Dans moins de deux ans, la campagne présidentielle 2027 battra son plein avec, pour enjeu principal, celui de tourner la page d’une décennie de présidence d’Emmanuel Macron. Une coalition inédite, le socle commun, s’est créée et permet encore au président de garder la main sur la conduite des affaires intérieures du pays, malgré la défaite de son camp aux dernières élections législatives de juin et juillet 2024.
Le socle commun est une expression inventée par Michel Barnier au moment de sa nomination en tant que Premier ministre, le 5 septembre 2024. Homme de la droite modérée et du centre, il a fait la jonction entre son parti, les Républicains, et l’ancienne majorité du président. Ensemble, ce « socle commun » atteint environ 220 députés et est, numériquement parlant, le plus important (sans pour autant se rapprocher de la majorité qui est de 289 sièges). L’alliance inédite est désormais pilotée par l’allié et centriste historique, François Bayrou qui reste sous la menace d’une censure mais aussi d’une décomposition progressive de cet attelage. La question qui se pose est de savoir si ce socle commun est capable de tenir jusqu’à la présidentielle de 2027 et de ne présenter qu’un seul candidat, au risque, sinon, de disperser ses voix.
Aujourd’hui, tout porte à croire que cela est impossible pour trois raisons principales : la fin du macronisme signifie qu’une page va se tourner, LR a une opportunité de redevenir l’acteur phare de la droite et, enfin, les ambitions et le nombre de prétendants issus du bloc central (macronistes, centristes et alliés Horizons) font qu’il est impossible de les voir ravaler leurs ambitions pour se mettre au service d’un autre.
La fin du macronisme
Le macronisme est né de la stratégie et de l’intuition d’un homme qui a bien perçu la demande massive de renouvellement du personnel politique en 2017, a compris que les vieux partis n’attiraient plus et a su constituer, au centre de l’échiquier, une force suffisamment puissante, capable de redéfinir les contours de notre vie politique. Quel était le triptyque du macronisme ? Dépassement, transformation du pays et rénovation de la vie politique. On peut le décrire comme un politique inspiré par l’universalisme républicain français et le social-libéralisme européen qui a poussé pour le dépassement du clivage gauche-droite, la conversion des Français au libéralisme économique et sociétal ou encore la fin de l’assignation à résidence.
Le projet, sans l’incarnation du président, ne pourra durer car il manquera toujours d’une colonne vertébrale idéologique qui est absolument essentielle à son alimentation et à sa survie. Emmanuel Macron a construit toute son histoire autour de son aventure personnelle, de son audace mais pas autour d’un corpus idéologique solide. Preuve en est, à part la question européenne, les macronistes divergent entre la tendance sociale, la tendance libérale pro-business ou encore sur la question religieuse et le rapport à la laïcité, le rapport aux extrêmes (cf : le vote utile pour des candidats LFI aux dernières législatives, prôné par G. Attal). Ce manque d’assises sur les questions idéologiques et programmatiques rend le macronisme fragile et constitue une menace existentielle pour lui.
La sortie annoncée d’Emmanuel Macron du jeu politique en 2027 ouvre aussi un vide immense. Il ne peut, et ne veut, adouber un successeur sans créer de frustrations, ni en désigner un sans passer pour un monarque de droit divin. Et, quand bien même il le ferait, cela n’aurait aucun impact tant il est en train de sortir progressivement de tous les esprits, à mesure que la durée de son bail à l’Elysée diminue. Un héritier putatif symbolise la fin du macronisme en même temps que sa redéfinition : Gabriel Attal, qui ne cache pas, depuis qu’il a pris les rênes du parti Renaissance, qu’il ne se réclamera plus d’Emmanuel Macron. Le dimanche 6 avril dernier, lors du rassemblement du parti, le nom du président n’a presque pas été évoqué et on a même appris que le mouvement des « jeunes avec Macron » allait changer de nom pour gommer la référence au président. La fin de ce cycle coïncide avec une nouvelle étape pour les « marcheurs » qui sont en train de travailler à un socle programmatique et idéologique en vue de la présidentielle de 2027.
