Ce texte a tout d’abord été publié en anglais dans le projet« Plus désunis que jamais ? Analyse comparative des élections européennes de 2024 ». Il est mené dans le cadre d’une coopération entre Das Progressive Zentrum (Berlin, Allemagne) et European Policy Centre (Bruxelles, Belgique). Il associe en outre : Istituto Affari Internazionali (Italie), Terra Nova (France) et Krytyka Polityczna (Pologne). Ce projet est soutenu par Open Society Foundations.
Introduction
Les élections européennes de 2024 ont eu lieu exactement 20 ans après l’adhésion de la Pologne à l’UE. Mais cette année, l’ambiance dans le pays n’était pas vraiment à l’euro-enthousiasme et, encore moins, à la fête en raison d’un scepticisme croissant à l’égard du Green Deal européen et du nouveau pacte sur les migrations et l’asile. En outre, les élections de cette année ont été assombries par les menaces sécuritaires venant de l’Est.
Alors que les élections européennes ont toujours été de « second ordre » en Pologne, la polarisation politique croissante du pays a particulièrement mis l’accent cette année sur les enjeux de politique intérieure et sur les appartenances partisanes. Plus encore que lors des élections précédentes, les thèmes européens ont été débattus dans une perspective nationale, en particulier le contrôle de l’immigration, le renforcement des forces armées et la protection de la compétitivité de l’agriculture polonaise. L’élection a servi à recueillir et à mesurer le soutien politique à l’intérieur du pays.
Le résultat a cristallisé l’antagonisme entre Donald Tusk, leader de la Plateforme civique (PO) et actuel Premier ministre, et Jarosław Kaczyński, leader du parti Droit et Justice (PiS). Le résultat ne détermine pas seulement la répartition des sièges au Parlement européen (PE), où la Pologne dispose de 53 sièges mais peut également être interprété à travers le prisme de la lutte pour le pouvoir qui se poursuit au niveau national. Il peut être considéré soit comme un signe de consolidation du pouvoir de la Koalicja Obywatelska (Coalition civique, qui comprend des partis qui font partie du PPE, de Renew et des Verts européens) et donner le coup de grâce à la coalition de la Droite unie, dont les partis fondateurs appartiennent aux Conservateurs et réformistes européens (ECR) au PE ; soit comme une preuve de la faiblesse de la coalition actuelle et de la prédominance persistante du PiS sur la scène politique nationale. D’autres partis et cartels électoraux, tels que Trzecia Droga (Troisième voie, membre du PPE et de Renew), Lewica (La gauche, membre des socialistes et démocrates) et le parti d’extrême droite Konfederacja (Confédération, non aligné au PE), ont été relégués au second plan par l’affrontement permanent entre les deux rivaux principaux.
Marathon électoral sur fond de manifestations d’agriculteurs et de menaces sécuritaires
Depuis février 2022, la politique polonaise a été fortement affectée par la guerre russe contre l’Ukraine. Cette guerre a eu des répercussions directes sur le pays, confronté à divers défis : accueil de millions de réfugiés ukrainiens, réaction contre les nouvelles menaces venues de Russie, principalement dues au conflit armé dans le voisinage de la Pologne, conflits politiques autour de la sécurité alimentaire et de l’importation de céréales ukrainiennes, ainsi que défis budgétaires inattendus liés à l’octroi d’une aide directe et indirecte à l’Ukraine. D’autres événements importants se sont produits au cours de la période précédant les élections du Parlement européen, tels que les protestations des agriculteurs contre le « Green Deal » européen et les tensions croissantes dues aux pressions exercées par les migrants à la frontière entre la Pologne et le Belarus.
L’élection européenne était une nouvelle étape dans le marathon électoral commencé en octobre 2023 avec les élections législatives polonaises, suivies par les élections régionales en avril 2024. Cette course s’achèvera à la fin du printemps 2025 avec le scrutin présidentiel. Ce mode de campagne continu alimente la rivalité politique féroce entre le PiS, qui s’accroche aux vestiges du pouvoir, et le KO, mené par la Plateforme civique (PO), qui tente de reconquérir à la fois le législatif et l’exécutif dans le pays. Cette mobilisation permanente pourrait finir par lasser les électeurs. Le taux de participation record aux élections législatives de 2023 pourrait avoir été un effort de mobilisation ponctuel, au lieu d’un changement permanent de la pratique politique, comme beaucoup l’espèrent. La querelle entre Tusk et Kaczyński, qui dure depuis une décennie, a longtemps frustré les Polonais qui aspirent à un changement générationnel mais ne voient pas d’alternatives émerger.
