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Les causes du vote d’extrême-droite : l’approche géographique

Les causes du vote d’extrême-droite : l’approche géographique

La progression du vote en faveur du Rassemblement national aux élections européennes puis législatives a relancé le débat sur l’analyse électorale. Quelle place faut-il accorder à la localisation géographique des électeurs dans les motivations de leurs choix ? Au-delà des situations socio-économiques, la situation territoriale est-elle une variable explicative des comportements politiques ?

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Publié le 21 novembre 2024

Élections : le renforcement de la polarisation géographique

La comparaison des récentes élections en France et aux Etats-Unis laisse apparaître un double mouvement a priori contradictoire. D'un côté, la progression du vote populiste réduit les écarts entre catégories d'électeurs, qu'on observe les revenus, les diplômes, l'âge, le sexe ou l'appartenance communautaire. De l'autre, les clivages territoriaux restent toujours apparents dans les choix électoraux. Comment expliquer que, dans les deux pays, la dimension spatiale du vote se renforce, tandis que les oppositions non-spatiales s'atténuent ?

Cet article porte sur les élections législatives de l’été 2024 en France et sur la Présidentielle étatsunienne de novembre 2024. Il vise d’abord et surtout à décrire la géographie du vote en faveur de mouvements populistes, souverainistes et xénophobes classés à l’extrême droite. Une des faiblesses courantes des études électorales récentes sur le sujet consiste à ne pas prendre le temps de la description et, sur la base d’observations superficielles, de passer à l’explication, forcément handicapée par le manque d’étai empirique.

L’analyse du premier tour des Législatives françaises bénéficie pour la première fois d’une cartographie nationale à la maille du bureau de vote, livrant des informations inédites. Dans un second temps, un travail parallèle est présenté sur l’élection présidentielle américaine, donnant à voir des résonances frappantes avec ce qui se passe en Europe, et notamment en France.

Enfin, quelques pistes explicatives seront proposées pour expliquer ce qui peut apparaître à certains égards comme un mystère : alors que les mouvements étudiés s’étendent dans la société et que s’atténuent les disparités internes à leurs électorats en matière de professions, de revenus, de diplômes, d’âge, de sexe et d’appartenance communautaire, leur distribution géographique montre des contrastes qui clivent toujours plus profondément les sociétés.

France : une extrême droite normalisée, sa géographie toujours polarisée

Les consultations électorales tenues en France en 2024 (Européennes puis Législatives) se sont caractérisées par une poussée du Rassemblement national (RN). En comparaison des 23,15 % obtenus par Marine Le Pen au premier tour de la Présidentielle de 2022, le score de 33,22 % du Rassemblement national et de ses alliées au premier tour des Législatives représente une progression de plus de 43 %. D’une élection à l’autre, le RN a acquis deux millions et demi de voix supplémentaires, alors même qu’il y avait trois millions de votants en moins. Le plus important est que cette expansion quantitative de ce parti s’est accompagnée d’une modification de la configuration de son électorat.

Un électorat qui change, mais comment ?
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Le RN a en effet bénéficié de gains particulièrement consistants dans les groupes sociaux qui étaient jusqu’alors les plus réticents à le soutenir. Les écarts se sont resserrés et les électeurs du RN, naguère socialement très typés au profit des catégories modestes et des tranches d’âge plutôt jeunes ressemblent bien plus qu’auparavant à la population française dans son ensemble. Il était donc logique d’en conclure à une « dédiabolisation » et à une « banalisation » du RN, ce qui ne pouvait à son tour que renforcer son intégration comme parti « normal » sur la scène politique.

Qu’en est-il de la géographie du vote pour ce parti ? Depuis 2002, les candidats du Front national puis du Rassemblement national ont suscité, plus que tout autre mouvement politique se présentant aux élections, des soutiens très différenciées selon les lieux. Il était donc intéressant de se demander ce qu’il était advenu en 2024 de cette distribution spatiale, assez stable depuis vingt ans. On pouvait logiquement s’attendre à ce que, en observant les groupes sociaux définis par leur espace de résidence, on aboutisse au même constat que pour les attributs non spatiaux, tels que la profession ou les revenus et qu’on observe là aussi une réduction des écarts, avec une carte beaucoup plus uniforme. C’est à cette question que l’article s’emploie à répondre.

Un maillage géographique d’une grande finesse

Pour disposer du maximum de précision, nous1 avons pris en compte les résultats au niveau du bureau de vote. Il y a en France métropolitaine environ 70 000 bureaux de vote qui correspondent à un découpage du même nombre de petites unités spatiales, les sections de vote, où résident en moyenne de l’ordre de 700 électeurs inscrits. Dans les campagnes, il y a un seul bureau par commune tandis que, dans une grande ville, il peut y en avoir des dizaines ou des centaines, avec un maximum de 900 à Paris. Jusqu’à récemment, il était nécessaire de mener une enquête laborieuse dans chaque commune pour pouvoir cartographier les sections de vote. Grâce à la mise à disposition du fond de ces données publiques dans un format commun et simple à utiliser, il est désormais possible de réaliser le fond de carte des bureaux de vote et y projeter les résultats des élections. Nous pouvons donc proposer ces cartes, inédites à l’échelle nationale, dont la « maille » (le plus petit espace où le résultat est projeté sur la carte) est la section de vote.

Les quatre cartes suivantes montrent le score du Rassemblement national, d’une part, et de l’ensemble de l’extrême droite d’autre part, à chaque fois par une carte euclidienne (homothétie des surfaces entre le terrain et la carte) et un cartogramme (proportionnalité entre les surfaces sur la carte et le nombre des inscrits dans chaque bureau de vote).

Figure 1

Figure 2

Figure 3

Figure 4

Ce que dit la carte par bureau de vote

On constate d’abord une surprenante homogénéité que seule la maille la plus fine peut rendre visible. L’autocorrélation spatiale, c’est-à-dire la probabilité d’une ressemblance entre lieux voisins ou proches est forte.  Cela signifie que, en tout cas de proche en proche, les ambiances politiques présentent une continuité remarquable. Les écarts de plus d’une classe de 10 % de voix d’un bureau à l’autre sont très rares. L’hypothèse que, dans une commune de banlieue, les « cités » de HLM et les quartiers de pavillons voteraient de manière très divergente et que ces contrastes seraient occultés par les moyennes communales ne se vérifie pas lorsqu’on observe les résultats par bureau. C’est clairement le cas à Paris (figure 5) et dans la plupart des grandes villes où les contrastes à micro-échelle sont exceptionnels. En dépit de sa grande diversité de populations et de configurations communales, l’est de la Seine-Saint-Denis, présente d’Aulnay-sous-Bois à Noisiy-le-Grand, des attitudes très similaires face à l’extrême droite.

Figure 5

On retrouve des situations comparables dans les autres grandes villes. Comme à Paris, à Lyon, à Toulouse, à Bordeaux ou Strasbourg, à mesure qu’on passe du centre aux banlieues et des banlieues au périurbain, le soutien à la mouvance du RN progresse très clairement, avec, sauf rares exceptions, des seuils bien lisibles. À Lille, la pluricentralité (avec Roubaix, Tourcoing et Villeneuve d’Ascq) multiplie le modèle sans le remettre en cause. C’est moins vrai à Marseille où, outre le partage de la centralité avec Aix, le péricentre marseillais (figure 6), où la frontière marquée entre le centre-ville et les banlieues se brouille au nord (dans les 13e et 14e arrondissements, à l’est des quartiers Nord) et à l’est (10e, 11e et 12e arrondissements). On rencontre là des configurations en mosaïque avec de forts contrastes d’un quartier à l’autre.

Cela évoque les modèles « à noyaux indépendants » tels qu’on les rencontre dans certaines villes nord-américaines : des tonalités socio-politiques se juxtaposent, sans ordre apparent et sans transition, créant d’un îlot à l’autre des contrastes spectaculaires.

Il s’agit là clairement d’exceptions en France, où c’est au contraire le modèle radial qui domine sans conteste, laissant relativement peu de place au troisième modèle, celui par « secteurs », qui crée des homogénéités du centre à la périphérie selon une orientation donnée (par exemple vers l’est ou vers l’ouest) à partir du centre historique. C’est bien un modèle par secteurs qui a dominé en matière de catégories sociales dans de nombreuses villes du Monde au xxe siècle. Ainsi les quartiers « populaires » se trouvent plutôt au nord-est à Paris – centre et banlieues —, à l’est à Lyon et au nord-ouest à Marseille et c’est l’inverse pour les quartiers aisés. Ce processus ne se retrouve pas, plus loin du centre, dans les zones périurbaines, qui présentent un anneau socio-économiquement beaucoup plus homogène. En tout cas, que l’on se trouve au centre, en banlieue ou dans le périurbain, le vote pour l’extrême droite suit clairement une logique concentrique. C’est d’autant plus significatif que l’alliance du RN avec des « transfuges » des LR, d’une part, la présence d’autres mouvements d’extrême-droite manifestant au départ une sociologie électorale différente, auraient pu infléchir la géographie de cette famille politique, notamment dans le détail des quartiers. Ce n’est pas ce qu’on observe, ce qui semble signifier un certain ancrage du vote d’extrême droite dans certains types d’espaces d’échelle supérieure à celle d’un petit quartier.