Le macronisme est fini et, par conséquent, tout ce qui liait ses principaux acteurs n’aura plus lieu d’être. Ce courant n’a vécu qu’à travers la personnalité et la présence du président Macron et, comme le bonapartisme ne survit pas à la chute des Bonaparte, le macronisme n’en réchappera pas.
Les ambitions retrouvées de LR
En revenant à Matignon grâce à la nomination de Michel Barnier, la droite républicaine est revenue dans le jeu politique et ce, même si le Premier ministre n’est resté en place que 99 jours.
Une situation inespérée pour un parti idéologiquement improductif depuis la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007 et politiquement en état de mort cérébrale depuis la présidentielle, dite imperdable, de 2017 et la chute de François Fillon. C’est pourquoi le retour au premier plan du parti et la percée de Bruno Retailleau, fait qu’il a tout intérêt à sortir de l’alliance avec le bloc central pour jouer sa carte :
- Comme nous l’avons vu, la fin du macronisme signifie que beaucoup d’électeurs de droite séduits par l’aventure et le positionnement politique du président pourraient retourner vers leurs familles politiques d’origine. Des électeurs traditionnels LR ont voté Macron mais voteront-ils Attal ou Bayrou, perçus comme trop centristes et/ou progressistes ? L’ADN de l’électeur de droite est plus conservateur. C’est sur ce point que LR a un vivier d’électeurs à aller récupérer.
- LR a la chance et l’opportunité d’avoir, de nouveau, une incarnation forte en la personne de Bruno Retailleau, à condition qu’il gagne la course à la présidence du parti. Ce sera la première fois depuis Nicolas Sarkozy, puis François Fillon 2016-2017, que le parti sera dirigé par un homme d’État, ministre régalien et populaire dans l’opinion. Il n’aura aucun intérêt à rester dans une alliance perdante pour lui puisqu’il est plus populaire que les macronistes et fait jeu égal avec Édouard Philippe. Sans compter que ses idées sont opposées à celles des macronistes historiques. La cohabitation se fait, aujourd’hui, par nécessité mais n’aura plus de raison d’être une fois la grande échéance de la présidentielle en vue.
- La difficulté persistante du RN et de Marine le Pen à se crédibiliser reste un atout pour la droite LR. Certes, le RN gagne des électeurs à chaque élection mais il traîne toujours une image d’imprécision programmatique, d’amateurisme dans la gestion et de légèreté, tant sur le plan régalien que sur le programme économique qui oscille entre la tendance étatiste d’une partie du RN et la tendance libérale incarnée par Jordan Bardella. Pour un électeur de la droite libérale, se tourner vers le RN est très loin d’être acquis. Sans compter que la possible inéligibilité de Marine le Pen rebat les cartes. Son remplaçant putatif, Jordan Bardella, qui aura 32 ans en 2027, est trop jeune et ne correspond pas aux attentes des électeurs de la droite française qui sont en recherche d’une personnalité d’autorité et d’expérience.
- LR peut aussi profiter du contexte idéologique actuel. Il y a une « vague libérale » qui se répand depuis l’Amérique de D. Trump jusqu’à l’Argentine de J. Milei et qui infuse, petit à petit, dans une partie de l’Europe désireuse de moins de bureaucratie et de plus de liberté, surtout économique. LR, depuis la campagne de François Fillon, se positionne à nouveau clairement comme un mouvement libéral (et non plus « populaire » comme l’UMP et le RPR). Bruno Retailleau entend s’inspirer de la période Chirac 1986-88 et s’appuyer sur les quelques idées phares de François Fillon pour proposer un programme présidentiel de rupture avec ce qui a été fait durant la période macroniste. Il devra donc se séparer, pour se démarquer, des partis centristes avec lesquels il coopère pour le moment et, surtout, afficher sa valeur ajoutée comparé aux partis de la droite extrême (Reconquête ou Identités et Libertés) qui surenchérissent sur les thèmes du libéralisme économique.
