Il est probable que s’ouvre bientôt un débat sur nos institutions. Dans ce cadre, un point mérite notre attention : le mode de scrutin des élections législatives. De ce choix découlent d’importantes conséquences, à la fois sur la représentation des sensibilités politiques et sur la formation de majorités de gouvernement. Au nom du premier principe, la proportionnelle est souvent plébiscitée : elle permettrait une représentation plus fidèle de la diversité des opinions ; au nom du second, elle est régulièrement condamnée : elle serait un facteur d’instabilité. Inversement, le scrutin majoritaire par circonscription à siège unique (ci-après « scrutin majoritaire » pour plus de simplicité) ne permettrait pas une représentation satisfaisante des sensibilités, mais maximiserait les chances de voir émerger des majorités stables.
Doit-on s’enfermer dans cette alternative ? Non. Les effets prêtés à chacun des deux systèmes quant à la qualité de la représentation ne font aucun doute : ici, la proportionnelle a bel et bien l’avantage. Mais on ne peut pas en dire autant des effets sur la stabilité gouvernementale : a) l’association entre proportionnelle et instabilité n’est pas validée par l’expérience (nous renvoyons sur ce point à notre rapport de 2018) ; b) les élections législatives de 2022 ont montré que le scrutin majoritaire n’aboutit pas nécessairement à une majorité absolue à la chambre. Enfin, il est également reproché à la proportionnelle de faire la part belle aux partis extrémistes. Certes elle reflète plus fidèlement la popularité des partis petits et moyens, mais les dernières élections législatives ont également montré que le scrutin majoritaire était loin d’être une digue infranchissable pour un parti comme le Rassemblement National.
Cette réhabilitation de la proportionnelle ne doit pas faire oublier pour autant les problèmes qu’elle pourrait soulever :
- Dans la plupart des systèmes proportionnels que nous avons testés, il ne faut pas s’attendre à ce qu’un parti soit en mesure de gouverner seul à l’issue de l’élection. La formation d’un gouvernement doit alors reposer sur un « contrat de gouvernement » entre plusieurs partis.
- Dans un scrutin majoritaire de circonscription, l’élection directe rend le député relativement accessible et potentiellement responsable devant ses électeurs. A l’opposé, dans un scrutin de liste, la plupart des électeurs ne connaissent pas leurs représentants. On verra qu’il est possible de concilier représentation proportionnelle et redevabilité de l’élu, mais c’est un sujet qu’il faut garder à l’esprit.
- La représentation proportionnelle conduit le plus souvent à donner une place centrale aux partis. La loi électorale qui participe à leur définition permet aujourd’hui que coexistent de nombreux partis, groupements et associations, souvent éphémères, parfois emboîtés les uns dans les autres, changeant facilement de nom, et pouvant ou non prétendre à des financements publics. Nous présentons quelques éléments de réflexion sur le sujet, mais il est vaste, et une modification du mode de scrutin pour l’élection des députés devrait sans doute s’accompagner d’une actualisation des textes juridiques concernés.
C’est à la lumière de ces considérations que nous nous concentrons dans les pages qui suivent sur une interrogation : de quel mode de scrutin avons-nous besoin ? S’agit-il de corriger les effets indésirables du scrutin majoritaire en y intégrant une « dose » de proportionnelle ou bien de passer à un scrutin proportionnel intégral ? Et comment maîtriser les divers effets de chacun des choix possibles ?
Nous présentons d’abord ce que pourrait être une proportionnelle intégrale en France, puis les formes que pourrait prendre un système mixte. Pour chacun des modèles retenus, nous proposons des projections à partir des rapports de force constatés lors des premiers tours des élections législatives de 2012, 2017 et 2022. Autrement dit, nous répondons à la question : quelle aurait été la composition de l’Assemblée nationale si nous avions appliqué les différents modèles à chacune de ces élections ? Naturellement, de nombreux électeurs n’auraient peut-être pas voté de la même façon si le scrutin avait été différent. Les résultats de ces projections doivent donc être pris avec précaution. Mais ils permettent de se faire une idée des effets propres de chaque modèle.
Fort de l’ensemble de ces informations, le lecteur sera en mesure de se faire une opinion plus éclairée sur le sujet et de construire sa propre préférence. Nous exprimerons nous-mêmes en conclusion notre préférence pour un système mixte avec de l’ordre de 75% des députés élus localement suivant le principe majoritaire et 25% des députés élus suivant un principe de proportionnalité compensatoire au niveau national, l’électeur votant une seule fois.
