Débat

Réindustrialiser : quelle stratégie publique ?

Réindustrialiser : quelle stratégie publique ?

Le plan France 2030 présente les ambitions françaises pour la réindustrialisation du pays et le développement des technologies de demain. Mais la puissance publique est-elle encore vraiment capable de définir des plans d’ensemble des meilleurs choix d’innovation pour demain?

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Publié le 18 octobre 2021

France 2030 : relocaliser et innover

Le 12 octobre dernier, le Président de la République a présenté un grand plan d’investissement appelé « France 2030 ». Dans le contexte électoral qui se présente, ce plan a été, trop souvent, reçu davantage en fonction d’un positionnement politique que d’une analyse de fond. Par son ambition et les sommes mobilisées, ce plan mérite pourtant un examen attentif. S’il s’inscrit dans une longue tradition colbertiste, il cherche également à tenir compte des ruptures technologiques en cours et de l’échelle européenne. Mais a-t-il des chances de parvenir à ses objectifs ?

Emmanuel Macron vient d’annoncer un plan d’investissements « France 2030 » de 30 milliards d’Euros pour les cinq prochaines années. L’ambition de ce plan est considérable puisqu’il s’agit rien moins que d’inventer et de mettre en œuvre un modèle productif post-Covid et adapté à la triple mutation écologique, numérique et démographique.

Six traits caractérisent ce nouveau plan qui revendique son inscription dans la lignée des grands programmes industriels qui, de l’ère De Gaulle-Pompidou à nos jours, ont illustré les politiques industrielles à la française.

D’abord, prendre le risque de l’intervention directe en désignant les secteurs d’avenir voire en prenant parti pour des filières technologiques. C’est ainsi que le Président voit l’avenir nucléaire en SMR (petits réacteurs nucléaires de 30 à 400 MgW), la filière hydrogène avec les électrolyseurs, le nouveau spatial avec les mini-lanceurs récupérables et les mini-satellites, l’agriculture avec les apports de la robotique, des drones et de la génétique…

Ensuite, partir des finalités pour définir les politiques publiques requises. E. Macron croit dans le progrès technique : c’est un adepte du tech for good, du tech for humanity. L’investissement dans la recherche et l’innovation n’a de sens que si le mieux vivre est au bout. Mieux vivre par la décarbonation, par le mieux manger ou le mieux vieillir. La France de 2030 doit être plus sobre, plus douce et plus solidaire que l’actuelle. Elle devra avoir relevé les trois défis du climat, du vieillissement et des inégalités.

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E. Macron entend également écarter les faux débats qui opposent défense de l’industrie structurée autour de grands champions publics ou privés et promotion des start ups innovantes. Le Plan France 2030 veut à la fois revivifier les secteurs industriels traditionnels qui ont subi le choc de l’évidement manufacturier comme l’automobile ou l’électronique, et promouvoir des start ups industrielles.

Le nouveau plan tranche également le débat sur la nature des politiques industrielles qui oppose traditionnellement tenants des politiques sectorielles ou des politiques d’environnement compétitif, promoteurs des filières, des écosystèmes ou des districts industriels. Le Président assume de faire feu de tout bois.

Signe de l’exhaustivité de l’approche, E. Macron s’intéresse également à l’amont des filières, aux approvisionnements en matières premières et en composants et se fixe comme objectif de traiter la question de la dépendance en terres rares, lithium, et composants électroniques… en développant le recyclage, l’économie circulaire, les relocalisations.

Enfin, il inscrit son action dans un cadre plus large, celui de l’Europe industrielle. Il a la lucidité de comprendre que l’Union européenne est à la bonne taille pour promouvoir des politiques d’autonomie stratégique, pour refaire le retard accumulé et pour répondre aux défis de la nouvelle guerre froide technologique sino-américaine.

Ce Plan n’a pas reçu l’accueil qu’il méritait pour de bonnes et de mauvaises raisons.

Mauvaises raisons politiques, d’abord, du côté des écologistes lorsque Jadot dénonce un plan qui fleure bon les années 70 avec la promotion du nucléaire et du productivisme agraire. Mauvaise foi à gauche et aux extrêmes pour rejeter tout débat sur le plan au motif qu’il illustre l’électoralisme comme si tout était réductible aux échéances des prochains mois.

Mauvaise foi à droite lorsqu’on voit dans la promotion des SMR une façon de ne pas s’engager plus franchement en faveur du nucléaire en différant le lancement des nouvelles tranches d’EPR.

