La Grande Conversation : Pouvez-vous dresser un état des lieux de la situation française et européenne concernant les métaux stratégiques, et expliquer comment cette question s’est imposée dans le débat politique ?
La Grande Conversation
La question des métaux stratégiques a véritablement émergé dans le débat public à l’occasion de la crise du Covid-19. La pandémie a brutalement mis en lumière la vulnérabilité des chaînes d’approvisionnement mondiales : des matériaux devenus soudainement indisponibles, des prix qui s’envolent, des ruptures inattendues dans des secteurs clés. Cette prise de conscience a révélé les limites d’une politique industrielle européenne menée depuis plus de quarante ans, qui s’était construite sur une arborescence de chaînes d’approvisionnement mondiale, privilégiant exclusivement le coût des ressources et de leur transformation au détriment des risques logistiques, climatiques ou géopolitiques. L’Europe avait oublié la fragilité intrinsèque de ses approvisionnements. La crise sanitaire de 2020, puis l’invasion de l’Ukraine par la Russie sont venues lui en rappeler la réalité, avec fracas.
C’est dans ce contexte qu’a été commandé par les ministères de la Transition écologique et de l’industrie, un rapport sur la sécurisation de l’approvisionnement de la France en matières premières minérales. Le rapport Varin – du nom de Philippe Varin, son auteur – s’est focalisé sur les métaux dits « de la transition écologique », avec une attention particulière portée à deux filières stratégiques : celle des batteries (lithium, cobalt, manganèse, nickel) et celle des éoliennes, qui reposent notamment sur les aimants à terres rares. Notons que le rapport n’abordait pas, ou très peu, les enjeux de défense, qui n’étaient pas prioritaires à l’époque, d’autant plus que le texte a été rédigé dans un délai extrêmement court, entre octobre et décembre 2021.
L’un des grands mérites de ce rapport a été de faire exister cette problématique dans l’espace politique – en France, mais aussi à l’échelle européenne – et de sensibiliser les grands acteurs industriels. Le diagnostic posé est sans ambiguïté : la France et l’Europe sont dans une situation de dépendance quasi totale tant pour l’accès à ces ressources critiques que pour leur première transformation. Pire encore, elles ont largement contribué à l’externalisation de leurs capacités industrielles, notamment au profit de la Chine. Dans le même temps, les besoins en métaux ne cessent de croître, portés notamment par l’essor des technologies nécessaires à la transition écologique, qu’il s’agisse des véhicules électriques ou des infrastructures de production d’énergie renouvelable. Les pays qui se sont préparés à cette course à la ressource ont une longueur d’avance sur les autres, à l’instar de la Chine ou des Etats-Unis.
Mais l’enjeu ne se limite pas à l’extraction ou à la disponibilité des matières premières. Le véritable point névralgique, c’est la transformation – en particulier le raffinage – de ces métaux. Or, sur ce plan, l’Europe accuse également un retard important.
Le rapport Varin souligne aussi la complexité croissante de cet écosystème : là où l’industrie du XIXᵉ siècle n’utilisait qu’une vingtaine de métaux, celle d’aujourd’hui en mobilise plus d’une cinquantaine, qui servent notamment à élaborer quelque 5 000 alliages différents sur le marché actuel. Ces alliages permettent de répondre à des exigences techniques toujours plus poussées des clients, mais ils complexifient d’autant les opérations de recyclage. La séparation des métaux après usage devient un véritable défi technologique et économique.
Bruno Jacquemin
Le rapport Varin a-t-il permis une prise de conscience à l’échelle nationale et européenne ?
La Grande Conversation
Le rapport Varin a constitué un jalon essentiel dans la structuration d’une réponse française et européenne face à la dépendance en métaux critiques. Il aborde l’ensemble des enjeux stratégiques et propose un éventail de recommandations concrètes : le lancement d’un appel à projets dédié aux métaux critiques, la création d’un fonds d’investissement porté par Infravia permettant de financer des projets en France, en Europe, mais aussi à l’international, ou encore la négociation d’accords bilatéraux afin de favoriser des partenariats industriels hors de la sphère d’influence chinoise.
En France, ce rapport a débouché sur des avancées institutionnelles notables. L’Observatoire Français des Ressources Minérales pour l’Industrie (OFREMI) a été créé pour cartographier les chaînes de valeur et identifier les points de vulnérabilité et de criticité des métaux. Il s’agit d’un outil précieux pour les décideurs publics comme pour les industriels. A également vu le jour la Délégation Interministérielle aux Approvisionnements en Métaux et Minerais Stratégiques (DIAMMS), placée sous la direction de Benjamin Gallezot, qui a pour mission de coordonner les politiques publiques en matière d’approvisionnement.
