Un système de retraite par répartition repose sur un principe de solidarité intergénérationnelle : les cotisations versées par les actifs servent immédiatement à financer les pensions des retraités. À l’inverse, un système par capitalisation fonctionne selon une logique d’épargne individuelle ou collective : chaque travailleur cotise tout au long de sa carrière sur un compte personnel (capitalisation individuelle) ou dans un fonds commun (capitalisation collective). Les sommes ainsi accumulées sont investies sur les marchés financiers, et c’est cette épargne, augmentée des intérêts générés, qui permet de financer la pension une fois l’âge de la retraite atteint.
Les premiers régimes de retraite obligatoires en France ont fonctionné par capitalisation, puis ont disparu, à partir des années 1940, au profit d’un système quasi-intégralement en répartition
La France est le pays de l’OCDE qui a le moins ouvert son système de retraite à la capitalisation, le financement par répartition représentant environ 98 % des dépenses totales contre environ 83 % pour la moyenne de l’OCDE1. À l’inverse de nombreux autres pays (Canada, Pays-Bas ou Australie en tête), la capitalisation en France n’est pas généralisée, et ne concerne que des publics spécifiques (régime additionnel de la fonction publique au sein duquel les fonctionnaires cotisent sur leurs primes, régime du Sénat, régime de la Banque de France ou régime des pharmaciens). Ce ne fut pas toujours le cas : les premiers régimes obligatoires de retraite en France ont fonctionné par capitalisation.
- En 1910, la loi sur les Retraites Ouvrières et Paysannes (ROP) instaure le premier système de retraite public et obligatoire en France, destiné à tous les salariés dont la rémunération n’excédait pas 3 000 francs par an. Cette première assurance retraite obligatoire fut conçue pour fonctionner… par capitalisation. Ironie de l’histoire, le héraut de la gauche socialiste, Jean Jaurès, plaida dans ce sens, voyant dans la capitalisation un outil d’émancipation économique pour les ouvriers. Il écrivait : « La capitalisation […] en soi est parfaitement acceptable et peut même, bien maniée par un prolétariat organisé et clairvoyant, servir très substantiellement la classe ouvrière2. » Toutefois, le dispositif mis en place par la loi ROP fit long feu : un an après sa mise en œuvre, les libéraux, opposés par principe à toute interventionnisme étatique, obtinrent de la Cour de Cassation l’annulation de son caractère obligatoire, arguant qu’un employeur ne pouvait « forcer » un salarié à cotiser ;
- A la fin des années 1920, les lois sur les assurances sociales, portées par Pierre Laval, alors ministre du Travail, marquèrent la deuxième tentative de l’État d’instaurer un régime de retraite obligatoire pour les salariés. Dans la continuité du précédent dispositif, ce nouveau régime reposait à nouveau sur le principe de la capitalisation collective ! Sa montée en charge fut cependant très lente : à la veille de la Seconde Guerre mondiale, les dépenses de retraite ne représentaient encore que 3 % du PIB, contre environ 14 % aujourd’hui. Surtout, ce régime par capitalisation se heurta à un écueil majeur : l’hyperinflation des années 1930 éroda sévèrement la valeur réelle des fonds accumulés, illustrant l’un des principaux risques de ce mode de financement quand il est mal géré.
C’est dans ce contexte d’un système de retraite affaibli et lacunaire que le régime de Vichy mit en place en 1941 l’Allocation aux vieux travailleurs salariés (AVTS) pour parer à la pauvreté des personnes âgées. Ce dispositif prévoyait le versement d’une pension minimum à tout ancien salarié modeste âgé d’au moins 65 ans. René Belin, nommé par le Maréchal Pétain ministre du Travail, annonça : « Les cotisations destinées à la couverture du risque “vieillesse” ne donneront plus lieu à un placement, mais seront utilisées au fur et à mesure de leurs rentrées dans les caisses pour le service des pensions3. » Autrement dit, il choisit de financer cette allocation en prélevant directement les cotisations versées au titre des assurances sociales, actant ainsi l’abandon du système par capitalisation préexistant, au profit d’un fonctionnement par répartition. L’AVTS fut ainsi le premier régime par répartition à grande échelle.
