La programmation énergétique de la France, victime des mauvais calculs de la droite et de l’extrême droite

La programmation énergétique de la France, victime des mauvais calculs de la droite et de l’extrême droite
Publié le 8 juillet 2025
« Ce qu’une nation ne fait pas pour elle-même, personne ne le fera à sa place. » Ces mots des Républicains sur l’énergie sonnent justes… jusqu’à ce qu’on plonge dans la suite de leur plaidoyer, publié dans Le Figaro par Bruno Retailleau, François-Xavier Bellamy et Julien Aubert le 3 juillet dernier. Car derrière l’affirmation d’une ambition nationale, se déploie une vision réductrice, partielle et souvent anachronique de notre politique énergétique.
Le plaidoyer à retrouver ici

Oui, la France doit retrouver une stratégie cohérente. Oui, la désindustrialisation de notre filière nucléaire fut une erreur majeure, fruit de décisions politiques malheureuses et d’une perte de savoir-faire. Mais faire de l’opposition aux énergies renouvelables un totem politique, au moment où il faut s’émanciper des fossiles et surtout au moment même où les Français les plébiscitent, est une faute de jugement doublée d’une faute stratégique.

Car c’est un fait : un sondage IFOP récent le rappelle avec force, une large majorité de nos concitoyens (68%) soutient le développement des renouvelables dans les cinq prochaines années, qu’il s’agisse de solaire, d’éolien ou de méthanisation, et 84% en ont une image positive. Ce soutien est transpartisan : il touche aussi bien les sympathisants de droite que les sympathisants de gauche, et même les sympathisants d’extrême-droite (77% de bonne image). Il dépasse également les clivages territoriaux : les renouvelables toutes catégories confondues trouvent des soutiens en ville comme à la campagne. Mieux encore : plus on habite près d’une installation, plus on en perçoit les bénéfices, emplois locaux et recettes fiscales (94% des riverains d’une installation renouvelable en ont une image positive !). Ce n’est pas de l’idéologie, c’est de l’expérience vécue.

De plus, toute la littérature scientifique, académique et technique est claire : il n’existe pas de scénario de sortie des énergies fossiles en France sans une augmentation massive du solaire et de l’éolien, y compris avec un programme nucléaire ambitieux. Tout simplement parce que nous devons basculer une grande partie de nos consommations d’énergies fossiles vers l’électricité, et que nous en consommerons donc bien plus demain. Ce surplus de demande devra être couvert par une production additionnelle d’électricité décarbonée, qui, au moins pendant une quinzaine d’années, ne pourra venir que des renouvelables, compte tenu du fait qu’aucun nouveau réacteur nucléaire ne sera en service avant 2038 (dans 13 ans…).

Alors pourquoi s’arc-bouter ? Pourquoi transformer l’intermittence des renouvelables en épouvantail, en ignorant toutes les études de neutralité carbone existantes ? La réalité physique que les dirigeants LR invoquent existe : le nucléaire actuel est un atout indéniable pour garantir un socle stable et décarboné, et le nouveau nucléaire pourra pérenniser ce socle. Mais cette réalité n’exclut pas la complémentarité avec les renouvelables : elle l’impose.

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Focaliser le débat sur d’hypothétiques surplus électriques – qui au demeurant jouent positivement sur notre balance commerciale grâce aux exports –, c’est avoir la mémoire courte : faut-il rappeler qu’il y a à peine trois ans, les mêmes accusaient les pouvoirs publics d’avoir sous-dimensionné la production ? Ont-ils oublié que, pendant la crise énergétique, la France fut importatrice nette d’électricité et que les renouvelables ont joué un rôle essentiel pour limiter ces importations, extrêmement coûteuses alors que le prix du gaz s’envolait ? Ont-ils même conscience qu’en 2022 et 2023, l’éolien n’a pas coûté de l’argent à l’Etat mais lui en a rapporté pour alimenter les boucliers tarifaires ? Car oui, l’éolien terrestre a rendu 2,3 milliards d’euros à l’Etat en 2022, 3,4 milliards en 2023 et encore 250 millions d’euros en 2024 selon les rapports dédiés de la Commission de Régulation de l’Energie (CRE)1.

Le vrai débat devrait aujourd’hui porter sur la manière dont nous faisons évoluer nos consommations et favorisons la bascule vers l’électricité. Cela ne pourra se faire qu’avec un prix maîtrisé. Or, en accusant les renouvelables de faire grimper les factures, les Républicains se trompent lourdement, dans un triste exercice d’imitation du Rassemblement National. Les taxes finançant les renouvelables sont gelées depuis 2016 : en aucun cas leur financement depuis cette date ne peut être tenu pour responsable des hausses de facture. La baisse du nucléaire régulé à prix fixe et la flambée des prix du gaz sont les véritables causes de la hausse, et c’est de cela qu’il faudrait débattre.

Ce qui se joue ici dépasse la technique énergétique. C’est une question de souveraineté et de crédibilité. En persistant à dresser nucléaire et renouvelables l’un contre l’autre, les dirigeants des Républicains se coupent d’une grande partie de leur électorat – celui qui, pragmatique, refuse de choisir entre deux solutions complémentaires et attend un cap clair et ambitieux. Les sénateurs LR, notamment le rapporteur de la loi Daniel Gremillet, ne s’y étaient d’ailleurs pas trompés en proposant une loi où l’éolien et le solaire avaient pleinement leur place.

La souveraineté ne se proclame pas, elle se construit. Elle suppose de miser sur toutes nos forces : nucléaire, hydraulique, solaire, éolien, biogaz. Elle exige aussi de sortir des postures idéologiques pour regarder en face les besoins d’un pays qui devra produire beaucoup plus d’électricité dans les années à venir.

Il est temps d’admettre qu’au XXIᵉ siècle, la seule politique énergétique économiquement vertueuse, écologiquement responsable et socialement acceptable est celle qui conjugue toutes les solutions bas-carbone pour nous délivrer des importations d’énergies fossiles (27 milliards d’euros pour le pétrole et 26 milliards pour le gaz en 2023, soit environ la moitié du déficit commercial de cette année-là). Cette réalité, loin d’être punitive, est profondément populaire.

Les Français l’ont compris. La politique énergétique, prise en otage par des querelles de symboles, tarde à suivre.

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Nicolas Goldberg