À l’échelle européenne, la France – alors à la présidence du Conseil de l’Union Européenne – a joué un rôle moteur. Sous l’impulsion de la ministre de l’Industrie Agnès Pannier-Runacher, un projet de législation européenne a vu le jour : le Critical Raw Materials Act. Ce texte vise à établir des seuils de dépendance à des pays tiers, à définir des critères de sécurisation des approvisionnements et à renforcer les exigences en matière de métaux recyclés, notamment via le Règlement batteries. Il s’agit d’une première tentative pour structurer une politique industrielle européenne cohérente autour de ces ressources stratégiques.
Bruno Jacquemin
Les métaux sont emblématiques des enjeux d’autonomie stratégique et de sécurisation des matières critiques. Ce sont des ressources dont l’extraction, la transformation et le commerce sont souvent concentrés entre les mains d’États jugés peu fiables ou instables, ce qui rend les chaînes d’approvisionnement particulièrement vulnérables aux tensions géopolitiques.
Cela dit, il faut éviter de définir une matière comme « stratégique » de manière arbitraire. Un des points principaux développés dans mon rapport est qu’il n’y a pas de matière qui soit intrinsèquement stratégique. Ce caractère dépend avant tout de la structure concurrentielle de la chaîne de valeur, de sa situation de marché : à quel point cette matière est non substituable pour ses clients, à quel point sa chaîne de valeur comporte des goulots d’étranglement. C’est une propriété extrinsèque. Lorsqu’un petit nombre d’acteurs contrôlent un maillon clé – extraction, raffinage, logistique – ces acteurs peuvent distordre le marché en augmentant ou réduisant l’offre, ce qui crée des goulots d’étranglement. Le cas des masques sanitaires pendant la pandémie en France illustre bien cette mécanique : une forte dépendance, une faible diversification des sources et une crise qui met tout le système sous tension.
Dès lors, deux leviers s’offrent à nous : soit desserrer ces goulots en diversifiant les fournisseurs, soit les réguler à travers des outils financiers comme les droits de douane. C’est précisément le rôle de l’OFREMI et de la DIAMMS : produire un diagnostic approfondi et une cartographie fine des risques. Le fonds créé par l’Etat et dédié à cette question intervient en complément, avec l’ambition de traduire cette stratégie en projets concrets, en soutenant les entreprises dans la sécurisation et la diversification de leurs approvisionnements pour desserrer les goulots d’étranglement présents sur la chaîne d’approvisionnement.
Certaines initiatives industrielles viennent renforcer ce mouvement. La reprise d’Aubert & Duval, acteur clé de la métallurgie de haute performance pour l’aéronautique et la défense, témoigne d’une volonté étatique de reprendre la main sur des filières critiques. La stratégie française ne se limite plus aux métaux de la transition écologique ; elle s’élargit à ceux essentiels à notre souveraineté économique, notamment à notre base industrielle de défense.
Cependant, les leviers d’action de l’État français demeurent limités. Hormis les appels à projets et les prises de participation, la France ne dispose que d’un pouvoir restreint sur les outils structurels : droits de douane, contrôle des investissements étrangers, marchés publics… C’est pourquoi une réponse véritablement ambitieuse ne pourra être qu’européenne. Le Critical Raw Materials Act marque une première étape, mais ses moyens restent encore modestes. Il pose les diagnostics, il fixe les objectifs. Ce qu’il lui manque encore, ce sont des instruments d’action à la hauteur des ambitions affichées
Pierre Jérémie
Les outils de régulation suffisent-ils à sortir l’Europe de sa dépendance, ou faut-il aller plus loin en réinternalisant certaines technologies, notamment celles liées au raffinage et au recyclage des métaux ? Plus généralement, le développement de l’économie circulaire ne peut-il, à terme, pas nous libérer de la dépendance aux industries extractives ?
La Grande Conversation
Il ne s’agit pas d’opposer les approches, mais bien de les combiner. L’Europe a besoin à la fois de réguler les chaînes d’approvisionnement et de réinternaliser certaines capacités industrielles, en particulier dans le domaine du raffinage et du recyclage. Mais il faut être lucide : recycler suppose que la matière ait été, au préalable, extraite et mise en circulation. Or, les batteries des véhicules électriques produits aujourd’hui ne seront disponibles pour le recyclage que dans une quinzaine d’années. D’ici là, les volumes de métaux récupérables resteront très insuffisants pour couvrir la demande.
