L’étrange recul des régionalistes en Europe

L’étrange recul des régionalistes en Europe
Publié le 12 novembre 2024
  • Diplômé en Administration Publique de Sciences-Po Paris (promotion 2018)
Dans les années 2000, il semblait que la construction européenne favorisait l’affirmation des régionalismes au détriment des ensembles nationaux. Or, les élections de juin dernier montrent un mouvement inverse. Assiste-t-on à un recul de la revendication autonomiste ? Ou à de nouveaux équilibres politiques et institutionnels entre Etats centraux et aspirations régionales ?
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Au cours des années 2000-2010, l’affirmation de mouvements régionalistes réclamant autonomies ou indépendances fut un des traits marquants de la politique européenne. Ainsi, lors des élections européennes de 2004, le Vlaams Belang autonomiste néerlandophone s’imposait comme le deuxième parti belge le plus important. La même année, une liste réunissant les autonomistes basques, catalans et galiciens (sous l’acronyme de Galeusca) comptait comme le troisième parti espagnol. Ces partis se sont, depuis, alliés dans la liste CEUS pour maximiser leurs voix à chaque scrutin européen. Pour les élections européennes de 2009, La Ligue du Nord pour l’indépendance de la Padanie doublait son score de 2004 en réunissant 10% des voix. Dans la même période, le parti national écossais SNP dominait largement les scrutins lors des élections parlementaires écossaises. 

De la revendication culturelle à l’égoïsme du bien-être

         Ce régionalisme autonomiste était bien différent de celui qui avait émergé dans les années 1970, centré sur la défense de l’identité culturelle et la critique d’un centralisme unificateur parfois brutal. Le régionalisme des années 2000-2010 émergeait dans des pays déjà largement décentralisés, au sein de régions qui avaient le sentiment de s’en sortir mieux d’un point de vue économique que le reste du pays. Leur réussite relative était opposée à un fonctionnement national perçu comme défaillant. Ainsi, la Catalogne s’affirmait comme une économie prospère face à une Espagne en stagnation économique. En Belgique, des Flamands plus prospères que les Wallons, dans une inversion des fortunes économiques belges par rapport au XIXe siècle, contestaient un système fédéral trop partageux à leur goût. L’Écosse s’estimait lésée par l’austérité budgétaire mise en place par les Tories à partir de 2010. Enfin, en Italie, la Ligue du Nord passait de la défense d’une “Padanie”, province à créer regroupant les territoires baignés par le Po, fantasmée dans les années 1990, à celle d’un Nord mis à contribution pour le Sud italien, dans une reprise du clivage entre les deux Italie affectant le discours national transalpin depuis 1861.

L’égoïsme fiscal de ces mouvements contredisait leur coloration sociale. Leur prospérité régionale relative ne suffisait pas à démontrer la viabilité économique d’une sécession.

La couleur politique du gouvernement central favorisait la contestation régionaliste. De ce fait, les motivations de ces régionalismes ascendants étaient exposées aux aléas des circonstances politiques. Une orientation politique à gauche accompagnait en Catalogne ou en Ecosse la critique de l’orientation conservatrice des gouvernements centraux de Madrid et de Londres. Mais l’alternance politique à l’échelle nationale pouvait rapidement remettre en cause l’attractivité du vote autonomiste.