Figure 6

Une correspondance confirmée avec les gradients d’urbanité
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Si l’on s’intéresse maintenant à des agrégats plus consistants, que peut-on dire de la géographie du vote d’extrême droite ? Nous avons regroupé les votes selon seize situations (appelés gradients d’urbanité) qui combinent la taille de l’aire urbaine et la position dans ou par rapport à l’aire urbaine2. Chaque aire urbaine comprend un centre, des banlieues et une « couronne » périurbaine. La dernière classe est constituée par les communes hors-aire urbaine. Les tableaux (figures 7 et 8) montrent la répartition par gradients pour le RN seul et pour l’ensemble de l’extrême droite. On y constate un rapport de 4,5 (36 contre 8) entre les gradients les plus écartés pour le RN seul.

Si l’on réduit les classes à huit en partant du principe qu’une perte en position est équivalente à une perte de taille, on retrouve les mêmes disparités. Cela signifie que la configuration du vote est très différenciée selon les lieux, même avec des agrégats très consistants. On note tout de même que le périurbain parisien donne au RN des scores plus importants qu’on ne pourrait s’y attendre en fonction du modèle d’équivalence taille/position. Dans ce cas, la perte de position joue davantage que la perte de taille, allant dans le sens d’une convergence de l’ensemble du périurbain, quelle que soit l’aire urbaine de référence. Cela se traduit par des diagonales homogènes. Par exemple, sur la figure 7, les résultats du RN dans l’ensemble des centres des aires de moins de 50 000 habitants (34%), dans l’ensemble des banlieues des aires de 50 000 à 200 000 habitants (37%) et dans l’ensemble du périurbain des aires de 200 000 à 700 000 habitants (35%) sont proches.

La comparaison entre le score du RN seul et celui où le reste de l’extrême droite lui a été adjoint, montre une progression assez homogène : la mouvance élargie en tire des bénéfices dans tous les types de situations. L’apport des autres courants d’extrême droite se traduit par des scores plus importants partout, et apporte un peu davantage dans les zones centrales ce qui fait un peu baisser le contraste à 3,6 (43/12) au lieu de 4,5. On peut y voir l’apport de secteurs de la population qui votaient jusqu’à présent pour des partis de gouvernement et avaient donc une distribution géographique différente. Les écarts demeurent toutefois très supérieurs, on va le voir, à ceux des éléments non géographiques du profil des électeurs.

Figure 7 – La distribution du vote en faveur du Rassemblement national par gradient d’urbanité (Législatives 2024, France, premier tour).

Figure 8 – La distribution du vote en faveur de l’extrême droite par gradient d’urbanité (Législatives 2024, France, premier tour).

Entre 2022 et 2024, tout a changé, sauf la géographie

Il était intéressant de comparer le score du RN aux Législatives de 2024 avec celui de Marine Le Pen au premier tour de la Présidentielle de 2022. La configuration était très similaire, avec des valeurs moyennes un peu plus faibles mais des écarts encore plus forts (1/5) entre les situations extrêmes. La carte du vote FN puis RN n’a pas significativement changé depuis 2002.

Figure 9 – La distribution du vote en faveur de Marine Le Pen par gradient d’urbanité (Présidentielle 2022, France, premier tour).

La dimension régionale se maintient elle-aussi, la France industrielle et méditerranéenne restant la zone de force de l’extrême droite. La carte régionale nous donne une idée de la France fordiste, celle qu’on dépeint souvent comme étant en crise. Mais les grandes villes n’en font pas partie, sauf celles comme Marseille, Toulon et Perpignan ainsi que les bassins industriels, qui présentent par ailleurs un déficit d’urbanité marqué.

Cette stabilité géographique (10% seulement de diminution des écarts) est d’autant plus impressionnante que, du côté des attributs non spatiaux des électeurs, la diminution du rapport entre les écarts maximaux porte sur le tiers de l’écart. Au premier tour de la Présidentielle de 2022, Marine Le Pen avait en effet obtenu plus de trois fois plus de voix chez les ouvriers (35%) que chez les cadres (11%) et près de trois fois plus chez les non-bacheliers (34%) que chez les diplômés à bac≥3 (12%)3. En 2024, c’est 51/24 entre ouvriers et cadres (on passe d’un rapport de 3,2 à 2,1) et 45/20 entre non-bacheliers et bac≥3 (de 2,8 à 2,25)4.

Le rapport entre les situations géographiques les plus contrastées résiste à 4,5 (36/8) contre 5 (30/6) en 2022 alors que, sur toutes les autres variables : âge, sexe, revenu, mais surtout catégorie professionnelle et diplôme, le resserrement est spectaculaire.

Autrement dit, de 2022 à 2024, la disparité géographique de l’électorat se maintient presque intacte malgré le très net élargissement de l’électorat en proportion des exprimés : 23,15% pour Marine Le Pen en 2022, 33,22% pour le RN et ses alliés, soit une augmentation impressionnante de 43,5%. La stabilité de la polarisation géographique n’en est que plus frappante et ce triple mouvement (vote d’ensemble, attributs non spatiaux, attributs spatiaux) dément s’il en était encore besoin l’idée que la dimension géographique du vote ne serait que la projection d’autres réalités (voir 3e partie). La normalisation des idées et du vote en faveur de l’extrême droite touche les groupes socio-économiques mais laisse ses groupes spatio-politiques très polarisés. En termes relatifs, c’est donc à une croissance de la disparité entre configuration non spatiale et configuration spatiale.

États-Unis : un espace toujours plus clivé

La victoire de Donald Trump à l’élection présidentielle étatsunienne du 5 novembre 2024 a été nette. Pour la première fois depuis 2004, les électeurs ont donné une majorité « populaire » au candidat républicain (50,2 contre 48,2 %). On peut rendre compte de ce qui s’est passé entre 2020 et aujourd’hui par une démobilisation spectaculaire des démocrates, qui perdent près de huit millions et demi de voix tandis que Trump en gagne un million et demi. Au-delà des effets d’usure qui désavantagent les sortants et des spécificités de cette campagne électorale, on peut chercher à identifier les éléments représentatifs d’une dynamique profonde portant sur la sociologie des électorats et plus spécifiquement sa composante géographique.

Idées reçues sur la géographie politique des États-Unis

Pour éviter les fausses pistes, prenons le temps d’un examen critique sur ce qui se dit couramment sur la géographie électorale des États-Unis en discutant quelques-unes des idées reçues sur le sujet.

Une stabilité séculaire des grandes régions politiques ?

Non.
La Virginie occidentale, l’Ohio ou la Floride ont longtemps été des terres démocrates, le Vermont ou la Virginie, sans parler de la Géorgie et de l’Arizona, plus disputées, des fiefs républicains. Le Vieux Sud a été démocrate jusqu’à Kennedy avant de devenir massivement républicain.

En fait, ce n’est que récemment (en gros depuis 2000), que la géographie actuelle se met en place.

Une opposition littoral/intérieur ?

Non.

La carte électorale par États peut donner l’impression que les côtes votent démocrate et l’intérieur, républicain. Ce n’est vrai que pour autant qu’il y a des grandes villes sur les littoraux et seulement des petites loin des océans, ce qui n’est pas la réalité.

Les États côtiers du Texas, de Louisiane, du Mississipi, d’Alabama et de Caroline du Sud sont des fiefs républicains. Les États intérieurs du Colorado, du Nouveau-Mexique, du Minnesota, de l’Illinois sont des places fortes démocrates.

Les États disputés depuis quelques décennies peuvent tout aussi bien être maritimes (Caroline du Nord, Géorgie), que terriens (Michigan, Wisconsin, Arizona, Nevada).

Les choses importantes se situent à une échelle plus fine, comme on va le voir.

Un espace « rural » conservateur ?

Oui et non.

Pour répondre à cette question, il faut d’abord définir le « rural ». L’espace républicain n’est plus peuplé d’agriculteurs (1,2% de la population active) et d’habitants des villages. Sur les 334,92 millions d’habitants résidents aux États-Unis en 2023, 288,9, soit 86,3 % résidaient dans les 387 aires urbaines dont le pôle central comptait au moins 50 000 habitants (MSA).

S’y ajoutent les 28,1 millions d’habitants (8,4 %) résidant dans les aires urbaines dont le pôle compte entre 10 000 à 50 000 habitants, ce qui fait un total de 94,64%.
Il ne reste que 17, 917 (5,4 %) millions de personnes qui vivent hors des aires urbaines. Ces chiffres sont tout à fait comparables à ce que l’Insee mesure pour la France. Le problème est moins l’opposition rural/urbain, devenue obsolète, que la position dans l’urbain et la taille des aires urbaines.

Même si les configurations spatiales du peuplement de l’Amérique du Nord diffèrent en partie de celles de l’Europe, avec notamment un poids de la Suburbia, une banlieue continue mais parfois très lâche dont les franges extérieures ressemblent au périurbain européen et que, par ailleurs, il existe d’immenses zones très peu habitées comme le Empty Quarter dans le nord-ouest intérieur des États-Unis , les grands équilibres sont très similaires entre centres et marges, métropoles, villes moyennes et grandes villes, ainsi que des habitats éloignés des villes extrêmement minoritaires.

Une géographie politique prédéterminée par le vote communautaire ?

De moins en moins nettement car les communautés à définition ethnique s’effritent.

Washington DC a une forte population noire et vote massivement démocrate, mais les États du Deep South, qui ont des proportions d’Afro-Américains bien supérieures à la moyenne nationale (12 %) – jusqu’à 38% dans le Mississipi – votent tous très majoritairement républicain. Inversement, les démocrates font d’excellents scores dans les États du Vermont, du New-Hampshire, du Maine, de l’Oregon et de Washington, où les Noirs sont presque absents.

