Comment la guerre en Ukraine change l’Europe – et la France ?

Comment la guerre en Ukraine change l’Europe – et la France ?
Publié le 20 mars 2023
  • Consultant en affaires publiques, Enseignant à l'ESCP Business School et au Corps des Mines et Vice-Président du Mouvement Européen International
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Surprise par une attaque qu'elle n'avait pas anticipé, l'Union européenne a su réagir rapidement à l'agression russe contre l'Ukraine. Elle a fait preuve d'unité et de réactivité. Mais, avec un conflit qui se prolonge, les équilibres stratégiques commencent à bouger sur le continent. La voix française pourra-t-elle continuer à porter dans une Union dont le centre de gravité se déplace, une nouvelle fois, vers l'Est ?
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L’invasion de l’Ukraine par la Russie marque le retour d’une guerre d’agression d’ampleur sur le sol européen, initiée par une grande puissance militaire, nucléaire de surcroît. Le leader russe a développé une vision historique selon laquelle les Ukrainiens ne sont pas une nation à part entière et devaient être unis à leurs voisins russes, de gré ou de force. Il s’est lourdement trompé puisque les Ukrainiens ont, au contraire, manifesté la vigueur de leur sentiment national et leur esprit d’indépendance en résistant vaillamment à l’agression russe. Pour Vladimir Poutine, il s’agit aussi d’une lutte contre ce qu’il appelle « l’Occident global », incarné par les Etats-Unis, puissance rivale, et l’Europe, rivale par son mode de vie. Sur ce second registre, Poutine a été conforté dans ses a priori initiaux, et les Européens se retrouvent donc, à leur corps défendant, largement impliqués dans ce conflit.

La solidarité avec l’Ukraine s’est imposée instinctivement aux Européens, y compris parce qu’une annexion rapide de tout ou partie de son territoire pouvait signifier que d’autres pays du continent seraient le prochain terrain d’affrontement avec Moscou. La réaction européenne traduit aussi un sentiment de solidarité émotionnelle avec les Ukrainiens, vus comme des Européens à part entière. Si cette guerre est à l’origine d’une réaction ferme des Européens, qui se sentent « unis dans l’adversité », elle induit aussi un changement des équilibres diplomatiques européens, internes et externes, tout en invitant à redessiner l’organisation politique de notre continent. C’est à ces divers titres qu’elle change l’Europe – tout en posant quelques défis notables à la France.

1. Un moment d’unité européenne

La réaction de l’Union européenne (UE) à l’invasion russe de l’Ukraine a été à la fois rapide etcohérente, malgré des tensions, des nuances et des situations de départ très différentes vis-à-vis de Moscou.

S’il fallait trouver un symbole de cette unité, ce serait l’accueil des réfugiés Ukrainiens à travers toute l’Europe. L’accueil des réfugiés syriens ou soudanais avait en effet profondément divisé les Etats-membres de l’UE dans les années 2010. Par contraste, il n’y a pas eu de conflit ni de psychose collective quand les civils ukrainiens ont passé les frontières, car ils ont été accueillis comme des « cousins » européens. Même les pays d’Europe centrale et orientale, qui avaient refusé de partager la charge de l’accueil et avaient même développé des discours xénophobes dans les années 2010, ont accepté les Ukrainiens dans des proportions très importantes. Les Européens ont fait preuve de solidarité politique, humanitaire, diplomatique, économique, et cette solidarité a même pris une dimension militaire puisqu’un élément du budget communautaire, la « Facilité pour la paix », a déjà permis de financer la livraison d’armes à l’Ukraine à hauteur de plus de 3,3 milliards d’euros. C’est une initiative vraiment novatrice pour l’UE, une nouvelle étape qui est franchie pour faire face à cette guerre – qui n’était pas acquise d’avance puisque certains Etats membres comme l’Autriche ou l’Irlande sont des pays neutres. La visite du Président ukrainien Zelenski à Bruxelles en février 2023 a été une manière de reconnaître cet engagement fort, pour lequel il a remercié les Européens tout en soulignant que le conflit les avait unis comme rarement.

