25 propositions pour un usage ambitieux et responsable de l’IA à Paris
Introduction
L’objet qui symbolise Paris aux yeux du monde est incontestablement la Tour Eiffel. Un objet construit par des ingénieurs et des ouvriers qui avaient en tête que la technologie n’est rien si elle n’est pas mise à la disposition du plus grand nombre.
Alors que Paris accueille Vivatech, le plus grand événement technologique d’Europe, il est bon de rappeler que nos boulevards portent les noms de Pasteur, Raspail ou Arago, scientifiques de génie qui n’ont eu de cesse d’apporter au monde les découvertes ou les technologies qu’ils développaient.
Tandis que l’Amérique se ferme, sabre les services publics, piétine ses engagements pour la planète et célèbre les techno-oligarques, notre conviction est que Paris peut saisir ce moment historique et devenir un refuge pour tous les entrepreneurs, les inventeurs, les ingénieurs, les scientifiques qui pensent que les technologies doivent être des outils au service du plus grand nombre. Paris peut devenir la capitale mondiale des technologies d’intérêt général.
Paris peut devenir un terrain fertile pour déployer des intelligences artificielles qui résolvent des problèmes sociaux et environnementaux, loin de l’hypercapitalisme « truskien » (Trump-Musk).. Paris compte autant de génies que San Francisco, mais nous ne les mettons pas au service des mêmes projets. La seule alternative européenne à ChatGPT a son siège social à Paris (Mistral AI) et Paris est de loin la ville d’Europe qui forme le plus de talents européens en IA. Nous avons toutes les ressources pour ne pas subir cette révolution technologique, mais au contraire pour la façonner avec nos valeurs.
L’IA, c’est un algorithme entraîné sur de grands jeux de données. La Ville de Paris possède des jeux de données uniques qui pourront permettre le développement de projets d’intérêt général. SI les Parisiennes et les Parisiens me font confiance pour être leur prochain maire, la Ville de Paris animera la communauté des acteurs parisiens pour développer des IA de service public. Par exemple, nous avons besoin de l’IA pour identifier les Parisiens et les Parisiennes les plus fragiles qui s’autocensurent et renoncent trop souvent à leurs droits. Nous avons besoin d’une IA qui permette d’alerter nos aînés avant une canicule, ou tout autre événement climatique extrême. Nous avons besoin de développer des usages de l’IA qui apportent une contribution concrète aux grands enjeux sociaux et environnementaux auxquels Paris va être confrontée, tout en inventant une régulation éthique, protectrice des atteintes à la vie privée, des biais discriminatoires de certains algorithmes et du droit d’auteur.
J’entends souvent que l’on oppose l’IA au travail. La Ville de Paris est un des premiers employeurs franciliens, et les trois quarts de ses agents exercent des missions de terrain, qui ne seront pas remplacées par l’intelligence artificielle. L’IA ne collectera pas les déchets, n’éduquera pas nos enfants et n’entretiendra pas nos rues et nos jardins. Mais elle pourrait alléger la charge de travail de certains métiers, notamment en automatisant des tâches administratives répétitives et frustrantes, pour améliorer le quotidien des agents de la Ville et leur permettre de se concentrer sur la dimension la plus importante de leur fonction : être au service du public.
Les agents seront le moteur de l’adoption de l’IA par la Ville, mais les PME joueront le rôle d’accélérateur. Je vois tous les jours des usages développés par des jeunes entreprises innovantes, souvent issus des incubateurs de la Ville de Paris. J’aimerais lancer un Small Business Act municipal, en fléchant 20% de la commande publique vers les PME. Nous avons besoin de faire vivre ce tissu économique et nous avons besoin de nous imprégner des solutions les plus innovantes.
L’IA dépasse largement les frontières du périph. Elle fait partie des enjeux qui nécessitent de voir Paris En Grand. L’essentiel de nos jeunes grandissent au nord de Paris, tandis que les institutions de recherche les plus prestigieuses sont sur le Plateau de Saclay et les sièges des entreprises dans Paris intramuros. Les gamins de Seine Saint Denis seront les ingénieurs de Saclay de demain et les entrepreneurs du “Silicon Sentier” d’après-demain.
L’intelligence artificielle se conjugue au féminin, et pourtant… Comment ne pas ressentir du désarroi face à l’ultra-masculinité des équipes qui construisent les intelligences artificielles ? La Ville de Paris devra lever les freins qui empêchent les jeunes filles d’entrer dans des carrières scientifiques. Je propose de créer – à la manière de Station F – un nouvel espace dédié à l’IA et ouvert aux parisiennes et aux parisiens pour qu’ils puissent venir s’y former, se sensibiliser. Cet espace sera baptisé du nom d’Alice Recoque, en hommage à cette pionnière française de l’intelligence artificielle largement invisibilisée, dont l’exemple et le talent doivent guider les générations à venir.