Outils de simulation et de redécoupage des circonscriptions Notre outil de simulation est disponible en libre accès à l’adresse suivante : http://circ.lamsade.fr/Terra_Nova_Proportionnelle. Chacun pourra y recourir pour tester ses propres préférences. Il pourra également visualiser les effets d’un redécoupage des circonscriptions en cas de scrutin mixte. Les systèmes mixtes envisagés dans cette note impliquent en effet de dessiner des circonscriptions moins nombreuses et plus grandes qu’aujourd’hui. Les redécoupages utilisés dans nos analyses sont générés informatiquement par un programme ad hoc, qui procède par regroupement de circonscriptions existantes voisines en respectant certaines contraintes (cohérence avec les niveaux administratifs existants) et en visant à obtenir des districts de taille semblable. Par ailleurs, pour répondre à la question « Quelle composition de l’Assemblée aurait résulté de l’utilisation d’un mode de scrutin mixte », il est nécessaire d’extrapoler les résultats observés dans deux directions : proportionnelle et majoritaire. En France, le système à deux tours est tel que les votes de premier tour correspondent sans doute assez bien à ce qui pourrait être observés dans une élection proportionnelle ; l’offre électorale est large et les phénomènes de « vote utile » ne sont pas aussi prégnants qu’à la présidentielle. Nous utilisons donc les rapports de force indiqués par les scores observés au premier tour dans le département, la région ou le pays, pour déterminer les résultats à la proportionnelle. En ce qui concerne la partie « majoritaire », il faut distinguer le détail du déroulement de l’élection. Dans le cas de deux scrutins parallèles, le plus logique est de prendre comme base, non les scores de premier tour mais les résultats de second tour. C’est ce que nous faisons, sachant que, dès que les circonscriptions ne sont plus les circonscriptions originales, cela ne peut se faire qu’au niveau des rapports de force constatés nationalement (ou régionalement). Dans le cas d’un scrutin « double » à un seul tour, on peut au contraire penser que les électeurs se comportent comme ils le font généralement au premier tour. |
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1. LA PROPORTIONNELLE INTEGRALE
Un paramètre principal varie dans l’organisation d’une élection à la proportionnelle intégrale : les entités géographiques à l’intérieur desquelles les listes des partis sont constituées. A une extrémité, elles peuvent être nationales ; à l’autre, départementales. Dans ce dernier cas, les partis présentent des listes dans chaque département et l’attribution des sièges pour le département concerné suit les scores qu’y obtiennent les différentes listes. L’échelle régionale est une solution intermédiaire. Les graphiques de l’Annexe montrent pour les années 2012, 2017 et 2022, les compositions de l’Assemblée nationale obtenues sous le principe d’une représentation proportionnelle intégrale selon que l’on choisit le niveau national, régional ou départemental. Voici par exemple les résultats de nos projections pour 2022 pour les mailles nationale et départementale.
Pour ces projections, nous avons retenu comme « partis » les nuances suivant lesquelles le ministère de l’Intérieur classe les candidats puis, à partir des scores de premier tour de l’année considérée, nous avons compté le nombre de voix obtenues par chaque « parti » au niveau départemental, régional ou national, afin d’appliquer la règle proportionnelle. Enfin, nous avons choisi pour le calcul des arrondis la règle du plus fort reste (qui favorise plutôt les petits partis) et introduit un seuil de 3% (les listes qui recueillent moins ne peuvent pas participer à la distribution des sièges).
On voit clairement sur les figures de l’Annexe que, dans chacune des trois éditions (2012, 2017 et 2022), la composition finale de l’assemblée est assez semblable, quelle que soit la maille géographique retenue. En réalité, ces trois options sont moins semblables qu’il n’y paraît.
Une élection proportionnelle nationale implique des listes qui devraient comporter plusieurs centaines de noms, poussant jusqu’à la caricature un problème classique des scrutins de liste : la perte du lien direct entre députés et citoyens, et l’incitation maximale pour le candidat à prendre comme objectif de sa campagne d’être placé le plus haut possible sur la liste de son parti. Cette caractéristique nous conduit à écarter ce système.