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Le processus sécessioniste s’est affirmé le plus clairement en Catalogne lors de la proclamation unilatérale de l’indépendance en 2017 avant que le Gouvernement espagnol ne suspende l’autonomie régionale et que des poursuites ne soient entamées contre certains de ses dirigeants, ensuite exilés en Suisse ou à Bruxelles et récemment amnistiés. Ce cas s’avéra toutefois être un avertissement, aucune autre région espagnole ne soutenant la Catalogne – les régionalistes basques se tenant sur une ligne intermédiaire condamnant les poursuites pénales contre des opinions politiques. Surtout, la perspective de l’indépendance butait sur la perspective ultérieure d’une adhésion à l’UE. Ainsi, la Commission Européenne, dans un communiqué du 2 octobre 2017, parvenait-elle à un équilibre entre distance et fermeté : définissant la crise catalane comme “une question interne à l’Espagne qui doit être réglée dans le respect de l’ordre constitutionnel de ce pays”, elle exposait toutefois que, même dans le cas d’un référendum organisé conformément à la Constitution espagnole, “cela signifierait que le territoire qui partirait se retrouverait en dehors de l’Union européenne1. Cette analyse est cohérente avec la lettre des traités, l’Article 49 du TUE expliquant qu’un État candidat doit recevoir l’accord de l’unanimité du Conseil de l’Union Européenne, une majorité au Parlement, que le Conseil Européen doit approuver des “critères d’éligibilité” et que tous les États-membres doivent ensuite ratifier cette adhésion. Or, on imagine facilement que l’Espagne aurait refusé l’entrée d’une Catalogne indépendante et que d’autres pays, comme l’Italie par exemple, auraient préventivement suivi le mouvement pour décourager toute autre velléité autonomiste. Dans l’Europe actuelle, l’indépendance s’avère donc bien plus complexe qu’au XXe siècle, où des indépendances pouvaient s’obtenir dans un cadre négocié avec un seul autre acteur (tel le Traité Anglo-Irlandais en 1921) ou avec quelques soutiens internationaux (tels ceux apportés par la France et le Royaume-Uni à la Tchécoslovaquie).

         Ce choix diplomatique fort de la Commission Juncker n’a pas été expliqué depuis. L’Union Européenne ne cite en effet pas l’intégrité territoriale parmi ses valeurs à l’article 2 du TUE, mais la mentionne comme exemple des « fonctions essentielles de l’État » à l’article 4 du même Traité, de façon cohérente avec les paradigmes autour de cette notion depuis l’Accord de Helsinki en 1975 (que la CEE, ne disposant pas d’une politique extérieure commune, ne signa pas). Le communiqué de la Commission du 2 octobre 2017 semble constituer une doctrine de l’UE sur les autonomismes en son sein. Le repoussoir de l’effondrement sanglant de la Yougoslavie dans les années 1990 reste assez présent dans les esprits pour défendre la stabilité géographique et politique au sein de l’UE. Le souvenir plus ancien de la fin de l’empire Austro-Hongrois joue encore un rôle pour les pays d’Europe centrale. Si plusieurs États-membres sont issues de ces deux démembrements, un seul est né en se séparant d’un pays ayant continué sans lui : la République d’Irlande après son départ du Royaume-Uni. Mais cet exemple, après une partition et une guerre civile, ne peut s’invoquer dans une époque et une UE privilégiant la paix et la coexistence.

La crise du fédéralisme espagnol

La critique des « égoïsmes du bien-être » de ces mouvements régionalistes et cette réponse institutionnelle forte de l’UE mirent les électeurs face aux conséquences réelles de ces projets. Il est ainsi notable que, depuis, la CUP, parti revendiquant l’unification de toutes les régions où le catalan est pratiqué (dont les Îles Baléares et une partie de la Communauté Valencienne) a presque disparu électoralement (après avoir été critiquée à gauche pour avoir  voté, aux côtés du PP, de droite, contre l’investiture de Pedro Sanchez) et que la Gauche Républicaine Catalane (ERC), historiquement plus critique envers la monarchie et plus à gauche que les régionalistes catalans institutionnels, est devenue le mouvement majoritaire dans cette tendance. Il a toutefois été de nouveau battu par Junts en 2024, tant aux régionales (un peu moins de huit points d’écart avec une forte baisse pour l’ERC compréhensible par un rejet de son travail constructif avec le PSOE à Madrid face à Junts considéré comme plus intransigeant) qu’aux européennes (3,2 points d’écart, résultat difficilement interprétable car l’ERC se présentait avec EH Bildu et le BNG dans une alliance des partis régionalistes espagnols de gauche). De plus, au Parlement européen, ces trois partis siègent dans le groupe Verts alors que Junts reste parmi les Non-Inscrits, ce qui le rend moins efficace)