Paris vaut bien un Chief AI Officer. Car le rôle d’un élu, ce n’est pas de subir les vagues technologiques mais de les anticiper et de faire en sorte qu’elles soient mises au service du bien commun. Dans la Ville d’Eiffel, Raspail ou Pasteur, nous avons la chance historique de porter haut cet héritage.
Cette note est là pour répondre à ces enjeux. Certains pourraient penser que l’IA est un enjeu de demain, nous pensons que c’est un enjeu d’aujourd’hui et que les Parisien-ne-s auront besoin de connaître la vision d’un Maire de gauche sur l’Intelligence Artificielle.
I. Fluctuat Tech Mergitur : renforcer l’attractivité et la résilience de Paris en matière d’innovation
Paris est une ville d’ingénieurs-entrepreneurs. Le symbole mondialement connu de la ville, qui figure sur toutes les photos touristiques ou sur le maillot du PSG, est la Tour Eiffel, incarnation d’une époque où la ville produisait les meilleurs ingénieurs au monde, qui se mettaient au service de projets d’intérêt général : construire des ponts, inventer des vaccins, loger les plus pauvres.
Depuis le Brexit, Paris est la capitale technologique incontestée de l’Union Européenne : son écosystème de startups est plus vivace que celui de Berlin ou Amsterdam et les meilleures universités de mathématiques d’Europe se trouve sur le territoire. La Banque Publique d’Investissement, dont le siège est à Paris, est l’investisseur en « private equity » le plus actif du continent. Le plus grand événement technologique en Europe est Vivatech, co-organisé à Paris par Publicis et le groupe Les Echos.
À Paris, depuis 2001, de nombreuses politiques municipales ont permis de soutenir l’écosystème des startups, et même d’inspirer des politiques nationales comme la French Tech. Il convient désormais d’écrire une nouvelle page de cette histoire en alliant progrès technologique et valeurs humanistes, sociales et environnementales.
1. Construire à Paris un contre-modèle de la Silicon Valley
Le modèle de la Silicon Valley a vécu. Il ne porte plus les valeurs d’ouverture, de liberté et de démocratisation de l’accès à la connaissance qu’incarnaient les pionniers d’internet. Le contre-modèle que nous souhaitons construire à Paris repose sur les valeurs d’inclusion, de sobriété environnementale et d’ouverture.
Un modèle inclusif : ouvrir les portes et les fenêtres de l’écosystème
Les salaires attractifs et les levées de fond significatives peuvent creuser un fossé avec le reste de la population et donner le sentiment que la « startup nation » est en réalité un minuscule îlot qui profite de la ville sans rien lui rendre.
À Paris, le rôle des startups dans l’explosion des prix de l’immobilier commercial en centre-ville (9e arrondissement, Paris Centre) est avéré et plusieurs études pointent un manque criant de diversité dans la sociologie des fondateurs de startup : surdiplômée (souvent issue des grandes écoles), masculine (92% d’hommes parmi les fondateurs de startups) et comptant très peu de représentants des catégories populaires ou d’origine extra-européenne.
Pour être la capitale des technologies d’intérêt général, Paris doit montrer que les bénéfices de la révolution de l’IA ne s’arrêtent pas aux frontières du périphérique. Les dispositifs de soutien municipal seront articulés avec ceux des communes environnantes, pour établir une continuité entre les ingénieurs du Plateau de Saclay et la dynamique jeunesse de Seine Saint Denis.
L’écosystème startup évolue vers un nombre croissant de créations dans les domaines de la deeptech (recherche fondamentale) ou de l’industrie. Ces startups n’ont pas les mêmes besoins que celles de la génération précédente, qui étaient essentiellement des startups de logiciels ou d’applications mobiles. De plus en plus de startups ont besoin de foncier ou d‘équipements lourds qu’elles auront du mal à trouver dans Paris intramuros mais qui peuvent être trouvés en abondance dans des territoires voisins (Plateau de Saclay, Seine-Saint Denis), à condition que les collectivités « jouent collectif ».
Équilibrer l’empreinte territoriale des startups au-delà du périphérique parisien devient donc autant un impératif économique qu’un objectif de justice sociale. C’est pourquoi nous proposons la création d’une “deuxième Station F”, à la limite de la Seine Saint Denis, dans le secteur “Chapelle International” où se situe d’ores et déjà le data center de la Ville de Paris. Cet espace se veut un espace ouvert et hybride dédié à l’IA :
- un incubateur et accélérateur : comme Station F, l’espace permettrait d’accueillir des startups d’IA et de proposer des équipements (notamment de la puissance de calcul liée au datacenter de la Ville à proximité) mais aussi d’accéder à des ressources (jeux de données, API et codes sources de la Ville), à des terrains d’expérimentation et des contacts au sein de l’administration pour développer leurs solutions[1]
- un campus : ce lieu deviendra un espace de formation pour les Parisiennes et les Parisiens qui pourront assister à des conférences et des ateliers, mais aussi pour les agents de la Ville (voir ci-après).