Quatre grands thèmes : Green Deal, Migration, Sécurité, Fédéralisation
En raison des élections régionales nationales d’avril, la campagne européenne n’a véritablement commencé qu’en mai. La dimension programmatique de la campagne électorale a été complètement éclipsée par la composition des listes. Les partis politiques n’ont utilisé les médias sociaux que de manière très limitée : les publicités payantes n’ont eu qu’une faible portée et ont été financées par des budgets très limités. Tous les partis ont plutôt donné la priorité au contact direct avec les électeurs en faisant du démarchage et en organisant des événements locaux.
Le clivage principal dans le paysage politique polonais lors des élections européennes opposait – comme dans de nombreux autres pays de l’UE – les attitudes pro-européennes aux attitudes eurosceptiques. Le centre-droit, les libéraux, les Verts et la gauche ont présenté une image plutôt positive de l’UE, soulignant les avantages de l’adhésion de la Pologne à l’UE, tels que le renforcement de la sécurité en temps de guerre, la lutte contre le changement climatique et les tranferts financiers. Dans le camp opposé se trouvaient les conservateurs nationaux et l’extrême droite. Pendant la campagne de 2024, aucun des partis n’a plaidé en faveur du « Polexit » mais beaucoup se sont lancés dans une rhétorique pessimiste sur l’UE, soulignant la nécessité de défendre la souveraineté et la sécurité de la Pologne, ainsi que les intérêts financiers des citoyens polonais.
Le Green Deal européen, les questions de migration et de sécurité ont dominé les débats électoraux. Après la vague de protestation des agriculteurs, qui s’est déroulée de mars à mai, le Green Deal est devenu une source de mécontentement en Pologne. La responsabilité politique de la mise en œuvre de cette politique a été attribuée au commissaire européen à l’agriculture, Janusz Wojciechowski du PiS, y compris par son propre parti. La coalition gouvernementale, KO, a adopté une position ambivalente à l’égard du Green Deal au cours de cette campagne. Tout en reconnaissant la nécessité de répondre au changement climatique et d’adapter les politiques agricoles aux nouveaux défis, ils ont reproché au PiS les défauts de conception du Green Deal. La défense des politiques environnementales était un point fort de Trzecia Droga (Renew et PPE) et Lewica (S&D) bien que le potentiel de polarisation entourant le sujet ait atténué leur rhétorique pro-climat. Cette ambiguïté reflète l’état d’esprit général de la société polonaise : les Polonais soutiennent généralement les politiques respectueuses du climat mais ils sont extrêmement critiques à l’égard du Green Deal européen.
Un autre thème exploité au cours de cette campagne a été celui de la migration. Il a envahi le débat public peu avant les élections, alimenté par des reportages sur un soldat polonais en service qui a été poignardé à mort par un migrant qui tentait de franchir la frontière depuis la Biélorussie. Cela n’a fait qu’aggraver la panique morale à l’égard des migrants ainsi que la crainte d’une escalade de la guerre hybride avec le Kremlin et ses alliés. En tant que chef de parti et Premier ministre, Donald Tusk n’a cessé de critiquer les plans de relocalisation des migrants non européens prévus par le Pacte sur les migrations, reprochant au précédent gouvernement de droite unie dirigé par le PiS de ne pas avoir réussi à protéger les intérêts de la Pologne à Bruxelles. Le parti d’extrême droite Konfederacja a mis l’accent sur les effets négatifs présumés du pacte migratoire, expliquant qu’il entraînerait une augmentation de la pression migratoire en raison de l’acceptation de migrants non européens dans l’UE et de l’introduction de quotas de relocalisation. Ces messages d’extrême droite reflètent l’état d’esprit général : les Polonais sont réticents à laisser entrer dans le pays les migrants bloqués à la frontière avec la Biélorussie. En 2021, près de six personnes interrogées sur dix pensaient que les migrants arrivant à la frontière avec la Biélorussie ne devraient pas être autorisés à demander l’asile en Pologne, et ce point de vue est devenu de plus en plus populaire.