Quant aux personnes d’origine « hispanique » (latino-américaine), qui représentent environ 20 % de la population, elles ont traditionnellement un penchant démocrate, qui peut cependant s’inverser lorsqu’elles sont originaires de pays à régime communiste ou assimilé comme Cuba, le Venezuela ou le Nicaragua. Les États où elles représentent la part la plus importante sont le Nouveau-Mexique (48 %) et le Colorado (22 %), qui votent démocrate, le Texas (39 %) et la Floride (27 %) qui votent républicain et le Nevada (29%) qui hésite…

Le phénomène majeur de ces dernières années est la prise de distance d’un nombre croissant d’Américains vis-à-vis des identifications ethno-raciales. Cette dynamique s’est confirmée en 2024.

Au recensement de 2020, 10,2 % des individus se sont déclarés multiraciaux et 8,4 % ont récusé toutes les catégories proposées, soit au total 62 millions d’individus inclassables. Or ce phénomène progresse d’un recensement à l’autre et, par ailleurs, le mouvement hostile à la réserve de postes par communauté (« affirmative action ») est devenu à ce point légitime qu’il n’est plus vraiment contesté par les démocrates. Barack Obama comme Kamala Harris ont refusé de se définir par une affiliation raciale.

L’érosion des alignements identitaires

Les sondages sortie-des-urnes permettent de se faire une idée des votes selon les catégories sociales habituelles et de comparer ces résultats à ceux des élections précédentes.

Dans l’ensemble, les écarts se sont resserrés et, comme l’avait prévu à l’issue d’une analyse précise Marc-Olivier Padis5,  les « Hispaniques » votent de manière similaire au reste de la population. La comparaison 2024/2020/2016 montre un affaiblissement général des polarisations par communauté et plus généralement par catégorie d’âge, de sexe, de revenus ou de diplômes.

La figure 10, issue d’une étude comparative de trois élections6, donne une vision graphique de ces dynamiques

Figure 10

Le critère du diplôme s’est aussi légèrement atténué par rapport à 2020 et même à 2016.

La catégorie des Afro-Américains reste polarisée sur le vote démocrate. C’est chez les femmes noires et les Noirs âgés que les démocrates se détachent le plus. C’est moins net chez les jeunes et chez les hommes.

Le cas des femmes est d’autant plus remarquable que la question de l’avortement a occupé une part significative des discours de Kamala Harris et que l’on pouvait s’attendre à un gender gap croissant, c’est-à-dire à une divergence des votes entre hommes et femmes. C’est le contraire qui s’est produit. Trump a comblé une partie de son déficit chez les femmes.

Trump a particulièrement progressé dans les catégories où il était le plus faible en 2016 et 2020. Il a obtenu ce résultat moins en gagnant de nouveaux électeurs qu’en bénéficiant de la moindre mobilisation des électeurs démocrates. Il gagne par 75 contre 71 millions de voix alors que, en 2020, il avait perdu par 81 contre 74. Parmi les dix millions de voix perdues par le camp démocrate, beaucoup venaient de « minorités » et leur défaut a contribué à resserrer les écarts. C’est donc un échec marqué pour le projet d’une Rainbow Coalition qu’avait cherché à construire le Parti démocrate depuis quelques décennies. D’une part, l’idée qu’on se faisait du bilan socio-économique du mandat de Joe Biden, a transcendé les barrières communautaires, d’autre part, dans le contexte du conflit au Proche-Orient, il s’est révélé difficile pour Harris de rassembler à la fois les juifs, plutôt pro-israéliens, d’un côté, les électeurs issus du monde arabe et les étudiants, mobilisés pour la Palestine, d’autre part. Cette addition de groupes qui pouvait, sur le papier, produire des majorités de plus en plus écrasantes au profit des Démocrates, s’est transformée en soustraction. Cette stratégie a livré le parti démocrate à la logique identitaire de l’extrême gauche qui au nom de l’antiracisme et de l’antisexisme a plutôt développé un communautarisme néo-réactionnaire agressif n’hésitant pas, en pratique, à flirter avec le racisme et le sexisme. Coincés dans une démarche qui aboutissait à remplacer les valeurs progressistes (en anglais : liberal) par des normes de la pureté identitaire et minés par les effets collatéraux de la concurrence victimaire, les Démocrates se sont enfermés dans un piège inextricable. Après le crédit trompeur, de 2020, les Démocrates doivent maintenant payer l’addition comptant7.

Le renforcement des disparités géographiques

Dans ces circonstances, il aurait été logique de voir les écarts géographiques suivre la tendance observée sur les variables non spatiales évoquées plus haut. Il n’en a rien été. La carte suivante (figure 11), qui montre les résultats par comté, est sans équivoque. Les situations qu’on connaît depuis 2000 se sont clairement reproduites. Les zones centrales des grandes villes votent massivement démocrate (80/20 dans les plus grandes), les villes moyennes sont partagées, les zones les moins urbanisées votent symétriquement républicain (souvent à entre 80/20 dans l’autre sens).

L’exemple du Wisconsin (figure 12), un « État-pivot » où Trump l’a emporté de peu (49,7 contre 48,8 à Harris), offre un exemple modéré de ce type de configuration spatiale.

Figure 11

The New York Times, 14 novembre 2024.

 

Figure 12 – Vote et gradient d’urbanité dans le Wisconsin (Présidentielle 2024).

The Daily Wonder, 7 novembre 2024.

Le travail présenté ci-après a consisté à synthétiser la situation de chaque État en fonction d’un critère unique, le taux de métropolisation, c’est-à-dire la part de sa population résidant dans une aire urbaine8 de plus d’un million d’habitants (sauf dans les États isolés de l’Alaska et d’Hawaï où le seuil a été abaissé à 500 000 résidents).

Le tableau (figure 13) montre la mise en relation entre, d’une part, le vote en 2020 et en 20249 par État et, d’autre part, le classement des États selon leur part de population métropolitaine.

On observe une relation nette entre ces deux informations aux deux dates, avec un léger renforcement entre les valeurs maximales en 2024, où, avec 1,94, on n’est pas loin d’un rapport de un à deux. On note que la classe la moins métropolisée qui regroupe huit États où dominent un réseau de villes petites et moyennes, s’écartent de la progression du vote démocrate observé sur les autres groupes d’États. Parmi eux, le Maine et le Vermont ont voté massivement démocrate aux deux élections et déplacent la moyenne de ce groupe. Est-ce lié à la situation géographique de ces États, dans cette Nouvelle-Angleterre particulièrement attachée aux valeurs de la république démocratique ?

Figure 13 – Vote et taux de métropolisation en 2020 et 2024.

On peut tenter de répondre à cette question par ces deux graphiques (figures 14 et 15) qui prennent en compte deux nouvelles informations : la taille démographique des États et leur localisation dans une région (Nord-Est, Vieux Sud, Midwest, Rocheuses, Pacifique et Extérieur10).

Figure 14 Vote Biden 2020, métropolisation, taille de l’État et région.

 

 

Figure 15 – Vote Harris 2024, métropolisation, taille de l’État et région.

Dans l’ensemble, ni la taille des États, ni la région (indiquée par la couleur des cercles) ne jouent un rôle significatif. La linéarité de la relation vote/métropolisation est en revanche bien visible dans les deux élections pour un bloc regroupant quarante-sept États (ceux dont les cercles sont situés à l’intérieur de l’ellipse) et l’immense majorité de la population du pays.

Par ailleurs, les États très peu urbanisés confirment leur singularité, où qu’ils se trouvent. À y regarder de près, on constate que, dans les trois de ces États (Vermont, Maine, Iowa) qui donnent des résultats favorables ou relativement favorables aux Démocrates, c’est simplement que ce sont des villes plus petites qui constituent le point fort de ce vote : 85 % à Burlington (aire urbaine de 288 000 habitants) dans le Vermont, 80 % pour Harris à Portland (680 000), dans le Maine, et 55% à Des Moines (918 000) dans l’Iowa. L’opposition grande ville/reste du territoire y fonctionne donc aussi. Il aurait suffi de leur appliquer le correctif d’isolement retenu pour Hawaï et l’Alaska pour es faire entrer le Maine et l’Iowa dans l’ellipse.

À l’inverse, avec moins de 700 000 résidents, Washington (DC) ne représente que la petite zone centrale (moins de 7 %) d’une aire urbaine de plus de dix millions d’habitants. Son score de 92 % en faveur de Harris se rapproche des 82% de Manhattan et relève d’une autre logique, intra-urbaine, que celle des États aux agencements plus divers : ainsi, l’État de New York, où se trouve Manhattan, n’a donné que 56 % de ses voix aux Démocrates.

On constate enfin que, en termes de configuration spatiale, les changements entre 2020 et 2024 sont très faibles, n’affectant pas la structure de la distribution. C’est l’information la plus spectaculaire : les mouvements importants affectant à la fois le nombre d’exprimés pour chaque candidat et les écarts entre catégories sociales non spatiales par rapport à 2020 ne trouvent pas de résonance dans la carte de 2024, dont les contrastes se renforcent encore, à un niveau bien plus élevé que celle des différences entre presque toutes les catégories sociales à définition non spatiale (âge, sexe, groupe ethnique, revenu, diplôme). On observe donc une grande solidité des groupes politico-spatiaux, c’est-à-dire d’agrégats à définition géographique qui partagent la même orientation politique. Comment expliquer ce phénomène ?