- un lieu ouvert : cet espace pourra permettre d’accueillir des évènements, des projections, des expositions autour des enjeux numériques, à la manière de ce que l’Académie du Climat réalise pour les enjeux environnementaux.
Proposition 1 : Créer une “Station IA”, un nouvel espace ouvert et hybride dédié à l’intelligence artificielle dans le quartier de la Porte de la Chapelle
Par ailleurs, l’image viriliste des “Tech Bros” de la Silicon Valley ne peut pas être un modèle pour nos enfants. Dès le plus jeune âge, les inégalités d’accès aux métiers de l’IA doivent être combattues, avec des programmes d’éducation dédiés. Dans la sélection des projets aidés par les incubateurs de la Ville de Paris, l’objectif de la parité doit désormais être incontournable.
Proposition 2 : Atteindre la parité réelle des fondateurs de projets soutenus par les incubateurs de la Ville de Paris
Nous croyons aussi à la force des symboles. Le Conseil de Paris pourrait ainsi donner à ce futur espace dédié à l’IA le nom d’Alice Recoque (1929-2021), informaticienne française pionnière de l’intelligence artificielle largement invisibilisée, dont l’exemple et le talent doivent guider les générations à venir.
Proposition 3 : Dénommer la future Station IA en l’honneur d’Alice Recoque
Un modèle qui place la question environnementale au cœur de ses priorités
La révolution de l’IA a déclenché une course à la puissance de calcul et a fait exploser les besoins en data centers, forçant les géants américains à renoncer à leurs objectifs de réduction de l’empreinte carbone.
Un autre chemin est possible à Paris. 80 % de l’empreinte environnementale du numérique reste le fait des appareils électroniques. Moins d’Iphones, plus de Fairphones : la Ville se doit d’être exemplaire, en adoptant l’usage d’appareils reconditionnés et réparables par ses services.
Proposition 4 : Choisir dès que possible du matériel reconditionné lors du renouvellement du parc informatique de la Ville
Nous nous trouvons cependant face à un défi encore plus grand à relever avec l’essor des IA génératives. La consommation énergétique de cette technologie est en train d’exploser. Nous devons prendre conscience qu’elle n’est pas soutenable si nous n’en régulons pas les usages. Cette problématique dépasse le cadre des compétences municipales. Pour autant, la Ville peut agir en sensibilisant les Parisiennes et les Parisiens aux conséquences énergétiques – et donc climatiques – de nos usages numériques.
Proposition 5 : Inclure systématiquement des éléments de sensibilisation du public aux impacts environnementaux de l’IA lorsque cette technologie est utilisée par la Ville et ses services
Un modèle ouvert qui accueille les talents du monde entier
Chaque fois que des pays ont traversé des heures sombres, Paris a su accueillir leurs intellectuels, leurs scientifiques et leurs artistes.
Hier nous avons accueilli Marie Curie, Josephine Baker et Picasso. Demain, Paris doit pouvoir accueillir les scientifiques américains, les chercheurs russes ou les entrepreneurs chinois qui partagent leurs valeurs et qui se sentent menacés dans leur pays.
Au-delà des valeurs qui nous rassemblent, nous avons conscience que les talents qui font l’intelligence artificielle sont extrêmement mobiles. Le cadre de vie est une variable essentielle dans le choix de leur futur lieu de résidence. C’est d’autant plus vrai depuis le Covid et l’adoption massive du télétravail. Les entreprises et les centres de recherche le savent et sont donc extrêmement attentives à des éléments relatifs à la politique municipale qui peuvent certes paraître très éloignés de leur cœur de métier (écoles, transports en commun, végétalisation, propreté, sécurité, etc.), mais qu’elles vont comparer aux autres pôles d’attraction des talents technologiques internationaux (Londres, San Francisco, Berlin, Amsterdam, Barcelone…) pour établir leur QG et leurs centres de décision.
En lien avec l’ANR, le CNRS et les Universités, nous construirons la piste d’atterrissage des “exilés scientifiques”.
Proposition 6 : Créer des partenariats avec l’État, les centres de recherche et les entreprises numériques pour soutenir financièrement l’installation durable de chercheurs étrangers menacés dans leur pays d’origine ou d’exercice
La Ville continuera à soutenir la recherche, comme elle le fait déjà via différents dispositifs. Nous accentuerons ces programmes pour permettre aux chercheurs étrangers de s’installer à Paris.
Proposition 7 : Augmenter les dispositifs de la Ville de Paris en soutien à la recherche (appels à projets, contrats CIFRE), notamment à destination des jeunes chercheurs du monde entier.