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En parallèle, les Européens ont aussi pris de nombreuses sanctions contre la Russie. En février dernier, un dixième train de sanctions a été adopté : cela fait pratiquement un par mois depuis le 24 février 2022. Le plan « Repower EU », qui a prévu de limiter puis d’interrompre les importations d’hydrocarbures russes, a également été mis en œuvre : nous n’importons plus de charbon russe depuis l’été 2022, nous nous sommes passés de 92% du pétrole russe depuis fin 2022 (seuls subsistent les 8% acheminés par oléoduc) et l’importation de gaz est désormais résiduelle, alors même qu’il était seulement prévu de la réduire de 2/3 d’ici fin 2022.

La peur du « péril rouge », qui a conduit au lancement de la construction européenne, puis la peur du vide géopolitique créé par la chute du Mur de Berlin en 1989, avaient déjà marqué deux moments fondateurs ayant conduit les Européens à s’unir davantage. Nous vivons un 3e moment fondateur, marqué par une nouvelle menace issue de Moscou, qui génère un surcroit d’unité presqu’organique.

On a enfin vu pendant la période de présidence française du Conseil de l’UE au 1er semestre 2022 (PFUE) que le sursaut unitaire déclenché par la guerre en Ukraine a rejailli positivement sur le traitement d’autres défis, qui a pu progresser grâce au sentiment que l’Europe traversait un moment si particulier qu’il imposait de faire preuve de plus de cohésion. Face au retour de la guerre sur notre continent, le traitement d’autres priorités soudain perçues comme plus prosaïques a suscité des négociations moins tendues, par exemple en matière de régulation du numérique ou de lutte contre le changement climatique. Ces convergences politiques ont été rendues possibles par la capacité des autorités françaises à conduire de front les activités de « gestion de crise » liées à l’invasion russe de l’Ukraine et la poursuite des négociations législatives programmées – au point de faire de la « PFUE » une présidence tournante doublement mémorable.

2. De nouveaux équilibres diplomatiques en Europe

L’unité européenne suscitée par l’invasion russe de l’Ukraine ne doit pas occulter que la guerre en cours produit aussi une situation nouvelle, qui marque une modification des équilibres diplomatiques européens internes et externes.

D’un point de vue économique, cette guerre affaiblit notre continent, qui est aux premières loges, sinon en première ligne.

L’économie européenne était en effet largement dépendante des matières premières russes, ainsi que des produits agricoles ukrainiens, biélorusses et russes. Tous les pays de l’UE n’étaient certes pas dépendants au même niveau des hydrocarbures russes : l’Allemagne a pris des mesures fortes pour s’en émanciper mais la Hongrie a par exemple négocié des dérogations à l’embargo européen sur le pétrole russe pour préserver ses approvisionnements par oléoduc. La nécessité d’atténuer notre interdépendance économique avec la Russie nous a globalement poussé à trouver d’autres fournisseurs, au prix d’une hausse des prix spectaculaire, tout en pesant sur la croissance des pays de l’UE – la récession a certes été évitée (sauf en Suède), mais c’est la « stagflation » qui est l’horizon des Européens pour 2023.

Nos alliés et concurrents américains, qui sont une grande puissance énergétique, bénéficient à l’inverse d’un conflit qu’ils vivent de plus loin. Ils nous vendent par exemple du gaz naturel liquéfié (GNL) au prix fort pour remplacer le gaz russe. La guerre conduit par ailleurs à des mouvements de capitaux qui quittent notre continent et déprécient l’euro face au dollar, ce qui renchérit nos importations et contribue à l’inflation galopante. Face à cette inflation, la Banque centrale européenne a déjà augmenté plusieurs fois ses taux, pour la 1ère fois depuis 2021, et la poursuite annoncée de cette hausse va contribuer à contracter encore l’activité sur le continent, bien au-delà du marché immobilier…

Au-delà de ces défis conjoncturels, le sommet de Versailles a adopté une déclaration appelant à réduire nos dépendances à la Russie en matière d’hydrocarbures, de matières premières, de ressources alimentaires, tout en encourageant les Européens à en faire davantage en matière de défense. Les autorités françaises promouvaient depuis des années un tel agenda en brandissant l’étendard de « souveraineté européenne », mais il était beaucoup moins consensuel qu’avant l’invasion russe de l’Ukraine.