La maille régionale est certainement préférable. Mais avec une Assemblée de 577 membres, les régions métropolitaines devraient encore compter chacune plusieurs dizaines d’élus : de 22 pour Centre-Val de Loire à 101 pour l’Ile de France. De fait, ce système n’éliminerait pas le problème mentionné plus haut : il ferait la part belle aux partis politiques et paraît peu en phase avec l’exigence moderne de contrôle des élus par les électeurs.
Il est donc naturel de privilégier la maille départementale, comme en 1986. Avec une centaine de départements, le nombre d’élus par département est en moyenne de 5 ou 6 pour une assemblée de 577 sièges. Mais le nombre de députés par département varie de 1 (Lozère, Creuse…) à 21 (Nord). Ces disparités sont problématiques. Les grands départements (8 sièges ou plus) sont sujets au problème des listes longues : ils sont nombreux et représentent en tout 283 députés.
A l’autre extrémité, les élections dans les départements à député unique n’ont évidemment rien de « proportionnel », mais du moins ont-elles l’avantage propre à la règle majoritaire : le lien entre l’unique élu et ses électeurs. Cet avantage disparaît au contraire pour les départements à 2 députés : si la structure politique est en duopole, sont systématiquement élues les deux têtes de liste des deux partis dominants. Difficile d’imaginer plus ennuyeux : il est inutile de donner sa voix à un parti petit ou moyen, et il est tout aussi inutile de voter pour – ou contre – un grand parti ! Le même phénomène s’observe dans les élections proportionnelles à 3 députés : pour les grands partis, les jeux sont généralement faits (favorablement), et les petits ne peuvent pas espérer grand-chose. Ces observations rejoignent la recommandation théorique (Carey & Hix, 2011) de tailles de districts comprises entre 4 et 8, avec listes ouvertes.
On comprend facilement que la composition finale de l’Assemblée telle qu’elle est calculée dans nos simulations, à partir des « nuances » nationales, imite bien la représentation proportionnelle de ces nuances : la diversité des grands partis se retrouve correctement traitée parce que ces derniers sont relativement bien répartis dans les départements, et les tout petits partis sont agrégés dans des nuances nationales un peu arbitraires, ce qui cache le fait qu’ils sont mécaniquement mal traités par un scrutin départemental. La qualité de la représentation proportionnelle fournie, dans ces simulations, par le scrutin départemental est donc un peu factice en ce qui concerne les petits partis.
Au vu de ce qui précède, il serait logique d’examiner un système plus homogène résultant du redécoupage de la France en districts électoraux à 6 ou 7 députés chacun, quitte à ce que les districts ruraux soient très étendus géographiquement. Sans surprise, nos simulations pour ce cas retrouvent bien les mêmes distributions nationales entre nuances que la pure proportionnelle nationale. Notons de plus que, avec des listes de cette taille, il devient réaliste d’adopter un système de scrutin avec votes préférentiels, c’est-à-dire laissant la possibilité à l’électeur d’exprimer sa préférence pour tel ou tel candidat, en plus de son choix de liste. De tels systèmes existent dans de nombreux pays européens (Belgique, Pays-Bas, Lettonie, Slovaquie, Suède…) : les électeurs peuvent y donner des « vote de préférence » à un, ou parfois plusieurs, candidats de leur choix dans la liste du parti choisi. Ces votes de préférences sont ensuite pris en compte pour définir quels candidats, sur la liste, vont être élus. On considère généralement que l’utilisation des votes préférentiels a des conséquences faibles sur la structure de la compétition entre partis et changent rarement le résultat global de l’élection : ils sont satisfaisants pour l’électeur tout en ayant un impact politique faible.
Un autre phénomène rend cependant hasardeux d’anticiper les conséquences politiques de l’adoption en France d’un système proportionnel sur de petits districts. Dans un district à 6 députés avec un seuil de 3%, on obtiendra typiquement un assez grand nombre de voix perdues à cause du seuil retenu. De fait, la répartition des 6 sièges se faisant sur le reste, on aboutira à une situation où, après les députés affiliés aux « grands » partis, les districts enverront à l’Assemblée des « derniers » élus qui l’auront été avec pas beaucoup plus de 3% des voix. Il est possible que ces personnes ne représentent pas des courants nationaux mais s’agrègent à l’Assemblée en un ou plusieurs groupes disparates. A un par district, ces élus formeraient un sixième de l’Assemblée. On pourrait être là en présence d’un effet pervers de la représentation proportionnelle sur de petits districts.
