Réponses aux mobilisations agricoles : des mesures de court terme et des reculs écologiques

Réponses aux mobilisations agricoles : des mesures de court terme et des reculs écologiques
Publié le 27 mars 2024
La question agricole est revenue sur le devant de la scène dans de nombreux pays européens notamment en France, en Allemagne, en Roumanie, aux Pays-Bas, en Grèce, en Italie, en Espagne ou encore en Pologne. A quelques semaines des élections européennes, le sujet s’invite dans la campagne. Les candidats doivent se positionner sur ces questions. Qu’attendre de la politique agricole commune (PAC) ? Doit-elle être réformée ? Si oui, quel est le modèle de production à privilégier ? Comment concilier souveraineté alimentaire, transition écologique et soutenabilité économique ?
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Pour calmer la colère, éviter une possible contagion du mouvement et satisfaire leurs électeurs, les décideurs politiques nationaux et européens ont privilégié les réponses de court terme et les effets d’annonce, au détriment de la résilience à long terme du système agricole et de sa transition écologique. Le clou a été enfoncé vendredi 15 mars avec la présentation par la Commission Européenne de modifications des règles d’attribution des aides de la Politique agricole commune (PAC), entérinées mardi 26 mars par les ministres européens de l’agriculture. Si elles sont votées par le Parlement européen et les États membres, ces mesures devraient entrer en vigueur en 2025. Dans cette nouvelle version, plusieurs conditions environnementales qui encadrent le versement des aides directes ont été abandonnées ou assouplies. Or, l’agriculture européenne, responsable de près de 12 % des émissions de gaz à effet de serre en Europe, devra impérativement se décarboner si l’on veut atteindre une Europe zéro émission d’ici 2050. De même, exposée à une perte de fertilité des sols et au stress hydrique dans un nombre croissant de régions européennes (la sécheresse historique en cours menace la possibilité même d’une agriculture dans certaines zones du pourtour méditerranéen), elle devra impérativement adapter ses pratiques si elle veut préserver son avenir à moyen et long terme.

La PAC 2023-2027 : vers un renforcement des exigences environnementales

Les négociations de la PAC 2023-2027 avaient abouti à une augmentation des exigences environnementales à la demande de certains Etats membres. Après trois années d’âpres négociations, l’accord sur la réforme de la Politique agricole commune (PAC) pour la période 2023-2027, a été formellement adopté le 2 décembre 2021 et est entré en vigueur le 1er janvier 2023. Outre les habituelles difficultés de négociation pour un programme qui représente un tiers du budget communautaire, les discussions se sont cristallisées sur le volet environnemental. Certains Etats, notamment les Pays-Bas, ont accepté que le budget soit maintenu sous réserve que de nouvelles obligations environnementales soient imposées aux agriculteurs. Pour répondre aux spécificités de chaque pays, les Etats membre ont été invités pour la première fois à élaborer un plan stratégique national affichant leurs ambitions en matière environnementale. L’orientation générale de la PAC est co-définie par la Commission, le Conseil et le Parlement ; mais ce sont désormais les Etats qui sont responsables de sa mise en œuvre et qui en déclinent les objectifs européens au niveau local. En France, les élus RN, LR et Renaissance ont voté pour ce texte.

Parallèlement, pour atteindre les objectifs climatiques de l’Accord de Paris et répondre aux exigences de certains Etats, le versement des aides a été revu et conditionné à un ensemble plus strict de pratiques environnementales. Ainsi, pour bénéficier de toutes les aides surfaciques de la PAC, les agriculteurs doivent remplir des critères, les « bonnes conditions agricoles et environnementales » (BCAE), dont le nombre et les ambitions ont progressé, tels que laisser une partie des terres arables en jachère ou surfaces non-productives (haies, bosquets, mares…), assurer la rotation des cultures sur leurs parcelles, maintenir des prairies permanentes ou encore couvrir végétalement les sols, en particulier pendant la période hivernale, pour limiter l’érosion. Autre nouveauté, les paiements verts ont été remplacés par des éco-régimes, des subventions accordées aux agriculteurs ayant des pratiques agroécologiques favorables à l’environnement (par exemple, agriculture biologique, certification environnementale, infrastructures agroécologiques). Cette nouvelle disposition dont les trois voies d’accès ont été définies dans le Plan Stratégique National (PSN), a été critiquée par certaines ONG écologiques qui ont dénoncé son manque d’exigence, une grande majorité des exploitations atteignant déjà au moins le niveau standard. L’INRAE affirme qu’ils n’auront pas d’effet positif et le ministère de l’agriculture lui-même reconnait que près de 98% des exploitations agricoles sont éligibles à un éco-régime qu’il a voulu délibérément accessible à tous.

