Oui, notre parti traverse une crise qui n’a que trop duré. Si cette crise touche en réalité toute la social-démocratie européenne, elle frappe le PS français de manière particulièrement aiguë. Il serait néanmoins erroné de conclure, sur cette seule base, à la mort cérébrale d’un espace politique qui continue, vaille que vaille, à chercher, à penser, à débattre. Car c’est justement ce que ce congrès a permis : un temps de démocratie militante sans équivalent dans le paysage politique français.
Pendant plusieurs mois, dans toutes les fédérations de France, dans les sections, au plus près du terrain, les militants socialistes ont débattu. A Maubeuge, à Creil comme à Paris. Ils l’ont fait dans la pluralité des sensibilités et des origines, avec passion, parfois rudesse, mais toujours avec la volonté de faire vivre une tradition politique : celle de la délibération collective, du travail d’idées, de l’attachement à la transformation sociale. Quel autre parti en France peut se vanter d’un tel maillage territorial et d’accorder autant de valeur à la réflexion militante ?
Le collectif Unir autour de Boris Vallaud, que nous avons soutenu, a pris toute sa part à cet effort. Nous avons déposé 45 contributions thématiques, sur l’éducation, la santé, les services publics, le féminisme, la ruralité, l’écologie, la République, l’Europe, et bien d’autres sujets encore1. Ce travail, fruit de dizaines de réunions, de centaines de contributions individuelles, a associé des militants jeunes et anciens, des élus, des intellectuels, des syndicalistes. Il témoigne d’une volonté réelle de remettre la pensée socialiste à la hauteur de notre temps.
Parmi ces contributions thématiques, l’une, proposant un impôt sur les grandes successions (IGS) et tirée d’une note publiée par la Fondation Jean Jaurès et Hémisphère Gauche2, reprend et actualise le chiffrage de Fipaddict et de Guillaume Hannezo sur la taxation des plus-values latentes, publié sur le site de La Grande Conversation3 – signe que les militants s’intéressent à la production intellectuelle et aux travaux menés par des experts et des think-tanks en dehors du Parti. Les débats de ces dernières semaines au Sénat ont démontré toute l’actualité et la pertinence de la question de la justice fiscale.
Ce congrès a également innové dans ses formes. L’Académie Léon Blum, que nous avons initiée, a permis de remettre en lumière la question de l’accueil et de la formation des militants. Le Nouveau Populaire, média militant visant à retisser un lien avec la base du parti, a déjà publié deux numéros complets. L’un d’entre eux a été entièrement consacré à la question de la démarchandisation, concept central qui a reçu un écho au-delà même du congrès : redéfinir les contours de la sphère marchande dans notre société et mettre en valeur des modes alternatifs d’organisation collective (économie sociale et solidaire, mutualisme, etc.)4 qui complètent les services publics et l’intervention de l’État. Qui ne voit pas l’urgence d’une telle approche alors que Karl Polanyi nous avait déjà averti des dérives totalitaires que porte en elle l’extension infinie du marché ?
Tout cela ne règle pas les problèmes structurels du Parti socialiste. Nous n’en ignorons aucun. L’affaiblissement organisationnel est réel. L’enracinement populaire est insuffisant. La dynamique électorale est fragile. La question du rôle des partis politiques au XXIe siècle reste en suspens. Nous ne les balayons pas d’un revers de main. Au contraire, nous souhaitons les affronter avec lucidité . Mais nous croyons que la seule manière d’y répondre est d’y opposer du travail, de l’énergie, de l’intelligence collective. Et non la caricature ou le fatalisme.
Car ce qui nous semble le plus problématique dans la tribune à laquelle nous répondons aujourd’hui, ce n’est évidemment pas le fait qu’elle critique. C’est qu’elle tourne le dos à ce qui, dans ce congrès, s’est réellement passé. À celles et ceux qui se sont retroussés les manches pour que les textes d’orientation cessent d’être des drapeaux de camps antagonistes et deviennent le socle d’un débat de fond, partagé et constructif. À celles et ceux qui ont fait de leur mieux et ont consacré leur temps libre pendant plusieurs semaines à essayer de restaurer la « vieille maison ».
Non, ce congrès n’est évidemment pas la fin de l’histoire. Il n’est qu’une étape dans un chantier de longue haleine. Alors que nous revenions de loin après l’affligeant congrès de Marseille, nous voyons en Nancy l’amorce d’une nouvelle méthode. Est-ce que nous prétendons avoir trouvé une solution à tous les problèmes qui nous affectent ? Bien sûr que non. Notre aspiration se limite à faire humblement et consciencieusement notre travail de militants, et nous continuerons à le faire. Et nous invitons toutes les âmes de gauche qui pensent détenir un fragment de réponse à la crise démocratique à rejoindre le PS et à venir nous aider dans notre tâche. Nous les accueillerons à bras ouverts.