« Pacte des Solidarités » : les grands choix restent à faire.

« Pacte des Solidarités » : les grands choix restent à faire.
Publié le 26 septembre 2023
  • Président de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS)
Le 18 septembre dernier, le gouvernement a présenté son "Pacte des Solidarités" de lutte contre la pauvreté. La baisse historique du chômage et la fin du "quoi qu'il en coûte" ne peuvent pas résumer à eux seuls l'action du gouvernement dans ce domaine car il faut s'attaquer plus directement aux causes réelles de la grande exclusion.
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Voilà plus de 30 ans que la pauvreté ne baisse pratiquement plus en France, touchant régulièrement plus de 10 millions de personnes. Le chômage de masse a fragilisé durablement des familles sur plusieurs générations, des quartiers et des campagnes, singulièrement là où les industries traditionnelles ont été les plus frappées. Dans le même temps, le travail a cessé d’être aussi protecteur qu’il l’était contre la pauvreté, comme en atteste le nombre des travailleurs pauvres – souvent des femmes. Ces dernières sont aussi concernées par l’augmentation du nombre de familles monoparentales et sont au premier rang, en raison de la faiblesse de leur taux d’activité (le plus bas de l’OCDE), de la large paupérisation d’une immigration d’installation. Interminable constat d’échec collectif aux vastes effets sociaux et politiques déstructurants, même si le taux de pauvreté en France (14% en 2022) reste en dessous de la moyenne européenne et de l’OCDE, fruit d’un ample effort de redistribution et de protection.

Face à tant de dégâts, la promesse portée par Emmanuel Macron en 2018 avec « la stratégie nationale de lutte contre la pauvreté », prédécesseur du « Pacte des Solidarités » présenté par le gouvernement ce 18 septembre 2023, a séduit jusqu’aux associations les plus engagées dans ces combats. La volonté alors affichée de s’attaquer aux “inégalités à la racine” qui font l’intolérable fatalité de la pauvreté était alors conjuguée à la perspective d’un revenu universel d’activité (RUA) pour sortir du maquis des minima sociaux et du non-recours aux droits (plus de 30 % pour le RSA). Nombre de choses importantes et utiles sont nées de cette stratégie comme l’installation de commissaires à la pauvreté auprès des préfets pour veiller à la prise en compte de ces enjeux dans la conduite des politiques publiques ou le financement de belles réalisations comme les lieux d’hébergement conçus avec les « grands marginaux » à Rennes, Lille, Bordeaux et Marseille.

Mais cinq ans après, la déception l’emporte : la pauvreté est toujours là, elle s’enracine, elle reprend même de la vigueur avec la hausse des prix qui touche d’abord les plus fragiles. Le RUA est depuis de longs mois avancé au niveau des options techniques mais bloqué au niveau politique. Le gouvernement a fait le nécessaire pendant la crise sanitaire avec le « quoi qu’il en coûte » pour éviter une explosion supplémentaire. Mais la fragilité des personnes ne cesse de s’aggraver, et avec elle, celle des associations qui les accompagnent. Toutes et tous sont épuisés : les jeunes précaires, notamment ceux issus de l’aide sociale à l’enfance, les femmes seules avec leurs enfants, des personnes âgées, les étrangers sans papiers, dans des villes et des campagnes. Cet épuisement est aussi celui des travailleurs et travailleuses sociales, précaires parmi les précaires, et des bénévoles, tous plongés dans les mêmes impasses, les mêmes pertes de sens. L’appel au secours des Restos du cœur il y a quelques semaines lui a donné un puissant écho.