Malgré cette déclaration de principe, il demeure patent que tous les Européens n’appréhendent pas cet agenda « souverainiste » de la même façon. Il peut par exemple signifier aussi bien la réduction des dépendances par le redéploiement et la diversification de ses fournisseurs externes que le renforcement des capacités productives nationales ou européennes. La plupart des Européens considèrent que l’Europe ne peut vivre autrement que dans l’interdépendance mondiale : nous peuplons le plus petit des continents, nous avons besoin d’importer des biens et des matières premières, même stratégiques, et notre ouverture nous permet aussi d’exporter massivement nos produits et services. Cette extraversion économique est d’autant plus ancrée que, à la différence de la France, la plupart des pays de l’UE sont excédentaires sur le plan commercial, de même que l’UE dans son ensemble : à leurs yeux, l’Europe est compétitive plutôt que « naïve » et, si elle doit revoir un muscler son jeu diplomatique et commercial, ce ne doit pas être sous couvert d’affirmer une souveraineté économique qui lui serait préjudiciable in fine.

Du point de vue géopolitique et militaire, l’invasion russe de l’Ukraine constitue un défi existentiel pour l’Europe, perçue dans de larges parties du monde comme un continent en déclin et dont la crédibilité stratégique est faible. A cet égard, l’issue de la guerre en Ukraine sera décisive pour façonner le regard porté sur l’Europe depuis le reste du monde, au moment où la Chine – comme la Russie – développe un discours offensif de contestation de l’ordre multilatéral occidental, voire de stigmatisation de la « décadence européenne ».

Dans ce contexte, il est notable que l’invasion russe a d’abord conduit à une réaffirmation particulièrement nette de la vitalité des relations transatlantiques, dès lors que les Etats-Unis jouent un rôle essentiel pour le soutien à l’Ukraine et à tous ses alliés européens. Face à Moscou, « l’Europe de la défense » porte plus que jamais un nom, celui de l’Otan. Il est à cet égard très symbolique que deux pays nordiques neutres depuis des lustres, la Finlande et la Suède, aient décidé de rejoindre l’Otan, ce qui signifie que 23 des 27 pays membres de l’UE seront aussi membres de l’Otan (ne restent en dehors que les pays neutres que sont l’Autriche, Chypre, l’Irlande et Malte).

La survenance d’une guerre d’invasion sur notre continent a aussi convaincu les Européens de se réarmer, après des décennies où ils avaient tiré les bénéfices de l’après-guerre froide. Le changement culturel à l’œuvre en Allemagne en fournit l’exemple le plus emblématique, notamment symbolisé par la création d’un fonds de dotation de 100 milliards d’euros et l’objectif de consacrer 2% de sa richesse nationale à l’effort de défense. La Pologne devrait également renforcer ses efforts et son rôle en matière militaire et diplomatique, comme l’a confirmé le récent déplacement de Joe Biden à Varsovie.

L’accroissement de l’effort de défense des Européens pourra s’opérer en ordre dispersé ou de manière coordonnée – ce qui supposerait qu’un important travail de convergence soit engagé en matière stratégique, industrielle et institutionnelle.

Sur le plan stratégique, les partisans traditionnels d’une défense européenne doivent plus que jamais inscrire l’essentiel de leurs efforts dans le cadre du renforcement du « Pilier européen de l’alliance atlantique » et du « concept global » de l’OTAN actualisé au sommet de Madrid. Ils doivent aussi souligner que Moscou n’est pas la seule menace dont il faut se prémunir à moyen terme, le cas échéant avec un moindre appui des Etats-Unis, tiraillés entre endiguement de la Chine et repli nationaliste. Il est cependant encore temps de s’aviser que, s’il peut être fécond et entrainant en matière économique, le concept français d’« autonomie stratégique » est contreproductif dans le domaine de la défense, dès lors que la plupart des pays de l’UE considèrent qu’il est porteur d’un risque de découplage avec les Etats-Unis. Ce type de malentendu conceptuel risque de faire perdre beaucoup de temps à la construction européenne s’il n’est pas clarifié – autant que celui qu’avait entrainé l’usage du concept de « gouvernement économique de la zone euro » dans les années 1990 et 2000… La plupart des Européens se demandent d’ailleurs ce qu’ils auraient faits de plus et de mieux face à l’invasion russe de l’Ukraine s’ils avaient déjà joui de cette « autonomie stratégique » en se distançant des Etats-Unis…