2. LES DIFFERENTES DIMENSIONS DES SCRUTINS MIXTES
Les scrutins mixtes sont souvent privilégiés pour concilier les objectifs de qualité de la représentation au niveau global (l’objectif visé de proportionnalité) et au niveau personnel (l’objectif de l’élection uninominale majoritaire). Ces scrutins qui combinent scrutin majoritaire et représentation proportionnelle sont assez répandus (Allemagne, Danemark, Suède, Japon…). Avant d’exposer quelques-uns de ces scrutins mixtes, quelques précisions s’imposent cependant. Les systèmes envisageables varient en effet selon trois dimensions : (a) le nombre de députés respectivement désignés au scrutin majoritaire et à la proportionnelle ; (b) le mode de calcul du nombre de sièges accordés à la proportionnelle à chaque parti ; (c) la façon dont sont désignés les députés élus.
Dimension (a) : quelle dose de proportionnelle ?
Le choix de la proportion de représentants élus respectivement au scrutin majoritaire et à la proportionnelle est un premier facteur. Une dose de proportionnelle très faible conduit à une représentation proportionnelle homéopathique, et une dose très élevée à un affaiblissement de la représentation locale. Si l’on veut éviter ces écueils, il nous semble que la dose de proportionnelle ne doit pas être inférieure à 25% ni supérieure à 50%.
Dimension (b) : addition, compensation ou correction ?
Il faut ensuite choisir entre trois règles pour déterminer le nombre de sièges obtenus par chaque parti au titre de la partie « proportionnelle » du système.
(b1) La règle « additive » : tous les partis participent à la distribution des sièges supplémentaires, y compris ceux qui ont déjà le plus de sièges à l’issue de la partie majoritaire du scrutin. Les sièges supplémentaires sont répartis en proportion des scores obtenus, indépendamment des résultats au scrutin majoritaire. C’est la règle utilisée au Japon, où l’on parle de scrutin « parallèle ».
(b2) La règle « corrective » (ou « semi-compensatoire ») : tous les partis participent à la distribution des sièges supplémentaires, mais le score de chacun d’eux est défalqué du nombre de voix obtenues par ses candidats directement élus dans les circonscriptions au scrutin majoritaire.
(b3) La règle « compensatoire » : les partis qui ont déjà obtenu au scrutin majoritaire plus que ce que la proportionnelle pure leur accorderait, ne prennent pas part à la distribution des sièges supplémentaires. Les autres se les partagent proportionnellement à leur déficit en voix. C’est la règle utilisée en Allemagne, mais avec une différence importante : le nombre de députés supplémentaires au Bundestag est variable, afin de permettre une proportionnalité exacte in fine.
A dose de proportionnelle constante, (b1) réduit la proportionnalité finale du résultat, tandis que (b3) apporte la correction la plus grande ; (b2) est une solution intermédiaire. La règle de calcul peut ainsi amplifier ou atténuer le caractère proportionnel du scrutin. Le choix de la règle de calcul est donc étroitement lié au choix de la dose de proportionnelle : avec la règle additive, une faible dose (15 à 25%) change peu de choses par rapport au mode de scrutin actuel, alors qu’avec la règle compensatoire, le changement est significatif.
Du point de vue de l’électeur, (b2) peut sembler le plus logique dans le cas d’un vote unique à finalité double, tandis que (b1) et (b3) sont plus en adéquation avec l’idée de deux scrutins distincts parallèles, (b3) étant le seul qui soit compatible avec la visée d’une proportionnalité exacte.
En plus du choix entre ces trois règles, il faut aussi décider de plusieurs détails comme le seuil à partir duquel une liste a droit à des élus supplémentaires, et la manière de faire les arrondis : arrondi au plus près ou non, méthode du plus fort reste (dite règle de Hare), de la meilleure moyenne (dite règle de Hondt), etc. Ces éléments peuvent s’apprécier en fonction des autres paramètres : un seuil relativement élevé limitera les effets de la proportionnelle en évinçant les formations ayant recueilli peu de voix. De même, la méthode de calcul des arrondis peut favoriser les petits partis (méthode au plus fort reste) ou les grands (méthode à la plus forte moyenne).
De plus, on peut tout à fait envisager de réduire le nombre total de députés, le nombre actuel (577) n’étant que le maximum autorisé par la constitution. Enfin, les députés supplémentaires élus sur base proportionnelle peuvent l’être au niveau national ou régional. Ces différents paramètres définissent une vaste combinatoire de possibilités.