Deux autres questions contextuelles ont trouvé un écho dans cette campagne électorale. D’une part, la tentative d’assassinat de Robert Fico, le Premier ministre de la Slovaquie, pays voisin de la Pologne, et d’autre part, la défection au Belarus d’un juge polonais de haut rang ayant eu accès à des données confidentielles. Toutes les parties ont donc accordé la priorité à la sécurité, tant sur le plan militaire, en protégeant la frontière orientale contre les actions nuisibles potentielles de Moscou et des migrants, que sur le plan intérieur, en luttant contre l’espionnage. Enfin, les réformes institutionnelles potentielles de l’UE, en particulier une modification discrète du droit de veto au sein du Conseil, ont été perçues – surtout par les partis de droite – comme une menace pour la souveraineté de la Pologne. Seule la gauche s’est prononcée contre le droit de veto et en faveur d’une intégration plus poussée. Il est intéressant de noter qu’à l’exception du parti libéral Trzecia Droga, personne n’a plaidé en faveur de l’introduction de l’euro.
Une victoire symbolique pour Tusk – mais le vrai gagnant est l’extrême droite
Les règles nationales relatives aux élections européennes en Pologne établissent un système de vote préférentiel basé sur 13 circonscriptions, un seuil électoral de 5% et un âge légal de vote de 18 ans. Au total, 11 partis politiques, coalitions ou comités d’électeurs ont enregistré leurs listes pour les élections européennes – sept d’entre eux dans toutes les circonscriptions. Les cinq principaux concurrents étaient tous des alliances électorales de partis politiques, parfois affiliés à des groupes différents au sein du PE (Koalicja Obywatelska, Trzecia Droga).
Un mois avant les élections, les préférences des électeurs reflétaient en moyenne la composition du parlement polonais. Le PiS et KO étaient au coude à coude (31 % contre 30,4 %), suivis par le parti libéral-conservateur Trzecia Droga (10,2 %), le parti d’extrême droite Konfederacja (9,5 %) et le parti de gauche Lewica (8,7 %), avec 7,7 % d’indécis. Les autres partis n’ont pas atteint le seuil des 5 %. Les résultats finaux se sont écartés dans une certaine mesure de ces prévisions. Alors que la coalition gouvernementale KO l’a emporté de justesse contre le PiS conservateur et son partenaire de coalition junior Suwerenna Polska (37,06 % contre 36,16 %), les partis de second rang ont connu un sérieux réajustement. Trzecia Droga (Renouveau et PPE) a subi des pertes significatives (6,91% des voix) et Lewica (gauche/S&D) a également sous-performé (6,3%). Reflétant la tendance générale dans l’UE, le parti d’extrême droite Konfederacja a pris la troisième place du podium, réalisant des gains significatifs par rapport à 2019 (12,08 % contre 4,55 %). En conséquence, la cohorte de 53 eurodéputés polonais se composera de 23 membres du PPE, 20 membres de l’ECR, trois membres du S&D et un membre du groupe Renew. Les six eurodéputés du parti d’extrême droite Konfederacja ont rejoint le groupe « Europe des Naitons souveraines » lancé par l’AfD.
La concurrence féroce entre les camps de l’actuel et de l’ancien gouvernement n’a pas été tranchée mais Tusk a réussi à mobiliser davantage d’électeurs, cannibalisant au passage les électorats de Trzecia Droga et de Lewica, au point de pouvoir finalement obtenir une victoire symbolique sur le PiS. Peut-être qu’un vote tactique contre le parti PiS a convaincu certains électeurs de porter leur voix sur le plus ferme adversaire du gouvernement précédent. En conséquence, le nouvel acteur de la politique polonaise, Trzecia Droga, n’a pas réussi à consolider sa place dans le paysage politique. Les mauvais résultats de la gauche ont encore érodé son influence au sein de la coalition gouvernementale en tant que partenaire le plus petit et le plus faible. Seule l’extrême droite nationaliste avait des raisons de se réjouir au soir du vote. Toutefois, la scène politique polonaise reste dominée par le duo KO-PiS, qui rassemble un peu plus de 73 % des voix.