Ce que dit la géographie de la politique

Les données géographiques utilisées dans cette double enquête ne sont ni des sondages, ni des corrélations. Ce sont des mesures directes des électorats, simplement classées dans des « boîtes » géographiques. Les résultats sont implacables : dans les deux pays, la dimension spatiale du vote se maintient et même se renforce en termes relatifs, puisque, simultanément, les oppositions non-spatiales s’atténuent. Elles ne sont pas seules : dans tout l’Occident11, ces dynamiques se font sentir, pèsent et prospèrent. Comment expliquer ce phénomène ?

 

Les fausses pistes de la corrélation

La plupart des observateurs ont noté dans de nombreux pays l’apparition et le renforcement des nouvelles géographies du vote que les gradients d’urbanité permettent de décrire clairement. En France, cependant, plusieurs auteurs ont cherché à convaincre, depuis de nombreuses années (voir notamment les multiples interventions sur ce thème d’Olivier Bouba-Olga, Éric Charmes ou Jean Rivière), que les différenciations spatiales n’étaient que le résultat de la projection dans les lieux d’attributs non spatiaux comme la profession ou les revenus. Pour parvenir à cette conclusion, ils ont recouru à des corrélations entre le vote et des caractéristiques socio-économiques des résidents à la même maille, comme la commune ou le département.

Rappelons qu’une corrélation (simple ou multiple) consiste à comparer les écarts à leur moyenne de séries de données distinctes. La variation conjointe de deux séries ne permet en aucun cas d’inférer que les informations (comme le vote) fournies par une des séries ne soient la conséquence d’une autre information. Même si la corrélation est forte entre les deux séries, cela peut être le résultat d’une simple coïncidence entre des processus distincts ou la conséquence de l’action d’un troisième élément agissant conjointement sur les deux phénomènes qu’on résume par les deux séries prises en compte. Depuis 1950, l’absence de prise en compte de cette réalité a engendré des biais interprétatifs qui ont été identifiés sous le nom de ecological fallacy, « illusion environnementale ». Récemment12, on a pu constater que la distribution géographique des votes en faveur de Jean-Luc Mélenchon à l’élection présidentielle de 2017 pouvait être fortement corrélée avec la présence d’une grande proportion d’ouvriers dans ses zones de force. Cependant, grâce aux sondages, on savait que la pénétration de ce candidat dans le monde ouvrier était faible. Comment était-ce possible ? Simplement parce que Mélenchon attirait particulièrement des électeurs non ouvriers résidant dans des quartiers où vivaient, par ailleurs, beaucoup d’ouvriers. L’erreur consiste à attribuer à un environnement social général l’action de certains des opérateurs évoluant dans cet environnement, d’où le terme d’ecological fallacy.

La naïveté méthodologique consistant à prendre des séries corrélées pour un couple cause-effet a fait l’objet de nombreuses plaisanteries. De nombreux sites, animés par des chercheurs se sont spécialisés dans ces spurious correlations (« corrélations fallacieuses ») telles que lien, sur des séries temporelles, entre la popularité du prénom Sarah aux États-Unis et la déforestation au Brésil ou entre la consommation de margarine par les Américains et le taux de divorce dans l’État du Maine. A contrario, cela ne fait que renforcer la nécessité de prendre la corrélation pour ce qu’elle est : une question et non une réponse, et à en tirer, selon les cas soit une absence de sens, soit un sens possible13, qui reste à identifier.

À ce biais méthodologique, s’ajoute un possible biais démographique. De nombreuses corrélations entre vote et catégories sociales ne s’intéressent qu’aux actifs : on compare le score d’un parti chez les ouvriers ou les cadres en oubliant que parmi les électeurs, les actifs n’en représentent qu’une partie. En France, il y a, parmi les 51 millions d’électeurs potentiels et, si on passe de l’électorat potentiel aux inscrits puis aux votants, le poids des inactifs, notamment les retraités, voient leur poids augmenter nettement. Si on considère les dernières Législatives, marquées par une participation plutôt élevée, on constate que les votes exprimés au premier tour (32 millions) sont d’un ordre de grandeur comparable à celui des non-actifs majeurs auxquels s’ajoutent les chômeurs, soit 25 millions de personnes non classables dans une catégorie socioprofessionnelle. On comprend que faire des déductions par corrélation uniquement à partir de ces catégories n’a plus guère de sens : il serait en effet tout à fait possible que, dans de nombreuses communes, une infime minorité d’actifs se retrouve parmi les électeurs, ce qui rendrait une corrélation du vote avec la composition des actifs pas seulement trompeuse mais totalement absurde.

On constate enfin dans l’usage des analyses électorales par corrélation un troisième biais, conceptuel et typiquement français, consistant à donner la priorité aux attributs socio-économiques des individus, le reste étant considéré comme un « résidu ». Le message est le suivant : en principe, c’est le découpage en « classes » qui doit « expliquer » le vote et, si ça ne marche pas, il y a un problème. Le problème existe en effet, mais plutôt dans les orientations théoriques des auteurs de ces études.

Pourquoi, en effet, vouloir toujours ramener les résultats à des agrégats définis par une sociologie structuraliste fondée sur des hiérarchies économiques ou économico-culturelles ? Il se trouve qu’aujourd’hui, en matière électorale, les principales différences d’orientations politiques se manifestent entre des groupes à définition géographique. Ce ne sont pas les mêmes groupes que les classes marxiennes, mais ce sont bien des groupes sociaux, ici plus précisément des groupes socio-politiques. On constate d’ailleurs, que hors de France, où ce type de conception est moins présent, la tentative de réduire la géographie politique à une sociologie déspatialisée apparaît peu dans les études. Les observateurs notent, élection après élection, que la dimension spatiale du vote s’installe et se renforce. Ils se laissent déranger par le réel et cherchent à l’expliquer plutôt qu’à en nier l’existence. Au point que, même dans la mouvance intellectuelle d’inspiration marxiste, il est désormais questions de « classes géo-sociales »14, tandis que les analyses électorales assument de plus en plus souvent l’impossibilité de réduire mécaniquement le géographique au socio-économique15.

Construire une démarche explicative

Soyons attentifs à ne pas dépolitiser le vote. Voter est un acte et vouloir réduire le vote à des informations qui ne relèvent pas de la politique doit se faire avec précaution, en évitant de (se) faire croire que les orientations politiques seraient fongibles dans telle variable sociologique. On a ainsi vu depuis quelques décennies des variations fortes et rapides, portant, en gros, sur la même population, en matière de profession ou de classes d’âge. C’est un bon antidote à la tentation d’attribuer à un groupe des tendances politiques « structurelles » (comme l’idée que  les vieux seraient structurellement conservateurs, ou les ouvriers structurellement révolutionnaires). Si ce genre d’approximation a été utile autrefois (ce qui d’ailleurs peut se discuter), ce n’est clairement plus le cas de nos jours.

Cela étant, quand les groupes politiques ont une construction géographique, cela ne les rend ni rigides, ni définitifs. D’où la surprise et l’intérêt de constater que des cartes électorales qui ont plus de vingt ans se reproduisent, permettant une modélisation16 qui se révèle robuste : les partis populistes nationalistes et xénophobes réussissent d’autant mieux, toutes choses égales par ailleurs, que la ville est petite et qu’on s’éloigne de son centre.

Cela ne signifie nullement que, pour un individu donné, se construirait une allégeance à un lieu qui soit comparable à ce qu’a pu être une allégeance à une « classe sociale » ou à une communauté ethnique. Ce serait un contre-sens de se représenter les rapports sociaux (y compris spatiaux) comme faits de blocs stables et contraignants. Il faut au contraire se situer dans un univers politique fluide, où chaque citoyen se pose à chaque fois qu’il s’agit de faire un choix une question ouverte. Cela signifie aussi que la composante proprement politique d’une décision politique ne doit surtout pas être oubliée. Si je fais tel choix, ce n’est pas parce que je suis quelqu’un qui ne pourrait pas prendre une autre décision, mais parce que, tel que je suis dans toutes les dimensions de ma personnalité sociale, je réfléchis, je délibère et je tranche. On a ainsi vu plusieurs États où les électeurs ont voté de manière différente pour la Présidentielle (par exemple pour Trump) et pour des référendums portant sur un enjeu précis (par exemple pour garantir le droit à l’avortement). Et cela s’applique aussi aux orientations politiques qu’on peut juger irrationnelles comme celles qui soutiennent les mouvements populistes. Leur succès ne signifie pas que les électeurs choisiraient sans réfléchir ou transfèreraient directement, sans réflexion spécifique, dans le registre politique une expérience acquise dans autre registre (le travail, la famille, la vie quotidienne, etc.). Les informations que nous possédons sur les individus, spatialités comprises, constituent des ressources pour répondre à la question : « Pourquoi ces citoyens ont opté pour tel choix politique plutôt que pour un autre ?», ni plus ni moins.

Il faut donc être prudent lorsqu’on pense expliquer le vote par des variables de profil qui laissent penser à un effet mécanique des conditions socio-économiques sur les opinions politiques. Il faut aussi se méfier des explications fondées sur des « ambiances » sociales construites par addition d’informations hétérogènes et exprimées en des indices composites qui mettent sur le même plan des phénomènes objectifs de nature différente (du type « immigration-pauvreté-insécurité ») qui s’ajouteraient pour préformer l’opinion17 des habitants concernés. Si l’on revient à une approche l’analytique, ce genre d’approximation peine à tenir la route.