La tentation existe indéniablement jusqu’au sein de l’exécutif de laisser à la baisse du chômage le soin d’agir contre la pauvreté puisque se profile le plein emploi – déjà effectif dans nombre de bassins d’emplois. Une situation qui accentue les tentations de stigmatisation de celles et ceux qui restent empêchés de travailler. Pourtant, si le plein emploi est en soi une belle nouvelle tant la pauvreté s’installe d’abord et largement chez celles et ceux qui ne travaillent pas, il ne suffira pas à faire reculer massivement la pauvreté et la précarité. Les déterminismes sont toujours là, dans les familles, l’aide sociale à l’enfance, à l’école. Saluons à ce titre le dédoublement des classes en ZEP – mais déplorons l’abdication devant un enseignement privé qui ne peut pas revendiquer une fonction de brassage social. En outre, certaines personnes ne pourront pas travailler car ils vivent des handicaps – reconnus ou non. Les fragilités de santé mentale et les addictions s’étendent. Et nombreux sont ceux qui, pour de multiples raisons, devront être accompagnés – c’est le rôle de l’insertion par l’activité économique et des territoires zéro chômeurs de longue durée (TZCLD) – pour aller ou retourner vers l’emploi. Enfin, on l’a vu, travailler ne protège plus de la pauvreté.

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L’adhésion manifestée par la Première ministre et la ministre des Solidarités à cette nécessité d’agir au-delà de l’effet mécanique de la baisse du chômage est un acquis important des discussions avec les associations qui ont entouré la présentation du Pacte des solidarités.

Car l’enjeu central de la période qui s’ouvre est de ne pas gâcher cette belle perspective du plein emploi, décisive pour notre cohésion sociale et démocratique si mal en point. Or, certaines décisions et expressions de l’exécutif au cours des derniers mois n’ont pas contribué à rassurer sur ses intentions. Lorsque les associations se sont inquiétées de l’enracinement de la pauvreté, elles ont vu la mise au travail sur un mode autoritaire (et artificiel) des allocataires du RSA érigé en principal enjeu de justice pour le pays, ceux qui « vivent des aides » opposés à « ceux qui travaillent », et l’envoi d’aides sociales au Maghreb cloué au pilori. Quand les associations ont alerté sur la présence de 2 000 enfants au moins à la rue à la veille de la rentrée scolaire 2023, le gouvernement a répondu par des directives préfectorales pour tenter d’imposer une « priorisation » des vulnérabilités au mépris du code de l’action sociale, de l’éthique des professionnels et de l’engagement des bénévoles.

Dans un tel contexte, la préparation par le gouvernement d’un « Pacte des solidarités » pour succéder à la stratégie précédente constituait une tâche à la fois attendue et ardue. Personne ne peut sérieusement négliger les difficultés de l’action gouvernementale en ces temps de nécessaire sortie du « quoi qu’il en coûte » (mais comment accepter que cela pèse sur les plus fragiles ?), de puissantes fragmentations sociales, de clivages autour de l’immigration et d’impératifs écologiques incontournables mais déstabilisants et clivants. Comment porter haut la lutte contre la pauvreté alors que progressent la stigmatisation des pauvres et celle des étrangers ?

Le Pacte des solidarités annoncé le 18 septembre par la Première ministre comporte de nombreuses décisions utiles dans le prolongement et l’amplification de la précédente stratégie comme les mesures en faveur des enfants et des femmes seules, la poursuite du financement de projets innovants et  du dispositif « SEVE » qui facilite le passage de l’insertion par l’activité économiques aux entreprises « classiques », la prime au retour à l’activité, la volonté de généraliser l’accompagnement des bénéficiaires du RSA dans le cadre de France Travail. Sans que ne puissent encore sur ce dernier point être levées, au vu du débat parlementaire en cours et en dépit des assurances formulées par la Première ministre quant aux intentions du gouvernement, les inquiétudes sur le risque de voir apparaitre un monstre bureaucratique et stigmatisant plutôt qu’une mise en réseau des acteurs pour l’accompagnement des personnes dans le cadre d’un engagement réciproque adapté aux possibilités de chacun.

Le Pacte comporte également, pour la première fois, une volonté de prise en compte des enjeux de transformation écologique dans la lutte contre la pauvreté, si importants pour l’alimentation, les transports, le logement, la production et le recyclage dans l’insertion par l’activité économique. Des signes encourageants ont été également manifestés par la Première ministre et la ministre des Solidarités pour répondre enfin à la profonde crise du travail social sur la base du Livre blanc du Haut conseil du travail social ou pour la mise en place de la solidarité à la source – dont les conditions et le niveau d’ambition restent cependant à préciser après les atermoiements autour du RUA.