Le résultat de 2024 est difficilement comparable à celui de 2019 car les formations politiques et les coalitions ne se présentaient pas sous les mêmes formes. En 2019, l’opposition avait formé un large front uni contre le PiS, allant des démocrates-chrétiens aux sociaux-démocrates, aux libéraux et aux Verts (totalisant 38,47 % de l’ensemble des voix). D’autres partis de gauche s’étaient présentés séparément, avec un succès modeste. Le parti nationaliste Konfederacja avait échoué lamentablement, n’atteignant pas le seuil électoral. Le vainqueur incontesté de ce scrutin avait été le PiS, avec un score de 45,38 %, ce qui reflétait son hégémonie sur la politique intérieure. Par rapport à 2019, le PiS a perdu près de 2 millions de voix cette fois-ci.
Les élections européennes suscitent généralement moins d’intérêt que les élections législatives mais la participation aux deux derniers scrutins a doublé (2019 : 45,68 % contre 23,83 % en 2014, 2009 : 24,53 % contre 20,87 % en 2004). Cela exprime sans doute l’adoption des élections européennes comme un processus politique standard : la normalisation de l’adhésion de la Pologne à l’UE. Toutefois, on ne peut exclure un effet d’entraînement sur la mobilisation des électeurs de la rivalité politique féroce au niveau national.
L’enthousiasme pour l’Europe se refroidit
Les élections européennes de 2024 ont eu lieu 20 ans après l’adhésion de la Pologne à l’UE (1er mai 2004). La Pologne a toujours été l’une des sociétés les plus pro-européennes. C’est en 2004 que les controverses autour de l’adhésion à l’UE ont été les plus vives avec d’intenses campagnes « pour » et « contre » précédant le référendum. Au cours des 20 dernières années, le pourcentage d’opposants n’a jamais dépassé 1/5e de la population (avec un pic en 2014), avec un soutien record à l’adhésion à l’UE de 92 % en 2022.
Le tableau est plus sombre lorsqu’il s’agit des coûts et des avantages de l’adhésion à l’UE. L’enthousiasme des Polonais pour l’UE s’est clairement refroidi ces dernières années. Aujourd’hui, seuls 77 % des Polonais soutiennent l’appartenance à l’UE, 59 % y voyant plus d’avantages que d’inconvénients. Les avantages financiers et économiques sont suivis par la liberté de circulation et la sécurité. De toutes les politiques de l’UE, ce sont les migrations, la transition écologique et l’agriculture qui suscitent le plus d’inquiétudes chez les Polonais.
En ce qui concerne la subsidiarité ou le soutien à des politiques européennes particulières, les opinions favorables à l’UE sont liée aux orientations politiques : les électeurs nationaux-conservateurs et d’extrême droite (PiS, Kon- federacja) ont tendance à être plus souvent en désaccord avec le développement de politiques européennes tandis que les personnes votant au centre-droit ou à gauche (Trzecia Droga, Lewica, KO) soutiennent généralement l’action de l’UE. Cela était particulièrement vrai pour les différends entre le précédent gouvernement dirigé par le PiS et l’UE, tels que les opérations d’exploitation forestière de 2016 dans la forêt de Białowieża, les zones libres LGBTQ de 2019, le processus d’autorisation de 2020 pour la mine de lignite de Turów et la crise de l’État de droit de 2021.
La concurrence et la polarisation politiques accrues ont transformé les élections européennes en un nouvel indicateur de soutien ou d’opposition à des politiques nationales spécifiques et en une plateforme sur laquelle s’exprime l’affiliation partisane. L’UE a été envisagée du point de vue des intérêts nationaux et à travers le prisme de la rivalité politique intérieure. L’européanisation des campagnes électorales et des débats ne s’est tout simplement pas concrétisée.
Consensus sur l’appartenance européenne, pas sur la vision de l’Europe
L’affrontement entre le KO et le PiS, deux joueurs de première division qui se disputent sans cesse la première place, a déterminé l’ordre du jour de la campagne électorale. À l’approche des élections, le patriotisme ostentatoire et les accusations mutuelles de trahison au profit de Bruxelles, de l’Allemagne, de la Russie et du « Polexit” se sont intensifiées.
