Emmanuel Macron vient d’annoncer un plan d’investissements « France 2030 » de 30 milliards d’Euros pour les cinq prochaines années. L’ambition de ce plan est considérable puisqu’il s’agit rien moins que d’inventer et de mettre en œuvre un modèle productif post-Covid et adapté à la triple mutation écologique, numérique et démographique.
Six traits caractérisent ce nouveau plan qui revendique son inscription dans la lignée des grands programmes industriels qui, de l’ère De Gaulle-Pompidou à nos jours, ont illustré les politiques industrielles à la française.
D’abord, prendre le risque de l’intervention directe en désignant les secteurs d’avenir voire en prenant parti pour des filières technologiques. C’est ainsi que le Président voit l’avenir nucléaire en SMR (petits réacteurs nucléaires de 30 à 400 MgW), la filière hydrogène avec les électrolyseurs, le nouveau spatial avec les mini-lanceurs récupérables et les mini-satellites, l’agriculture avec les apports de la robotique, des drones et de la génétique…
Ensuite, partir des finalités pour définir les politiques publiques requises. E. Macron croit dans le progrès technique : c’est un adepte du tech for good, du tech for humanity. L’investissement dans la recherche et l’innovation n’a de sens que si le mieux vivre est au bout. Mieux vivre par la décarbonation, par le mieux manger ou le mieux vieillir. La France de 2030 doit être plus sobre, plus douce et plus solidaire que l’actuelle. Elle devra avoir relevé les trois défis du climat, du vieillissement et des inégalités.
E. Macron entend également écarter les faux débats qui opposent défense de l’industrie structurée autour de grands champions publics ou privés et promotion des start ups innovantes. Le Plan France 2030 veut à la fois revivifier les secteurs industriels traditionnels qui ont subi le choc de l’évidement manufacturier comme l’automobile ou l’électronique, et promouvoir des start ups industrielles.
Le nouveau plan tranche également le débat sur la nature des politiques industrielles qui oppose traditionnellement tenants des politiques sectorielles ou des politiques d’environnement compétitif, promoteurs des filières, des écosystèmes ou des districts industriels. Le Président assume de faire feu de tout bois.
Signe de l’exhaustivité de l’approche, E. Macron s’intéresse également à l’amont des filières, aux approvisionnements en matières premières et en composants et se fixe comme objectif de traiter la question de la dépendance en terres rares, lithium, et composants électroniques… en développant le recyclage, l’économie circulaire, les relocalisations.
Enfin, il inscrit son action dans un cadre plus large, celui de l’Europe industrielle. Il a la lucidité de comprendre que l’Union européenne est à la bonne taille pour promouvoir des politiques d’autonomie stratégique, pour refaire le retard accumulé et pour répondre aux défis de la nouvelle guerre froide technologique sino-américaine.
Ce Plan n’a pas reçu l’accueil qu’il méritait pour de bonnes et de mauvaises raisons.
Mauvaises raisons politiques, d’abord, du côté des écologistes lorsque Jadot dénonce un plan qui fleure bon les années 70 avec la promotion du nucléaire et du productivisme agraire. Mauvaise foi à gauche et aux extrêmes pour rejeter tout débat sur le plan au motif qu’il illustre l’électoralisme comme si tout était réductible aux échéances des prochains mois.
Mauvaise foi à droite lorsqu’on voit dans la promotion des SMR une façon de ne pas s’engager plus franchement en faveur du nucléaire en différant le lancement des nouvelles tranches d’EPR.
Critique mécanique à droite, enfin, des contempteurs de la dépense publique qui dénoncent une fois encore l’addiction au déficit et à la dette de l’Etat français.
Ecartons l’argument de la dépense publique peu entendu quand il s’agissait de sauver les petits commerces ou de maintenir les revenus des chômeurs et qui se manifeste quand il faut financer la recherche, l’innovation ou la décarbonation des sites industriels.
La question la plus débattue a porté sur le Nucléaire avec une confusion savamment entretenue par les écologistes et la droite républicaine. Lancer un programme de recherche et de prototypes sur les SMR, ce serait tout à la fois persister dans l’erreur nucléaire qui dure depuis le Plan Messmer ou à l’inverse différer un choix clair en faveur du remplacement des centrales actuelles arrivées en fin de vie par des EPR. C’est feindre d’ignorer que les SMR ne sont pas des alternatives aux centrales PWR actuelles qu’elles sont davantage destinées à remplacer des centrales au charbon à l’étranger. C’est refuser de reconnaître à l’inverse que le déploiement d’EPR nouveaux doit dépendre du retour d’expérience de l’EPR de Flamanville.