Dimension (c) : l’organisation du vote
Attardons-nous sur le point le plus délicat : la mise en œuvre concrète de l’élection. Les questions sont nombreuses : un seul tour ou deux ? S’il n’y a qu’un seul tour, les électeurs votent-ils une ou deux fois ? Les candidats élus à la proportionnelle sont-ils ou non choisis dans un ordre établi par leur parti ? Dans le cas où de telles listes partisanes existent, sont-elles nationales ou régionales ? Un même candidat peut-il figurer sur une liste et être candidat dans une circonscription ? Les élus d’une liste sont-ils désignés ex ante par le parti (listes bloquées) ou par les électeurs (listes ouvertes) ? La règle proportionnelle ne doit pas être entièrement confondue avec les systèmes de listes : il est tout à fait possible de concilier proportionnalité et responsabilité de l’élu devant ses électeurs. Voici trois exemples de mise en œuvre possibles.
- Deux scrutins parallèles : Les doubles candidatures sont interdites. Les députés locaux sont élus localement, en un ou deux tours, et un scrutin de liste a lieu indépendamment.
- Un premier tour multifonction : les scores de premier tour (i) désignent dans chaque circonscription deux candidats pour un second tour local ; (ii) définissent la base de proportionnalité pour répartir les sièges complémentaires. Quand on doit accorder 5 sièges supplémentaires à un parti, on prend ses 5 « meilleurs perdants » (ceux qui ont obtenu le plus de voix parmi l’ensemble des candidats de ce parti qui n’ont pas été élus au scrutin majoritaire). L’avantage de ce premier tour multifonction est de laisser inchangée l’expérience de l’électeur (il continue de glisser un seul bulletin, uninominal, dans l’urne).
- Un seul tour, double vote : chaque électeur dispose de deux voix, qu’il donne à deux candidats distincts, ou deux fois au même, selon sa préférence. Dans chaque circonscription, le candidat ayant le plus de voix est élu directement. Les élus supplémentaires sont choisis comme précédemment, par parti, suivant les scores obtenus localement.
Avant de poursuivre, quelques remarques. 1) La représentation des petits partis est relativement indépendante des points discutés plus haut ; elle dépend essentiellement du seuil qui autorise l’accès aux sièges complémentaires. 2) Tous les systèmes envisagés induisent une plus forte représentation des partis moyens marginalisés par le scrutin majoritaire. 3) La probabilité qu’émerge une « majorité de gouvernement » tient plus à la structure de l’offre politique qu’au mode de scrutin : la règle proportionnelle est en vigueur dans de nombreux pays européens et ne semble pas être facteur d’instabilité.
3. QUATRE EXEMPLES DE SYSTÈMES ENVISAGEABLES
Les paramètres précédents peuvent se combiner de façon plus ou moins indépendante. Nous exposons ici le détail de quatre systèmes : un système d’élection proportionnelle intégrale et trois systèmes mixtes résultant d’un choix pour chacun des paramètres exposés plus haut.
Système 1 : Élections proportionnelles départementales
Les circonscriptions de vote sont les départements et le scrutin est intégralement proportionnel au niveau départemental. L’élection comporte un seul tour et les listes sont bloquées. Il n’y a pas de seuil.
Projections. Sans surprise, pour 2012, 2017 et 2022, nos projections aboutissent à une Assemblée où aucun groupe n’atteint seul la majorité absolue des sièges, pas même en 2012. La composition de l’Assemblée appelle invariablement la formation d’une coalition de gouvernement. Dans le système tripartite qui se fait jour en 2017 et qui se dessine plus clairement en 2022, la force centrale qui aurait l’initiative de la proposition d’une coalition serait le groupe macroniste : sauf à chercher à s’associer entre eux, ce qui est improbable, ni les groupes composant la NUPES ni le groupe RN ni a fortiori le groupe LR ne peuvent imaginer participer à une majorité sans trouver un accord au moins bilatéral avec Ensemble. En 2022, la représentation nationale issue du scrutin proportionnel ressemble à ce qu’elle est aujourd’hui dans sa structure, mais avec des groupes NUPES et RN renforcés au détriment de la force centrale.