Le PiS et son partenaire de coalition junior, Suwerenna Polska,ont choisi « les blancs-rouges » comme slogan de campagne. Le parti s’est lancé dans une critique du « diktat bruxellois » et a stimulé les sentiments anti-allemands qui avaient déjà marqué la campagne législative de 2023. Il a plaidé pour une « Europe des patries » et s’est fermement opposé à toute nouvelle fédéralisation.
Parmi les grands thèmes de campagne, le PiS a mis en avant le Green Deal européen en dénonçant ses conséquences désastreuses pour l’agriculture et son impact sur la vie quotidienne, comme l’augmentation du coût de la vie, des voyages et des emprunts : « Le Green Deal est une arnaque, c’est de la pauvreté, il faut y mettre fin », a déclaré l’ancienne Première ministre et candidate aux élections européennes, Beata Szydło, au cours de sa campagne. Le pacte sur les migrations a été présenté comme une menace pour la sécurité nationale. Le débat sur les modifications envisagées du traité, y compris la suppression des droits de veto ou la poursuite d’une intégration encore plus étroite, a dérapé et s’est orienté vers des appels émotionnels à la protection de la souveraineté nationale, y compris le złoty polonais.
L’approche instrumentale du PiS à l’égard du PE s’est manifestée par le fait qu’il l’a traité comme une sorte de maison de retraite politique désaffectée. Le PiS a souvent tendance à récompenser ses membres les plus actifs en leur offrant des mandats bien rémunérés en tant que membres du Parlement européen, et cette fois-ci n’a pas été différente. Par exemple, Maciej Wąsik et Mariusz Kamiński, anciens fonctionnaires récemment condamnés pour l’utilisation abusive du logiciel espion Pegasus, étaient sur la liste des candidats. D’autres membres fidèles du parti ont été récompensés, comme Jacek Kurski, ancien président de la radiodiffusion publique TVP, Daniel Obajtek, ancien président exécutif du raffineur de pétrole public PKN Orlen accusé de corruption ou encore Beata Szydło, Première ministre de 2015 à 2017.
La Coalition civique (KO) dirigée par Tusk a présenté aux électeurs le programme le moins détaillé, se concentrant plutôt sur la composition de ses listes. La coalition a défini comme priorités la sécurité et les dépenses d’armement, l’énergie saine et durable, ainsi que la défense des intérêts des entrepreneurs et des agriculteurs polonais. La KO a souligné son récent succès diplomatique dans le déblocage des fonds de l’UE provenant de la Facilité pour la relance et la résilience (RFF). Le parti a également mis en garde contre le style combatif de la politique représenté dans le passé par le PiS à Bruxelles/Strasbourg : « Le Parlement européen ne peut pas être un lieu pour les fous et les idiots politiques », a déclaré Tusk lors d’une conférence de presse en mai, et son ton est devenu de plus en plus offensif à mesure que la campagne se déroulait. Dans la dernière ligne droite, la campagne de M. Tusk s’est principalement concentrée sur les efforts visant à améliorer la sécurité à la frontière orientale et sur l’immigration. Il s’agit d’un changement significatif dans la rhétorique de Tusk : en tant que leader de l’opposition, il avait l’habitude d’accuser le gouvernement PiS d’adopter une approche inhumaine à l’égard des migrants. Lorsqu’il a pris les rênes du pouvoir, il a été confronté non seulement à des tensions croissantes avec le Belarus mais aussi à une opinion publique qui n’est pas favorable aux migrants. Cette combinaison de facteurs a probablement provoqué un virage à 180 degrés dans son approche.
La lutte pour la troisième place entre Trzecia Droga, Lewica et Konfederacja était plus importante. Trzecia Droga (Troisième voie), une coalition de Polska 2050 Szymona Hołowni (Szymon Hołowinia Poland 2050) et du parti agraire PSL (Polish People’s Party) a présenté son offre avec le slogan suivant : « La troisième voie – soyez vous-même en Europe ». Ils ont tenté de proposer un récit européen positif et ont souligné la nécessité pour la Pologne de jouer un rôle proactif dans la défense de ses intérêts et l’élaboration des politiques de l’UE.