Ainsi l’idée courante est que les électeurs des partis xénophobes seraient exposés à la forte présence des immigrés et réagiraient logiquement à cette exposition. Pourtant, comme c’est connu et confirmé18, la population immigrée est plus concentrée que la population non-immigrée tout particulièrement ceux, Maghrébins et Subsahariens, qui sont considérés comme un problème par une partie des citoyens. On compte aujourd’hui en France près de 7 millions d’immigrés, soit plus de 10 % de la population totale. Or 90% des immigrés résident dans l’espace des grandes aires urbaines, dont 79 % dans les grands pôles urbains. La concentration la plus importante se situe dans l’aire urbaine de Paris, qui regroupe 38 % de la population immigrée du pays (contre 17 % de la population non immigrée). Dans les grands pôles (centre et banlieue) se trouvent 79 % des étrangers contre 57% des non-immigrés.

Inversement, le périurbain se caractérise par une faible présence des immigrés, y compris dans l’aire urbaine de Paris où pourtant ils sont nombreux. Le périurbain, c’est aussi là où vivent le moins de pauvres19. Dans les villes grandes ou moyennes (centres et banlieues), le taux de pauvreté est, en gros, deux fois plus élevée que dans les « couronnes » périurbaines de ces villes : 22,2 % contre 10,9 dans les aires urbaines de 50 000 à 200 000 habitants ; 21,3 contre 11,2 dans les aires urbaines de 200 000 à 700 000 habitants ; 19,4 contre 9,5 dans les aires urbaines plus de 700 000 habitants ; et 17,3 contre 9,8 dans l’aire de Paris. Par ailleurs, dans toutes les tailles d’aires urbaines, les revenus médians sont plus élevés dans le périurbain que dans le bloc centre + banlieue.

Autrement dit, le monde de l’immigration et de la pauvreté, c’est avant tout et de très loin les quartiers pauvres des grandes villes alors que c’est là que le RN fait, depuis plus de vingt ans, ses plus mauvais scores. Les indicateurs départementaux peuvent ici être trompeurs car ils correspondent, dans le cas des villes moyennes, à des espaces dont une partie à un indice très haut (la zone centrale) et d’autres au-dessous de la moyenne. D’où parfois des approximations trompeuses. En tout cas, le modèle contre-intuitif proposé par Hervé Le Bras depuis 2002 se vérifie d’année en année : les étrangers se trouvent à l’intérieur des villes, les xénophobes à l’extérieur.

L’explication du vote RN par l’exposition à l’immigration et à la pauvreté n’a donc tout simplement aucun fondement factuel… sauf si l’on considère que cette « exposition » inclut les imaginaires, les craintes, les angoisses, qui voyagent parfois à la vitesse de la lumière. Mais l’on sort alors d’une explication par l’environnement immédiat ou les pratiques de proximité, pour passer à la relation entre psychisme et politique, à une psychopolitique qui exige des observations et des analyses rigoureuses. Pour appréhender les choix politiques, il faut se situer sur le terrain de la politique et de ses acteurs principaux : les citoyens.

La géographie politique par les spatialités des citoyens-habitants

Si l’on veut essayer de comprendre les phénomènes qui ont été décrit dans ce texte, trois caractéristiques élémentaires des sociétés contemporaines peuvent servir de base au raisonnement.

1. Dans les sociétés d’individus, deux phénomènes différents se renforcent mutuellement : d’une part, les allégeances communautaires à des groupes définis par des fondements biologiques (sexe, âge, ethnie, race…), territoriaux (local, région, pays…), religieux (Églises, sacralités), étatiques (nation, empire) ou de « classe » (prolétaires/bourgeois, ouvriers/paysans…) s’affaiblissent ; d’autre part, la cohésion communautaire elle-même, qui permettait une relation mécanique entre appartenance et choix politique (alignment) se distend. Il en résulte que les individus émergent comme acteurs et notamment comme acteurs politiques, donnant corps à la notion de citoyen, longtemps restée abstraite. La prétendue « volatilité » de l’électorat, c’est simplement sa liberté enfin conquise.

2. Ces individus tendent à devenir acteurs, tactiques mais aussi stratégiques, de leur vie dans un monde en mouvement rapide. Ils peuvent décider d’entrer en résonance avec ce mouvement et chercher à constituer un capital de flux, porteur de capacités elles-mêmes mouvantes, d’assumer le projet de se construire en se changeant, et pour y parvenir, de s’exposer volontairement à toutes sortes d’altérités. Celles-ci procèdent par immersion dans un environnement divers et rendent possibles grâce à la sérendipité des curiosités, des opportunités et des horizons. Les individus peuvent au contraire s’employer à accumuler un capital de stock constitué par exemple d’argent, de diplômes, d’une famille inébranlable, d’un métier et d’un emploi censés résister à la démonétisation à l’échelle de leur vie. Ils peuvent alors exprimer leur « colère » ou leur « sentiment d’abandon » à chaque fois que les messages venus du monde extérieur leur suggèrent de modifier leurs principes et leur style de vie. Ils peuvent éprouver la sensation que leurs choix sont menacés par la suprématie, en termes de ressources et de légitimité, du capital de flux sur le capital de stock.

Ces deux options, dont la combinaison peut donner lieu à de nombreux choix intermédiaires, dépendent de conditions préalables et de la dotation initiale des personnes en capitaux économiques, culturels, spatiaux, relationnels, psychiques…. Néanmoins, en permanence, cette question se pose à des degrés divers à tous les membres des sociétés développées et au-delà à presque tous nos contemporains, des plus démunis aux mieux dotés.

3. Enfin, ces individus ont acquis, grâce à la mobilité et à la télecommunication, des libertés spatiales nouvelles qui leur permettent, à moyens constants, de choisir les localisations et les modalités de leur habiter. Ils subissent des contraintes diverses, notamment économiques, mais l’immense majorité d’entre eux, dans les pays développés, peut effectuer des arbitrages portant sur des éléments qui comptent à leurs yeux, parmi lesquels : le type de ménage et de relations interpersonnelles, le logement (localisation, taille, type, statut d’occupation), les modes de déplacement, préférence donnée à l’espace public ou privé pour les interactions avec le monde extérieur. Ce sont des choix stratégiques majeurs et il n’est pas étrange qu’ils entrent en écho avec des choix politiques.

Ces trois points permettent de relier le géographique et le politique. Dans l’esprit d’un double mouvement de décommunautarisation et d’augmentation du poids relatif du capital de flux, il est logique que les groupes choisis prennent de l’ascendant sur les groupes imposés. Bénéficier d’une politique de quotas parce qu’on appartient à un groupe plutôt qu’à un autre, cela devient de plus en plus insupportable à mesure que l’on s’assume comme acteur de son existence, ce qui explique que beaucoup parmi les « minorités » (en particulier chez les « Hispaniques ») qui bénéficiaient de l’affirmative action dans les universités américaines se soient félicités de son abandon20.

De fait, plus le groupe au sein duquel on analyse le vote est un groupe choisi plutôt qu’imposé, plus il est prédictif du vote. Le choix du lieu de résidence est à la fois stratégique à l’échelle de la vie des individus et, grâce aux libertés spatiales, générateur d’un groupe choisi. Dans le cas du RN, parmi les questions posées, c’est le niveau de diplôme, un élément qu’on peut considérer comme intermédiaire entre liberté et contrainte qui vient juste après la localisation dans la relation avec le choix politique, avec un rapport de soutien de 1 à 2 entre les plus et les moins diplômés. Aux États-Unis, la religion joue un rôle significatif comme groupe de plus en plus choisi. Rappelons que, dans ce pays, il existe un marché très actif des églises situées dans la nébuleuse protestante, avec des entreprises florissantes agrégeant des millions de « clients » et cherchant à se différencier les unes des autres pour attirer les fidèles. On est donc de moins en présence d’une tradition imposée par la famille et de plus en plus d’un choix personnel, d’ailleurs réversible. Or les protestants ont voté Trump à 63% pour et parmi, eux, les électeurs « blancs » membres d’une église évangélique ou au mouvement des Newborn, ont voté à 82% pour Trump21.

Dans tous les cas, choix géographiques et choix politiques comportent une intersection évidente : capital de stock/capital de flux, exposition volontaire/refusée à l’altérité, valorisation de l’espace public/privé. Il n’est donc pas si surprenant, tout compte fait, de constater leur rencontre sur les cartes électorales.


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Publié le 4 décembre 2024

Géographie du vote : une réponse à Jacques Lévy

Olivier Bouba Olga répond ici à l’article de Jacques Lévy que nous avons publié le 21 novembre dernier où il mettait en lumière l’accroissement des clivages territoriaux et le resserrement des clivages sociaux dans les élections américaines du 5 novembre 2024, et dans les législatives françaises des 30 juin et 7 juillet 2024. Sa critique porte sur la méthodologie employée et sur les conclusions qu’en tire Jacques Lévy sur les motivations du vote RN. Ce débat est particulièrement important parce qu’un diagnostic erroné sur les causes du vote d’extrême-droite conduit souvent les acteurs politiques à se tromper de stratégie pour contrecarrer le RN.

Jacques Lévy a publié le 21 novembre 2024 dans La Grande Conversation un article intitulé « Elections : le renforcement de la polarisation géographique ». Il y analyse l’évolution du vote RN entre la présidentielle 2022 (score de 23%) et les législatives 2024 (score de 33%), en affirmant que cette évolution s’est accompagnée d’un « resserrement spectaculaire » (p. 13)1 des scores entre niveaux de diplôme ou catégories professionnelles, alors que les différences géographiques entre territoires (définis par leur gradient d’urbanité), elles, n’ont pas été modifiées. Il en conclut que les caractéristiques sociales des individus (catégorie professionnelle, diplôme, âge, sexe…) ne sont pas explicatives des comportements de vote, ce qui compte, c’est la localisation des personnes : « les partis populistes nationalistes et xénophobes réussissent d’autant mieux, toutes choses égales par ailleurs, que la ville est petite et qu’on s’éloigne de son centre » (p. 28).