2. Paris, territoire d’invention
La contribution des entreprises technologiques au dynamisme du bassin d’emploi parisien peut être considérée comme positive et on anticipe qu’à l’horizon 2030, un CDI sur quatre sera créé dans le secteur numérique.
Les deux tiers des startups d’intelligence artificielle créées en France le sont à Paris. Elles attirent des talents internationaux et des familles étrangères qui contribuent au rayonnement de la Ville. Cette immense création de richesse doit être encouragée mais elle doit surtout bénéficier au plus grand nombre, en permettant de créer des emplois durables. Il est important de noter que les modèles d’ubérisation ou de précarisation du travail sont rarement le fait de startups parisiennes, mais relèvent plutôt de l’expansion incontrôlée des modèles de « blitzscaling » anglo-saxons (trottinettes, dark stores, livraisons, etc.), auxquels il faut s’opposer fermement.
Le bilan des mandatures de Bertrand Delanoë et d’Anne Hidalgo est exceptionnel. Même si des facteurs exogènes ont joué (Brexit, impulsion nationale avec la French Tech et BPI), l’impulsion municipale est très positive. Le réseau des incubateurs de la Ville de Paris, Paris&Co, a contribué à l’émergence de plusieurs startups emblématiques (Yuka, qui permet de scanner les produits alimentaires pour en connaître la qualité nutritionnelle, ou bien TooGoodToGo, qui permet de réduire le gaspillage alimentaire en commercialisant les invendus). Paris&Co est ainsi l’un des incubateurs européens les plus emblématiques et Station F a pu voir le jour grâce au soutien sans faille de la Ville de Paris.
Les dispositifs de soutien à l’innovation doivent donc perdurer et les budgets être intelligemment repensés. Si le soutien municipal à toutes les startups, sans distinction, se justifiait dans les années 2000-2010 par la faiblesse de l’écosystème de financement privé, il est moins nécessaire aujourd’hui.
Après le Covid, alors que la grande démission sévissait et que les levées de fond des startups paraissaient exubérantes, l’écosystème startup parisien a été confronté à une perte de sens. A quoi bon lever ces milliards, si les startups créées sont un énième logiciel de maximisation des taux de clic sur les bannières publicitaires ? Notre boussole d’action doit se résumer à une question : quelle est la contribution des startups d’IA à la résolution des grands défis sociaux (inclusion, handicap, pauvreté…) et environnementaux (eau, déchets, décarbonation…) ?
Alors que les programmes d’accompagnement de startups ont proliféré et ont parfois été rendus obsolètes par la rapidité de création de produits à base d’IA, l’heure est venue d’un recentrage des dispositifs de soutien municipal sur les projets d’intérêt général, c’est-à-dire les startups qui cherchent à résoudre des grands enjeux environnementaux et sociaux, ou sur les publics sous-représentés dans l’écosystème startup.
Proposition 8 : Recentrer les dispositifs de soutien municipal aux startups sur des projets d’intérêt général
Il serait par exemple envisageable d’ouvrir au secteur privé le capital de plusieurs incubateurs aujourd’hui animés par Paris&Co, et utiliser les montants levés pour mieux financer des IA d’intérêt général. Cette ouverture de certains incubateurs de Paris&Co à des participations (minoritaires) de grands groupes privés faciliterait la collaboration startups-grands groupes sur le territoire et permettrait d’embarquer le secteur privé dans une dynamique d’intérêt général.
Proposition 9 : Ouvrir au secteur privé le capital de plusieurs incubateurs animés par Paris&Co afin de financer de manière plus importante des projets d’IA d’intérêt général
3. Mobiliser le levier de la commande publique locale pour solidifier un écosystème innovant et résilient
Les startups de l’IA sont des PME comme les autres. Elles ont plus besoin de clients que de subventions.
Au-delà des startups, les commerçants de quartier et les jeunes créateurs doivent être privilégiés face aux grandes multinationales qui ont des bataillons de juristes pour lire un cahier des charges. Il devient crucial de lancer un Small Business Act municipal, qui oriente un minimum de 10% de la commande publique vers les PME et double le volume des achats publics innovants d’ici à 2030. L’achat public innovant a été débloqué par la loi ASAP de 2020. Les plafonds ont été significativement relevés (jusqu’à 100 000 euros), permettant aux collectivités locales de choisir des solutions innovantes sans passer par des appels d’offres.
La Ville de Paris utilisera ce levier de la commande publique pour encourager son écosystème de startups et bénéficier ainsi des meilleures innovations pour accélérer ses priorités.
Proposition 10 : Orienter un minimum de 10 % de la commande publique vers les PME et doubler le volume des achats publics innovants d’ici à 2030.
Tandis que la Silicon Valley vit un moment « Truskien », une alliance entre l’autoritarisme de Donald Trump et le technosolutionnisme d’Elon Musk, il devient urgent de limiter la dépendance de Paris aux outils non-souverains.