Les convergences en matière de défense doivent aussi advenir sur le registre industriel : si l’on veut acheter davantage européen, il faut produire davantage européen, via des coopérations industrielles reposant sur des partages de savoir-faire et de technologies sensibles. Comme on le voit à propos des projets d’avion de combat du futur (« SCAF ») ou de chars de combat, cela ne va pas sans provoquer d’âpres négociations, notamment entre l’Allemagne et la France. Les Européens et les Français sont-ils prêts à un nouveau partage de souveraineté sur leurs projets, éminemment souverains, de défense, afin de renforcer l’efficacité de leurs investissements en ces temps de fortes contraintes budgétaires ?Si tel n’était pas le cas, « l’Europe de la défense », qui ne saurait se résumer à une « France de l’armement », demeurerait dans les limbes.

Les convergences en matière de défense doivent enfin avoir une dimension institutionnelle, afin que les armées et les armements puissent être déployés de concert. Pour efficace qu’elle soit, la capacité du Président français de décider de l’envoi de forces militaires à l’étranger sans débat ni vote du Parlement est pour le moins atypique en Europe, où de telles décisions sont soumis à un contrôle démocratique beaucoup plus fort. Les pratiques en matière d’exportation d’armes sont aussi très différentes dans l’UE, comme l’a rappelé le récent débat sur l’envoi de chars en Ukraine. Il est essentiel que l’ensemble de ces pratiques institutionnelles se rapprochent à moyen terme pour que les efforts de défense accrus des Européens aient une valeur ajoutée encore plus grande.

3. Une Europe continentale à réorganiser

L’invasion russe de l’Ukraine a aussi profondément modifié la perception de l’organisation géopolitique de notre continent – ce que symbolisent les perspectives d’adhésion ouvertes à l’Ukraine et à d’autres pays orientaux et balkaniques. Cette nouvelle donne n’est pas pour rien dans la hausse des tensions entre l’Allemagne et la France, comme à chaque fois qu’il y a du nouveau à l’Est.

De manière immédiate, la guerre en Ukraine repousse en effet le centre de gravité de l’UE vers l’Est et vers le Nord. Un pays comme la Pologne se considère désormais comme le centre de la nouvelle Europe d’un point de vue stratégique. Les autorités polonaises estiment que les Allemands et les Français ont eu tort de ne pas écouter leurs nombreux avertissements sur la menace russe, en particulier depuis l’annexion de la Crimée en 2014. Comme d’autres pays européens directement exposés à cette menace, ils estiment que les Allemands se sont compromis avec la Russie en accroissant leur dépendance gazière, mais aussi qu’Emmanuel Macron s’est montré beaucoup trop conciliant en recevant Poutine à Versailles et à Brégançon, puis en appelant à ne pas « humilier la Russie » en pleine guerre… Dans ce contexte, le « discours de Prague » d’Olaf Scholz peut être perçu comme une tentative de faire passer un message d’ouverture et de réconciliation aux pays d’Europe centrale, orientale et nordique. La relation franco-allemande n’est d’ailleurs pas citée dans ce discours, qui laisse à penser que l’Allemagne compte jouer pleinement sa carte nationale auprès de ces pays.

A moyen terme, le centre de gravité de l’UE est d’autant plus susceptible de se déplacer vers l’Est que l’Ukraine a obtenu un statut de pays candidat à l’adhésion en moins de six mois, un record. Cette perspective ouverte à l’Ukraine a conduit à inclure également la Moldavie dans les pays candidats à l’adhésion, à promettre le même destin à la Géorgie, mais aussi à accorder davantage d’attention aux six pays des Balkans déjà en route vers l’UE. Même si le chemin est encore long, cette nouvelle donne ouvre la voie à une Union élargie à près de 36 Etats-membres, c’est-à-dire à une Union d’autant plus continentale que les Britanniques en sont sortis.