Par ailleurs, cette demande ne croît pas principalement en Europe, mais sur les continents à forte croissance démographique. Nous sommes encore loin d’avoir extrait une masse suffisante de métaux pour pouvoir imaginer une économie reposant majoritairement sur leur recyclage.
Cela dit, l’Europe dispose de ressources sur son propre sol. Prenons l’exemple du lithium : si l’on mobilise pleinement les gisements identifiés en France et en Scandinavie, le continent pourrait atteindre une forme d’autonomie en la matière pour les trente prochaines années. Le rapport Varin insiste d’ailleurs sur cette pluralité de leviers à activer simultanément : explorer et exploiter les gisements primaires en Europe et à l’international, améliorer la rentabilité économique du recyclage – par exemple via des primes à l’utilisation de métaux recyclés – et développer l’écoconception, afin de faciliter la récupération des matières en fin de vie.
Certains industriels pionniers ont déjà engagé cette diversification. C’est le cas de l’entreprise Nyrstar, filiale du trader de métaux Trafigura, spécialisée dans le traitement du zinc à Auby, dans le nord de la France. Confrontée à une opportunité de marché sur l’indium – un métal stratégique présent dans ses flux – elle a adapté ses procédés, devenant en quelques années le quatrième producteur mondial. Cet exemple montre que la dynamique industrielle peut être relancée si l’incitation économique est au rendez-vous.
Mais cette dynamique reste fragile. Des acteurs systémiques, à commencer par la Chine, ont tout intérêt à maintenir des prix bas pour décourager l’émergence de concurrents européens. En conservant un avantage comparatif sur les produits transformés, Pékin verrouille la chaîne de valeur et dissuade les investisseurs européens, au profit des entreprises chinoises.
Bruno Jacquemin
Le cas du lithium illustre bien cette problématique. Le nœud du problème ne réside pas tant dans les niveaux de prix que dans les rentes de situation qu’il génère. Lorsque les cours s’envolent, les producteurs dominants engrangent des profits considérables. Mais quand les prix chutent, ces mêmes acteurs peuvent tirer parti de leur plus grande stabilité que les nouveaux entrants pour fragiliser ceux-ci par des prix prédateurs, artificiellement bas. Ce type de comportement est orienté par des logiques économiques voire par des considérations géopolitiques, sur lesquelles l’Europe n’a aujourd’hui guère de prise.
La transition écologique, dans ce contexte, crée une tension structurelle. D’un côté, l’Union européenne aspire à une économie circulaire, moins dépendante de l’extraction primaire. De l’autre, cette transition s’accompagne d’une complexification des objets produits, qui nécessitent des métaux en nombre croissant, avec des exigences de pureté de plus en plus élevées. Prenons l’exemple du cuivre : les technologies bas carbone, par exemple les panneaux photovoltaïques ou les équipements servant le pilotage des consommations, requièrent des câbles toujours plus fins et meilleurs conducteurs, donc plus sensibles aux impuretés. Le cuivre recyclé, contaminé par d’autres métaux, peine à répondre à ces critères. Résultat : le recyclage ne permet pas toujours de recréer un matériau équivalent à l’original.
Même dans un monde plus sobre en carbone, les matières premières primaires resteront donc indispensables. Les volumes seront peut-être réduits, mais les filières de production resteront critiques. Et parce qu’elles mobilisent des savoir-faire rares et des investissements lourds, elles seront concentrées entre les mains de quelques entreprises, en situation de quasi-monopole mondial. Cela représente un risque réel d’avantage concurrentiel pour ces acteurs. Ce constat vaut également pour le pétrole brut, qui sera même après la neutralité carbone peut être encore nécessaire à la production de certaines bases de la chimie organique où il ne pourra être forcément substitué par des produits biosourcés.
Pierre Jérémie
Si l’Europe veut accroître la circularité de son usage des métaux stratégiques, ne doit-elle pas restreindre les exportations des déchets métalliques ?
La Grande Conversation
C’est effectivement un levier stratégique, d’autant plus qu’il repose sur un cadre juridique complémentaire à celui de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) et qui ouvre davantage de latitude pour contrôler les flux par des mesures quantitatives. Les déchets, contrairement aux matières premières, échappent aux règles du libre-échange dictées par l’OMC. Ils relèvent d’un régime spécifique, fixé par la convention de Bâle, et transposé dans le droit européen. L’Union peut donc restreindre légalement l’exportation de certains déchets métalliques – ce qui comprend les chutes industrielles et les produits en fin de vie – sans enfreindre les règles internationales. C’est une approche habile, qui permet de conjuguer deux objectifs : limiter les externalités environnementales liées à l’exportation de déchets, tout en renforçant la souveraineté industrielle et les opportunités économiques de l’Europe.