La Ville doit montrer l’exemple et s’en émanciper à chaque fois que cela est possible et souhaitable. Le risque géopolitique n’est pas à prendre à la légère. Il n’est pas exclu que parmi les mesures de rétorsion de sa guerre commerciale, Donald Trump ordonne la désactivation de certains services numériques essentiels fournis aujourd’hui par des entreprises américaines. Il existe plusieurs précédents : la suspension d’Adobe au Venezuela à la suite d’un Executive Order de Donald Trump en 2019 ou encore la suspension des emails du Procureur Khan de la CPI en 2025.
Pour se prémunir de tels risques, nous inclurons systématiquement une clause “résilience” dans les appels d’offres de la Ville de Paris, de manière à favoriser les solutions technologiques souveraines qui ne seraient pas soumises au risque d’un brusque revirement géopolitique décidé à Washington, à Pékin ou ailleurs. Alors que plus de 230 millions d’euros de contrats publics de services numériques arriveront à échéance au cours du prochain mandat, les prestataires numériques de SaaS (Software-as-a-Service) européens seront privilégiés chaque fois que cela sera possible.
Proposition 11 : Intégrer une clause “résilience” dans les marchés publics de la Ville
Notamment sous l’impulsion de Bertrand Delanoë, la Ville de Paris a depuis longtemps fait le pari de l’open source. Depuis 2021, la Ville de Paris a adopté une stratégie numérique axée sur les communs numériques et les logiciels libres. Actuellement, 50 % des solutions logicielles utilisées sont open source, dont 35 % basées sur Lutèce, une plateforme développée en interne. Nous pouvons aller encore plus loin et aboutir au lancement d’un véritable “Paris Tech Stack”, qui ne pourra voir le jour qu’avec la création d’une résidence d’entrepreneurs d’intérêt général et l’embauche de profils experts en IA (voir ci-après).
Proposition 12 : Prioriser à chaque fois que cela est possible les solutions open source aux solutions propriétaires dans le cadre des marchés publics
II. Placer l’humain au centre en donnant à tous les moyens de comprendre et maîtriser l’IA Générative
L’horizon que nous entendons dessiner pour Paris est celui d’une ville responsable, résiliente et ambitieuse. À rebours des approches techno-solutionnistes et transhumanistes qui voient dans la machine la solution aux maux de l’humanité, nous plaidons pour une vision humaniste de la technologie qui ne pourra que passer par l’appropriation de ces enjeux par les Parisiennes et les Parisiens, par l’acceptabilité sociale des nouveaux usages, et par une réflexion éthique, politique et démocratique de la manière dont nous entendons conduire le changement.
Cette conception humaniste de la technologie engage une attention redoublée à la question de la formation et des compétences. Nous proposons pour cela de donner accès aux Parisiennes et aux Parisiens, à tous les âges de la vie, à des temps de formation, sensibilisation, compréhension des évolutions technologiques afin de préparer les futures générations et réduire la fracture numérique au sein des générations plus âgées.
En tant que premier employeur du bassin, la Ville de Paris doit être à l’avant-garde d’un plan de formation ambitieux de l’ensemble de ses agents, afin que l’IA puisse être mise au service de ses plus de 300 métiers différents. C’est aussi une stratégie qui repose sur l’internalisation de compétences techniques, afin de conserver la maîtrise de son destin technologique.
1. Pour les Parisiennes et les Parisiens : se former tout au long de la vie
L’émergence rapide et brutale de technologies de rupture accélère la fracture numérique entre ceux qui s’en saisissent pour en tirer tous les avantages et ceux qui restent sur le bord du chemin. Ce constat a été rappelé par le CESE qui préconise de renforcer l’acquisition des compétences numériques1.
La Ville de Paris peut jouer son rôle à plusieurs niveaux. Notamment parce qu’elle est compétente pour intervenir sur les temps périscolaires dans le primaire, nous proposons de renforcer l’initiation aux sujets numériques adaptés aux écoliers du primaire. Ces temps d’initiation pourront également être des moments précieux pour faire de la sensibilisation sur les enjeux liés aux écrans et aux effets nocifs des réseaux sociaux et de la désinformation.
Proposition 13 : Pour chaque petite parisienne et petit parisien, renforcer les ateliers de sensibilisation aux enjeux numériques sur les temps périscolaires.
La Ville de Paris peut également intervenir pour accompagner la formation continue des adultes. Nous proposons de s’inspirer notamment des Cours d’Adultes de Paris ou encore de l’association Paris-Atelier2 pour créer une offre de formation accessible à tou.te.s les Parisien.ne.s.
Proposition 14 : Créer une offre de formation continue accessible à tous les parisiens sur les sujets de numérique et d’Intelligence Artificielle afin que chacun puisse s’en saisir et s’approprier ces innovations.