Mais l’électorat catalan non-autonomiste ou non-indépendantiste a fortement fluctué depuis quelques années : vers Ciudadanos, qui voulait moderniser la droite catalane en acceptant un autonomisme modéré et le bilinguisme espagnol/catalan tout en rejetant fermement l’indépendantisme2, dans un premier temps, vers les socialistes aujourd’hui. Le PP, grand parti de droite, et Vox, son allié d’extrême-droite, restent en dessous de 22% cumulés en Catalogne (19,96% aux dernières européennes, 21,10 aux législatives de 2023), ce qui, aux côtés de leurs faibles scores au Pays Basque, les empêcha d’atteindre une majorité absolue lors des dernières législatives. Ce scrutin conduisait à constater qu’il existait une Espagne plurilingue votant différemment de celle où le castillan cohabite avec une langue régionale reconnue. Cette analyste reste partielle, la Galice étant la région de l’actuel dirigeant du PP, M. Feijoo, et où le BNG, parti régionaliste, capte une bonne partie du vote de gauche qui empêche les socialistes de le concurrencer.

         Au Pays Basque, la question n’est pas tant celle d’une baisse du régionalisme que de sa recomposition, dans un contexte où le vote de droite se situe à un niveau encore plus faible qu’en Catalogne. Ainsi, l’enjeu principal des régionales de 2024 fut de savoir si le Parti National Basque (PNV), dominateur depuis la transition démocratique au point d’avoir jusqu’alors remporté cinquante-cinq élections sur soixante-et-unes dans ce territoire, se verrait supplanté par EH Bildu, mouvement régionaliste de gauche issu de la pacification du Pays Basque et comportant d’anciens soutiens ou membres d’ETA. Le duel se situait entre un PNV tenant la communauté autonome en bons gestionnaires, défendant son autonomie fiscale et pouvant s’allier, tant à Vitoria-Gasteiz (siège du parlement régional) qu’à Madrid, avec les socialistes, et des Abertzale plus critiques envers le modèle de développement et de santé d’un Pays Basque gouverné exclusivement, sauf pendant trois ans, par le PNV depuis le retour de la démocratie. La situation d’hégémonie du régionalisme limitant le grand parti national de gauche à un rôle de partenaire de coalition est inversé dans la région frontalière de Navarre, où le PSOE gouverne avec l’appui des partis bascophones tout en limitant leurs demandes sur l’officialité de cette langue ou le caractère basque de la ville de Pampelune.

         Il n’en demeure pas moins que la Catalogne, le Pays Basque et la Navarre demeurent des épines dans le pied des deux droites espagnoles, qui ne pourront pas y gagner ou y figurer honorablement tant qu’elles n’auront pas inventé de nouvelles approches électorales et programmatiques de ces territoires. Sur ce point, le modèle de recentralisation proposé par Vox le rend inaudible dans ces régions dont les droits spécifiques (autonomie fiscale, police exclusivement régionale en Catalogne et au Pays Basque, droit coutumier en Navarre) sont explicitées dans la Constitution Espagnole et identifiées comme inséparables du régime démocratique.