Des critiques plus sérieuses, par contre, peuvent être adressées à ce programme France 2030. La première porte justement sur son ambition, peut être excessive. Favoriser à la fois la régénération de la vieille industrie comme l’automobile et inventer les filières industrielles de demain est peut-être excessif. Développer une stratégie de filières et d’écosystèmes tout en promouvant les start ups et leur transformation en licornes, voire en futurs stars du CAC40, le tout avec des moyens limités, risque d’être hors de portée. Reconnaître les retards pris en matière de R&D, les déceptions vaccinales de Pasteur et Sanofi et se contenter de mentionner les réformes déjà faites pour stimuler la recherche est un peu court. A vouloir trop embrasser, on risque de ne plus être crédible. De plus, lorsqu’on fait la liste des priorités et les moyens qui y sont consacrés, on découvre que les subventions pour relocaliser, décarboner les sites de production ou s’assurer la maitrise des approvisionnements excèdent largement les moyens nouveaux mis dans la recherche et l’innovation.
La deuxième porte sur le choix assumé d’une stratégie top down. L’évocation émerveillée des grands projets de l’ère gaullo-pompidolienne avec le TGV, le nucléaire, le Concorde, le Rafale porte en elle une double erreur. Les grands projets colbertistes ont été fondés sur une articulation conçue d’emblée entre recherche publique, champions nationaux publics et grands programmes d’équipement du territoire. Ils étaient de plus pilotés par une élite homogène issue des grands corps et circulant entre les pôles politique, industriels et de régulation. Par définition, les grands programmes macronistes ne réunissent pas ces conditions. Dès lors, les choix faits risquent d’être inadaptés, de ne pas être relayés par des acteurs industriels, d’entrainer des effets d’aubaine…
La troisième porte sur la gouvernance. E. Macron a insisté sur les pratiques paralysantes de la tutelle publique et sur l’absence de culture du risque dans l’administration. Il a notamment souligné que dans l’univers hyper-compétitif de la Recherche et développement industrielle une hésitation, un retard, une réalisation différée font la différence entre la recherche transformée en innovation et en marché, et la recherche brevetée qui ne produit aucun effet. De plus, dans ce nouveau monde, c’est le premier arrivé qui rafle la mise. Comment donc mobiliser les acteurs, les accompagner, leur apporter la bonne aide au bon moment ? Comment accepter les échecs et rebondir ? Comment tirer le meilleur parti des expériences du PIA, de l’ANR pour concevoir la nouvelle gouvernance ? Ces questions sont restées largement sans réponse.
La dernière critique porte sur l’inscription du programme dans le cadre européen et ce, à un double titre. E. Macron a en effet veillé à inscrire chacune des actions dans le cadre européen. Les programmes français peuvent d’ailleurs être considérés comme des briques des PIIECS (Projets importants d’intérêt européen commun) mais cette stratégie suppose pour être réussie que les moyens mobilisés soient conséquents, que les ordres de grandeur des montants investis soient en rapport avec ce que les Chinois et les Américains investissent et que, de plus, les Européens trouvent des règles internes d’affectation des moyens et des sites dans l’espace européen. Or force est de constater que les moyens envisagés au niveau européen font pâle figure par rapport aux programmes chinois et américains et que de plus, dans les deux domaines où la stratégie de relocalisation a pris un tour actif (les batteries et les composants), les rivalités franco-allemandes s’étalent sur la place publique. Un exemple vaut mieux que de longs débats : la France envisage de consacrer 6 milliards d’euros à la relocalisation d’usines de composants sur le territoire national. Elle s’inscrit, ce faisant, dans l’effort européen de doublement (de 10 à 20%) de la capacité de production en Europe dont le coût est estimé à 200 milliards. Dans un article consacré à TSMC, champion mondial des fonderies de Silicium, Ph. Escande rappelle que le cout d’une unité de production peu avant l’an 2000 était de 500 million de dollars, 5 milliards en 2010, 10 milliards pour la dernière usine construite, et 20 Milliards pour l’usine en préparation. Facteur aggravant, les champions européens TMC et Infineon ne sont d’accord ni sur le type d’usine à construire, ni sur sa localisation, ni sur les partenariats que la Commission leur suggère.
Que conclure ?
L’effort que vient de fournir E. Macron avec France 2030 obéit au même exercice prospectif et programmatique que ceux que les Américains, les Chinois ou les Allemands ont déjà accomplis. Il témoigne de la vision optimiste, progressiste et technophile du Président. Dans le contexte français cet exercice a le mérite de réinscrire la question productive au cœur du débat politique.
En même temps, E. Macron donne à voir ce qu’est la nouvelle industrie faite de briques technologiques, manufacturières et de services. En essayant de tenir dans un même mouvement recherche, industrie, modèle social et qualité de vie, E. Macon tente une pédagogie utile du moment productif actuel.
Il reste à trancher les questions soulevées ici sur la gouvernance et l’ampleur des moyens à mobiliser au niveau européen.