Critique mécanique à droite, enfin, des contempteurs de la dépense publique qui dénoncent une fois encore l’addiction au déficit et à la dette de l’Etat français.

Ecartons l’argument de la dépense publique peu entendu quand il s’agissait de sauver les petits commerces ou de maintenir les revenus des chômeurs et qui se manifeste quand il faut financer la recherche, l’innovation ou la décarbonation des sites industriels.

La question la plus débattue a porté sur le Nucléaire avec une confusion savamment entretenue par les écologistes et la droite républicaine. Lancer un programme de recherche et de prototypes sur les SMR, ce serait tout à la fois persister dans l’erreur nucléaire qui dure depuis le Plan Messmer ou à l’inverse différer un choix clair en faveur du remplacement des centrales actuelles arrivées en fin de vie par des EPR. C’est feindre d’ignorer que les SMR ne sont pas des alternatives aux centrales PWR actuelles qu’elles sont davantage destinées à remplacer des centrales au charbon à l’étranger. C’est refuser de reconnaître à l’inverse que le déploiement d’EPR nouveaux doit dépendre du retour d’expérience de l’EPR de Flamanville.

Des critiques plus sérieuses, par contre, peuvent être adressées à ce programme France 2030. La première porte justement sur son ambition, peut être excessive. Favoriser à la fois la régénération de la vieille industrie comme l’automobile et inventer les filières industrielles de demain est peut-être excessif. Développer une stratégie de filières et d’écosystèmes tout en promouvant les start ups et leur transformation en licornes, voire en futurs stars du CAC40, le tout avec des moyens limités, risque d’être hors de portée. Reconnaître les retards pris en matière de R&D, les déceptions vaccinales de Pasteur et Sanofi et se contenter de mentionner les réformes déjà faites pour stimuler la recherche est un peu court. A vouloir trop embrasser, on risque de ne plus être crédible. De plus, lorsqu’on fait la liste des priorités et les moyens qui y sont consacrés, on découvre que les subventions pour relocaliser, décarboner les sites de production ou s’assurer la maitrise des approvisionnements excèdent largement les moyens nouveaux mis dans la recherche et l’innovation.

La deuxième porte sur le choix assumé d’une stratégie top down. L’évocation émerveillée des grands projets de l’ère gaullo-pompidolienne avec le TGV, le nucléaire, le Concorde, le Rafale porte en elle une double erreur. Les grands projets colbertistes ont été fondés sur une articulation conçue d’emblée entre recherche publique, champions nationaux publics et grands programmes d’équipement du territoire. Ils étaient de plus pilotés par une élite homogène issue des grands corps et circulant entre les pôles politique, industriels et de régulation. Par définition, les grands programmes macronistes ne réunissent pas ces conditions. Dès lors, les choix faits risquent d’être inadaptés, de ne pas être relayés par des acteurs industriels, d’entrainer des effets d’aubaine…

La troisième porte sur la gouvernance. E. Macron a insisté sur les pratiques paralysantes de la tutelle publique et sur l’absence de culture du risque dans l’administration. Il a notamment souligné que dans l’univers hyper-compétitif de la Recherche et développement industrielle une hésitation, un retard, une réalisation différée font la différence entre la recherche transformée en innovation et en marché, et la recherche brevetée qui ne produit aucun effet. De plus, dans ce nouveau monde, c’est le premier arrivé qui rafle la mise. Comment donc mobiliser les acteurs, les accompagner, leur apporter la bonne aide au bon moment ? Comment accepter les échecs et rebondir ? Comment tirer le meilleur parti des expériences du PIA, de l’ANR pour concevoir la nouvelle gouvernance ? Ces questions sont restées largement sans réponse.

La dernière critique porte sur l’inscription du programme dans le cadre européen et ce, à un double titre. E. Macron a en effet veillé à inscrire chacune des actions dans le cadre européen. Les programmes français peuvent d’ailleurs être considérés comme des briques des PIIECS (Projets importants d’intérêt européen commun) mais cette stratégie suppose pour être réussie que les moyens mobilisés soient conséquents, que les ordres de grandeur des montants investis soient en rapport avec ce que les Chinois et les Américains investissent et que, de plus, les Européens trouvent des règles internes d’affectation des moyens et des sites dans l’espace européen. Or force est de constater que les moyens envisagés au niveau européen font pâle figure par rapport aux programmes chinois et américains et que de plus, dans les deux domaines où la stratégie de relocalisation a pris un tour actif (les batteries et les composants), les rivalités franco-allemandes s’étalent sur la place publique. Un exemple vaut mieux que de longs débats : la France envisage de consacrer 6 milliards d’euros à la relocalisation d’usines de composants sur le territoire national. Elle s’inscrit, ce faisant, dans l’effort européen de doublement (de 10 à 20%) de la capacité de production en Europe dont le coût est estimé à 200 milliards. Dans un article consacré à TSMC, champion mondial des fonderies de Silicium, Ph. Escande rappelle que le cout d’une unité de production peu avant l’an 2000 était de 500 million de dollars, 5 milliards en 2010, 10 milliards pour la dernière usine construite, et 20 Milliards pour l’usine en préparation. Facteur aggravant, les champions européens TMC et Infineon ne sont d’accord ni sur le type d’usine à construire, ni sur sa localisation, ni sur les partenariats que la Commission leur suggère.