Au final, selon la Commission, 40 % du budget de cette nouvelle PAC est consacré au climat et l’engagement a été pris d’allouer 10 % du budget de l’UE aux objectifs en matière de biodiversité d’ici la fin de la période couverte par le cadre financier pluriannuel (CFP) de l’UE.

Mobilisations agricoles en Europe : des revendications variées

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Des mobilisations agricoles se sont multipliées un peu partout en Europe ces dernières semaines. Elles portaient sur toute une série de revendications : augmentation des revenus, partage de la valeur, accords de libre-échange, demandes de simplification, fiscalité… En un an et demi, seize pays de l’Union européenne ont été touchés par au moins une mobilisation agricole. L’origine de ces mouvements et leurs revendications varient selon les pays. Certaines des causes défendues n’ont d’ailleurs rien à voir avec l’écologie, le Pacte vert ou l’Union européenne. Les pays d’Europe de l’Est, en particulier, ont été très impactés par les effets de l’arrivée sur le marché du blé ukrainien suite à l’exemption de droits de douane accordée au printemps 2022 par l’UE. En Europe de l’Ouest, les revendications portaient davantage sur la fiscalité du gazole non routier, l’amélioration des revenus agricoles, la politique commerciale et la simplification des normes notamment environnementales. En France, ce sont ainsi 120 demandes qui ont été répertoriées par les fédérations départementales et régionales de la FNSEA et les Jeunes Agriculteurs. Dans leur grande majorité, les revendications dépassent largement la question écologique et la mise en œuvre de la nouvelle PAC. L’hétérogénéité des demandes est une illustration de la diversité des modèles agricoles et des disparités de situations selon les bassins de production, en France mais plus généralement en Europe.

Cette forte diversité des attentes et des situations est particulièrement visible dans une enquête réalisée fin 2023 par BVA Xsight pour Terra Nova et le collectif Nourrir, avec le soutien de Parlons Climat, dans laquelle 600 chefs d’exploitation ont été interrogés. Ainsi, à la question : « à quel type d’aides pour la PAC êtes-vous le plus favorable ? » 35% d’entre eux privilégient les aides à l’hectare, 28% les aides environnementales et 27% les aides à l’actif. Nous sommes loin du consensus.


Des réponses politiques rapides, trop rapides ? 

En France, le gouvernement a réagi rapidement. Emmanuel Macron a annoncé au salon de l’agriculture la mise en œuvre de prix planchers et promeut un dispositif EGALIM au niveau de l’Union européenne. Une soixantaine de mesures ont été promises, et « près de 90 % » ont été mises en place ou engagées selon le Ministre de l’agriculture, notamment dans le cadre du projet de loi qui sera présenté en conseil des ministres le 3 avril. Selon l’exécutif, les réponses devront être nationales mais aussi européennes. Comme le rappelait Gabriel Attal dans son discours aux agriculteurs le 21 février 2024 : « la Commission européenne présentera un nouveau paquet de simplifications massives, qu’il sera possible de mettre en œuvre très rapidement. Dans ce cadre, nous avons porté 41 demandes, notamment sur les cas de force majeure, la gestion des risques, les contrôles ou encore sur le ratio prairies. Nous continuerons à les défendre. Nous avons d’ores et déjà vu qu’un certain nombre d’avancées étaient en cours, notamment sur le ratio prairie. » A quelques mois des élections européennes, les ministres de l’agriculture des Etats membres ont dû répondre aux critiques et proposer des solutions. Ainsi, après une première série de mesures proposée par la commission début février, la Commission européenne a fait évoluer certaines règles de la PAC le 15 mars. « L’objectif est d’alléger davantage la charge administrative, de donner aux agriculteurs comme aux États une plus grande flexibilité pour se conformer à certaines conditions, sans réduire le niveau global d’ambition environnementale », a assuré la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, candidate à sa réélection. Ces propositions ne s’accompagnent d’aucune étude d’impact. Quatre organisations agricoles auraient été associées aux réflexions, mais on ne sait pas lesquelles.