Naturellement, la projection des rapports de force observés dans le cadre d’un scrutin majoritaire sur un scrutin proportionnel présente des limites : dans le cadre d’un scrutin proportionnel, les électeurs auraient été sans doute moins incités à une forme de « vote utile » pour donner à un candidat peu éloigné de leur sensibilité une chance de figurer au second tour et de l’emporter… Dans cette hypothèse d’une disparition des stratégies de « vote utile », le résultat final risquerait d’être encore plus éclaté, notamment à gauche. D’autant que, dans un système proportionnel, a fortiori sans seuil de qualification, les partis sont eux-mêmes moins incités à envisager des alliances électorales.
Système 2 : 50% de proportionnelle, calcul additif, listes régionales, scrutins parallèles, deux tours
Dans ce système, pour une Assemblée de 577 sièges, il existe 289 circonscriptions. Les électeurs sont appelés aux urnes deux fois, à une semaine d’intervalle. Lors du premier tour, les électeurs votent deux fois : une fois pour un candidat « local » (comme actuellement), une autre pour une liste régionale proposée par un des partis en compétition. Les listes régionales sont ordonnées, contiennent autant de noms que le nombre de députés à élire à la proportionnelle dans la région. Chaque liste alterne une femme/un homme ou vice versa. Un candidat inscrit sur une liste ne peut pas être candidat au suffrage majoritaire. Une liste obtient des élus dans une région si elle y obtient au moins 4% des suffrages. Le nombre d’élus sur chaque liste passant cette barre est calculé selon une règle proportionnelle (avec la méthode des plus forts restes pour le traitement des arrondis). À la fin du premier tour, les élus provenant des listes sont connus. Dans chaque circonscription, un second tour a lieu si le candidat arrivé en tête au premier tour obtient moins de 50% des voix ; peuvent se maintenir au second tour ceux dont le nombre de voix dépasse 12,5 % des inscrits.
Projections. Là encore, nos projections dessinent à chaque fois une représentation nationale où aucun groupe ne dispose seul de la majorité absolue des sièges. En 2017 (247 sièges) comme en 2022 (207), le groupe macroniste est en position d’organisateur de la coalition. En 2022, il est clairement poussé à une alliance avec LR, d’un côté, et les Divers Gauche, de l’autre. En 2017, il peut espérer construire une coalition sans aller chercher ni les socialistes ni les Républicains. Il est à noter qu’en 2012, la coalition majoritaire la plus probable nécessite de réunir toute la gauche, Front de gauche compris.
Système 3 : 25 % de proportionnelle, listes nationales, calcul compensatoire, un seul tour, deux votes.
Dans ce système, il existe 433 circonscriptions. Le nombre de circonscriptions dans un département est donc en moyenne deux tiers du nombre actuel. Chaque candidat est associé à un parti. Les électeurs sont appelés une seule fois aux urnes, mais déposent deux bulletins dans deux urnes différentes : l’un portant sur un candidat de la circonscription, l’autre sur une liste nationale présentée par un parti. Dans chaque circonscription, le candidat qui obtient le plus de voix est élu. Une fois connu le nombre de sièges obtenus au scrutin majoritaire par chaque parti, la méthode de compensation est appliquée, de manière à s’approcher au mieux d’une représentation proportionnelle suivant la répartition des votes pour les listes nationales. Projections. Comme dans les deux précédents systèmes, nos projections suggèrent que ni en 2012, ni en 2017, ni en 2022, un seul groupe ne se trouve en situation de majorité absolue. Comme dans le système 2, en 2012, la coalition la plus probable nécessite de réunir toutes les forces de gauche et, en 2017, LREM peut espérer obtenir une courte majorité de gouvernement en réunissant un centre élargi intégrant les Verts. Mais, contrairement au système 2, en 2022, presque aucune coalition majoritaire ne se dessine sans l’ajout à une coalition Ensemble/LR (247 sièges, soit 42 sièges en-dessous de la majorité absolue), soit de voix issues de la NUPES, soit de voix issues du RN.