Lorsqu’elle n’est pas compétente, la Ville peut néanmoins intervenir comme partenaire, facilitateur ou relayeur. C’est le cas par exemple dans le domaine de la formation des demandeurs d’emploi où chaque année la Ville intervient via le dispositif Paris Code. Nous prolongerons ce dispositif afin qu’il puisse répondre au besoin de reconversion vers des métiers de l’IA.
2. Pour les agents de la Ville de Paris : monter en compétence afin de maîtriser les usages de l’IA générative et non les subir
L’IA générative transforme déjà en profondeur certains métiers et nous n’en sommes encore qu’au début. L’impact reste encore difficilement prédictible même si les études récentes convergent en ce qui concerne le secteur public :
- 37% des emplois du secteur public en France seraient exposés à l’IA générative.[4]
- 25% des tâches réalisées par les agents peuvent être réalisées en totalité ou en partie par l’IA générative.[5]
- L’IA permettrait de libérer “20% du temps de travail des agents”[6].
Les agents de la Ville de Paris exercent majoritairement des métiers de terrain (agents des écoles et des crèches, éboueurs, jardiniers, policiers municipaux…) qui ne seront pas bouleversés ni, a fortiori, remplacés, par l’intelligence artificielle. Mais cette dernière pourrait faciliter certaines tâches, et dans des métiers plus administratifs, permettre aux agents de délaisser les tâches automatisables pour dédier avant tout leur temps au contact humain avec les usagers.
Face à ce constat, ni une approche fataliste laissant à penser le remplacement des hommes par la machine comme inéluctable, ni une approche attentiste visant à remettre à demain la question de l’appropriation de ces sujets ne doivent être envisagées. Nous recommandons un plan massif de formation de l’ensemble des agents de la Ville, adapté en fonction des métiers et des besoins, afin que l’IA Générative devienne un outil pour augmenter et améliorer les missions des agents.
Proposition 15 : Définir un plan ambitieux de formation professionnelle et continue des agents en matière d’IA générative
Le plan de formation des agents pourra ainsi se dérouler au sein de la Station IA (cf supra), et sera également ouvert à l’ensemble des agents des établissements publics associés à la Ville de Paris ou concourants aux missions de service public de la Ville.
Ce plan de formation ne doit pas être imposé par le haut. Il doit servir et être au service des agents. L’IA générative soulève de nombreuses inquiétudes légitimes sur la pérennisation de certaines missions et certains métiers. Ces questions ne pourront être abordées sereinement, dans l’intérêt de tous, que dans le cadre d’un dialogue social soutenu. Trop peu d’entreprises et administrations ont à ce jour pris ce sujet à bras le corps, à l’exception notable d’initiatives inédites comme celle de la MAIF ayant organisé une convention salariée dédiée à cette thématique. La Ville de Paris doit servir d’exemple pour tous les employeurs, publics comme privés.
Proposition 16 : Mettre en place un dialogue social soutenu avec les organisations syndicales afin de lever les doutes, identifier les demandes et définir les besoins d’adaptation et de formation
3. Former et recruter les meilleurs talents pour internaliser les compétences au sein de la Ville
L’internalisation des compétences est un critère indispensable pour assurer la résilience et la souveraineté numérique de la Ville de Paris.
Or, la présence en nombre suffisants d’experts techniques au sein des effectifs est une condition indispensable pour mettre en œuvre la stratégie IA afin que la Ville soit souveraine dans la création de nouveaux outils et qu’elle puisse en assurer le déploiement et la maintenance. Le Tony Blair Institute – déjà cité plus haut – évoque un ratio de 1 expert IA/Data pour 25 experts numériques au sein des organisations pour faire face à ces enjeux.
Proposition 17 : Recruter un nombre suffisant d’experts en IA pour doter la Ville des compétences internes indispensables
Pour piloter ces équipes, nous suggérons également de créer un poste de Chief AI Officer. Cela serait une première mondiale à l’échelle d’une métropole.
Proposition 18: Créer un poste de Chief AI Officer en charge de l’opérationnalisation des politiques publiques d’intelligence artificielle de la Ville.
Enfin, nous proposons que la Ville de Paris réplique les dispositifs mis en place par la DINUM et qui ont permis d’intégrer au sein de la fonction publique d’Etat des profils techniques.
Proposition 19 : S’inspirer des dispositifs mis en place au niveau national par la DINUM (Etalab – Beta.gouv – Entrepreneurs d’intérêt général) pour constituer au sein de la Ville de Paris une communauté d’innovateurs, ouverte sur la société civile et les communautés techniques
III. Mettre le progrès technologique au service des Parisiennes et des Parisiens
Toutes ces recommandations doivent permettre de converger vers un même objectif : faire de Paris une capitale de l’IA d’intérêt général. Les innovations doivent par conséquent permettre de répondre à des besoins nouveaux et être mises au service du public.