Si cet épisode historique illustre la facilité financière à opérer une transition de la capitalisation vers la répartition – les cotisations initialement destinées à constituer l’épargne retraite des assurés étant simplement réaffectées au financement immédiat des pensions –, l’opération inverse s’avère bien plus complexe, car une contrainte majeure s’impose : l’impossibilité de faire cotiser les actifs deux fois – à la fois pour financer leur propre retraite future et pour assurer celle des retraités qui doivent continuer à toucher leur pension. C’est pourquoi, bien qu’un financement par capitalisation ait été envisagé dans la continuité de la ROP et des lois sur les assurances sociales, les fondateurs du régime général de la Sécurité sociale, institué en 1945, optèrent finalement pour un fonctionnement par répartition, qui perdure encore aujourd’hui. Historiquement, la répartition n’est donc pas tant le produit d’un choix de société – celui d’une solidarité bienvenue entre les générations – que le fruit d’une nécessité – celle de continuer à payer des pensions.
Ce modèle n’a depuis pas été remis en cause malgré quelques tentatives comme la loi dite « Thomas » de février 1997 – qui rendait possible une capitalisation facultative4 –, annulée par la majorité de gauche de Lionel Jospin dès sa prise de pouvoir.
De manière générale, la retraite par capitalisation est plus performante que la retraite par répartition
La performance d’un système de retraite se mesure par le taux de rendement interne (TRI), qui évalue la rentabilité des cotisations versées. Autrement dit, ce taux reflète le rapport entre les pensions perçues pendant la retraite et les cotisations versées tout au long de la vie active.
Le TRI d’un régime par répartition en régime de croisière (c’est-à-dire dans l’hypothèse d’une stabilisation des paramètres du système) est similaire à la croissance économique5 qui s’est établie, en France, au cours des vingt dernières années, autour de 1,2 % par an en moyenne6. Plus précisément, ce TRI est égal au taux de croissance de la masse salariale, lui-même produit du taux de croissance de la productivité et du taux de croissance des cotisants, ce qui rend ce système particulièrement sensible aux évolutions économiques et démographiques. Ces facteurs de rentabilité du système rendent compte de la dégradation continue, au fil des générations7, de notre système, à mesure que les réformes ont resserré les droits à la retraite pour s’adapter :
- D’un côté, au rétrécissement de la pyramide des âges : le ratio 20-64 ans/plus de 65 ans est passé de plus de 4 en 1990 à 2,5 aujourd’hui, et pourrait chuter à moins de 2 à partir de 20408 ;
- De l’autre, à la chute des gains de productivité, dont la croissance s’est établie à 0,4 % sur la période 2005-20229.
Le TRI d’un système par capitalisation dépend, en revanche, du rendement du capital dans lequel sont investies les cotisations. Il est variable selon l’allocation des actifs (actions, obligations, bons du Trésor, immobilier, etc.). Toutefois, sur le temps long, le taux de rendement du capital est supérieur au taux de croissance économique (« r>g »), comme l’a démontré Thomas Piketty10. Cela a d’ailleurs pu être constaté en France comme à l’étranger :
- En France, les quelques régimes par capitalisation existants offrent une performance réelle annualisée qui se situe entre 2 % et 3 % ;
Actif net en valeur de marché | Taux de rendement réel annualisé (net d’inflation11 et de frais de gestion) | |
Régime additionnel de la fonction publique (RAFP) | ~45 Md€12 | ~2,8%13 |
Régime des pharmaciens (CAVP) | ~7 Md€14 | ~2,3%15 |
Régimes du Sénat (CRPS et CRAS) | ~1,5 Md€16 | Non disponible |
Régime de la Banque de France (CRE) | ~14 Md€17 | Non disponible |
- Dans de nombreux pays étrangers, qui ont depuis longtemps opté pour une dose plus ou moins importante de capitalisation, le rendement réel moyen se situe autour de 3 %.
