Les deux dernières années ont changé radicalement les équilibres de l’Europe. Différents éléments ont contribué à un bouleversement qui aurait été difficile à prévoir.
Les efforts de David Sassoli pour assurer la poursuite des travaux du Parlement européen à distance, même pendant le confinement, ont permis de gérer la crise du Covid-19, d’une façon bien plus tournée vers une approche communautaire que vers une approche intergouvernementale. Cela a augmenté le poids politique du Parlement européen et de la Commission face au Conseil et aux Etats-membres, qui au contraire avaient été les acteurs principaux des années de la crise de la zone euro.
Le départ d’Angela Merkel a laissé un vide sur la scène internationale, qu’aucun leader n’a jusqu’ici encore été capable de combler. Au même moment, les partis souverainistes ont perdu leur élan et ils ont été obligés de retirer leur proposition les plus eurosceptiques, préférant plutôt parler de résistance aux projets d’intégration.
L’UE est donc en train de vivre un moment de transition. Mais cette situation n’est pas destinée à durer longtemps, car l’Europe est appelée à prendre très rapidement des décisions qui vont déterminer quelle sera sa configuration dans un futur post-pandémie.
Dans ce contexte, le futur Président de la République française aura la possibilité d’influencer en profondeur la direction du projet d’intégration européenne, notamment pour ce qui concerne les enjeux liés à la mise en œuvre du plan de relance « Next Generation EU ».
En effet, Next Generation EU peut être considéré de quatre façons différentes, chacune desquelles implique des choix décisifs à prendre. Il peut être considéré comme un outil: a) de stabilisation macroéconomique; b) de protection des citoyens européens; c) de politique industrielle; d) d’accélération pour la transition écologique.
Next Generation est avant tout l’instrument qui a sauvé la zone euro. Sans une forte intervention au niveau européen, la suspension du Pacte de Stabilité et l’assouplissement du cadre des règles sur les aides d’Etat auraient détruit l’Union économique et monétaire, car des pays comme l’Allemagne ou les Pays-Bas auraient eu plus de capacité de répondre à la crise comparés à des pays endettés.
La mise en place d’un mécanisme commun de financement et d’investissement a préservé la stabilité de l’Europe. Toutefois, la crise financière nous a appris que la solidarité engendre une gouvernance forte. Une pareille initiative inviterait à une intégration plus profonde parmi les pays UE, de façon à assurer un processus décisionnel plus transparent et démocratique. La réflexion française peut offrir beaucoup de propositions concrètes à ce sujet, puisqu’elle s’interroge depuis longtemps sur comment renouveler la démocratie et mieux écouter les citoyens. Le soutien à la Conférence sur l’avenir de l’Europe et l’expérience de la Convention Citoyenne pour le Climat en sont la démonstration.
Mais, avant tout, les candidats à l’Elysée doivent prendre position. Soit ils considèrent que Next Generation EU est une expérimentation limitée à une situation d’urgence, qui ne nécessite pas un majeur degré de coordination entre les pays européens. Soit ils considèrent Next Generation EU comme une première étape pour arriver à doter l’Europe d’un instrument permanent de stabilisation macroéconomique et ils sont prêts à approfondir l’intégration européenne et à s’engager pour renforcer les institutions démocratiques.
Deuxièmement, Next Generation EU est un outil pour protéger les citoyens européens. Bien que les médias y aient donné plus d’attention, les ressources dévolues aux plans nationaux de relance sont seulement une partie d’un paquet bien plus vaste. Toutefois, il est de plus en plus évident que, jusqu’à maintenant, la réponse européenne n’a pas réussi à prendre en compte de façon efficace la baisse du pouvoir d’achat.
La France est l’un des pays où le débat sur le pouvoir d’achat des citoyens est le plus développé. Si le futur Président sait trouver une recette efficace en la matière, il aura aisément l’influence pour la re-proposer à un niveau européen et ajouter ainsi un élément fondamental à la boîte à outils à notre disposition.
Next Generation EU est également un outil de politique industrielle, étant donné qu’il vise à soutenir la solvabilité des entreprises, protéger les chaînes logistiques et soutenir la compétitivité des secteurs stratégiques pour le tissu productif européen.
Cette approche représente une nouveauté pertinente pour l’Union européenne, qui depuis les années 1980 a investi bien plus dans la politique de la concurrence que dans la politique industrielle. Cependant, il est encore trop tôt pour parler d’un changement d’époque, car différents acteurs voudraient que ces mesures soient conçues comme uniquement temporaires.
La France est parmi les pays européens qui ont été le plus capable de conserver et développer une politique industrielle au cours des dernières décennies. Elle aurait non seulement l’intérêt à orienter résolument l’UE dans cette direction, mais aussi l’expérience nécessaire pour avoir un rôle de leadership dans ce domaine.
Le futur Président de la République peut être déterminant dans la définition des nouveaux équilibres, mais seulement s’il accepte de s’engager sérieusement avec les partenaires européens sur ce sujet (et tous les candidats ne semblent pas prêts à le faire). En outre, pour obtenir des résultats concrets, il devrait utiliser des arguments qui puissent être compris par des interlocuteurs non-français. Souvent la France n’a pas trouvé d’alliés dans le domaine industriel car les discours de ses représentants politiques s’adressaient plus à l’électorat français qu’aux autres pays UE.
Finalement, Next Generation EU est un outil au service de la transition écologique. Le choix de lier la relance économique à la protection de la planète n’était pas évident au printemps 2020, mais il a été rapidement accepté par tous les principaux acteurs politiques, de gauche et de droite. Cela démontre un changement de paradigme. Aujourd’hui, le clivage politique n’est plus entre “écologistes” et “pollueurs”, puisqu’aucun parti ne peut plus se permettre d’ignorer la question environnementale. Le clivage politique d’aujourd’hui concerne la vitesse de la transition verte, opposant ceux qui demandent des actions urgentes et ceux qui, au contraire, préfèrent repousser toute mesure qui pourrait ralentir la croissance économique.
Les discussions autour de la nouvelle taxonomie verte démontrent que l’Union européenne n’a pas encore choisi quel est son vrai degré d’ambition dans la lutte contre le changement climatique. Dans ce domaine aussi, le futur Président de la République peut être décisif, mais il devra prendre des positions claires et nettes pour faire jouer toute son influence.
Relance économique, chute du pouvoir d’achat, nouvelle politique industrielle et transition écologique : ce sont tous des enjeux cruciaux dans la campagne électorale en cours en France. Mais ce sont aussi des enjeux essentiels pour la configuration de l’UE post-pandémie.
Le 10 avril la France ne choisira pas seulement son Président de la République, mais aussi la direction qu’elle souhaite donner au projet d’intégration européenne.