Système 4 : 25 % des sièges à la proportionnelle, un seul tour, votes transférables nationalement
Dans 433 circonscriptions, lors d’un unique tour, chaque électeur vote pour un seul candidat. Est élu celui qui obtient le plus de voix. Les voix qui se sont portées sur des candidats non élus sont transférées au niveau national, suivant les affiliations partisanes. Il en est de même des voix qui se sont portées sur un candidat élu au-delà de ce qui était nécessaire à son élection. Les voix nationales sont donc attribuées aux partis de la manière suivante : pour un candidat non élu localement, toutes ses voix sont comptabilisées pour son parti ; pour un candidat élu localement, on attribue à son parti le nombre de voix obtenues moins le nombre de voix obtenues par son meilleur adversaire, moins une. De cette manière l’électeur est fondé à se dire que sa voix est transférée au niveau national dès qu’elle n’est pas utilisée au niveau local. Les voies nationales déterminent l’allocation, proportionnelle entre les partis, des 144 députés supplémentaires. Dans chaque parti, sont élus les députés ayant obtenu le plus de voix localement. Ce système peut être vu comme une adaptation du système de « vote unique transférable » utilisé en Irlande et en Australie.
Projections. Contrairement à tous les autres systèmes présentés jusqu’ici, ce système 4 aboutit à une majorité absolue en 2017 au profit de LREM (qui peut même se passer du Modem). Et comme dans le système 2 et le système 3, le PS doit réunir toute la gauche pour espérer une majorité de gouvernement en 2012. En 2022 en revanche, Ensemble ne peut construire une coalition majoritaire qu’en allant chercher des soutiens soit dans les rangs de la NUPES, soit dans les rangs du RN.
Au total, le système 1 (proportionnelle intégrale par département) ne donne jamais de majorité absolue au parti dominant : 42% pour le PS et ses alliés en 2012, 35% pour REM+Modem en 2017, 28% pour Ensemble en 2022 ; il implique donc des coalitions de gouvernement larges. Le système 2 (règle additive, dose de 50%) ne donne pas de majorité absolue au parti dominant, mais peut s’en approcher si l’on considère les alliances de proximité les plus naturelles : 51% pour le PS et ses alliés en 2012, 49% pour REM+Modem en 2017, 36% pour Ensemble en 2022. Le système 3 (règle compensatoire, dose de 25%) donne 47% pour le PS et ses alliés en 2012, 45% pour REM+Modem en 2017, 32% pour Ensemble en 2022. Le système 4 (règle transférable, dose de 25%) donne 50% pour le PS et ses alliés en 2012, 64% pour LREM+Modem en 2017, 32% pour Ensemble en 2022. Le score de 64% pour LREM+Modem en 2017 (dont 57% pour LREM), qui dépasse même les résultats du scrutin majoritaire (60%) s’explique par les scores souvent très élevés des candidats LREM+Modem vainqueurs dans leurs circonscriptions et des scores élevés des candidats LREM+Modem perdants.
4. COMMENTAIRES EN FORME DE CONCLUSION
Nous recommandons l’adoption d’un système mixte avec de l’ordre de 75% des députés élus localement suivant le principe majoritaire, et 25% des députés élus suivant un principe de proportionnalité compensatoire au niveau national, soit les équilibres de départ du système 3 (cf. supra). La carte électorale est redécoupée en 430 circonscriptions de tailles similaires (avec quelques exceptions ultramarines). Chaque candidat se présente dans une seule circonscription et peut être affilié ou non à un parti. Le scrutin comporte un seul tour et le candidat qui obtient le plus de voix dans chaque circonscription est élu. Les voix non utilisées localement et qui se sont portées sur un candidat affilié à un parti sont transférées au niveau national et comptabilisées pour ce parti. A partir de ces voix « nationales » on calcule, suivant la méthode des plus forts restes et avec un seuil de 3%, l’allocation des sièges complémentaires aux différents partis. Dans chaque parti, les élus complémentaires sont les « meilleurs perdants » de chaque parti au scrutin majoritaire.
Le système proposé est adapté à la taille du pays et nous semble satisfaire trois exigences (i) Conserver le rôle du député tel qu’on le connaît aujourd’hui : un élu local représentant sa circonscription ; (ii) Former une Assemblée dans laquelle les groupes politiques sont présents à proportion de leur audience réelle dans le pays, tant pour les « grands » partis que pour des partis plus marginaux ou émergents ; (iii) Proposer aux citoyens un système simple et transparent dans lequel toutes les voix comptent et pas seulement celles qui se portent sur les vainqueurs.
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Annexes
2012, proportionnelle « intégrale », seuil de 3%, arrondi de Hare
2017, proportionnelle « intégrale », seuil de 3%, arrondi de Hare
2022, proportionnelle « intégrale », seuil de 3%, arrondi de Hare