Actifs (en % du PIB) | Taux de rendement réel annualisé18 | |
Danemark | 192 % | 3,3 % |
Islande | 186 % | 3 ,3 % |
Canada | 153 % | 4,1 % |
Suisse | 152 % | 2,8 % |
Pays-Bas | 150 % | 3,1 % |
Etats-Unis | 138 % | 1 % |
Australie | 131 % | 4 % |
Suède | 98 % | ~4,5 %19 |
Chili | 58 % | 3,1 % |
Italie | 11 % | 0,9 % |
Source : Pensions at a Glance 2023, OCDE
En synthèse, la capitalisation est donc, de manière générale, significativement plus performante que la répartition. Ce meilleur rendement est potentiellement très bénéfique : il se traduit soit, à dépenses constantes, par une baisse des cotisations ; soit, à recettes constantes, par une augmentation des pensions. Pour donner un ordre d’idée, un système deux fois plus performant20 permettrait de servir le même niveau de pension tout en dépensant environ 20 % de moins chaque année, soit à l’échelle du système de retraite, une économie d’environ 80 Md€ par an.
Au regard de ces données, il serait donc de bonne gestion de basculer, au moins pour partie, de la répartition à la capitalisation. Pour partie seulement, car conserver un matelas de répartition reste indispensable pour absorber les éventuels chocs sur les marchés financiers. Une saine diversification des risques consisterait, par exemple, à ce qu’un tiers à 50 % des dépenses soit issu de la capitalisation, comme c’est le cas en Suède, aux États-Unis, au Canada, aux Pays-Bas ou au Royaume-Uni. Les pourfendeurs du capitalisme sont opposés par principe à un tel schéma qui reviendrait selon eux à jouer les pensions à la roulette russe, personne ne pouvant prédire avec certitude l’évolution des marchés financiers. Ils oublient, d’un côté, que les régimes par répartition ne sont pas non plus infaillibles ou immunisés contre les chocs économiques (comme celui provoqué par la Covid-19) ; de l’autre, que les fonds de pension diversifient leurs investissements, par type de produits et de géographie, pour limiter les risques, selon des règles prudentielles fixées par la puissance publique :
- Les gestionnaires de fonds de pension ou de plans d’épargne retraite doivent adapter la composition des placements en fonction de l’âge de l’épargnant, afin de réduire le risque à l’approche de la retraite. Typiquement, les fonds sont majoritairement investis en actions en début de carrière, pour rechercher de la performance, puis progressivement réorientés vers des actifs plus sûrs, comme les fonds en euros à capital garanti, à mesure que l’épargnant se rapproche de l’âge de la retraite ;
- En France, tous les contrats de plans d’épargne retraite prévoient une sécurisation du capital au moment du départ en retraite, avec une rente garantie, même en cas de choc financier important sur les marchés.
Ce n’est finalement pas un hasard si, à l’étranger, des pays comme le Canada ou la Suède ont choisi d’accorder une part importante à ce mode de financement ; ou qu’en France, même les syndicats les moins libéraux (comme la CGT) participent à administrer le principal régime par capitalisation obligatoire (le RAFP21), auquel tous les fonctionnaires sont affiliés.
Cependant, la capitalisation n’est pas la solution miracle, et le coût de la transition vers un système mixte est colossal
S’en tenir là dans le raisonnement fait l’impasse sur deux limites majeures.
