Pour un régime de cohabitation de coalition

Pour un régime de cohabitation de coalition
Publié le 9 juillet 2024
Il est prématuré de spéculer sur la désignation d’un Premier ministre. Les priorités constitutionnelles sont claires : c’est d’abord le Parlement qui doit se réunir et se mettre en ordre de travail avant que la mise en place d’un nouveau gouvernement soit envisageable. Telle est la nouveauté de notre situation institutionnelle qui n’appelle pas une cohabitation comparable à celles que nous avons déjà connues mais une cohabitation en situation de coalition. Un apprentissage sans doute difficile mais qui pourrait être salutaire pour notre démocratie.
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La cohabitation qui commence s’annonce bien différente des précédentes. D’abord, les électeurs n’ont accordé aucune majorité absolue à qui que ce soit. Dès lors, seule une coalition sera à même de gouverner. Voire même en réalité une coalition de coalitions puisque le Nouveau Front Populaire ou Ensemble représentent eux-mêmes plusieurs partis avec chacun son chef, ses projets et ses tendances.

Comme dans toute cohabitation, il est évident que le Président de la République verra son pouvoir singulièrement amenuisé, ne serait-ce que dans la mesure où l’article 12 de la Constitution lui interdit de redissoudre avant 12 mois passé l’élection, mais aussi, plus prosaïquement, parce qu’il ne pourra plus bénéficier des très nombreux conseillers qui étaient mis à disposition par le cabinet du Premier Ministre depuis 2017 pour permettre à l’Elysée de composer le puissant et pléthorique cabinet qu’on lui connait aujourd’hui.

Cependant, il faut réaliser que le Premier Ministre lui-même ne pourra pas se comporter en Président-bis comme s’y étaient essayé Jacques Chirac en 1986 ou Lionel Jospin après lui. En effet, même soutenu par une large coalition, le Premier Ministre ne sera jamais le chef d’un parti majoritaire. Il sera systématiquement sous la menace d’une motion de censure dont on rappelle que l’article 49 de la Constitution permet le déclenchement à la demande de 58 députés seulement et en toutes circonstances, y compris même en l’absence de texte qui mettrait en jeu leur responsabilité.

D’ailleurs, en pratique, les institutions de la cinquième République n’imposent nullement aux nouveaux parlementaires de se presser pour proposer le Premier Ministre de leur choix au Président de la République. Bien au contraire, la pratique de l’article 8 de la Constitution permet au Premier Ministre sortant de continuer à gérer les affaires courantes, c’est-à-dire les décisions de l’activité quotidienne d’un gouvernement ainsi que des éventuelles situations d’urgence, le tout sous le contrôle du juge administratif qui sera attentif à ne pas laisser la situation se dégrader.

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Autant dire que, face à un Président amenuisé et à un futur Premier Ministre qui ne sera pas en bien meilleure posture, l’urgence semble d’abord pour les nouveaux parlementaires de construire un projet commun.

Là aussi, la Constitution apporte des réponses simples qui permettent de structurer le calendrier puisque l’article 12 prévoit que la première réunion de l’Assemblée doit obligatoirement se tenir « le deuxième jeudi qui suit son élection », soit le 18 juillet prochain, et que son ordre du jour devra obligatoirement être consacré à l’élection de sa Présidence, avec deux premiers tours à la majorité absolue, et un éventuel troisième tour à la simple majorité relative.

Dans ces conditions, quel sens y aurait-il à désigner un Premier Ministre dès aujourd’hui ? Ce n’est pas ce qu’exige la Constitution. Et ce n’est pas non plus ce qu’exige la vie politique française qui commande plutôt que les nouveaux élus s’entendent sur une méthode de fonctionnement commune qui permette de rassembler des majorités dont il faut pouvoir envisager qu’elles aillent peut-être des députés de La France Insoumise à ceux de Ensemble.

Sur le seul plan moral de toute façon, c’est la seule option qui réponde véritablement au message de ce scrutin. En effet, en dehors des élus du Rassemblement national, la plupart des députés de cette nouvelle Assemblée nationale doivent leur élection aux voix de leurs adversaires. Dès lors, le mandat que confère un tel vote de barrage républicain est celui d’un gouvernement républicain. L’exigence nouvelle est ici d’éviter les ruses toxiques qui avaient été celles de Chirac en 2002 ou de Macron en 2022.

Dans ce régime de cohabitation de coalition, bien plus que le Premier Ministre, ce seront les ministres eux-mêmes qui seront les acteurs de l’exercice du pouvoir. En effet, chacun d’entre eux n’acceptera de prendre son poste que sur la base d’un accord initial lui permettant de déployer son projet et lui garantissant indépendance et autonomie à ce sujet. Mais même dans ce contexte, les ministres devront encore composer avec les présidents des huit commissions permanentes de l’Assemblée nationale puisque, s’ils disposeront du pouvoir réglementaire et de l’administration, il leur sera presque impossible de réussir à faire passer un texte de loi sans le soutien préalable du parlement.

Autrement dit, plutôt que de céder à la bataille des égos en s’efforçant de propulser des individus à un poste qui n’est pas celui réclamé par l’ordre de fonctionnement des institutions de la Constitution, il conviendrait plutôt de s’intéresser aux véritables échéances institutionnelles qui s’annoncent et de les préparer en connaissance de cause, de la constitution d’un projet obligatoirement commun à la définition d’une méthode de coalition ainsi qu’à la désignation du Président de l’Assemblée Nationale, des Présidents de commissions permanentes, des Ministres et de leurs projets, le tout avant de parvenir au choix d’un Premier Ministre qui ne pourra que découler de ces étapes et non les précéder.

Certes, beaucoup résistent à l’idée d’une large coalition car ils pensent que ce serait rendre un service au Rassemblement National qui aurait alors beau jeu de se présenter comme la seule alternative possible, dès aujourd’hui ou en 2027.

Mais si ce risque existe, il est quand même bien moindre que celui d’un chaos institutionnel qui donnerait purement et simplement raison au Rassemblement National qui n’a cessé de se présenter comme la seule solution d’ordre et d’équilibre institutionnel. Le défi de la coalition républicaine est certes un pari mais il reste préférable à cet égard, et ce d’autant plus qu’il correspond à la logique institutionnelle et constitutionnelle, amenant certes de l’innovation mais aussi potentiellement de la vigueur à la démocratie française.

Finalement, après plus de 60 ans de centralisation du pouvoir autour du Président ou du Premier Ministre, la dissolution impromptue décidée par le Président de la République va finalement permettre aux Français de goûter aux joies d’un régime parlementaire faisant la part belle aux coalitions, jusqu’à leur faire peut-être comprendre que la notion de compromis n’est pas forcément un gros mot et qu’elle n’est pas toujours synonyme de compromission.

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Jean-Baptiste Soufron