Que conclure ?

L’effort que vient de fournir E. Macron avec France 2030 obéit au même exercice prospectif et programmatique que ceux que les Américains, les Chinois ou les Allemands ont déjà accomplis. Il témoigne de la vision optimiste, progressiste et technophile du Président. Dans le contexte français cet exercice a le mérite de réinscrire la question productive au cœur du débat politique.

En même temps, E. Macron donne à voir ce qu’est la nouvelle industrie faite de briques technologiques, manufacturières et de services. En essayant de tenir dans un même mouvement recherche, industrie, modèle social et qualité de vie, E. Macon tente une pédagogie utile du moment productif actuel.

Il reste à trancher les questions soulevées ici sur la gouvernance et l’ampleur des moyens à mobiliser au niveau européen.

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Publié le 2 novembre 2021

Réindustrialisation : pourquoi France 2030 est à côté de la plaque

Dans le cadre de « la grande conversation 2022 » initiée par Terra Nova., l’économiste Elie Cohen a proposé récemment sa lecture du plan « France 2030 » présenté le 12 octobre dernier par Emmanuel Macron. Son texte appelle plusieurs remarques.

Elie Cohen souligne tout d’abord que ce plan a été reçu, trop souvent à son goût, en fonction d’un positionnement politique plutôt que d’une analyse de fond. Certes mais il convient quand même de souligner l’incongruité profonde d’une telle démarche à quelques mois de l’échéance présidentielle. Comment ne pas s’interroger sur le caractère largement factice d’un plan à cinq ans, présenté par un Président dont le mandat se termine en avril prochain ? Comment ne pas estimer qu’Emmanuel Macron, qui n’est pas encore officiellement candidat, abuse de sa fonction pour mener campagne en se servant de façon illégitime des moyens de l’Etat ? Dans une démocratie digne de ce nom, ce genre de pratiques poserait effectivement question, même si la France de la monarchie républicaine qu’est la Ve République, les a trop souvent tolérées jusqu’ici.

Elie Cohen a raison en revanche de souligner l’ambition excessive affichée par ce plan qui prétend couvrir une dizaine de filières, y compris leur amont, tout en y consacrant seulement 30 milliards d’euros d’argent public sur 5 ans, soit 1 % du PIB de la France, ou encore 6 milliards d’euros seulement par an. Si elles étaient un jour réellement distribuées, des sommes saupoudrées sur autant de sujets, ne pourraient guère avoir que des effets marginaux. On peut y voir un effet du contexte électoral qui pousse Emmanuel Macron à vouloir envoyer des signaux dans toutes les directions pour ratisser le plus large possible à quelques mois de l’élection présidentielle. Mais c’est aussi plus profondément le reflet de l’incompréhension persistante par la classe politique et l’appareil d’Etat français du changement d’époque intervenu au cours du dernier demi-siècle. Avec moins de 1 % de la population mondiale, la France n’est plus et ne sera plus jamais un « grand pays » qui peut se permettre d’avoir des « champions nationaux » dans tous les secteurs d’activité. Il lui faut faire des choix de spécialisation dans la division internationale du travail, ce qui revient à renoncer à soutenir certains secteurs. C’est une évidence pour la Finlande, ça ne l’est manifestement pas encore pour nous. L’imaginaire gaulliste et la nostalgie d’un passé glorieux fantasmé continuent de boucher notre horizon et de fausser notre appréciation des réalités. Ce phénomène ne touche manifestement pas qu’Eric Zemmour, cette volonté de ne pas regarder les choses en face est manifestement plus largement partagée dans la classe politique. Et le fait de ne pas accepter cette réalité nous handicape très sérieusement pour nous doter d’une politique industrielle efficace.