Mais les réponses structurelles qui doivent permettre d’inscrire dans la durée et de manière efficace une détermination, les méthodes et les moyens du recul massif de la pauvreté et la précarité font encore défaut. En renvoyant explicitement à la prochaine conférence sociale, le gouvernement apparaît conscient des enjeux décisifs liés au travail dans la lutte contre la pauvreté. Il lui reviendra, avec les partenaires sociaux, de prendre ses responsabilités pour sortir tant de travailleurs de la pauvreté et de la précarité.

 Mais, pour le reste, rien ne permet aujourd’hui de penser que le gouvernement entend mettre en branle dans la durée les actions de l’Etat, des collectivités, des bailleurs et des associations, dans un cadre de libertés, de confiance et de contrôle, avec des moyens programmés sur la durée du quinquennat, au niveau national comme de celui des lieux de vie des personnes, pour lutter en profondeur contre la pauvreté et la précarité à la rue, dans les hébergements, le logement social, l’alimentation, l’insertion par l’activité économique. La Première ministre et le ministre du Logement ont ainsi heureusement décidé de stopper la baisse des places d’hébergement d’urgence en 2023 et 2024. Mais rien qui, pour l’heure, permette de sortir dans la durée d’un pilotage budgétaire absurde et coûteux pour les personnes, les associations et les finances publiques.

Les principaux choix n’ont pas été faits. Il reste des éléphants dans la pièce et non des moindres pour la santé sociale et démocratique du pays. Le gouvernement feint parfois de ne pas comprendre les raisons pour lesquelles les dépenses de solidarité et notamment pour l’hébergement d’urgence ne cessent de croître pour atteindre pour ces dernières près de 3 milliards d’euros. Ce qui n’enlève rien à la nécessité, partagée avec le gouvernement, de se doter rapidement d’un dispositif que nous souhaitons indépendant et territorialisé d’évaluation des besoins sociaux des pauvres et des précaires comme peuvent l’être les Hauts conseils pour les finances publiques ou le climat. En réalité, ces budgets paient le prix des échecs de la société et des politiques de santé publique (notamment pour la santé mentale et la lutte contre les addictions), du logement social (en panne complète sans que le gouvernement n’y apporte de réponses) et des migrations.

L’un des ministres les plus prescripteurs en matière de dépenses sociales est celui…de l’Intérieur, seul maître des politiques d’immigration et d’asile depuis 10 ans. Les (vaines) politiques de dissuasion des migrations provoquent des désordres qui se répercutent notamment sur les dépenses d’hébergement d’urgence ou l’aide médicale d’État. Une obstination de maintenant près de 50 ans à empêcher les gens de travailler tranquillement contribue ainsi à la paupérisation des politiques de solidarité et au malaise social et politique dans le pays. Nouvelle occasion de saluer le courage de ces parlementaires de la majorité et de l’opposition qui ont un temps laissé de côté les appartenances partisanes pour en appeler aux régularisations par le travail dans les secteurs en tension.

Ces choix doivent maintenant être faits pour réussir le plein emploi solidaire, pour allier baisse du chômage, recul marqué de la pauvreté et transformations écologiques « justes ». L’exécutif doit pour cela se convaincre pleinement que la baisse du chômage ne suffira pas à la lutte contre la pauvreté. La lutte contre les inégalités à la racine doit devenir implacable dans une société plus cloisonnée que jamais. Des réponses structurelles qui supposent de sortir de logiques bureaucratiques ou à courte vue s’imposent comme pour le travail, le logement social ou la politique migratoire. Il doit surtout permettre, par la juste contribution de chacun, une refondation du contrat social malmené par le choc de la pauvreté et de la précarité jusque dans une partie des classes moyennes et de l’égoïsme suicidaire des possédants. Il y a urgence à mettre le Pacte des Solidarités à la hauteur de ces enjeux vitaux pour le contrat social et notre démocratie.

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Pascal Brice

Il a dirigé l'office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) de 2012 à 2018 avant de prendre la tête de la Fédération des acteurs de la solidarité depuis 2020.