Il est illusoire de penser que le passage à la capitalisation permettrait de contourner comme par miracle les effets du vieillissement démographique, qui pèsent déjà lourdement sur notre système par répartition. Comme le rappellent notamment les économistes Charles Dennery22 et Patrick Artus23, il faut des bras pour créer de la richesse et faire fructifier le capital, et une demande pour faire monter la valeur des actifs. Autrement dit, dans une société vieillissante, le rendement du capital est lui aussi susceptible de diminuer. Diversifier le risque démographique pour redresser nettement la performance de notre système impliquerait donc d’investir dans des pays dynamiques en la matière (États-Unis, pays émergents ou Afrique par exemple), c’est-à-dire de ne pas pouvoir utiliser à plein ces fonds pour investir dans nos entreprises, françaises ou européennes. On ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre !
Reste, surtout, le problème épineux, si ce n’est insoluble, de la transition vers la capitalisation. En effet, passer d’un régime entièrement fondé sur la répartition à un modèle mixte implique, pendant toute la période de transition (d’une durée totale d’environ 80 ans), une double contribution des actifs : une fois pour leur propre retraite (dans le cadre de la capitalisation) ; une autre pour celle de leurs aînés (dans le cadre de la répartition). Le coût est colossal !
Pour donner un ordre de grandeur, viser une part modeste de capitalisation, représentant à terme seulement 10 % à 15 % des dépenses de retraite pour les salariés du secteur privé, nécessiterait d’injecter environ 20 Md€ de plus chaque année dans le système, en plus des quelques 400 Md€ déjà consacrés aux retraites en France. Ce surcoût s’atténuerait très progressivement à mesure que les prestations versées par le nouveau régime se substitueraient à celles issues de la répartition. Au terme de 30 à 40 ans, la transition pourrait finir par générer des gains nets, à condition que les rendements attendus de la capitalisation soient bel et bien au rendez-vous. Mais d’ici là, la facture totale atteindrait entre 300 Md€ et 400 Md€24 !
Ce surcoût devrait être assumé soit par une baisse substantielle des pensions de retraite, soit par une hausse de cotisations à la charge de l’employeur ou des salariés – ce qui poserait des problèmes majeurs de compétitivité ou de pouvoir d’achat –, soit par un endettement accru ou de nouveaux prélèvements, si l’État choisissait de financer cette transition. Le jeu en vaut-il la chandelle ?
Pour accélérer cette transition et réduire les sommes supplémentaires à y consacrer chaque année, deux solutions sont parfois évoquées :
- La vente d’actifs détenus par l’État pour amorcer ce nouveau régime et accélérer la transition, à l’instar de ce qui fut décidé dans les anciennes économies communistes d’Europe de l’Est dans les années 199025 ou par le Chili de Pinochet dans les années 198026. En France, l’État dispose, entre autres, d’un portefeuille de participations dans des entreprises de 180 Md€27 environ. Liquider une partie de ces actifs est possible, mais ne serait pas neutre : l’État perdrait la main sur certaines entreprises stratégiques (Airbus, Safran ou Thales, par exemple) et se priverait des dividendes versés, sans que cela comble le besoin de financement ;
- D’aucuns suggèrent aussi d’utiliser les réserves des régimes complémentaires de retraite qui s’élèvent aussi à environ 180 Md€28 à date. Cette option est probablement à écarter au regard du risque juridique qu’elle soulève29, mais surtout de l’utilité de ces fonds30 : ils permettent d’amortir les éventuelles crises économiques31 et évolutions démographiques, et de lisser dans le temps les ajustements qui en découlent. Ajoutons aussi que ces réserves sont déjà placées : les transférer dans un nouveau régime est possible mais reviendrait in fine à déshabiller Paul pour habiller Jacques, sans gain net significatif sur les pensions.