Elie Cohen rappelle d’ailleurs également à juste titre la filiation très pompidolienne de ce plan, une filiation soulignée d’ailleurs abondamment par Emmanuel Macron lui-même via le clip vidéo vintage en noir et blanc qui ouvrait la présentation de France 2030.

Cette filiation se traduit notamment à travers le choix par l’Etat de soutenir des technologies particulières, d’avoir ses chouchous très précis comme naguère le Concorde. L’exemple le plus caricatural étant bien entendu fourni depuis un demi-siècle par le choix de la filière nucléaire, et non seulement celui de la filière mais celui d’objets techniques particuliers comme l’EPR. Avec le soutien qu’il veut apporter aux Small Modular Reactors (SMR), Emmanuel Macron continue de s’inscrire dans cette tradition qui considère que l’appareil d’Etat connait mieux que les acteurs concernés les technologies qui vont marcher demain. Et dans le cas particulier du nucléaire, Elie Cohen a raison de souligner que les SMR ne répondent en aucune façon à l’urgence à laquelle fait face le système énergétique français.

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Le plan d’Emmanuel Macron cumule donc tous les inconvénients traditionnels de la politique industrielle colbertiste à la française, à la fois trop large dans son ambition de soutenir tous les secteurs d’activités et trop précise dans le choix de privilégier, généralement à tort, des technologies particulières.

Elie Cohen a raison également de souligner qu’en matière de politique industrielle, il faut sortir du faux dilemme qui consiste à choisir de soutenir soit les grands groupes existants soit les start ups innovantes. Pour être efficace, il faut bien entendu être en mesure de faire les deux. Mais, malgré les discours enthousiastes de notre président autour de la « start up nation », je ne suis pas convaincu qu’Elie Cohen ait raison de lui donner acte d’y parvenir. Malgré sa jeunesse, Emmanuel Macron est trop profondément pompidolien, trop ancré dans la haute fonction publique française traditionnelle pour cela : sa politique reste en pratique dominée par le soutien aux grands groupes existants comme l’illustre en particulier le cas du nucléaire.

Enfin Elie Cohen donne également crédit à Emmanuel Macron de placer l’ambition industrielle de France 2030 dans un cadre européen. Là aussi il y a loin cependant de la coupe aux lèvres entre les grands discours enthousiastes de notre président et sa pratique effective. Son bonapartisme, son incapacité à construire des coalitions efficaces l’a empêché depuis quatre ans d’obtenir des progrès significatifs en matière d’intégration européenne, notamment en matière de politique industrielle. Il n’y a guère de raisons de penser qu’il pourrait mieux y parvenir à l’avenir.

Mais il me semble qu’en en restant trop à l’analyse du plan France 2030 en tant que tel, Elie Cohen passe à côté des principales raisons qui font qu’Emmanuel Macron, et l’aristocratie d’Etat qu’il incarne, ne peuvent pas être les acteurs efficaces d’une réindustrialisation du pays. Ce qui empêche surtout Emmanuel Macron d’engager véritablement la renaissance industrielle de la France, c’est d’abord le mépris qu’il exprime régulièrement envers les travailleurs et les travailleuses de notre pays. Le vrai problème de notre économie, nous a-t-il redit une fois de plus le 12 octobre dernier, c’est la paresse des Français. Le déficit persistant de notre commerce extérieur, la dégradation de notre tissu industriel ? C’est parce que les salariés ne travaillent pas assez.

Depuis vingt ans, nos élites économiques et politiques nous répètent ce mantra. Problème : cet argument éculé a été mille fois démenti. Les chiffres d’Eurostat sont sans appel : les salariés français travaillent en moyenne plus longtemps que leurs homologues d’Allemagne, de Suède ou encore des Pays-Bas…, les fameux « modèles » qu’on nous présente régulièrement.

Les Français figurent aussi parmi les plus productifs du continent. Si nous l’étions aussi « peu » que des Allemands, nous aurions besoin de plus de 3 millions d’emplois supplémentaires pour produire autant de richesses qu’aujourd’hui. Il existe bien des pays où l’on travaille plus longtemps qu’en France, ils s’appellent la Roumanie, la Pologne ou la Turquie. Est-ce vraiment le chemin sur lequel Emmanuel Macron souhaite nous entraîner ?