- Enfin, il faut prendre en compte deux éléments plus rationnels : la notoriété et les financements. Depuis 2017, la droite LR n’a connu que des défaites ou des mauvais scores dans les élections nationales les plus importantes, présidentielle et législatives. Ne pas se présenter à la présidentielle, c’est, d’abord, prendre le risque de disparaître du paysage politique et de laisser le champ libre à Edouard Philippe et Marine le Pen. Ensuite, c’est prendre le risque de ne plus recevoir de financement via les voix obtenues. Dans la mesure où le parti est endetté, c’est impensable.
Le choc des ambitions au cœur du bloc central
Les trois figures les plus importantes issues de ce bloc, François Bayrou, Gabriel Attal, Édouard Philippe, se préparent dans l’ombre. Elles seront probablement candidates à l’élection présidentielle de 2027 parce que, pour elles, cette échéance n’est pas une option mais une obligation.
Edouard Philippe, l’ancien Premier ministre et favori des sondages depuis plusieurs années, a monté un parti structuré, Horizons, implanté et voit les municipales comme la dernière étape de sa stratégie au long cours. Il ne peut pas reculer après avoir semé ses graines pendant sept longues années, d’autant plus que sa rupture avec le camp du président est actée depuis les législatives de 2024. Il a aggravé la fracture en critiquant sévèrement les méthodes de François Bayrou qui l’a très mal pris et a vu cette offensive comme une nouvelle opération visant à montrer qu’il a largement pris ses distances avec ses ex-alliés. Électoralement parlant, E. Philippe aurait l’opportunité de réunir un large spectre d’électeurs en cas de duel contre Marine le Pen, allant de la gauche à une partie de la droite.Le maire du Havre tient une ligne de droite qui n’est pas encore occupée par un rival : celle d’un orléanisme managérial, rassurant, parfois plus conservateur que le macronisme, ce qui lui laisse de nombreuses réserves de voix dans des électorats qui peuvent chercher à éviter un duel Mélenchon/Le Pen. Dès lors, il n’a aucune raison, puisqu’il est en position de force, de continuer à jouer le jeu d’une alliance centrale sans avenir ni bénéfices pour lui.
François Bayrou est enfin arrivé à une place à la hauteur de ses ambitions, et du chemin de croix qu’il a connu. Dernier centriste du pays et représentant du courant démocrate-chrétien, il pourrait tenter, après Matignon, une quatrième et dernière fois d’accéder à l’Élysée. Bayrou incarne une fibre humaniste, catholique sociale, fondée sur la ruralité et l’équilibre démocratique mais son projet est décalé dans la mesure où il a été préempté par Macron en 2017. Le vent a tourné, l’époque est au changement et à la radicalité mais il veut tenter le pari. Cependant l’immobilisme dont il est accusé pourrait être un obstacle sur sa route et en termes de crédibilité mais il a suffisamment de finances au MoDem, des députés fidèles et prêts à marcher pour lui. Tout indique qu’il devrait se présenter. Enfin, il y a le critère de l’âge : François Bayrou aura 76 ans, ce qui signifie que cette élection est sa dernière chance. S’il ne se présente pas, il quitte la scène politique directement après Matignon et on imagine difficilement que, d’un point de vue personnel et de tactique politique, celui-ci se résigne à se ranger derrière des candidats qui n’ont pas son expérience.
Gabriel Attal, qui représente une sorte de progressisme urbain et républicain, a connu une ascension éclair et une chute toute aussi rapide. Le problème auquel il fait face est que, à seulement 36 ans, il ne peut, après Matignon, accepter un simple ministère ou se retirer pour effectuer la « traversée du désert » chère aux hommes politiques français. L’Élysée est la seule suite logique. Pourtant, depuis son départ de juillet 2024, il se place légèrement en retrait, se fait discret et n’intervient que rarement dans le débat public. Surtout, il s’occupe de son nouveau rôle de président du parti présidentiel avec les municipales de 2026 en ligne de mire.