Par quelque bout que l’on prenne le problème, le coût de transition est incontournable et massif. Il y a fort à parier que la protection du pouvoir d’achat et de la compétitivité imposerait de le faire financer par des dépenses publiques additionnelles. Autrement dit : par de nouveaux prélèvements ou de l’endettement ! Est-ce opportun alors que la France doit consentir à des efforts budgétaires considérables pour tenir ses engagements et éviter une crise financière ? Le Conseil d’analyse économique (CAE) a chiffré les économies structurelles nécessaires à 112 Md€ par an d’ici sept à douze ans, pour stabiliser la dette publique française, tout en gardant des marges de manœuvre pour faire face aux crises futures32, et ce malgré le mur de dépenses nouvelles à financer : une trentaine de milliards d’euros par an d’investissement public supplémentaire pour la transition écologique33, une trentaine de milliards d’euros minimum par an en plus pour augmenter le budget de la défense à trois points de PIB, sans compter les investissements cruciaux dans l’école ou le système de santé.
Dans le contexte actuel, s’il existe des marges budgétaires, mieux vaut donc les consacrer à ces sujets essentiels qui renforceront notre prospérité à moyen et long terme, plutôt qu’à une coûteuse transition vers un système par capitalisation qui portera ses fruits dans plusieurs décennies seulement. Se lancer dans une telle réforme aurait été bien plus pertinent il y a plusieurs décennies, avant l’arrivée des « baby-boomers » à la retraite qui a fortement contribué à augmenter les dépenses, et, partant, à réduire les marges de manœuvre budgétaires. La période actuelle est, à cet égard, beaucoup moins favorable.
Plutôt qu’un étage de retraite obligatoire par capitalisation, il vaut mieux susciter une large démocratisation des plans d’épargne retraite volontaires
A défaut de mettre en place un étage obligatoire de retraite par capitalisation, il serait pertinent – dans la lignée de la loi Pacte de 2019 – de démocratiser largement les plans d’épargne retraite volontaires, au niveau individuel, d’entreprise ou de branche, afin d’amortir, voire de compenser, la baisse attendue du niveau de vie relatif des retraités. Rappelons en effet qu’à règles constantes, les retraités des années 2050 pourraient voir leur niveau de vie réduit à environ 85 % de celui du reste de la population, contre environ 100 % aujourd’hui34.
Aujourd’hui, ces dispositifs restent relativement peu développés : en 2022, seulement 13 % des actifs détenaient un plan d’épargne retraite (PER) d’entreprise, et 10 % un produit individuel35. Ils sont aujourd’hui d’abord utilisés par leurs bénéficiaires (souvent des épargnants aisés) comme un outil de défiscalisation plutôt que comme un complément de retraite.
Pour donner une nouvelle dimension à l’épargne retraite, en l’ouvrant au plus grand nombre, nous proposons de réorienter une part plus importante de l’épargne des Français vers ces dispositifs. L’objectif est de s’appuyer sur les mécanismes d’épargne salariale existants (primes de participation et d’intéressement) qui, aujourd’hui, alimentent les produits retraite de manière marginale : actuellement, environ 50 % de ces versements sont dirigés vers des plans d’épargne entreprise (PEE, déblocables au bout de cinq ans), 40 % sont perçus immédiatement en numéraire, et seulement 10 % financent des plans d’épargne retraite collectifs (PER collectifs)36. Si l’État imposait à chaque individu concerné par un dispositif d’épargne salariale d’orienter au moins 50 % de ce qu’il reçoit en primes vers des PER collectifs, plus de 10 Md€37 les alimenteraient chaque année. De quoi augmenter à terme, et en moyenne, les pensions des salariés de 5 % à 10 %, à condition qu’au départ à le retraite les sommes investies soient obligatoirement récupérées sous forme de rente viagère plutôt qu’en capital38 39. Cette réforme présenterait certes l’inconvénient d’être pour partie inégalitaire : ces dispositifs d’épargne salariale ne couvraient en 2022 qu’environ la moitié des salariés, principalement ceux des grandes entreprises40. Toutefois, avec l’extension depuis début 2025 à celles de plus de 10 salariés réalisant un bénéfice, la couverture va aller croissante. Au total, la réforme que nous proposons permettrait donc in fine à une large majorité de salariés d’être couverte par un plan d’épargne retraite collectif, sans alourdir les dépenses publiques ni le coût du travail.