Avec une telle affirmation, il s’oppose explicitement à nos propres analyses2, qu’il rejette au prétexte que nous procèderions à des calculs de corrélation entre scores des candidats et caractéristiques des populations à l’échelle des communes, ce qui nous exposerait à une « erreur écologique » (voir infra). Nous pêcherions par « naïveté méthodologique », en produisant une analyse de certaines corrélations « pas seulement trompeuse, mais totalement absurde », nous conduisant à « réduire la géographie politique à une sociologie déspatialisée » (pp. 26-27).

Selon Jacques Lévy, les choix des individus ne seraient plus guidés par leurs caractéristiques sociales, car « [ils] ont acquis, grâce à la mobilité et à la télécommunication, des libertés spatiales nouvelles qui leur permettent, à moyens constants, de choisir les localisations et les modalités de leur habiter » (p. 32). Rien de surprenant, dès lors, à ce qu’on observe une polarisation géographique du vote : les citoyens-habitants se regrouperaient en fonction de leurs préférences, y compris politiques. Les électeurs du RN dans le rural le plus éloigné, les électeurs les plus allergiques au RN dans le centre des plus grandes villes.

Lorsqu’un débat émerge entre chercheurs, il convient de s’interroger sur les éléments de preuve avancés par les uns et les autres pour pouvoir trancher entre les interprétations. Nous nous sommes livrés à cet exercice, qui montre que le cœur de l’argumentation proposée par Jacques Lévy ne résiste pas à l’épreuve des faits : nous n’assistons pas à un « resserrement spectaculaire » des scores en fonction des caractéristiques des électeurs, ces caractéristiques (catégorie professionnelle, niveau de diplôme, âge, sexe…) continuent à jouer un rôle essentiel. Nous reviendrons ensuite sur les critiques formulées à l’encontre de nos analyses, qui ne résistent pas plus à un examen attentif, ainsi que sur le schéma explicatif de Jacques Lévy, auquel nous opposons une autre lecture, mieux compatible avec les matériaux empiriques disponibles.

Les écarts de votes entre catégories d’électeurs ne se réduisent pas

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Le cœur de l’argumentation de Jacques Lévy repose sur l’affirmation que les écarts de vote entre catégories d’électeurs se sont fortement réduits entre la présidentielle 2022 et les législatives 2024. A l’appui de son argumentation, il calcule le rapport entre le score des cadres et le score des ouvriers aux deux dates, qui passe de 3,2 à 2,1, pour en déduire que « le resserrement est spectaculaire ». Voilà donc l’élément de preuve.

Tableau 1 : score du RN (%) aux élections pour les cadres et pour les ouvriers (données IPSOS et IFOP)

Présidentielle 2022Législatives 2024Evolution
Cadres1124+13
Ouvriers3551+16
Rapport ouvriers/cadres3.22.1 

Le problème est que raisonner ainsi sur les votes est plus que problématique, il est bien plus correct de raisonner sur l’évolution du score de chaque catégorie en points de pourcentage : le score du RN pour les cadres a augmenté de 13 points, tandis que celui des ouvriers a augmenté de 16 points. Cette augmentation est certes supérieure à l’évolution moyenne du score RN pour l’ensemble des électeurs (+10 points), mais elle reste inférieure pour les cadres à ce qu’on observe pour les ouvriers. Pour aller un cran plus loin et repérer l’évolution de plus long terme3, nous avons mobilisé des données des enquêtes sorties des urnes de l’IFOP ou de l’IPSOS allant de la présidentielle de 2012 aux législatives de 2024, pour calculer scores du RN chez les cadres et chez les ouvriers, calcul repris dans le graphique ci-dessous. Difficile d’y lire un « resserrement spectaculaire » entre les deux…

Graphique 1 : évolution du vote FN (puis RN) pour les ouvriers et les cadres (en %, données IPSOS et IFOP)

On pourrait également raisonner par l’absurde pour montrer les limites du raisonnement de Jacques Lévy : si on le suit, pour qu’il n’y ait pas de « resserrement spectaculaire » des scores entre cadres et ouvriers, il faudrait que le rapport des scores entre les deux dates ne baisse pas, autrement dit qu’il reste à une valeur de 3,2. Etant donné que le score des cadres est passé de 11% à 24%, quel score RN pour les ouvriers aurait-il fallu observer pour que le rapport des scores soit inchangé ? Il aurait fallu qu’il passe de 35% à 76%, soit un accroissement de 41 points de pourcentage, pendant que celui des cadres augmentait de 13 points. Avec ce type de raisonnement, difficile de ne pas voir dans les données un resserrement des scores4.   

Jacques Lévy prend également l’exemple des non-bacheliers et des diplômés de plus de bac+2, dont les scores sont respectivement passés de 34% à 45% pour les premiers et de 12% à 20% pour les derniers, soit un rapport entre ces deux catégories qui passe de 2,8 à 2,3. Mais là encore, si on raisonne non pas sur les rapports mais sur les écarts en points de pourcentage, on constate que l’évolution est plus forte pour les non-bacheliers (+11 points) que pour les diplômés de plus de bac+2 (+8 points).

Tableau 2 : score du RN (%) aux élections en fonction du niveau de diplôme (données IPSOS et IFOP)

Présidentielle 2022Législatives 2024Evolution
Non-bacheliers344511
> bac+212208
Non-bacheliers/ > bac+22.82.3 

On peut là aussi raisonner par l’absurde : pour que le rapport ne diminue pas, il aurait fallu que le score des non-bacheliers passe de 34% à 56%, soit une hausse de 22 points de pourcentage, contre +8 points pour les personnes diplômées de bac+2 ou plus. Nous reproduisons également le graphique associé à l’évolution des scores des deux catégories entre la présidentielle 2017 et les législatives 2024. Il fait apparaître une évolution similaire à celle observée pour les cadres et les ouvriers : l’absence totale d’un resserrement spectaculaire5.

Graphique 2 : évolution du vote FN (puis RN) en fonction du niveau de diplôme (en %, données IPSOS et IFOP)

En annexe de ce document, nous avons repris les résultats des scores du RN aux différentes élections, avec un détail selon la catégorie sociale, le niveau de diplôme, le sexe et l’âge, autant de variables qui, selon Jacques Lévy, ne sont plus discriminantes. Pour 2024, nous avons fait figurer les résultats pour les européennes, et pour les législatives, nous reprenons les résultats de l’IFOP, sur lesquels s’appuie Jacques Lévy, mais aussi ceux d’IPSOS, qui diffèrent un peu. Dans tous les cas, on observe des différences fortes entre les catégories d’électeurs, qui, globalement, ne se réduisent pas6.

Parallèlement nous pouvons construire le graphique reprenant les valeurs du vote RN pour l’ensemble des communes rurales et pour l’ensemble des communes urbaines, à différents scrutins.

Graphique 3 : évolution du vote FN (puis RN) pour les communes rurales et urbaines (en %, données Ministère de l’Intérieur)

L’évolution n’est pas très différente de celle observée pour les catégories sociales, le vote RN en milieu rural est passé de 26% en 2017 à 29% en 2022 puis 41% en 2024, soit une hausse entre les deux dernières dates de +13 points de pourcentage, alors qu’il est passé, en milieu urbain, de 19% en 2017 à 20% en 2022 puis à 29% en 2024, soit une hausse de +9 points entre 2022 et 2024. On n’observe pas de resserrement des courbes, les différences géographiques du vote RN sont relativement stables, tout comme les différences entre catégories sociales.

Intérêt et limites des calculs de corrélation

Une partie de l’article de Jacques Lévy est consacré aux « fausses pistes de la corrélation ». Il nous reproche d’avoir cherché à convaincre « que les différenciations spatiales n’étaient que le résultat de la projection dans les lieux d’attributs non spatiaux comme la profession ou les revenus » (p. 25), tombant ce faisant sous le coup d’une triple critique : 1) nous recourrions à des corrélations qui nous exposent à l’erreur écologique, 2) nous nous exposerions à un « biais démographique » en ne nous intéressant qu’aux actifs, au détriment des retraités, qui pèsent de plus en plus dans la population et dans les votes, 3) nous réduirions la géographie politique à une sociologie déspatialisée. Chacune de ces critiques peut être infirmée.

Commençons par la deuxième critique, consistant à nous reprocher de ne nous intéresser qu’aux actifs, sans renvoyer à aucun texte que nous aurions écrit, ce qui est pour le moins surprenant, mais ce qui s’explique sans doute par le fait que nous n’avons jamais procédé ainsi : les traitements auxquels nous avons procédé n’utilisent pas la profession pour tester son influence sur le vote, mais le niveau de diplôme, variable considérée dans la littérature comme la plus déterminante7. Nous y ajoutons souvent la tranche d’âge8. A une occasion nous avons calculé des corrélations simples entre vote RN et catégorie socioprofessionnelle, mais c’est en recourant à la composition en huit classes de cette variable, qui comprend outre les actifs, les retraités et les autres personnes sans activité professionnelle9.

S’agissant de l’erreur écologique, il convient bien évidemment de la garder en tête. Pour comprendre de quoi il s’agit, nous pouvons reprendre l’exemple de Jacques Lévy : ce n’est pas parce qu’on observe une relation entre le score de Mélenchon et la part des ouvriers à l’échelle des communes que cette relation existe à l’échelle individuelle, elle peut être due au fait que là où résident préférentiellement des ouvriers, résident aussi des habitants votant pour Mélenchon. Croire que la relation observée à l’échelle de la commune implique la relation à l’échelle des individus correspond précisément à commettre une « erreur écologique ».