Les difficultés bien réelles que rencontre l’industrie française ont d’autres causes. Qui blâmer pour le désastre de la Générale des Eaux devenue Vivendi, sinon le si brillant Jean-Marie Messier ? Comment expliquer la disparition d’Alcatel si on ne souvient pas que son PDG Serge Tchuruk s’imaginait sérieusement pouvoir en faire « une entreprise sans usines » au début des années 2000 ? A chaque fois, des milliers d’emplois ont été sacrifiés. Si ces dirigeants, et tant d’autres, ont pu à ce point faire faire fausse route à leurs entreprises, c’est parce que le management des entreprises françaises reste bien souvent archaïque, féodal, avec un PDG qui concentre les pouvoirs en l’absence de réels contre-pouvoirs. Voilà un problème bien plus sérieux que l’éternelle rengaine sur la paresse supposée des travailleurs.

Notre pays souffre en effet d’une maladie persistante, cette obsession de nos élites, formées dans les meilleures écoles de la République, à s’imaginer Bonaparte sur le pont d’Arcole, génies solitaires toisant le bas peuple du haut de leur intelligence supérieure. C’est vrai des grandes entreprises comme de la politique. Les institutions de la Ve République sont en effet une caricature encore accentuée par l’exercice du pouvoir jupiterien d’Emmanuel Macron. Or, en politique comme en économie, le pouvoir personnel conduit à faire de nombreuses erreurs et ne peut pas produire la cohésion sociale et la résilience indispensables pour affronter les chocs, les anticiper et s’y adapter.

Chez nos voisins allemands dont nous envions l’industrie, le PDG tout puissant n’existe pas, les représentants des salarié.es pèsent pour la moitié dans les organes de gouvernance des entreprises et les comités d’entreprises ont un droit de veto sur la plupart des décisions managériales importantes. Voilà ce qui devrait inspirer de véritables réformes. Combien de désastres auraient pu être évités ces trente dernières années si les salarié.es avaient pu peser sur les choix stratégiques de l’entreprise ?

Si nous voulons réindustrialiser notre pays – et il le faut – l’urgence est aussi de réhabiliter le travail industriel, en revalorisant les salaires dans ce secteur et en y améliorant les conditions de travail tout en bridant le court-termisme des actionnaires et en limitant la financiarisation excessive de nos économies. Or qu’a fait Emmanuel Macron depuis cinq ans ? Exactement le contraire. Il a limité le pouvoir de négociation des salariés dans les entreprises, supprimé les Comités d’hygiène et de sécurité et l’ISF et abaissé l’imposition des revenus des capitaux… Comme vient de l’établir un rapport public de France Stratégie, cela a sans surprise accru les inégalités sans avoir pour autant d’effet positif sur l’investissement dans l’économie réelle.

Une politique industrielle sérieuse requiert surtout une action continue sur le long terme. Si on veut développer l’esprit d’entreprise et l’innovation dans notre pays, priorité doit être donnée en particulier à un effort massif d’éducation. Pourquoi les pays nordiques s’en sortent-ils mieux que nous, alors qu’on y travaille moins longtemps et que le coût du travail y est plus élevé encore ? Parce que l’ensemble de leur population est mieux formée.

D’où une aptitude plus grande à s’adapter, à adopter rapidement des nouvelles technologies et à disposer d’un vivier plus large d’innovateurs. Nous avons en France largement élevé le niveau moyen de formation, et c’est un formidable progrès. Mais nous avons continué à concentrer les ressources sur quelques filières d’élite, classes préparatoires, Ena ou Polytechnique. Le monde socialement clos de nos brillants dirigeants qui se sont de plus en plus détournés de l’industrie au cours des dernières décennies. Et cela tout en délaissant l’éducation du plus grand nombre, un travers accentué ces dernières années avec la dégradation continue des conditions d’étude en université. Une bombe à retardement, qui a d’ores et déjà des effets négatifs sur les capacités entrepreneuriales et d’innovation de l’économie française. Un effort massif en faveur de l’éducation du plus grand nombre n’est donc pas seulement une exigence de justice sociale, c’est aussi un impératif économique.

Si l’industrie française se porte mal, ce n’est donc pas du fait de la paresse supposée des travailleurs du bas de l’échelle contrairement à ce que pense et dit Emmanuel Macron. L’industrie française a besoin d’un choc, c’est évident. Mais c’est un choc de formation, de mobilisation et de considération pour celles et ceux qui, ingénieurs comme ouvriers, sont la richesse et la promesse véritables de l’industrie de notre pays. Si nous voulons réussir à réindustrialiser le pays à l’occasion de la conversion écologique de son économie, c’est d’abord à elles et eux qu’il nous faut faire et redonner confiance.