C’est dans ce contexte que le projet de Communauté politique européenne (CPE) a été présenté par Emmanuel Macron à Strasbourg le 9 mai 2022, afin de créer un forum de discussion régulier entre les chefs d’Etat et de gouvernement de l’ensemble du continent. Ce projet a été plutôt bien accueilli par les Etats non-membres de l’UE de petite ou de moyenne taille, dont les représentants n’ont pas tant d’occasions de se concerter au plus haut niveau avec leurs homologues européens. La première réunion organisée à Prague en octobre 2022 en présence de 46 pays a été d’autant plus rassembleuse qu’elle était porteuse d’une volonté claire de parler d’affaires continentales sans y associer la Russie – à la différence du projet d’« architecture européenne de sécurité » promu par Emmanuel Macron. Les trois prochaines réunions programmées en Moldavie (le 1er juin 2023), en Espagne et au Royaume-Uni diront si de tels forums informels peuvent faire la preuve de leur utilité à moyen et long terme au regard des organisation continentales déjà actives (Conseil de l’Europe, Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe, Banque Européenne pour la Reconstruction et le Développement…).

Le projet de CPE a aussi suscité une forme de perplexité auprès d’acteurs suspectant la France de vouloir proposer la participation à cette « Communauté » comme une alternative à l’adhésion pleine et entière à l’UE. Les autorités françaises ont dû préciser qu’il s’agissait de se concerter sans délai sur les sujets d’intérêt communs à tous les pays européens (infrastructures, stabilité, mobilité…), sans attendre la réussite d’un processus d’adhésion par nature plus long. Ces assurances ont été bien reçues, même si les pays concernés savent que toute nouvelle adhésion à l’UE a désormais vocation à être ratifiée par référendum en France, dont le résultat positif est tout sauf garanti. Il n’est dès lors pas certain que les Français aient tout à fait renoncé à privilégier une construction européenne à cercles concentriques, dont la CPE serait le cercle le plus large et le plus lâche, l’UE élargie le 2ème cercle et d’autres formats plus restreints (telle la zone euro) la pointe la plus avancée.

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L’invasion russe de l’Ukraine modifie les équilibres politiques et géopolitiques en Europe, dans une proportion qui dépendra en partie de l’issue de la guerre. Même si les autorités françaises ne l’avaient guère anticipé, cette invasion peut leur donner l’impression qu’elles sont enfin plus audibles : elle est de fait porteuse de prises de consciences et d’évolutions qui peuvent donner corps au projet hexagonal d’Europe puissance, en accordant une moindre priorité aux considérations strictement économiques. Pour autant, il serait abusif de penser que nos partenaires européens vont spontanément s’aligner sur une vision française désormais mieux perçue et dont les mérites seraient reconnus. L’américano-scepticisme compulsif de la France, les liens qu’elle aime cultiver avec la Russie, sa préférence instinctive et nostalgique pour une Europe plus intégrée voire plus petite constituent à cet égard autant d’éléments persistants et urticants aux yeux de nos partenaires – il en va de même du déficit de compétitivité affectant nos performances industrielles et commerciales. Il serait salutaire que la posture prophétique adoptée depuis le discours de la Sorbonne n’altère pas notre discernement sur tous ces points. Lorsque la chute du mur de Berlin a conduit à la création de l’UE et à la mise sur les rails de l’euro, la France a eu conscience de la nécessité d’engager des efforts de convergence en matière économique, monétaire et budgétaire afin de participer pleinement à cette nouvelle étape de la construction européenne. C’est désormais à des convergences de type diplomatique, politique et militaire que la nouvelle donne créée par l’invasion russe de l’Ukraine invite tous les Européens, dès lors qu’elle a d’ores et déjà certainement changé l’UE, mais sans doute pas encore la manière dont les Français la perçoivent et la conçoivent.

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Yves Bertoncini

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