Nous sommes tout à fait conscients de ce biais potentiel. Dans l’idéal, pour l’éviter, il faudrait disposer de données individuelles sur les votes, qui nous renseigneraient aussi sur la localisation des individus et sur leurs caractéristiques (âge, sexe, niveau de diplôme, catégorie professionnelle…), pour tester des modèles plus précis et analyser l’influence respective de la localisation et des caractéristiques sociales. Mais nous n’en disposons pas, d’où le recours à des régressions à l’échelle agrégée, pour approcher le sujet10. Cependant, nous disposons parallèlement de données d’enquêtes sorties des urnes, qui sont des données individuelles permettant d’établir l’importance des relations entre les caractéristiques des individus et leur comportement de vote, celles-là même que nous avons mobilisées plus haut et reprises en annexe : elles montrent clairement le lien entre le niveau de diplôme ou la catégorie professionnelle et le vote. Les corrélations que nous identifions à l’échelle agrégée sont donc en phase avec les relations que l’on identifie à l’échelle des individus, ce qui peut être considéré comme autant d’indices concordants que la géographie du vote s’explique, pour une partie au moins, par la composition sociale des territoires. A contrario, les preuves avancées par Jacques Lévy pour invalider la relation entre caractéristiques sociales et comportements de vote ne tiennent pas, comme expliqué plus haut.

La troisième critique consiste à nous reprocher de réduire la géographie politique à une sociologie déspatialisée. Ceci est également faux. Notre objectif est d’avancer dans la compréhension de phénomènes socio-spatiaux, en essayant de mesurer l’influence des effets de composition et celle d’autres effets. Nos analyses tendent à montrer qu’effectivement les effets de composition sociale sont importants, mais ils n’expliquent pas l’ensemble des différences géographiques : s’agissant des résultats aux législatives 2024, par exemple, l’écart de vote RN entre rural et périurbain d’un côté et urbain de l’autre, de 11 points de pourcentage environ, tombe à +1 point pour le rural et à +3 points pour le périurbain quand on neutralise les effets de diplôme et d’âge. L’écart est fortement réduit, mais il ne disparaît pas, il est statistiquement significatif, dans les deux cas. De plus, même si le pouvoir explicatif du modèle testé est bon (la variance expliquée par le modèle est d’environ 70%), elle n’explique pas la totalité des différences géographiques. D’autres éléments expliquent donc les différences observées, nous y revenons plus loin.

Par ailleurs, insister sur l’importance des effets de composition sociale ne conduit pas à faire disparaître la géographie : elle consiste à dire que, parmi l’ensemble des différences que l’on peut observer entre territoires, certaines sont relatives à leur composition sociale. Ce faisant, nous avançons dans la compréhension d’un phénomène sociogéographique, en passant d’une première question « pourquoi vote-t-on plus pour le RN dans les communes rurales et périurbaines ? » à deux sous-questions plus précises : 1) « pourquoi observe-t-on une telle sur-représentation de personnes moins diplômées et d’ouvriers (qui tendent à voter plus pour le RN) dans les communes rurales et périurbaines ? », 2) « quelles sont les autres éléments explicatifs des différences géographiques de vote, que la composition sociale des territoires ne suffit pas à expliquer ? ». A la deuxième question, on pourrait répondre à la manière de Jacques Lévy que c’est la résultante de choix de localisation indépendants des caractéristiques sociales des individus, mais là encore, nous sommes en désaccord.

Des citoyens-habitants libres de leur localisation et de leur vote ?

En fin de texte, Jacques Lévy explique la géographie politique par les spatialités des citoyens-habitants : « l’immense majorité [des individus], dans les pays développés, peut effectuer des arbitrages portant sur des éléments qui comptent à leurs yeux, parmi lesquels : le type de ménage et de relations interpersonnelles, le logement (localisation, taille, type, statut d’occupation), les modes de déplacement, préférence donnée à l’espace public ou privé pour les interactions avec le monde extérieur. Ce sont des choix stratégiques majeurs et il n’est pas étrange qu’ils entrent en écho avec des choix politiques » (p. 32). On comprend donc que si le vote RN domine dans le monde rural, c’est que c’est là que souhaitent vivre les citoyens-habitants ouverts aux discours d’extrême-droite, tandis que les citoyens-habitants opposés aux mêmes discours, plus tolérants, plus ouverts à l’expérience de l’altérité, privilégieraient une localisation dans les lieux les plus urbains.

Le monde social est un monde complexe, au sein duquel des millions d’individus prennent des millions de décisions. Nous ne doutons pas que, parmi eux, certains opèrent comme le décrit Jacques Lévy. La question est de savoir si ce type de comportement stratégique est massif, s’il constitue la règle, ou plutôt l’exception. Nous pensons pour notre part qu’ils en sont l’exception.

Le schéma explicatif que nous proposons est le suivant : compte-tenu du mode de fonctionnement du marché du travail et du marché du foncier, les choix de localisation d’une part importante de la population ne sont pas totalement libres, mais partiellement contraints, ce d’autant plus que le niveau de revenu des personnes (lié en partie au moins à leur niveau de diplôme et/ou à la leur catégorie professionnelle) est faible. Ceci explique la géographie des catégories sociales que l’on observe (et en lien une partie des différences géographiques de vote), avec une surreprésentation des cadres en milieu urbain et des ouvriers dans le périurbain et le rural11 qui, en s’éloignant de leur lieu de travail pour accéder à un logement, augmentent dans le même temps les trajets domicile-travail auxquels ils sont contraints. Comme indiqué plus haut, cependant, les différences de composition sociale n’expliquent pas tout. Notre hypothèse est que le sur-vote RN dans le rural et le périurbain s’explique aussi par une accessibilité moins bonne aux services et équipements (cf. tableau 3), notamment en matière de santé, de commerce, d’éducation, de culture ou de loisirs…, ce qui peut inciter au vote pour des partis protestataires.

Tableau 3 : temps d’accès (en minutes par la route en heure creuse) aux niveaux de services et d’équipements de la nomenclature INRAE-ANCT12, France hexagonale

 Communes ruralesCommunes urbaines
Centres locaux (niveau 1)2.40.1
Centres intermédiaires (niveau 2)7.50.6
Centres structurants (niveau 3)19.43.9
Centres majeurs (niveau 4)35.115.0

On pourrait y ajouter tout un ensemble de décisions et de discours qui peuvent conduire certains habitants du rural ou du périurbain à se tourner vers le RN : augmentation du prix des carburants, plus généralement de l’énergie, taxe carbone, réforme des retraites, mise en place des ZFE, stigmatisation des lotissements dans le périurbain (la « France moche »), des barbecues, de la consommation de viande, de l’utilisation de la voiture, etc.

Un autre élément nous conduisant à douter de l’explication de Jacques Lévy se trouve dans les dernières enquêtes sorties des urnes, quand on demande aux personnes interrogées d’évaluer leur satisfaction à l’égard de leur vie, car il s’avère que c’est la variable pour laquelle on observe les plus grandes différences de vote RN : les personnes très satisfaites sont 15% à voter RN, les personnes plutôt satisfaites sont 28%, le score monte à 47% pour les personnes plutôt pas satisfaites, et enfin à 61% pour les personnes pas du tout satisfaites. Considérer que le vote d’extrême-droite est choisi par des personnes libres de toute contrainte est donc difficilement tenable, sauf à considérer que ces personnes choisissent librement de ne pas être satisfaites à l’égard de leur vie.

Conclusion

L’évolution du score du FN (puis RN) aux différentes élections a été très importante, passant de 6,4 millions de voix au 1er tour des présidentielles de 2012 à 8,1 millions au 1er tour des présidentielles 2022, puis à 9,3 millions au 1er tour des législatives de 2024. Cette augmentation a concerné toutes les catégories de la population, hommes et femmes, diplômés et non diplômés, cadres et ouvriers, etc. Pour autant, contrairement à l’affirmation de Jacques Lévy, cette tendance croissante moyenne ne s’est pas accompagnée d’une « réduction spectaculaire » des scores du RN selon les catégories d’électeurs. Toutes les catégories votent plus RN, mais les écarts entre catégories demeurent : les plus jeunes et les plus âgés votent moins RN que les catégories d’âge intermédiaires, les plus diplômés votent moins que les moins diplômés, les cadres votent moins que les ouvriers…, sans que les courbes ne se rapprochent significativement.

Les différences géographiques de vote, dans le même sens, restent importantes : on vote plus RN dans l’urbain comme dans le rural, mais l’écart demeure, il est d’une dizaine de points supérieur dans le rural aux dernières élections. Nos analyses économétriques, d’une part, et les enquêtes issues des urnes, d’autre part, montrent que cet écart est imputable pour une part importante à des effets de composition. Ces derniers n’expliquent cependant pas tout, des écarts rural-urbain demeurent, qui pourraient s’expliquer par des différences d’accessibilité aux services et équipements, des distances domicile-travail plus grandes et/ou par les effets de discours stigmatisants vis-à-vis des populations vivant dans le rural ou le périurbain, autant d’éléments pouvant conduire les populations vivant en milieu rural ou périurbain à exprimer des votes protestataires.

