréchal, on retrouve des pans entiers de l’agenda économique et régalien esquissé par Fillon. Elles s’inspirent de sa doctrine, parfois en l’amplifiant. Il y a donc bien un héritage Fillon. Si la droite veut repartir de bases claires, elle pourrait utilement s’appuyer sur ce socle pour reconstruire une offre politique cohérente, capable de parler à la sociologie de droite : classes moyennes supérieures, entrepreneurs, retraités, conservateurs culturels et électeurs inquiets du déclin.

Mal numéro 5 : Les blessures mortelles infligées par le macronisme

Si la défaite de François Fillon fut un choc pour la droite, ses conséquences furent probablement pires avec l’élection d’Emmanuel Macron qui, d’emblée, s’est mis en tête de chasser sur les terres de la droite parlementaire. Depuis 2017, celui-ci a mené une stratégie d’effacement et d’absorption méthodique de la droite, tant sur le terrain des idées que des figures. Sur le plan économique, il a repris plusieurs de leurs mesures : suppression partielle de l’ISF, ordonnances travail, réforme des retraites. Côté régalien, il a durci sa ligne avec la loi immigration de 2023 ou la loi sur le séparatisme, souvent en écho aux propositions LR.

Cette offensive idéologique s’est accompagnée du débauchage de personnalités issues de la droite : Édouard Philippe, Bruno Le Maire, Gérald Darmanin, Catherine Vautrin ou Éric Woerth ont tous été intégrés à l’écosystème macroniste. Résultat : LR, privé de ses idées et de ses cadres, peine à se distinguer. Coincée entre Renaissance et l’extrême droite, le parti n’impose plus ni vision ni leadership et se retrouve réduit à réagir ou surenchérir, sans réussir à incarner une alternative. C’est un paradoxe frappant : la droite, historiquement au pouvoir, a peu à peu perdu son aura de compétence et de légitimité institutionnelle, tandis que le camp macroniste, nouveau venu, a su en hériter.

Mal numéro 6 : Toujours en retard sur le RN

Si Les Républicains se sont fait dérober une partie de leurs idées et de leurs cadres par les macronistes, leur attitude face au Rassemblement national est tout aussi néfaste : ils ne se font pas voler, ils suivent. Leur stratégie est défensive, toujours en retard d’un coup. Le RN avance, propose, impose les thèmes ; LR réagit, surenchérit parfois, mais donne souvent une impression de mollesse ou d’hésitation. Ce n’est ni de la fermeté ni de la modération : c’est du suivisme. Cette stratégie est condamnée à l’échec car, en politique, tout est question de dynamique : le RN profite d’une vague de popularité inédite qui durera tant qu’il ne sera pas confronté à la réalité du pouvoir. Très peu de choses, et même pas les affaires judiciaires, ne pourront gravement entamer son crédit. Preuve en est, les derniers sondages présidentiels mesurent Marine le Pen et Jordan Bardella entre 31 et 34%.

La question du socle commun et de la place de la droite

Malgré tout cela, il semble que LR a su avancer idéologiquement grâce aux législatives de 2024. La purge ciottiste, suite à l’opération solitaire d’Éric Ciotti, a permis une clarification idéologique et a ouvert la voie à un repositionnement plus lisible : conservatisme, libéralisme mais, tout de même, l’envie de retrouver l’électorat populaire via des mesures sociales.

Juste après, le retour de la droite républicaine à Matignon, même bref avec Michel Barnier, a marqué une réinsertion inattendue dans le jeu politique. Désormais président du parti, Bruno Retailleau donne l’opportunité à la droite d’avoir, enfin, une incarnation faite d’autorité, de sens populaire et expérimentée. Cependant, il va devoir arriver à une conclusion évidente : il n’a aucun intérêt à rester dans une alliance avec le bloc central en vue de la présidentielle 2027 car, outre le fait qu’il défend des idées opposées au macronisme, la fin du cycle Macron ouvre un espace. Une partie de l’électorat de droite qui s’est tourné vers Macron par défaut pourrait maintenant revenir vers LR.  Le RN reste un concurrent, mais pas forcément une alternative crédible pour l’électorat de la droite classique : amateurisme supposé, flou idéologique, et incertitude sur l’avenir de Marine Le Pen affaiblissent encore, et malgré tout, sa candidature. Jordan Bardella, 32 ans en 2027, semblera toujours trop jeune pour rassurer cet électorat attaché à l’expérience.

Aussi, le contexte idéologique actuel, marqué par une poussée libérale mondiale (Trump, Milei), joue en faveur d’un discours de droite économique assumé. Retailleau, en s’inspirant de Chirac 1986 et de Fillon 2017, peut proposer un programme de rupture. Pour cela, il devra rompre clairement avec le centre et se distinguer des droites radicales. L’avantage qu’il a, à cette heure, est que son élection à la tête du parti ne souffre d’aucune contestation.Ce fut un succès médiatique, un succès de participation avec plus de 70% des adhérents ayant voté, un succès militant puisque le parti a réussi à attirer de nouveaux des adhérents et, enfin, un succès politique puisque le vainqueur a très largement gagné, ce qui lui permet de diriger à son aise.

Un avenir qui semble, malgré tout, compromis

Le véritable enjeu pour LR est de redevenir le pôle structurant de la droite républicaine. Cela suppose de s’émanciper du mimétisme avec les extrêmes et de proposer un discours sérieux, structuré, à la hauteur des défis. Pourtant, malgré tout cela, l’avenir paraît sombre pour LR qui, en résumé :

  • N’est plus perçu comme une force de gouvernement ;
  • Traîne le bilan contrasté de Sarkozy, dont les électeurs n’ont pas oublié les promesses non tenues ;
  • Reste traumatisé par l’effondrement de la campagne Fillon en 2017 ;
  • N’a ni renouvelé ses idées, ni produit d’offres politiques fortes ;
  • A vu ses thèmes de prédilection récupérés par Macron d’un côté, le Pen de l’autre ;
  • Se retrouve enfermé dans une logique de blocs antagonistes, ce qui réduit l’espace pour un parti d’équilibre ;
  • Est usé par dix ans d’une vie politique polarisée autour de Macron et Le Pen.

Pire : LR doit maintenant faire face à de nouveaux concurrents, souvent plus jeunes, mieux incarnés, plus audacieux. Édouard Philippe, Gabriel Attal, Jordan Bardella, Sarah Knafo, Gérald Darmanin ou même Éric Ciotti qui, avec son parti UDR, inspiré de la droite autoritaire, vient concurrencer son espace idéologique et électoral.

À moins d’un sursaut intellectuel, d’un renouveau politique et d’un choc stratégique fort, LR est dans une impasse et risque de devenir un nouvel UDF : vivant, certes, mais sans souffle, sans influence, survivant par ses élus locaux. En bref, condamné à l’effacement progressif.

Peut-être assistons-nous à la fin d’un cycle pour une droite dont les méthodes sont dépassées et encore plus depuis que la vie politique, désormais structurée en blocs, ne lui laisse plus d’espace pour respirer.  C’est tout le défi de Bruno Retailleau qui, s’il incarne depuis plusieurs mois l’espoir de la droite, peut tout aussi bien en être le dernier.

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Yoann Taïeb