Agriculture : les Français divisés sur les critères « verts » de la PAC

Agriculture : les Français divisés sur les critères « verts » de la PAC
Publié le 23 avril 2024
Alors que les forces politiques de droite et d’extrême-droite ne cessent de dénoncer les contraintes environnementales pesant sur l’agriculture dans la présente campagne pour les élections européennes, notre sondage montre que les Français sont beaucoup plus partagés qu’on ne le pense. Interrogés sur la possible suppression des critères « verts » de la Politique agricole commune (PAC), 45% s’y déclarent favorables et 46% opposés.
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Quelques mois après l’émergence dans de nombreux pays européens, d’un mouvement agricole qui s’en est pris notamment aux critères « verts » de la Politique agricole commune (haies, jachères, rotation des cultures…) avec le soutien d’une large partie de l’opinion, la question est en débat au Parlement européen qui doit se prononcer cette semaine pour le maintien, la suppression ou l’assouplissement de ces critères environnementaux.

Alors que la campagne pour les élections européennes bat son plein et que les enjeux agricoles y occupent une place inédite, il nous a semblé utile de poser la question aux Français : pensent-ils que « c’est une bonne chose de supprimer des critères verts car ils peuvent s’avérer difficiles à mettre en œuvre par les agriculteurs et affecter la rentabilité de leur activité » ou, au contraire, que « c’est une mauvaise chose de [les] supprimer car les conséquences écologiques et environnementales seront importantes » ? Alors qu’ils s’apprêtent à élire leurs eurodéputés, comment voudraient-ils que ces derniers se comportent sur cette question ?

L’Institut Harris Interactive a sondé, pour Terra Nova, un échantillon de 3.057 personnes représentatif de la population française de 18 ans et plus les 15 et 16 avril derniers.

Il en ressort un tableau beaucoup plus partagé que ce que pouvait suggérer le souvenir des enquêtes réalisées au moment de la crise agricole. A l’époque, environ quatre Français sur cinq déclaraient soutenir un mouvement qui avait placé la PAC et le Green deal parmi ses cibles de prédilection. Aujourd’hui, un peu moins d’un Français sur deux (45%) se prononcent pour la suppression des critères environnementaux de la PAC. Et une proportion à peine supérieure (46%), pour leur maintien. L’arbitrage entre transition écologique et intérêt économique des agriculteurs – si tant est que poser la question dans ces termes ait un sens à long terme – est de fait beaucoup moins simple que ne le prétendent les forces conservatrices dans la présente campagne.

Quel est le profil sociodémographique de ces « deux France » ?

Les Français qui soutiennent la suppression des critères verts sont d’abord les plus âgés (54% des 65 ans et plus), les inactifs (50%), les ouvriers (50%) et ceux qui ont un niveau de diplôme inférieur au bac (52%). Toutefois, il serait erroné de résumer le désaccord à un clivage entre PCS+ et PCS- ou entre populations aisées et population modestes ou vulnérables. Certes, les PCS+ sont plus hostiles à la suppression des critères verts (50%), cette hostilité culminant chez les professions libérales (58%) et les cadres (52%). Mais les employés sont également majoritairement opposés à leur suppression (49% contre 42% pour), ainsi que les revenus les plus modestes : 47% de ceux qui gagnent moins de 1200 euros (contre 40% pour) et 46% de ceux qui gagnent entre 1200 et 2300 euros (contre 44% pour). La ligne de partage ne saurait donc se résumer à un clivage peuple/élites.

La lecture de l’enquête au prisme des proximités politiques ou partisanes présente des clivages plus marqués. A gauche, c’est globalement la cause de l’écologie qui l’emporte : 57% de ceux qui se déclarent proches de la France insoumise sont opposés à la suppression des critères verts ; même score chez ceux qui se déclarent proches du Parti socialiste. Et c’est chez ceux qui se déclarent proches des écologistes que culmine l’hostilité à la suppression (66%). Ces résultats ne doivent cependant pas occulter le fait qu’entre un quart et un tiers de ces divers sympathisants se prononcent en faveur de la suppression des critères verts, ce qui n’est pas négligeable.

A droite et à l’extrême droite, c’est une situation symétrique mais inversée qui se dessine : 55% en faveur de la suppression chez les proches des LR, et 62% chez les proches du RN. Mais, là encore, 39% et 33% respectivement y sont opposés, soit près de deux sympathisants LR sur cinq et près d’un sur trois chez les sympathisants RN.  

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Ce sont les familles politiques du centre de l’échiquier qui sont les plus divisées sur le sujet et, en cela, les plus proches du rapport de force observé au niveau national. Les sympathisants de Renaissance, le parti présidentiel, sont ainsi 46% à se prononcer en faveur de la suppression des critères verts et 49% à s’y opposer (contre respectivement 45% et 46% au niveau national). Les sympathisants du Modem sont dans une position voisine quoique plus favorable au maintien des critères verts (45% pour leur suppression et 53% contre). Seuls les sympathisants d’Horizons, la formation d’Edouard Philippe, sont clairement en faveur de la suppression (74%), soit plus encore que les LR ou les RN…

Quand on analyse les résultats de l’enquête au regard des intentions de vote aux élections européennes du 9 juin prochain, on retrouve peu ou prou les mêmes tendances. Ceux qui déclarent avoir l’intention de voter pour la liste dirigée par Valérie Hayer penchent à 50% en faveur de la suppression des critères verts et à 46% en faveur de leur maintien. Il serait périlleux pour les représentants de l’actuelle majorité d’épouser le backlash écolosceptique alimenté par ses composantes les plus conservatrices, sauf à vouloir pousser une part supplémentaire de leurs électeurs vers les offres de gauche et singulièrement vers la liste conduite par Raphaël Glucksmann. L’équation n’est pas très différente pour ceux qui s’apprêtent à voter pour la liste conduite par François-Xavier Bellamy, lequel a activement milité contre le Green deal au Parlement européen et singulièrement contre la stratégie « Farm to fork » : 41% d’entre eux, soit deux sur cinq, sont en effet favorables au maintien des critères verts.

Mais les autres listes auraient tort d’estimer que la partie sera plus simple pour elles : 33% de ceux qui ont l’intention de voter pour la liste conduite par Raphaël Glucksmann sont favorables à la suppression des critères verts, et ils sont encore 27% chez les électeurs de la liste de la France insoumise.

Tous devraient en outre réfléchir au fait que, chez ceux qui n’expriment aucune intention de vote à ce stade (encore très nombreux), 43% sont favorables à la suppression des critères verts et 51% à leur maintien. Et ils devraient garder à l’esprit que tous les partisans de la suppression ne sont pas forcément des adversaires résolus de la cause écologique et, inversement, que tous les partisans du maintien des critères verts ne sont sans doute pas complètement indifférents au sort des agriculteurs.

Que conclure ? Premièrement, que les Français sont divisés sur le sujet. Deuxièmement, que le meilleur moyen de les rassembler est certainement de trouver à mieux concilier les intérêts de la transition écologique et la difficile équation économique de l’agriculture française et européenne. La visée d’une transition écologique technocratique et indifférente aux risques de fracture des sociétés, tout comme la radicalisation des postures écolosceptiques des conservateurs et de l’extrême-droite ne sont en tout cas pas de nature à construire un projet majoritaire dans le pays. Les Français se posent manifestement des questions. Celles et ceux qui aspirent à leurs suffrages devraient s’efforcer de leur apporter des réponses plutôt que de faire monter les tensions.

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Thierry Pech