Pierre Jérémie
L’enjeu dépasse d’ailleurs la seule question des déchets bruts. Il faut aussi empêcher l’exode des objets contenant des métaux stratégiques. Aujourd’hui, de nombreuses batteries en fin de vie quittent l’Europe pour être recyclées ailleurs, notamment en Chine, où l’on récupère les matières premières secondaires qu’elles contiennent. Cette situation est un contresens stratégique. Pendant longtemps, la récupération et le traitement des matières usagées étaient considérés comme une activité mineure, sans noblesse, face à l’extraction. Ce regard a changé. Désormais, les filières du recyclage deviennent un maillon clé, précisément parce qu’elles sont capables de produire des matériaux aux spécifications très précises, attendues par les clients industriels. L’enjeu pour l’Europe est donc d’améliorer les capacités de production en récupérant les métaux stratégiques des produits usés.
Bruno Jacquemin
On observe d’ailleurs que les technologies de production des matières premières primaires – comme l’acier – sont en train d’évoluer pour répondre à cette exigence de circularité. Le recours à des procédés plus flexibles, comme les fours électriques, permet d’incorporer une part croissante de matière recyclée tout en réduisant les émissions de carbone – même si la production primaire décarbonée vient en complément indispensable. Ces systèmes décarbonés de production primaire, comme la production de minerai de fer péréduit (DRI) à partir d’hydrogène sont bien plus compatibles avec une économie fondée sur la réutilisation.
Pierre Jérémie
Ce que cela révèle, c’est la complémentarité croissante entre matière vierge et matière recyclée. Cette hybridation offre une flexibilité précieuse aux industriels : en important ou en récupérant des alliages qui contiennent déjà les caractéristiques recherchées – pureté, composition, stabilité – ils évitent d’avoir à tout reconstruire depuis la matière brute. C’est un avantage comparatif considérable, qui peut redonner à l’Europe une place dans le jeu global, à condition qu’elle sache conserver et valoriser ses ressources circulaires.
Bruno Jacquemin
D’un point de vue économique, utiliser des métaux recyclés est-il aujourd’hui rentable ? Ce n’est par exemple pas le cas du plastique…
La Grande Conversation
Tout dépend du métal concerné. Pour des matériaux comme la ferraille, dont le prix est mondialisé, le recyclage est économiquement avantageux. En revanche, pour des métaux plus complexes comme le titane, seuls 10 % d’un lingot d’une tonne sont utilisés in fine par le client aéronautique. L’enjeu est alors de récupérer efficacement les 90 % de pertes qui se répartissent tout au long de la chaîne de transformation.
Bruno Jacquemin
L’Europe mise beaucoup sur ce qu’on appelle les green leads : des mandats d’incorporation de matières à faible impact environnemental dans les marchés européens. Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) en est un exemple. Il impose à tout produit importé de payer pour ses émissions de CO₂, incitant ainsi à privilégier des matériaux recyclés. Mais la vraie question est de savoir si ces incitations sont suffisamment fortes pour transformer les pratiques industrielles. D’autant plus que, contrairement au plastique – dans la plupart des cas, hors recyclage chimique – les métaux ne perdent pas leurs propriétés lorsqu’ils sont recyclés – si l’on fait abstraction des contaminants. Leur recyclabilité intrinsèque est un atout considérable.
Pierre Jérémie
On voit bien l’intérêt stratégique de rouvrir des mines en Europe. Mais la population y est souvent hostile. Est-ce une limite à cette stratégie ?
La Grande Conversation
Il est impératif de renouer avec la notion de production, et de sensibiliser encore davantage la société au fait que les ressources naturelles ne sont pas infinies. L’Europe s’est désindustrialisée, à la différence des autres continents et la France plus que tous ses voisins. Il faut dépasser l’imaginaire négatif, souvent caricatural, associé à la mine – en particulier en France. Cette évolution culturelle est une condition indispensable pour regagner une forme de souveraineté.
Bruno Jacquemin
Il y a en effet une perception très psychologique du risque environnemental. Toute transformation du territoire est vue comme une atteinte inacceptable. Pourtant, dans les pays développés qui ont gardé une activité minière (Canada, Australie, Etats-Unis, Scandinavie, etc.), les conditions de travail dans les mines sont bien meilleures aujourd’hui : horaires réguliers, salaires attractifs… Par bien des aspects, ces emplois sont bien moins pénibles que beaucoup d’autres dans des secteurs comme la restauration ou la logistique. Il est donc urgent de rétablir une vision objective de ce que représente l’industrie extractive aujourd’hui.