Par l’exploitation massive de données, l’IA peut permettre la création de nouveaux services utiles ou la simplification de services existants, qu’ils soient publics ou privés, et la politique d’open data de la Ville de Paris facilite l’émergence de ces innovations.
Le risque est cependant également grand de voir progressivement des sociétés privées capter des données publiques ou personnelles pour les revendre ensuite sous forme de produits ou de services privés, voire monopolistiques. Les nouvelles technologies doivent être mises au service de la ville et de celles et ceux qui y vivent, et non l’inverse, et nous prendrons des mesures structurantes en ce sens.
1. Créer une gouvernance politique, éthique et démocratique de l’IA Générative
Les usages de l’IA générative ont mis en évidence l’importance majeure d’une gouvernance éthique et démocratique. Quels usages sont souhaitables ? Jusqu’où aller dans l’automatisation de certaines procédures ? Les technologies sont-elles suffisamment fiables pour être déployées vers plus grand nombre ?
Prenons l’exemple des chatbot : plusieurs villes se sont lancées dans la création de chatbot municipaux. C’est le cas par exemple de la ville de Buenos Aires depuis 2019 qui l’utilise comme canal officiel pour des services tels que le partage des vélos ou les services sociaux. Séoul a développé son propre chat “Seoul Talk” afin de répondre aux demandes de renseignements ou de plaintes liées à des fonctions de la ville. Récemment, la ville de New York a fait de même mais son chatbot a fait rapidement l’objet de plusieurs critiques en raison d’hallucinations3, confirmant que le déploiement de tels outils doit être encore réalisé avec précautions.
Une approche éthique de ces sujets invite donc à la prudence : en l’absence d’un niveau certain de maturité de la technologie, il est préférable de ne pas déployer trop vite et mal des solutions auprès du grand public.
Par ailleurs, à chaque fois que la Ville développera des nouveaux algorithmes, ces derniers devront répondre aux plus hauts standards en matière d’éthique : transparence, responsabilité, exactitude, explicabilité, auditabilité, justiciabilité et impact social.
Ces considérations ne sont pas cosmétiques : elles sont la condition même d’une confiance des citoyens dans les usages du numérique par les pouvoirs publics. A la manière de ce que la ville de Barcelone a mis en place, nous équiperons Paris d’une charte et d’un comité éthique de l’IA.
Proposition 20 : Nommer au sein de l’exécutif municipal un adjoint en charge de l’IA, et doter la ville d’une charte éthique et d’un comité éthique consultatif à la manière de ce qu’a mis en place la ville de Barcelone
Ce qui est possible n’est par ailleurs pas forcément souhaitable. Pensons par exemple à la manière dont la ville de San Francisco déploie à grande échelle l’IA dans le domaine de la sécurité publique municipale4. La discussion autour de l’acceptabilité sociale d’une telle technologie, la définition des usages souhaitables et des limites doit faire l’objet d’un débat démocratique.
Proposition 21 : Mettre en place une convention citoyenne sur l’IA Générative pour évaluer les usages et dessiner une feuille de route pour la ville de Paris
2. Définir un nouveau cadre de régulation des activités économiques innovantes
Encourager le progrès et l’innovation tout en les mettant avant tout au service de l’intérêt général : voilà le double objectif que nous devons poursuivre.
La mise à disposition de données publiques en Open data par la Ville – c’est-à-dire la mise à disposition du patrimoine numérique commun de tous les Parisiens – doit avoir pour contrepartie la fourniture de données et services par les opérateurs qui en bénéficient à la collectivité lorsque cela est pertinent.
Les opérateurs qui utilisent les données publiques devraient ainsi être tenus de partager à leur tour leurs données d’intérêt général avec la collectivité, voire de transmettre en retour à leurs utilisateurs-clients des messages d’information ou de sensibilisation pertinents.
Les applications potentielles de ce principe sont nombreuses. Par exemple, les applications GPS ou encore les opérateurs logistiques et plateformes de e-commerce devraient ainsi être tenues de fournir leurs données pertinentes à la Ville afin de faciliter l’élaboration de sa stratégie de mobilité et des plans de circulation. Les applications touristiques utilisant les données relatives au patrimoine parisien pourraient être tenues de transmettre à leurs utilisateurs des messages d’information ou de sensibilisation, sur la propreté et le tri des déchets par exemple.
