Le mythe de l’exode urbain

Le mythe de l’exode urbain
Publié le 4 décembre 2023
Le Covid et les confinements ont-ils changé notre rapport au territoire, et notamment le rapport entre métropoles et campagnes ? Le dynamisme des villes de taille moyenne ou des petites villes en périphérie des métropoles s'est confirmé. Pour autant, malgré l'aspiration à un habitat proche de la nature, les grandes agglomérations restent attractives en raison de la concentration des ressources qu'elles présentent. Comment, dès lors, imaginer un rééquilibrage territorial ?

La pandémie aurait généré une forme d’« exode urbain » des grandes villes vers d’autres territoires plus attractifs. Les premières études et recherches nuancent fortement cette assertion. Cet « exode urbain » est plus un mythe qu’une réalité. Ainsi, dans une étude coordonnée par Hélène Milet en 2022 (Exode urbain, un mythe, des réalités), les auteurs observent que plutôt qu’un départ massif des villes vers les campagnes, la pandémie a plus globalement accéléré les départs en provenance des grands centres urbains, en particulier des plus grandes métropoles, vers d’autres territoires, au premier rang desquels… des villes (un peu) plus petites. La pandémie aurait ainsi renforcé des tendances préexistantes et partant, la notion d’ « exode urbain » mérite d’être nuancée. Les auteurs soulignent également que ceux qui partent vers les villes moyennes et les campagnes comportent une diversité de profils : retraités, pré-retraités, ménages de profession intermédiaires et classes populaires stables allongeant leurs navettes quotidiennes grâce au télétravail. Et bien sûr, des cadres supérieurs et des professionnels du savoir, alliant grande mobilité et télétravail au sein de territoires littoraux, ruraux desservies par le TGV, mais aussi à haute qualité paysagère. Il est donc plus réaliste de parler d’une accélération d’un mouvement déjà engagé bien avant la pandémie au mitan des années 2000.

De même, le géographe Max Rousseau (« Le mirage de l’exode urbain », Les cahiers de l’institut Paris Région, 2023) souligne que, selon les nombreuses remontées de terrain, la migration de long terme des villes vers les campagnes, ne s’est pas réalisée. En dépit de ce récit largement médiatique sur cet exode, jamais l’espace hexagonal n’aura été aussi piloté depuis les grandes métropoles et même depuis la capitale vers laquelle convergent les principaux réseaux matériels (TGV, autoroutes notamment), et immatériels (« atmosphère » urbaine intellectuelle, technologique et financière).

Le poids durable de l’attractivité métropolitaine centrale

Cette attractivité de Paris et de sa région, explique le caractère très relatif de cet exode, pour deux raisons.

La première est associée à cette forme d’« atmosphère » urbaine intellectuelle, technologique et financière, propre aux grandes métropoles qui attirent et concentrent, tel un aimant, des professionnels (consultants, chercheurs, artistes, startupers, investisseurs, dirigeants, etc.), et des organisations du savoir mobilisant des ressources cognitives et créatives propices aux innovations et aux collaborations.

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La seconde raison tient au fait que nombre de ces acteurs privilégieront « la place » ou « le centre » de ces métropoles, ou encore leur proche périphérie, dans la mesure où cette localisation demeure liée à la symbolique du pouvoir associée à ces lieux où se concentrent les principaux décideurs (institutions et organisations). Cela à l’image hexagonale de Paris et singulièrement de son quartier central prestigieux des affaires (QCA), et plus largement dans les zones de l’Île-de-France telle que la première couronne ouest de Paris, voire la première couronne nord, financièrement plus abordable. C’est en effet dans ces espaces que se situent les sièges sociaux et les dirigeants de nombre de grands groupes, générant cette proximité et cette attractivité spatiale. En outre, la présence de transports rapides (régionaux et internationaux) constitue une ressource essentielle. Cela même en dépit d’une dégradation environnementale liée notamment à l’accroissement de certains coûts (notamment immobiliers et fiscaux), de la pollution atmosphérique, de la surcharge des réseaux de transports, des embouteillages, des nuisances sonores, etc., qui n’ont pas attendu la pandémie pour favoriser le départ d’autres catégories sociales (retraités, etc.) hors de ces grandes métropoles.

De la nécessité d’un rééquilibrage territorial

Pour autant, un rééquilibrage territorial serait bienvenu. Le gouvernement a été incité durant l’été 2020, au regard de la crise sanitaire, à orienter son plan de relance en faveur des territoires en encourageant la fabrication et le développement de « manufactures de proximité » (où tiers-lieux de production) avec une généralisation du dispositif ; environ 80 manufactures ont été labellisées à ce jour. De même on peut considérer que le contexte pandémique et post-pandémique doit inciter les tiers lieux territoriaux à favoriser la pratique du télétravail. De même, les TPE pourraient accroitre leur localisation dans ces espaces territoriaux, voire ruraux. Très concrètement, pour déployer cette dynamique, il faudrait activement poursuivre la revitalisation de ces territoires en créant plusieurs milliers d’espaces de coworking comme le souligne justement le sociologue Jean Viard (La révolution que l’on attendait est arrivée, 2021), alors qu’il en existerait moins d’un millier hors des métropoles. Si les effets de la pandémie ont contribué à renforcer des tendances qui préexistaient à cet événement, le rééquilibrage territorial hexagonal est conditionné à un renforcement des partenariats durables avec les différents acteurs clés pertinents que sont l’Etat, les collectivités territoriales et bien sûr, les entreprises. Il faut donc une volonté politique réelle pour rééquilibrer métropoles, villes moyennes et territoires ruraux.

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Jean-Pierre Bouchez