Baisser la TVA sur l’énergie : 6 raisons de ne pas le faire

Baisser la TVA sur l’énergie : 6 raisons de ne pas le faire
Publié le 12 avril 2022
La baisse de la TVA de 20% à 5.5% sur les produits énergétiques (carburants, fioul, gaz et électricité) est l’une des mesures-phares du programme de Marine Le Pen. Elle est supposée soutenir le pouvoir d’achat des ménages qui peinent à payer leur facture énergétique dans un contexte de hausse des prix (du gaz et des produits pétroliers en particulier). La mesure est-elle cependant de nature à résoudre ce problème ?

Les ménages français dépensent en moyenne chaque année 1 540€ en carburants pour se déplacer (dont 246€ de TVA) et 1 602€ pour leur logement (dont 224€ de TVA). Au niveau de consommation et de prix de 2019, une baisse de 20% à 5,5% de la TVA devrait donc se traduire par une économie de 341€ par an par ménage (soit 28€ par mois). Cela pourrait priver par ailleurs l’Etat d’au moins 10Mds€ de recettes fiscales si l’on se base sur les chiffres de 2019 (le résultat variant sensiblement selon l’évolution des prix et de la consommation). Ce gain monétaire reste cependant très hypothétique. La proposition appelle en effet plusieurs observations qui en fragilisent sérieusement la pertinence.

Premièrement, Marine Le Pen envisage une mesure « pérenne » pour régler une difficulté conjoncturelle, alors même qu’un résultat comparable pourrait être atteint avec des mesures temporaires (du type indemnité inflation, remise sur les prix à la pompe, bouclier énergétique sur le gaz et l’électricité…) sans compromettre aussi durablement l’équilibre des finances publiques et, à terme, l’intérêt du contribuable présent ou futur.

Deuxièmement, le taux de TVA décrit comme excessif est en réalité dans la moyenne des pays membres de l’Union européenne (entre 19% et 21%) et inférieur à celui pratiqué en Hongrie (27%), Suède (25%) ou Grèce (24%).

Troisièmement, l’adoption de cette mesure nécessitera sans doute une difficile négociation avec Bruxelles dont la récente réforme de la directive TVA n’autorise pas un taux réduit pour les carburants pour lesquels la TVA doit être supérieure ou égale à 15%. Et rien n’indique qu’une quelconque dérogation pourrait être accordée pour une mesure aussi orthogonale à l’objectif de décarbonation du Green deal (voir ci-après). Si l’Union européenne a récemment consenti aux Etats membres une plus grande souplesse sur la TVA et les droits d’accises de manière à soulager les consommateurs des effets de l’inflation, c’est en effet le plus souvent pour soutenir les énergies les moins émettrices de gaz à effet de serre. Dans cet esprit, les droits d’accises peuvent être réduits, mais pas la TVA sur les carburants fossiles. Dans l’état actuel des textes et du droit, la proposition de Marine Le Pen apparaît donc comme une simple violation du cadre réglementaire européen fixé en cohérence avec les objectifs de lutte contre le réchauffement.

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Quatrièmement, si, malgré tout, la proposition de Marine Le Pen était adoptée et si elle était intégralement répercutée dans les prix (voir ci-après), la mesure profiterait indistinctement aux catégories aisées et aux classes populaires, à ceux qui n’ont aucun problème de pouvoir d’achat et à ceux qui peinent à boucler leurs fins de mois ou à se passer de la voiture. Elle ne ferait aucune différence entre la voiture de sport de loisir et la berline familiale, entre le couple vivant et travaillant en centre-ville et le ménage résidant à la campagne. Au total, les plus riches y gagneraient même plus que les plus pauvres car ils consomment davantage d’énergie : entre novembre 2019 et octobre 2021, un ménage du premier décile (le plus pauvre) a vu sa facture d’énergie augmenter de 23€ (en additionnant les surcoûts pour les carburants, le gaz, l’électricité et le fioul), tandis que sur la même période un ménage du dixième décile (le plus riche) a vu la sienne augmenter de plus de 50€. 

Cinquièmement, au moment où il faut au contraire sortir des énergies fossiles à la fois pour lutter contre le réchauffement climatique et réduire notre dépendance aux pays exportateurs (Russie, Qatar, etc.), chercher à baisser le prix des carburants de manière durable est clairement contre-productif. On peut comprendre qu’il faille soulager temporairement les ménages qui dépendent le plus de la voiture thermique pour leur vie quotidienne, mais pas que l’on cherche à inscrire ce mouvement dans la durée. Le combat d’avenir devrait être au contraire la démocratisation de la mobilité électrique et le développement des solutions de mobilité alternative dont le programme de Marine Le Pen ne dit rigoureusement rien. Il passe également par la rénovation thermique des bâtiments, en particulier pour les plus de 3 millions de ménages qui vivent actuellement en situation de précarité énergétique. Non seulement Marine Le Pen ne propose rien sur ce chapitre, mais elle a même déclaré qu’elle mettrait fin à l’obligation de rénovation des logements faite aux propriétaires bailleurs et à l’interdiction d’installation de nouvelles chaudières au fioul dont le coût d’usage est extrêmement onéreux pour les ménages modestes et dont les performances sont médiocres.

Sixièmement, rien ne prouve que cette baisse de la TVA serait intégralement répercutée dans les prix à la pompe : l’exemple de la baisse de la TVA sur la restauration il y a quelques années a montré que cela pouvait aussi tout simplement grossir les marges des entreprises concernées. En outre, si les entreprises du secteur de l’énergie augmentaient (ou ne baissaient pas) leurs prix de vente pour capter la baisse de la taxe, les entreprises non énergétiques qui leur achètent leur production seraient moins bien loties : elles ne gagneraient rien à la baisse de la TVA (car elles la déduisent de toutes façons) mais elles souffriraient sans doute de la hausse des prix. Marine Le Pen veut-elle faire un cadeau supplémentaire aux sociétés pétrolières qui engrangent déjà de considérables surprofits en exploitant une situation de rente ?

Au total, la mesure-phare de Marine Le Pen n’est ni pertinente, ni conforme au droit européen, ni ciblée sur les Français les plus modestes. Le bénéfice pourrait même en être partiellement captée par les entreprises énergétiques. Pire, elle s’avère défavorable au climat et désinciter à la recherche d’alternatives aux énergies fossiles.

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Alexandre Durain

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