Proposition 22 : Par des conventions et la réglementation, penser un cadre de régulation de l’utilisation des données publiques pour que celle-ci soit mise au service de l’intérêt général
3. Améliorer l’efficacité des services publics en utilisant l’IA générative
Tous les baromètres de qualité des services publics pointent vers les mêmes irritants rencontrés par les Parisiens dans leurs interactions avec la Ville. Les temps d’attente sont encore perçus comme trop longs et il ressort une frustration face à la difficulté à comprendre les étapes ou les pièces justificatives nécessaires. De la même manière, les dépôts de dossier en ligne sans confirmation ou sans suivi clair, les relances multiples pour suivre un dossier, les courriers rédigés dans un langage technique ou juridique difficile à comprendre doivent appartenir au passé.
La mise en place d’un guichet unique est nécessaire pour que les usagers ne se sentent plus contraints de multiplier les démarches.
L’ambition que nous devons avoir est d’opérer une révolution copernicienne du fonctionnement de nos services publics : passer progressivement d’une approche réactive du services aux usagers (services qui se déclenchent en réaction à une demande , sollicitation ou question) à une approche proactive (services qui se déclenchent automatiquement en fonction de critères d’éligibilité).
Proposition 23 : Afficher un objectif “zéro délai et zéro formulaire” d’ici la fin du mandat afin de réduire considérablement le temps d’attente des démarches administratives et déployer proactivement des services et des droits sans avoir à en faire la demande.
Avec une IA de service public, l’ambition d’ici à 2030 est d’arriver à faciliter considérablement des procédures du quotidien, comme le temps d’analyse d’un permis de construire ou le temps de traitement d’une demande de place en crèche. Par exemple, la ville d’Helsinki a mis en place un mécanisme de pré-inscription automatique des enfants à l’école primaire. Les parents reçoivent un SMS pour confirmer ou pas l’inscription de leur enfant dans l’école de leur quartier. Cette innovation a permis un gain de temps d’environ deux mois.
Au Portugal, le transfert de données entre les différentes administrations de l’État – voire certaines entreprises – a permis d’automatiser un certain nombre de services. Comme par exemple le renouvellement automatique de la carte d’identité lorsqu’elle arrive à expiration.
Ces applications nécessitent des travaux importants dans la “tuyauterie” des données de la ville. L’implémentation requiert des évolutions techniques d’APIsation5 importantes, déjà engagées au sein de certains services.
Proposition 24 : Accentuer la politique d’APIsation des données de la Ville de Paris afin de rendre les services publics plus proactifs (allant à chaque fois que c’est possible au-devant des besoins des usagers).
4. Améliorer la prise de décision et anticiper les risques de demain en utilisant l’IA
Il est clair que l’IA va nous permettre d’améliorer un certain nombre de processus, de régler des “irritants”, d’améliorer les interactions entre l’administration et les citoyens.
Mais son potentiel est encore plus grand : l’IA doit nous permettre d’améliorer la prise de décision, améliorer les politiques publiques et notamment en donnant aux décideurs la possibilité d’anticiper les risques.
Certaines villes ont expérimenté l’IA pour identifier les foyers à risque d’expulsion et les mettre rapidement en contact avec les programmes d’aide gouvernementale et d’hébergement disponibles avant qu’ils ne deviennent sans-abri. À Los Angeles, ce programme a permis d’éviter que plus de 86 % des familles contactées ne perdent leur logement ou soient relogées à temps6.
D’autres villes utilisent depuis longtemps l’IA pour réduire les embouteillages et désengorger le trafic urbain. C’est le cas par exemple de Boston qui s’appuie pour cela sur la technologie “Green Light” développée par Google7.
Enfin, de nombreuses villes ont investi pour créer un jumeau numérique (digital twin) de la ville. Un jumeau numérique est une modélisation 3D associée à des couches de données permettant à l’IA de faire des simulations urbaines. Cette technologie est un outil pouvant permettre par exemple la planification des espaces verts, l’atténuation des inondations, l’identification des services souterrains ou encore la planification de construction.
Proposition 25 : Développer au cours de la mandature un “Jumeau numérique” (Digital Twin) de la Ville de Paris permettant de simuler le fonctionnement de la ville, anticiper des évolutions et prendre des décisions.
[1] à la manière de “l’accélérateur des initiatives citoyennes” mis en place par Etalab https://www.etalab.gouv.fr/accelerateur-dinitiatives-citoyennes-decouvrez-la-premiere-promotion-de-projets-accompagnes/
[4] https://www.rolandberger.com/fr/Insights/Publications/L-impact-de-l-IA-g%C3%A9n%C3%A9rative-sur-l-emploi-en-France.html#:~:text=L%27impact%2520de%2520l%27IA%2520g%C3%A9n%C3%A9rative%2520varie%2520%C3%A9galement%2520selon%2520les,communication%2520seront%2520les%2520plus%2520expos%C3%A9s
[5] https://www.lagazettedescommunes.com/926786/intelligence-artificielle-25-des-metiers-territoriaux-seraient-concernes/
[6] https://institute.global/insights/economic-prosperity/the-potential-impact-of-ai-on-the-public-sector-workforce