Son capital sympathie et popularité reste élevé mais, s’il ne se lance pas dans une échéance importante telle que la présidentielle, il prend le risque de disparaître jusqu’en 2032, soit huit ans entre son passage en tant que Premier ministre et un éventuel retour. Autant dire une éternité et le risque de ne plus pouvoir revenir car, d’ici là, il y aura eu un grand ménage dans le paysage politique avec des nouvelles têtes d’affiche qui occuperont tous les espaces politiques et médiatiques. Enfin, il va devoir se présenter, ne serait-ce que pour acter sa position de chef et héritier du macronisme : il ne peut se contenter d’incarner la relève d’Emmanuel Macron, il doit le dépasser.
En bref, François Bayrou se voit comme le fondateur moral, Edouard Philippe comme l’architecte de droite qui a osé rompre avec Jupiter et Gabriel Attal comme le fils légitime qui a pris sa liberté. Trois ambitions importantes et donc la garantie qu’aucun ne cédera la place sans se battre et qu’aucundes trois ne pourra se ranger derrière un « candidat naturel » du bloc central sans perdre la face.
Cependant, ces grandes ambitions peuvent se briser sur le mur d’un autre scénario probable : l’absence d’un candidat du bloc central au second tour. Face à la multiplication des potentielles candidatures issues cet espace, où l’on peut encore ajouter Gérald Darmanin et Yaël Braun-Pivet, le risque majeur est que les voix soient tellement éparpillées que, face à un RN en ordre de marche derrière Marine le Pen ou Jordan Bardella et face à une gauche unie, le centre n’atteigne pas le second tour. Dans le dernier sondage Harris Interactive pour Regards (avril 2025), le RN atteint les 34% au premier tour, la gauche unie entre 20% et 26% et le centre est autour des 18%. Le danger de l’absence d’un représentant du courant central au second tour est réel.
Citons également Laurent Wauquiez, Xavier Bertrand, David Lisnard ou encore Michel Barnier qui pourraient tous, à leur niveau, vouloir jouer un rôle pour l’après-Macron.
Il faut aussi songer à la possibilité de proposer une primaire pour départager tous les candidats. Cependant, sur le plan des idées, cette hypothèse n’aurait aucun sens puisqu’il n’y a rien de commun entre les héritiers macronistes, les progressistes, les centristes et les libéraux-conservateurs de droite. Autrement dit, un électeur potentiel d’Attal ne pourrait se reporter sur Retailleau, et inversement, à moins que l’adversaire du second tour soit suffisamment « repoussant » pour que ces électeurs choisissent un candidat par défaut et malgré les désaccords profonds qu’ils pourraient avec avec lui. Mais, quoi qu’il en soit, le socle commun (bloc central + LR) est embouteillé par une accumulation d’ambitions diverses et il ne sera possible de trancher ce nœud gordien que par le premier tour de la présidentielle.
La situation du socle commun est aussi précaire qu’elle est limpide : il n’a aucune base idéologique commune sur laquelle s’appuyer ; les composantes politiques qui le composent manifesteront le besoin de rompre avec la décennie macroniste et de proposer un projet différent ; la droite républicaine a la possibilité de redevenir un pôle d’attraction pour les électeurs de la droite et du centre ; les ambitions personnelles des ténors du bloc central, enfin, ne peuvent que se renforcer d’ici l’élection.
Tout cela incite à penser que l’attelage ne pourra tenir. Les graines de la rupture sont semées et celle-ci sonnera, paradoxalement, comme la renaissance d’un clivage classique entre droites et gauches. En somme, le retour de la bipolarisation qui pourrait permettre de dégager des majorités claires et d’éviter les soubresauts que nous connaissons depuis 2024.