Écosse : l’affirmation inachevée

         Le régionalisme politique britannique repose en premier lieu sur une évidence statistique : l’Écosse, l’Irlande du Nord (Ulster) et le Pays de Galles ne représentent que cent sept sièges à la Chambre des Communes, un peu moins d’un sixième des députés. Il est donc tout à fait possible d’obtenir une majorité en surperformant en Angleterre, d’autant plus que les trois grands partis (Labour, Conservateurs et Libéraux Démocrates) ne cherchent pas à remporter les dix-huit sièges nord-irlandais. Les deux grands partis régionalistes, le SNP et le Plaid Cymru (au Pays de Galles3), sont nés dans des régions auparavant très majoritairement travaillistes, tenues pour acquises par ce parti, et qui ont eu le sentiment pendant les années Thatcher puis les gouvernements conservateurs à partir de 2010 que leurs votes à gauche ne servaient à rien puisque les Tories l’emportaient grâce à leurs électeurs anglais. L’absence d’un Parlement Anglais alors que les trois autres régions historiques, plus faibles démographiquement mais aux identités et histoires très distinctes de l’Angleterre, se sont vues transférer au cours du XXe siècle et plus fortement à partir de 1997 plusieurs compétences, reste une des faiblesses institutionnelles britanniques4. Aux dernières élections générales britanniques, les autonomistes écossais, qui avaient menacé de quitter le Royaume-Uni après le Brexit pour rester en Europe, ont subi un fort recul au profit des travaillistes.

         Région à l’identité affirmée et avec une droite nationale faible, l’Écosse peut à première vue s’analyser en parallèle au Pays Basque. Ici aussi, un parti régionaliste tente de devenir hégémonique et de montrer son sérieux en gouvernant de longue date son territoire : le Parti National Écossais (SNP), dont les buts indépendantistes sont cependant bien plus explicites que le PNV. Ce mouvement se réclame de plus de la gauche, malgré son ambigüité historique : créé en 1927 devant l’impossibilité d’obtenir une Home Rule comparable à celle de l’Irlande, le parti vota en faveur de la motion de censure ayant renversé les travaillistes en 1979. Sa contre-performance lors des législatives du 4 juillet dernier (perte de quarante sièges et de quinze points de pourcentage par rapport à 2019) s’explique de plusieurs manières :

  • Priorité donnée par les électeurs écossais aux travaillistes afin de se débarrasser des Conservateurs : beaucoup d’indépendantistes ont pu temporairement donner leur voix au Labour.
  • Impossibilité du projet indépendantiste à court-terme : bien que le SNP ne cesse de répéter son intention d’obtenir la tenue d’un second référendum d’indépendance après celui perdu en 2014, les exemples de la répétition d’un tel scrutin aussi rapprochés sont rares, et il n’est pas sûr que le résultat change5. Plus encore, une Écosse indépendante repose sur deux facteurs de moins en moins certains : la richesse tirée de l’énergie, alors que la production de pétrole est passée de 3 millions à 794 000 barils par jour entre 1999 et 20236, et une économie du savoir via l’ouverture à l’international clairement affectée par le Brexit.
  • Difficulté pour le SNP de passer de simple parti régionaliste à possible parti de gouvernement d’un pays. Après dix-sept ans à la tête du gouvernement décentralisé, les nationalistes écossais ne peuvent plus prétendre incarner l’alternance ou un parti d’outsiders, et sa gestion de la région ne s’avère pas toujours admirable : ainsi l’Écosse a-t-elle le plus fort taux de morts par overdose en Europe, avec un pourcentage de la population dépendante aux opioïdes qui n’a pas baissé entre 2014 et 20197, et ses performances éducatives, selon l’étude Pisa, ne sont pas meilleures que celles de l’Angleterre ou des autres nations britanniques8. Ce nécessaire choix entre la continuation d’une ligne officielle demandant une indépendance impossible pour le moment et le choix de réformes difficiles a été identifié même dans les médias de gauche9.