Pierre Jérémie
Comment favoriser l’acceptabilité locale des projets industriels ou extractifs ? Faut-il garantir des retombées économiques locales ?
La Grande Conversation
Une meilleure redistribution des retombées économiques locales est essentielle. Le droit minier prévoit déjà une taxe locale sur les projets, mais elle reste très symbolique en métropole. En Guyane, elle est plus conséquente. Sans surprise, l’activité minière y est jugée plus indispensable par les élus locaux. Les renouvelables offrent également un exemple intéressant : dans d’autres pays, comme le Danemark, l’approche est différente : les habitants deviennent actionnaires des projets éoliens ou solaires, ce qui favorise leur acceptation. En France, une telle culture de la participation financière directe est moins répandue. Une alternative pourrait être une taxe affectée, redistribuée par les collectivités locales. Une proposition de loi avait d’ailleurs été déposée pour réduire directement la facture d’électricité des riverains de parcs éoliens et solaires. Mais elle a été rejetée par le Parlement au profit d’un système de fonds locaux, gérés par les élus, dont le retour d’expérience est qu’il n’a pas réellement trouvé son public.
Pierre Jérémie
L’exemple des carrières de kaolin près de Limoges, est éclairant. On y a découvert un gisement de lithium, exploité par l’entreprise Imerys. Celle-ci a fait le choix d’une extraction souterraine, avec un transport du minerai par canalisation, limitant ainsi le bruit, la poussière et la circulation de camions. Le recours à la Commission Particulière du Débat Public (CPDP) a permis d’ouvrir un dialogue constructif d’un an entre les parties prenantes : élus, citoyens, industriels, associations écologistes. Ce travail de pédagogie et de concertation sur le long terme est essentiel pour bâtir la confiance. L’entreprise a tenu compte de deux attentes exprimées dans les conclusions du débat public : l’abandon de la production de feldspath pour réduire l’utilisation de produits chimiques et l’étude d’une localisation alternative de l’atelier de chargement.
Bruno Jacquemin
La France et l’Europe ont-elles une position géopolitique alignée sur les métaux stratégiques ? Existe-t-il un consensus européen ?
La Grande Conversation
Pas tout à fait. Du point de vue de plusieurs États membres, la France est perçue comme peu coopérative, notamment parce qu’elle refuse certains accords de libre-échange comme celui avec le Mercosur. Les pays plus industrialisés – l’Allemagne, les Pays-Bas – privilégient une stratégie d’approvisionnement par des accords internationaux, notamment en Amérique du Sud, plutôt que la localisation en Europe. En France, la réticence est plus forte, notamment en raison de la volonté de relocaliser ou de sécuriser les chaînes de valeur en Europe. Il faut trouver une voie médiane. Le contexte géopolitique, avec l’émergence d’un nouvel exécutif américain, ouvre une fenêtre d’opportunité : celle de bâtir un partenariat transatlantique robuste, avec le Canada et l’Amérique latine notamment.
Pierre Jérémie
La France souffre aussi d’un déficit industriel chronique. Elle a aujourd’hui la part de l’industrie dans le PIB la plus faible de toute l’Union. Toute réponse sérieuse à la question des métaux stratégiques ne pourra donc être que collective et européenne. Mais cela suppose un effort particulier de la France pour rattraper son retard et rejoindre les standards industriels de ses voisins.
Bruno Jacquemin
De quoi parle-t-on ?
Ressources minérales, métaux, terres rares, matières critiques… comment s’y retrouver ?
Le terme ressources minérales désigne de manière générique l’ensemble des matières premières extraites du sous-sol, qu’elles soient métalliques ou non.
Parmi elles, on distingue les métaux, qui regroupent une soixantaine d’éléments chimiques utilisés dans l’industrie, l’énergie, la construction, les technologies ou l’armement.
Un sous-groupe spécifique est celui des terres rares, qui comprend 17 métaux aux propriétés physico-chimiques particulières, essentiels à de nombreuses technologies (aimants permanents, écrans, batteries…).
À ces catégories s’ajoute la notion de matières premières critiques, définies par l’Union européenne comme stratégiques pour l’économie mais exposées à des risques d’approvisionnement. La liste actualisée par la Commission en 2024 en recense 34, dont 17 qualifiées de stratégiques, car elles sont jugées essentielles pour la double transition écologique et numérique.