La montée en puissance des plans d’épargne retraite nécessite aussi une réforme du marché de l’épargne afin de réduire les frais de gestion, pour assurer un bon rendement aux titulaires de PER. Au Chili, une des raisons des faibles pensions versées par le système de retraite par capitalisation est le poids des commissions prélevées par les « administrateurs privés de fonds de pensions (AFP) » chargés de la gestion des plans d’épargne retraite individuels de ce pays41. En France, les frais appliqués à ce jour aux PER individuels assurantiels, très prisés, grèvent le rendement réel de ces placements d’environ 3 points de pourcentage par an42 ! Pour y remédier, plusieurs pistes méritent d’être creusées :
- Au-delà d’une nécessaire amélioration de la transparence sur ces frais, un encadrement, voire un plafonnement par la loi, pourrait être envisagé. Le secteur devrait en effet s’engager en la matière, en contrepartie d’une réforme visant une plus large distribution des plans d’épargne retraite (telle que celle décrite ci-dessus) ;
- En complément, nous proposons de stimuler la concurrence par la création d’un fonds public – confié par exemple à la Caisse des dépôts –, proposé, parmi d’autres fonds, par les distributeurs de PER. Reposant sur une gestion passive et investi exclusivement en fonds indiciels cotés (ETF), ce fonds permettrait de limiter les frais de gestion tout en assurant une bonne performance. Les économies d’échelle liées à sa taille contribueraient également à réduire les coûts. Une telle initiative renforcerait ainsi la concurrence avec les gestionnaires de fonds privés et exercerait une pression vertueuse sur l’ensemble du marché en faveur d’une baisse généralisée des frais43. Cette structure s’inspirerait du grand fonds public britannique « National Employment Savings Trust » (NEST), auquel les salariés britanniques sont affiliés par défaut et dont les coûts de gestion sont particulièrement faibles44.
Enfin, afin d’associer plus étroitement les représentants des salariés au pilotage des PER collectifs, nous proposons de conditionner l’application du taux réduit de forfait social acquitté par l’employeur – 16 % au lieu de 20 % – à la conclusion d’un accord d’entreprise incluant les syndicats dans le choix des placements45.
- Source : OCDE, Pensions at a glance, Edition 2023.
- Dans L’Humanité du 1er janvier 1910.
- « Retraites : « Le système par répartition, c’est la faute à Pétain », Le Monde, 2 janvier 2020.
- S’adressant aux salariés du privé, cette loi permettait à ces derniers d’abonder de manière facultative des plans d’épargne retraite, mises en place au niveau d’une branche ou d’une entreprise.
- Dans l’hypothèse où la part de la masse salariale dans le PIB est constante.
- Source : Insee.
- Il est passé de 2,5 % pour la génération 1940 à moins de 1 % à partir de la génération 1965 (source : COR).
- Source : Insee, estimations de population (provisoires pour 2022-2024) et projections de population 2021–2070.
- COR, « Points de discussion sur le choix des scénarios macroéconomiques et la présentation des résultats financiers », avril 2024.
- Thomas Piketty, Le Capital au XXIe siècle, Le Seuil, septembre 2013.
- En prenant en compte une inflation de 1,7 % en moyenne sur les vingt dernières années (source : Insee)
- Données issues du rapport annuel 2023 du RAFP.
- Ibid.
- Données issues des „Chiffres clés – édition 2024“ de la CAVP
- D’après les chiffres sur le rendement avant inflation fournies dans le rapport « Pour une réforme des retraites qui réponde aux enjeux français » publié par l’institut Molinari en septembre 2021.
- Données issues des comptes du Senat pour l’exercice 2023.
- Source : COR.
- Sur 20 ans.
- Sur 15 ans.