         Autre parti confronté aux nouvelles exigences du pouvoir au-delà de son programme indépendantiste, le Sinn Fein se distingue parmi les régionalismes européens en étant actif dans deux pays : le Royaume-Uni, où il se présente dans l’Ulster tout en refusant de siéger à la Chambre des Communes malgré ses bons résultats (sept sièges, 4,2 points et 29 000 voix de plus lors des dernières législatives) ; et la République d’Irlande où, devenu depuis le début de la décennie le premier parti, il ne siège pas encore au gouvernement. Un des symboles d’un retour à la normale au nord de la frontière, après plusieurs années d’inquiétude post-Brexit, fut l’acceptation du parti de siéger à nouveau dans l’exécutif décentralisé d’Irlande du Nord, en février 2024, aux côtés des unionistes du DUP (représentant traditionnellement les populations protestantes), sous la garantie d’obtenir le poste de Premier Ministre, une première. Comme le SNP, le Sinn Fein a su se détacher des pures revendications territoriales en se réinventant comme mouvement de gauche, profitant du bipartisme Fianna Fail/Fine Gael donnant souvent lieu à des grandes coalitions pour se présenter comme le seul parti d’alternative dans l’Eire. Le défi reste à savoir comment unifier réellement les deux Irlande, le Sud étant plus riche par tête mais ne bénéficiant pas du NHS gratuit du Nord, où les habitants souhaitant rester citoyens britanniques ne voudraient pas rester dans un pays dominé économiquement et démographiquement par l’ancienne Eire. Le dernier exemple d’unification de deux parties inégales d’une même culture, la réunification allemande, est souvent cité : un rapport de 2024 estime à vingt ans la durée pour que la productivité du Nord rejoigne celle du Sud10. Il est ainsi notable que l’Irlande indépendante put compter sur une réduction de 80% de sa dette due au Royaume-Uni trois ans après sa naissance, circonstance difficilement reproductible aujourd’hui11.

         La politique nord-irlandaise demeure la plus influencée par le régionalisme du Royaume-Uni, les trois grands partis britanniques n’y présentant pas de candidats et les partis non-issus du confessionnalisme (l’Alliance et le Social Democratic Labour Party) y étant encore minoritaires (trois sièges sur dix-huit lors des législatives de 2024). Cette réalité ignore, comme pour les faiblesses de l’Écosse après dix-sept ans de pouvoir du SNP, les évolutions du territoire où les Catholiques sont désormais majoritaires, mais où la catégorie sociale progressant le plus est précisément celle des citoyens sans religion.

         Enfin, le Pays de Galles est parcouru, depuis les années 1970 avec la revendication d’une chaîne de télévision locale en gallois, plus profondément depuis la décentralisation de 1997, par un régionalisme encore faible : le Plaid Cymru, parti l’incarnant, n’a jamais dépassé les 15% des suffrages dans les élections législatives, bien que ses scores soient plus importants aux scrutins régionaux, ce qui montre qu’une partie des Gallois de gauche privilégient les travaillistes pour leurs députés à Westminster. Contrairement aux autonomistes écossais et irlandais, le Plaid Cymru peut s’emparer d’un enjeu linguistique, la défense du gallois et d’un bilinguisme, qui le rapproche des régionalistes basques et catalans, et sur une histoire d’intégration dans le pouvoir central, à partir de 1282, ayant donné lieu à une complète domination a contrario de l’union des couronnes anglaises et écossaises qui bénéficia de manière équilibrée aux Écossais.

Des forces dispersées

         En Italie, la Ligue du Nord prônant auparavant la naissance d’une Padanie regroupant plusieurs régions septentrionales italiennes se transformait en Ligue pour accompagner l’ascension politique de Mateo Salvini. Le dernier parti régionaliste d’importance est le SVP (Südtiroler Volkspartei), uniquement actif dans la province autonome du Haut-Adige et défendant les droits linguistiques et politiques des populations germanophones de ce territoire récupéré par l’Italie après la Première Guerre Mondiale12. S’il reste incontournable dans cette petite région italienne, son influence semble, elle aussi, baisser : passé pour la première fois sous les 100 000 voix lors des dernières régionales en 2023, il les a dépassées lors des européennes du 9 juin… Cependant que Fratelli d’Italia et le Parti Démocrate réalisaient des scores importants en deuxième et troisième position (19,6 et 15,9%), ce qui peut s’interpréter comme une nationalisation de l’électorat dans cette région elle aussi très autonome.