Le message principal était d’assurer la paix et la croissance économique. Ils ont fixé les priorités suivantes : la sécurité (défense des frontières), la transition verte (investir dans l’énergie nucléaire et modifier le Green Deal européen), la défense des intérêts des agriculteurs polonais dans l’UE, la politique européenne de santé et la compétitivité numérique. La coalition de partis Trzecia Droga a souligné que ses partis fondateurs appartiennent à différents groupes du PE (Renew et EPP), ce qui leur donne plus de poids pour influencer les décisions politiques et construire des ponts pour des alliances entre partis.
L’alliance des partis de gauche, Lewica, a inauguré sa campagne avec le slogan « L’Europe pour vous ». Il s’agissait de la campagne la plus euro-enthousiaste, visant un électorat pro-européen. Ils ont plaidé pour une plus grande intégration européenne en matière de politique sociale : lancement d’un fonds européen pour le logement ; création d’un paquet européen pour les travailleurs afin de mieux protéger leurs droits, en particulier le salaire minimum, la transparence des salaires, la protection contre le harcèlement moral au travail, l’interdiction des stages non rémunérés, la lutte contre les contrats précaires et l’investissement dans des initiatives européennes communes dans le domaine des soins de santé. Ils ont également opté pour une politique de sécurité plus intégrée. Lewica a continué à développer son thème de prédilection, l’égalité entre les hommes et les femmes mais, cette fois-ci, dans une dimension européenne, en proposant l’adoption de la Charte européenne des droits de la femme. Pourtant, malgré un programme ambitieux et très complet, fortement axé sur l’Europe, ils n’ont pas été en mesure d’élargir leur électorat.
« Nous voulons une vie normale », telle était la devise du parti d’extrême droite Konfederacja. Il a utilisé les messages eurosceptiques les plus prononcés, sous une forme simple et concise. Leurs positions centrales peuvent être résumées en quatre points : « Non au Green Deal européen ; Non à la directive sur la performance énergétique des bâtiments ; Oui au diesel ; Oui à la monnaie polonaise, le Złoty ». Ils sont également opposés à l’élargissement de l’UE dans un avenir proche. Dans les débats publics et sur les médias sociaux, Konfederacja a exploité trois sujets en particulier : l’immigration, qualifiant le nouveau pacte sur la migration et l’asile d’idée « absurde » visant à légaliser l’immigration.
Ils ont également mis en garde contre la perte de contrôle due à l’expansion des pouvoirs de l’UE, à une fiscalité excessive et – à leurs yeux – à une fédéralisation en cours.
Dans la même veine, mais avec une portée électorale beaucoup plus réduite, l’objectif du parti Polexit n’était – étonnamment – pas le « Polexit ». Au lieu de cela, il plaidait pour ce qu’il supposait être « une Union européenne telle qu’envisagée par les Pères fondateurs (un espace de libre-échange et de libre circulation des personnes, et non la domination des États et le pouvoir de la bureaucratie) », s’abstenant d’imposer « des lois qui ralentissent le développement de la Pologne ». D’autres comités eurosceptiques comprenaient Głos Silnej Polski (La voix de la Pologne forte), Ruch Naprawy Polski (Mouvement pour la réparation de la Pologne), Normalny Kraj (Pays normal) et Bezpartyjni Samorządowcy (Politiciens locaux non partisans). Un groupe libéral, anti-establishement et pro-démocratie directe, Strajk Przedsiębiorców (Grève des entrepreneurs), fondé en réponse aux restrictions du COVID-19, a également participé aux élections européennes, mais sans programme européen particulier.
Une voix plus forte pour la Pologne dans l’UE
Le rôle de la Pologne en Europe devrait s’amplifier dans les années à venir. Depuis le déclenchement de la guerre russe en Ukraine, la frontière orientale de la Pologne constitue une ligne de défense géographique importante pour l’ensemble des pays européens. Le soutien inconditionnel des Polonais à l’Ukraine, en particulier à travers l’accueil de milliers de réfugiés ukrainiens, a renforcé le poids de sa parole sur les questions géopolitiques. En outre, l’alternance politique de 2023 a permis le retour au pouvoir de Donald Tusk qui, en tant qu’ancien président du Conseil européen, connaît le fonctionnement interne de l’UE et dispose donc d’une grande expertise en la matière.