Pourtant le renoncement est acté. Ce qui avait été durement négocié est désormais supprimé. Les agriculteurs ne seront plus tenus de consacrer une partie minimale de leurs terres arables à des zones non productives, telles que les jachères. L’obligation de rotation des cultures, à l’échelle de la parcelle a été transformée en simple diversification à l’échelle de l’exploitation. La Commission souhaite également assouplir la règle du maintien de prairies permanentes dans les exploitations. Quant aux petites exploitations (moins de 10ha), elles seront désormais exemptées de contrôles et de pénalités liés aux conditions environnementales. L’impact ne sera pas le même selon les pays. Si en France 38% des exploitations ont une surface agricole utile de moins de 20 ha, en Pologne, elles représentent les trois quarts de l’ensemble des exploitations.

Enfin, les pays disposent d’un délai jusqu’à fin 2025 pour traduire dans leurs plans nationaux l’actualisation des législations environnementales et climatiques européennes. Et en cas d’épisodes climatiques extrêmes empêchant les agriculteurs de respecter les exigences de la PAC, chaque pays serait libre d’introduire des dérogations temporaires, afin que les exploitants concernés n’encourent pas de pénalité. Il est à craindre qu’à chaque évènement climatique, malheureusement de plus en plus fréquents, se multiplient les exceptions.

Mettre la transition au cœur des réflexions politiques à venir

L’attention politique et médiatique portée aujourd’hui sur les sujets agricoles est pourtant une occasion de débattre des questions essentielles, qui devront faire l’objet d’une réflexion politique profonde avant la prochaine négociation de la PAC. Or, les récents reculs risquent d’envoyer de mauvais signaux aux agriculteurs car, tôt ou tard, la transition aura lieu. Et elle ne sera pas indolore. Il faudra continuer à produire, avec des aléas climatiques fréquents, en utilisant moins de produits phytosanitaires et d’engrais minéraux. Cela s’anticipe et s’accompagne. Planifier permet de donner un cadre et des orientations, de sécuriser les décisions d’investissement et procure une forme d’équité dans la concurrence entre les acteurs. Faire évoluer sans cesse le cadre réglementaire est néfaste. En France, dans certains bassins de production, la faiblesse des ressources en eau et les conditions climatiques rendront inopérante l’agriculture telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui. Il va falloir faire évoluer les modes de production ; une grande majorité des agriculteurs le savent et agissent déjà dans ce sens. D’ailleurs, dans l’enquête BVA Xsight, 21% des agriculteurs interrogés citent spontanément le dérèglement climatique et ses conséquences comme une source d’inquiétude pour leur exploitation et 62% des agriculteurs estiment que la transition écologique est une nécessité.

Cette remise en cause des critères environnementaux est une réponse de court terme à des problématiques de long terme et ne résout en rien les nombreux enjeux mis en avant dans cette crise.

La question du revenu des agriculteurs reste centrale et nécessite une réflexion collective sur la répartition de la valeur entre tous les acteurs de la chaine, sur le rapport de force entre acteurs et l’incapacité des agriculteurs à négocier les prix. La mise en place par la Commission d’un observatoire des coûts de production, des marges et des pratiques commerciales dans la chaîne d’approvisionnement agroalimentaire est sur ce point un bon signal.

Le renouvellement des générations d’agriculteurs est également une opportunité pour réfléchir à ces sujets et penser le modèle économique d’une agriculture plus durable. Alors que plus de 100 000 fermes ont disparu en France en 10 ans, quels profils de repreneurs sont à privilégier ? Comment assurer la viabilité économique des projets agroécologiques ? Comment repenser les aides publiques pour accompagner ceux qui en ont le plus besoin et développer l’innovation ?

La prochaine négociation du Cadre Financier Pluriannuel (CPF), qui définit les ressources et dépenses de l’Union Européenne pour 7 ans, risque d’être tendue. La Commission a lancé l’élaboration du CFP 2028-2034 et les débats commencent. Si le précédent CFP avait acté le maintien du budget de la PAC de la période précédente en euros courants pour les deux piliers, les incertitudes sont élevées sur le prochain budget. De plus en plus de voix s’élèvent, notamment en Allemagne, pour réclamer une réforme en profondeur de la PAC. A plus long terme, la perspective d’une adhésion de l’Ukraine viendra considérablement redistribuer les cartes. Certains décideurs politiques allemands réclament une réforme fondamentale de la PAC qui abandonnerait les « paiements inconditionnels à la surface » et se concentrerait plutôt sur le principe d’une « prime au bien commun ». En France, certains candidats aux élections européennes préconisent de subventionner l’emploi. Les débats ne font que commencer…

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Suzanne Gorge