Au Parlement européen, les représentants régionalistes sont dispersés à travers plusieurs groupes. L’élu régionaliste italien de SVP est affilié au PPE.  La PNV basque siège dans le groupe centriste, tout comme le Parti Suédophone de Finlande. Le Sinn Fein et l’ERC catalan au sein de la Gauche. Les autonomistes corses s’étaient alliés en 2019 avec Europe Écologie les Verts, ce qui augmenta le score de cette liste en Corse. Cette répartition montre à quel point il est difficile de parler d’un régionalisme en Europe ou de regrouper ses composantes sous une seule bannière. La répartition de ces partis au Parlement montre bien leur éclatement et leur besoin de s’affilier à des mouvements nationaux : si aucun ne siège parmi les Non-Inscrits, la NVA autonomiste flamande figure parmi les eurosceptiques alors que le Vlaams Belang partage son groupe avec le RN (ce qui montre que même le flaminguisme n’est pas uni). Représentant des régions et des langues minoritaires, les régionalismes pèsent peu institutionnellement à Bruxelles, surtout dans une organisation, l’UE, reposant autant sur les États-membres ; comment l’influencer quand aucun parti autonomiste n’est représenté à la Commission ou ne siège dans un exécutif, à part le RKP (représentant les suédophones) en Finlande ? En outre, la création en 1994 d’un Comité des régions au sein des institutions européennes a pu donner satisfaction aux demandes de reconnaissance institutionnelle du régionalisme.

Régionalisme de gauche, régionalisme de droite

         Il apparaît ainsi que les régionalismes sont actuellement en baisse en Europe dès lors qu’ils manquent de projets clairs au-delà de revendications territoriales et de grands objectifs non-concrétisés (en particulier les indépendances). Des compromis politiques entre Etat central et régions, de nouvelles étapes de décentralisation ont partiellement donné satisfaction aux demandes de reconnaissance culturelle, linguistique ou institutionnelle. Le régionalisme souffre aussi de contextes électoraux en évolution et d’attitudes changeantes de certains de leurs concurrents : un électeur catalaniste ou le partisan d’une plus grande autonomie de l’Écosse ne votera jamais à droite mais peut  voter pour les socialistes espagnols dès lors que ceux-ci choisissent, sous Pedro Sanchez, une approche politique et non pénale de l’indépendantisme, via des négociations et une amnistie ; ou les travaillistes, lorsqu’il s’agit de leur assurer une majorité et de se débarrasser de Conservateurs qui ne peuvent rien apporter à la cause écossaise. À une échelle plus petite encore, le SVP aurait tort de se considérer comme le représentant naturel des populations germanophones du Sud-Tyrol, qui peuvent tout aussi bien voter Fratelli d’Italia ou Parti Démocrate pour maximiser l’utilité de leurs bulletins. Comme tout parti politique, en considérant leurs électeurs comme conquis d’avance ou contraints, tôt ou tard, d’adhérer à leurs idées, les régionalismes risquent de pécher par facilité.

         Cette renationalisation de l’électorat régional pourrait bénéficier, enfin, aux différentes droites nationales. Malgré le discours du SNP sur une Écosse structurellement de gauche, les Conservateurs et Reform UK y ont réunis 19,7% des voix lors des dernières législatives britanniques, et l’électorat autonomiste déçu pourrait se droitiser aussi tendanciellement que les citoyens de leur pays en général. La montée du Vlaams Belang et le refus des autres partis belges de négocier avec eux éloigne la perspective d’indépendance des Flandres, qui ne peut avoir lieu ne serait-ce que parce que Bruxelles s’y trouve, et déplace le NVA vers une respectabilité gouvernementale (le parti a compté des ministres sous Charles Michel). L’égoïsme septentrional italien a depuis dix ans compris tout le bénéfice à tirer d’un déplacement sur la scène nationale et dans une extrême-droite comparable à d’autres en Europe, via le changement de la Ligue du Nord en la Ligue. Les masques étant tombés pour les régionalistes de gauche, qui les dévoilera pour ceux de droite ?


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Louis Andrieu