L’ensemble de ces résultats interroge les autres partis sur leur capacité à analyser précisément les raisons du vote RN, à proposer des récits alternatifs aux discours de l’extrême-droite et des réponses adaptées en termes d’action publique. Des analyses, récits et propositions à adresser à l’ensemble de la population, puisque le vote RN augmente dans toutes les franges de la société, mais à décliner aussi de manière spécifique auprès des populations vivant dans les territoires où ce vote est le plus prégnant. Des territoires qui sont confrontés plus que d’autres à des problématiques touchant à la couverture des besoins fondamentaux des populations et qui appellent d’urgence à la mise en place de réponses adaptées.  

Annexe : résultats des enquêtes sorties des urnes (% vote RN)

PrésidentiellesEurop.LégislativesL2024-P2022*
201220172022202420242024
Ensemble182223313433+10
Cadres131411202124+13
Prof. intermédiaires191924293130+6
Employés283235394444+11
Ouvriers333735535751+16
Retraités101417293128+11
Sans diplôme493034474944Entre +10 et +12
CAP, BEP2646
Bac232426383837+11
Bac+2161523293229+6
supérieur7912162220+8
Homme202423323635+12
Femme172023303231+8
18-24152125253325+0
25-34222424303232+8
35-49252927343639+12
50-59192730404040+10
60-6991922343526Entre +4 et +13
70 et plus10132629
SourceIFOPIPSOSIPSOSIPSOSIPSOSIFOP 
taille échantillon3509469840008923102862806

* Ecart entre les scores de l’enquête IFOP pour les législatives 2024 et l’enquête IPSOS pour la présidentielle 2022. A noter que Jacques Lévy a mobilisé les résultats de l’enquête sortie des urnes de l’IFOP pour les législatives 2024, les résultats seraient un peu modifiés si l’on mobilisait l’enquête IPSOS. Le changement principal concerne l’évolution du vote des 18-24 ans, qui passe selon l’enquête IPSOS de 25% en 2022 à 33% en 2024, alors qu’il est inchangé dans l’enquête IFOP.

Source des données du tableau :

Présidentielles 2012 :   https://www.ifop.com/publication/sondage-jour-du-vote-22-avril-2012-premier-tour-de-lelection-presidentielle-2012-profil-des-electeurs-et-cles-du-scrutin/

Présidentielles 2017 : https://www.ipsos.com/fr-fr/1er-tour-presidentielle-2017-sociologie-de-lelectorat

 Présidentielles 2022 : https://www.ipsos.com/fr-fr/presidentielle-2022/1er-tour-abstentionnistes-sociologie-electorat

Européennes 2024 : https://www.ipsos.com/fr-fr/europeennes-2024/sociologie-des-electorats-2024

 Législatives 2024 (IPSOS) : https://fr.slideshare.net/slideshow/elections-legislatives-2024-sociologie-des-electorats-et-profil-des-abstentionnistes-premier-tour-du-30-juin-2024/269980331 

Législatives 2024 (IFOP) : https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2024/07/120976-Resultats.pdf

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Publié le 5 décembre 2024

Reconnaître la dimension spatiale du vote

Dans sa réaction à la réponse d’Olivier Bouba-Olga à son texte, Jacques Lévy précise ici, en ce qui concerne les résultats portant sur la France, les convergences et les désaccords qu’il relève entre leurs positions.

Dans l’ensemble, malgré les apparences critiques de son discours, Olivier Bouba-Olga prend acte des observations que j’ai présentées dans mon article. Dans le vote aux Législatives de 2024, il y a bien eu maintien et même renforcement relatif des écarts géographiques en comparaison des écarts portant sur des caractéristiques non géographiques des électeurs qui, eux, régressent. Même s’il conteste ce dernier point dans son intertitre, Olivier Bouba-Olga le reconnaît dans ses tableaux. Entre 2022 et 2024, le Rassemblement national (RN) et ses alliés ont progressé de 43 %, les écarts de soutien selon le la profession et le niveau de diplôme ont baissé de 33% tandis que les écarts entre types de localisation de ces électeurs ne diminuaient que de 10%. L’usage de la même méthode de calcul dans les deux cas (un rapport entre un écart absolu et la valeur initiale) rend la comparaison possible et ses résultats, incontestables. Il y là un socle factuel et une base de travail pour la recherche, d’autant plus robustes que, d’une part, la société n’a pas changé significativement en deux ans et qu’on mesure donc bien des dynamiques proprement politiques et, d’autre part, que l’on observe le même phénomène dans tout l’Occident. L’élection présidentielle américaine montre les mêmes évolutions. Trump a encore gagné des électeurs loin des grandes villes tandis que les Démocrates, tout en accusant une défaite majeure, ont peu perdu dans leurs bastions métropolitains.

Olivier Bouba-Olga habille son accord sur ce point essentiel de contestations tangentielles. Ainsi, il reconnaît les faiblesses de la corrélation que j’ai signalées mais il me soupçonne d’être hostile à toute prise en compte d’une corrélation. Ce que je dis pourtant dans l’article, c’est qu’une corrélation pose une question à laquelle il faut répondre par une explication, c’est-à-dire par une identification de causes agissantes. En persistant à appeler « explication » le résultat des calculs de corrélation, Olivier Bouba-Olga assume une naïveté méthodologique, alors que nous disposons pourtant des outils intellectuels et techniques nécessaires pour la dépasser. Par surcroît, Olivier Bouba-Olga continue de découper l’espace français selon la vieille dichotomie rural/urbain, sans même prendre la peine de s’en justifier. Ce dualisme avait sa pertinence avant le mouvement massif de périurbanisation, qui concerne aujourd’hui en France, environ 40% des habitants. En ne tenant compte ni des différences internes aux aires urbaines (approchées par les aires d’attraction des villes (AAV) de l’Insee) ni de la taille de ces aires, il se condamne à affaiblir encore l’intérêt de ses corrélations.

Ensuite, Olivier Bouba-Olga ne semble pas vouloir intégrer dans son raisonnement une idée simple qui se trouve dans mon article : il n’y a pas plus de raisons pour réduire le vote périurbain à un vote ouvrier que de réduire le vote ouvrier à un vote périurbain. Je démontre que, si c’était le cas, on n’aurait pas pu observer de divergence des votes selon les professions et selon les gradients d’urbanité, ce qu’olivier Bouba-Olga ne conteste pas. Les deux logiques existent, elles se croisent de manière complexe dans chaque individu, y compris dans le fait qu’être ouvrier dans le périurbain, en banlieue ou dans au centre-ville, ce n’est pas tout à fait la même chose… Ce constat est désormais largement partagé, y compris parmi une part des chercheurs se réclamant du marxisme ou de la sociologie bourdieusienne. En outre, la carte par section de vote indique que, dans les banlieues, il existe des cultures politiques puissantes, à l’échelle de la commune ou d’un ensemble de communes, qui transcendent les écarts de revenus ou de statut qui existent pourtant entre « cités » et pavillons. D’où la question : à partir du moment où il est avéré que les appartenances à un groupe socio-spatial et à un groupe socio-économique ne sont pas réductibles l’une à l’autre, pourquoi consacrer toute son énergie à essayer de (se) faire croire qu’on va pouvoir écraser l’une par l’autre ?

Enfin, sur mes hypothèses explicatives, lorsque je note que la plupart des habitants font des arbitrages sous contrainte, Olivier Bouba-Olga me reproche de prétendre qu’ils sont totalement libres. Comme s’il n’y avait que deux positions pour le curseur : totale liberté ou totale contrainte… Nous vivons justement dans des sociétés où ce n’est plus le cas, et c’est ce qu’il reconnaît lui-même quelques lignes plus loin. Cette petite surdité sélective me donne à penser que nous sommes peut-être davantage d’accord que ce qu’Olivier Bouba-Olga ne le laisse entendre. Ce que je dis aussi, c’est que ces arbitrages sont rendus possibles par le fait que plusieurs options en matière de cadre et de mode de vie ont des coûts globaux comparables pour les ménages, ce qui, dans l’environnement social d’aujourd’hui, laisse à une grande partie des habitants la possibilité d’un choix effectif entre une résidence en ville (centre ou banlieue) ou dans le périurbain. Cependant, en passant, d’une phrase à l’autre, de réalités censées avoir un impact direct sur le vote (moins de services proches quand on est plus éloignés des villes) à des indicateurs de satisfaction par définition subjectifs (le niveau de satisfaction ressenti), Olivier Bouba-Olga semble hésitant. Il hésite à accepter le fait que le vote ne relève pas d’un mécanisme stimulus-réponse mais de l’univers relativement autonome du politique, où se déploient des opinions, construites à partir de registres divers : des raisonnements, mais aussi des imaginaires. Sinon, on serait bien en peine d’expliquer pourquoi, alors que les immigrés vivent très massivement dans les grandes villes, on y vote très peu pour le RN, qui fait de l’immigration la colonne vertébrale de son argumentaire, tandis que, à l’inverse, c’est à l’extérieur de ces villes, là où l’exposition à la cohabitation avec des étrangers est la plus faible, que le RN, fait, et de très loin, ses meilleurs scores.

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La possibilité pour les individus d’intervenir sur leur mode d’habiter est un changement aussi important que l’accès à la consommation ou l’invention du temps libre dans l’histoire récente de nos sociétés. Ce que, chacun à notre façon nous pointons, Olivier Bouba-Olga et moi, c’est que, pour qui veut comprendre la vie politique, les groupes socio-spatiaux sont devenus aussi pertinents que les groupes socio-économiques. Ce ne sont pas les mêmes, ils manifestent des dynamiques propres qu’il importe de suivre attentivement si l’on ne veut pas courir le risque de se tromper de présent.