- TRI annuel de 2 % plutôt qu’1 %.
- Régime additionnel de la fonction publique.
- Charles Dennery, Réformer (vraiment) les retraites, PUF, octobre 2024.
- Patrick Artus, « Est-ce une bonne idée de passer à un système de retraite par capitalisation ? », Le Point, janvier 2025.
- Ce chiffrage est déduit de celui présenté dans l’étude « Pour une réforme des retraites qui réponde aux enjeux français » publié par l’institut Molinari en septembre 2021, qui se fonde sur un rendement de la capitalisation (5,25 %) qui nous semble irréaliste, au regard des exemples français et étrangers.
- Source : Maija Kreslina, « Les retraites dans la Nouvelle Europe », Fondation Robert Schuman, 12 mai 2003.
- Pour financer la transition, ce pays recourut également à l’émission importante de dettes et à une réduction substantielle des dépenses publiques (Source : Jose Pinera, « Quand le Chili indiqua la voie », Contrepoints, 21 juillet 2024).
- En juin 2024 (source : Ministère de l’Economie et des Finances).
- Cour des Comptes, Op. cit.
- Ces réserves n’appartiennent pas à l’État, mais à ces régimes, dont la gestion du principal d’entre eux, l’Agirc-Arrco, a été confiée par la loi aux partenaires sociaux.
- Lire sur ce sujet : Cour des Comptes, « Les réserves des caisses de retraite », 2022.
- Ce fut notamment le cas en 2020 du fait de la crise de Covid, à l’occasion de laquelle l’Agirc Arrco a puisé plus de 4 Md€ dans ses réserves pour combler son déficit.
- Adrien Auclert, Thomas Philippon et Xavier Ragot, Quelle trajectoire pour les finances publiques françaises ? CAE, juillet 2024. Avec le dérapage des finances publiques en 2024, cet effort structurel s’est probablement encore accru.
- En se basant sur le rapport Les incidences économiques de l’action pour le climat de Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz, publié par France Stratégie en mai 2023.
- En cause essentiellement : l’indexation des droits à la retraite et des pensions liquidées sur l’inflation, et non sur les salaires, qui fait baisser le niveau des pensions relativement aux salaires (Source : COR).
- Cour des Comptes, L’épargne retraite, novembre 2024.
- Dares, L’épargne salariale en 2022, juillet 2024.
- Soit l’équivalent de deux points de cotisations sous le plafond de la Sécurité sociale.
- La dose de capitalisation serait en fait, en moyenne, très variable selon la taille de l’entreprise, ses bénéfices et la proportion affectée au PER.
- Afin de garantir que ces versements s’inscrivent pleinement dans une logique de retraite supplémentaire, il conviendrait qu’ils soient obligatoirement convertis en rente viagère, et non versés sous forme de capital.
- Dares, Op. cit.
- D’après Marco Kremerman, économiste et chercheur à la Fondation Sol.
- Ces frais sont destinés à rémunérer la société de gestion des placements, les distributeurs des produits (banque, assurance, etc.) et la rémunération des fonds propres des sociétés d’assurance dans le cadre de l’assurance-vie. Au total, ces frais s’élèvent en moyenne à 3,18 % de chaque versement auxquels s’ajoutent, sur toute la durée du placement, des frais moyens d’environ 2,4 % de l’encours (source : CCSF, Cour des comptes).
- Cette proposition s’inspire d’une proposition de loi « tendant à renforcer la protection des épargnants » déposée au Sénat en mars 2022.
- Les frais sont plafonnés à 1,8% du montant de chaque nouvelle contribution, et à 0,3 % de l'encours total de l'épargne par souscripteur (source : rapport annuel du NEST).
- Cette condition s’ajouterait à celle d’une gestion pilotée réduisant progressivement les risques financiers et à celle d’un portefeuille de parts détenues qui comporte au moins 10 % de titres susceptibles d'être employés dans PEA- PME.