La délégation polonaise au Parlement européen compte désormais 53 eurodéputés, avec un siège supplémentaire ajouté dans la foulée du Brexit. Elle est la cinquième délégation en nombre d’élus. En ce qui concerne les personnalités polonaises importantes, lors de la dernière législature (2019-2024), Ewa Kopacz (PPE/PO) était la vice-présidente du Parlement européen, tandis que Janusz Wojciechowski (ECR/ PiS) était le commissaire à l’agriculture.
La situation géographique de la Pologne la prédestine à jeter des ponts entre l’UE et l’Europe de l’Est. Ainsi, Tomasz Frankowski (PPE) a coprésidé le groupe de travail sur la Biélorussie de l’Assemblée parlementaire Euronest, un forum interparlementaire où se rencontrent des membres du Parlement européen et des parlements nationaux d’Ukraine, de Moldavie, d’Arménie, d’Azerbaïdjan et de Géorgie. Par ailleurs, le pays continue de jouer un rôle actif dans le développement des relations entre l’UE et l’Ukraine. Malgré les frictions concernant les importations de produits agricoles et des contentieux historiques non résolus, la Pologne se sent particulièrement prédestinée à jouer ce rôle vis-à-vis de l’Ukraine : en tant que voisine, en tant que pays directement menacé par une éventuelle escalade de l’agression russe et en tant que plus grand pays de l’élargissement « big bang » de 2004, ce qui lui confère une bonne expérience du processus d’adhésion.
Deux députés, Robert Biedroń (S&D/Wiosna) et Sylwia Spurek (Verts), ont également été actifs au sein de la commission des droits de la femme et de l’égalité des genres du Parlement européen. Cela est probablement dû à la lutte pour le droit à l’avortement en Pologne, qui a vu des foules nombreuses descendre dans la rue et s’organiser pour lutter contre la politique restrictive de l’ancien gouvernement en matière de droits des femmes et de droits à la procréation.
Enfin, les affrontements au sujet de l’État de droit entre la Pologne et l’UE indiquent également que les décideurs polonais au sein de l’UE ont joué un rôle important dans ce domaine politique. Par exemple, huit eurodéputés polonais, issus de tous les horizons de la scène politique, ont rejoint la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures (LIBE) du Parlement européen, dont Andrzej Halicki (PPE/PO) est le vice-président. Bien que les tensions soient moindres depuis que Donald Tusk est devenu Premier ministre et que l’UE a abandonné la procédure de l’article 7, l’expertise de la Pologne dans ce domaine devrait rester importante pour l’élaboration des politiques de l’UE, d’autant plus que d’autres pays sont confrontés à des régressions démocratiques.
Conclusion
Après l’alternance de 2023 qui a renvoyé la coalition PiS (droite unie) dans l’opposition et a permis l’arrivée à la tête du gouvernement polonais de l’ancien président du Conseil européen Donald Tusk, la Pologne a laissé de côté sa politique de confrontation avec l’UE et aspire même à une position de leader plus forte. Elle a clairement indiqué qu’elle était de retour à la table des négociations à Bruxelles.
De 2019 à 2024, la Pologne a axé ses politiques européennes sur trois priorités : éviter les réformes institutionnelles fondamentales et en particulier les modifications du traité ; négocier le pacte européen sur la migration et l’asile et rejeter le mécanisme de relocalisation ; et exiger un soutien structurel pour les États membres de l’UE « moins avancés » et des exemptions réglementaires pour le secteur agricole afin d’éviter le lourd fardeau environnemental du Green Deal européen. Ces questions ont dominé la campagne dans tous les partis, et aucun changement d’orientation n’est à prévoir à l’avenir sur ces trois questions principales. Compte tenu des défis géopolitiques actuels, un nouvel accent sur la sécurité et le renforcement du potentiel de défense de l’UE figurera certainement parmi les priorités polonaises, toutes sensibilités politiques confondues. En fait, la Pologne fait pression pour la création d’un nouveau poste de commissaire européen à la défense et serait intéressée à le pourvoir. En outre, les intérêts polonais devraient rester prioritaires à Bruxelles, puisque la Pologne accueillera la présidence du Conseil au cours du premier semestre 2025.